Compte rendu

Commission d’enquête
sur les dysfonctionnements
obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins
des justiciables ultramarins

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

- M. Christian Mour, président du tribunal de première instance de Mata’Utu

- M. Jordane Duquenne, procureur de la République près le tribunal de première instance de Mata’Utu

- M. Frédéric Avena, chef de greffe du tribunal de première instance de Mata’Utu 2

– Présences en réunion................................15

 


Jeudi
25 septembre 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 24

session 2024-2025

Présidence de
M. Davy Rimane,
Rapporteur de la commission

 


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La séance est ouverte à neuf heures.

M. Davy Rimane, président. Pour faciliter l’organisation de nos travaux et tenir compte autant que possible des décalages horaires entre Paris et les territoires qui font l’objet de notre enquête, nous avons décidé de consacrer cette matinée à la situation de Wallis-et-Futuna, collectivité territoriale à laquelle nous réserverons une deuxième matinée d’auditions.

J’accueille pour évoquer plus précisément la situation des juridictions judiciaires M. Christian Mour, président du tribunal de première instance de Mata’Utu, M. Jordane Duquenne, procureur de la République près le tribunal de première instance et M. Frédéric Avena, chef de greffe du même tribunal.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Christian Mour, Jordane Duquenne et Frédéric Avena prêtent successivement serment.)

M. Jordane Duquenne, procureur de la République près le tribunal de première instance de Mata’Utu. Je commencerai par vous donner quelques éléments de contexte. Situé à 16 000 kilomètres à vol d’oiseau de Paris, Wallis-et-Futuna est l’un des territoires français les plus éloignés de l’Hexagone : pour y accéder, il faut obligatoirement transiter par la Nouvelle-Calédonie, distante de plus de 2 000 kilomètres, d’où partent les avions de la seule compagnie aérienne à assurer une desserte, Aircalin, qui effectue seulement deux liaisons par semaine, le lundi et le samedi, en période scolaire, et trois au maximum en période de vacances. Un avocat venu de Nouméa ne peut donc assister son client pour seulement une journée ; il doit rester sur place au minimum cinq jours quand il n’y a que deux vols.

La population wallisienne et futunienne s’élève à 11 620 habitants, selon le dernier recensement achevé en décembre 2023. C’est par la loi statutaire du 29 juillet 1961 que les îles Wallis et Futuna sont devenues territoire d’outre-mer, collectivité très spécifique au sein de la République. Le législateur d’alors a en effet choisi de reconnaître l’existence des organisations sociales traditionnelles des deux îles par l’article 3 de ladite loi : « La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi. » Il faut souligner la grande originalité de ce statut qui consacre la coexistence d’institutions républicaines et de structures coutumières issues de monarchies océaniennes, le royaume d’Uvea à Wallis et les royaumes de Sigave et d’Alo à Futuna.

L’État est représenté par un préfet, administrateur supérieur, chef du territoire, qui assure également l’exécutif de la collectivité territoriale, ce qui constitue une autre spécificité de ce statut. Les autorités coutumières sont présentes au sein des institutions du territoire, telles le conseil territorial et les conseils de circonscription. Une assemblée territoriale, composée de vingt membres élus, vote le budget de la collectivité et délibère sur les sujets relevant de sa compétence.

S’agissant de l’articulation entre le droit national et le droit coutumier, il faut souligner que l’article 5 de la loi statutaire institue une juridiction de droit commun comprise dans le ressort de la cour d’appel de Nouméa et une juridiction de droit local, compétente au premier degré d’une part pour les contestations entre citoyens régies par un statut de droit local et portant sur l’application de ce statut, d’autre part pour les contestations concernant les biens détenus suivant la coutume, notamment les conflits fonciers.

Un arrêté de l’administration supérieure a organisé la juridiction de droit local il y a quelques décennies, conformément aux dispositions de la loi statutaire. Toutefois, cette juridiction n’a jamais été mise en place en raison de l’opposition du roi de l’époque, Tomasi Kulimoetoke II. L’alinéa 4 de l’article 5 de cette loi statutaire prévoyait que « les jugements rendus en dernier ressort par la juridiction de droit local [pouvaient] être attaqués devant une chambre d’annulation près la cour d’appel de Nouméa, pour incompétence, excès de pouvoir ou violation de la loi », disposition considérée comme incompatible avec la conception coutumière de la parole royale, laquelle ne peut être remise en cause.

Le fait que cette juridiction n’ait jamais été installée ne signifie pas qu’il n’existe pas de justice coutumière, puisque les coutumiers règlent les litiges fonciers par l’intermédiaire de leur chef en suivant une organisation très précise. D’abord, le chef de village, le pule kolo, rend une décision en premier ressort, laquelle est susceptible d’être contestée devant un chef de district, le faipule. En dernier ressort, les requérants peuvent s’adresser au roi, le lavelua, qui tranchera définitivement le litige. La coutume est orale : il n’existe pas de règles ou de décisions écrites.

J’en viens à la juridiction de droit commun. Le tribunal de première instance (TPI) de Mata’Utu, qui dépend de la cour d’appel de Nouméa, est doté d’un président, d’un procureur de la République et d’un juge des libertés et de la détention, poste qui n’a jamais été pourvu. Le greffe comprend un chef, une greffière principale, un greffier, une chargée de mission, une secrétaire administrative et deux adjoints administratifs. Ces effectifs apparaissent suffisants, d’autant que nous ne rencontrons aucun problème d’absentéisme.

L’activité en matière de contentieux est plutôt faible – il n’y a pas de contentieux de masse –, mais les services doivent faire face à une activité juridictionnelle très diversifiée tout en s’appuyant sur des textes d’adaptation multiples : gestion de l’état civil, du registre du commerce et des sociétés (RCS) ainsi que du casier judiciaire local, dans l’attente de son transfert définitif vers le casier judiciaire national de Nantes, le 8 octobre 2025 ; tribunal du travail ; compétences en matière commerciale et civile ; fonctions de juge aux affaires familiales, de juge de l’exécution, de juge des tutelles, de juge des enfants, de juge d’instruction, de juge d’application des peines ; tribunal de police ; audiences correctionnelles ; contentieux électoral professionnel ; siège de cour d’assises.

À cela s’ajoute la tenue d’audiences foraines en matière civile et commerciale sur l’île de Futuna pour lesquelles président du tribunal, procureur et greffier se déplacent tous les trois mois. Dans ce cadre, nous sommes assistés de manière quasi systématique par un interprète, soit en langue wallisienne, soit en langue futunienne, même si une très large part de la population parle le français couramment.

M. le président y reviendra plus en détail, mais j’aimerais appeler votre attention sur les difficultés liées aux citoyens défenseurs, actuellement au nombre de quatre. Leur niveau de compétence est extrêmement éloigné des standards qui prévalent pour l’exercice de la profession d’avocat et, en matière pénale, leurs rémunérations ne sont prévues par le code de procédure pénale que dans le cadre de l’assistance à une personne gardée à vue.

Signalons l’installation à Wallis depuis le début de l’année 2024 de bureaux secondaires de deux avocats – l’un du barreau de Papeete, l’autre du barreau de Nouméa – dans lesquels ils ne sont présents qu’épisodiquement, à raison d’environ une semaine tous les trois mois. Non seulement ils doivent laisser de côté leur cabinet principal pendant près d’une semaine, du fait de la rareté des vols, mais ils sont confrontés au problème de l’absence d’aide juridictionnelle sur le territoire comme de l’absence de bases légales leur permettant d’intervenir dans une audience correctionnelle par le biais d’une visioconférence.

Dans un autre registre, je déplore l’absence d’antenne de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), d’établissements de placement éducatif et de familles d’accueil, ce qui réduit considérablement le panel des peines et des mesures éducatives qui peuvent être prononcées à l’égard des mineurs délinquants ou dans le cadre de mesures d’assistance éducative décidées par le juge des enfants. Le parquet est évidemment aussi concerné par ce problème puisqu’il est impossible de prendre une ordonnance de placement provisoire.

S’agissant des projets menés à leur terme récemment dans la juridiction, j’évoquerai le déploiement, effectif depuis avril 2024, de Cassiopée (chaîne applicative supportant le système d’information opérationnel pour la procédure pénale et les enfants) et de la NPP (numérisation des procédures pénales), application à laquelle les agents ont été formés par avance dès janvier 2024.

Le 8 octobre prochain, le casier judiciaire local sera transféré vers le casier judiciaire national de Nantes, avec les services duquel nous avons eu de multiples échanges pendant deux ans, comme avec l’Insee.

La mise en service de la procédure pénale numérique (PPN) a été anticipée : elle est effective depuis le 26 mars 2025, ce qui nous a permis d’obtenir la certification « tribunal pénal numérique » délivrée par la DSJ (direction des services judiciaires) et par la DACG (direction des affaires criminelles et des grâces). Depuis l’enquête de gendarmerie jusqu’à la phase de jugement, nous sommes entrés dans un processus zéro papier. Cette dématérialisation offre un autre avantage considérable : nous ne sommes plus soumis aux aléas de la poste et du fret aérien pour transmettre ou recevoir certaines procédures, en cas de dessaisissement, par exemple, ou pour ce qui relève du cadre de l’article 41 du code de procédure pénale. Grâce à ces moyens numériques équivalents à ceux qui sont utilisés en métropole, les transferts de dossiers sont désormais très rapides.

J’en viens à quelques éléments statistiques concernant la délinquance à Wallis et à Futuna : il y a eu 323 affaires et procès-verbaux en 2024 contre 392 en 2023 ; pour l’année 2024, 32 % des procédures concernent des atteintes aux personnes, 24 % la délinquance routière, 24 % des atteintes aux biens, les dossiers restants portant sur d’autres infractions. Pour être clair, la délinquance est faible et stable. Selon les chiffres communiqués par la gendarmerie, en 2024, le taux des crimes et délits a été de 14,71 pour 1000 habitants, contre 43,56 pour 1000 à l’échelle nationale. Cette délinquance n’a pas de spécificités, si ce n’est la consommation excessive d’alcool, corollaire récurrent des faits de violence et de délinquance routière.

Pour les délais de traitement des affaires pénales, précisons qu’il n’existe plus de procédures de durée supérieure à deux ans au sein des brigades de Wallis et de Futuna. Sur les 147 enquêtes en cours au sein de la brigade territoriale de Wallis, pour plus de la moitié, c’est-à-dire 82, les délais sont inférieurs à six mois et pour la totalité des vingt enquêtes en cours au sein de la brigade de Futuna, le délai est inférieur à un an – pour seize d’entre elles, il se situe même en dessous de six mois.

La coutume a sa place dans le traitement de ces affaires pénales. Il arrive assez fréquemment qu’une demande de pardon soit adressée à la victime et à sa famille, à travers palabres et dons. Souvent, il est fait état de cette démarche dans la procédure, mais si elle est susceptible d’être prise en considération lors de la phase de jugement, elle n’a évidemment aucune incidence sur la conduite de l’enquête et l’exercice des poursuites par le parquet.

Concernant nos liens avec les autorités coutumières, je précise que M. le président et moi-même participons à des cérémonies et que nous rencontrons à peu près tous les semestres le roi de Wallis. En tant que représentant du parquet, j’évoque avec lui, le cas échéant, des sujets d’ordre public susceptibles de l’intéresser.

Pour répondre aux autres questions de votre questionnaire, j’indique qu’avant mon affectation je n’ai suivi aucune formation relative aux spécificités socioculturelles de Wallis-et-Futuna. Toutefois, mes précédentes affectations îliennes – j’ai exercé quatre ans en Nouvelle-Calédonie et cinq ans en Corse – ont pu être prises en considération par la direction des services judiciaires et par le Conseil supérieur de la magistrature lors de ma nomination.

Je n’ai jamais eu de contact avec le délégué pour les outre-mer au sein du secrétariat général de la justice.

Je confirme qu’il n’existe pas de conseil d’accès au droit sur ce territoire. Les conseils départementaux de l’accès au droit, les CDAD, pilotent la politique d’accès au droit à l’échelle départementale. Les conseils de l’accès au droit, les CAD, censés avoir un rôle identique en outre-mer, doivent assurer la gestion des lieux d’accueil et d’information que sont les points justice, où divers intervenants – avocats, notaires, commissaires de justice, juristes d’association, entre autres – effectuent une permanence. Mais comment mettre en place ce type de structure à Wallis où ces professionnels sont absents ?

J’évoquerai pour finir cinq leviers susceptibles d’améliorer l’accès à la justice à Wallis-et-Futuna : disposer d’avocats de manière permanente, ce qui revient à se demander comment attirer ces professions libérales dans un petit territoire éloigné ; mettre en place l’aide juridictionnelle ; former les citoyens défenseurs à leurs fonctions dans les domaines juridique et déontologique et élargir leur périmètre d’intervention et d’indemnisation ; étendre les possibilités juridiques, notamment pour les avocats extérieurs, de recourir au dispositif de visioconférence afin de leur permettre d’assister à distance à des audiences correctionnelles ; rapprocher le fonctionnement du TPI de Wallis de celui du TPI de Saint-Pierre-et-Miquelon, juridiction dotée d’un TSA, tribunal supérieur d’appel, afin que les appels puissent être pris en charge à Wallis et non pas à Nouméa, distante de près de 2 000 kilomètres.

M. Christian Mour, président du tribunal de première instance de Mata’Utu. Wallis-et-Futuna est une juridiction totalement atypique. Après la loi statutaire de 1961 a été établie en 1962 une section détachée du tribunal de première instance de Nouméa. Ce n’est qu’en 1984 que Wallis-et-Futuna a été doté d’un tribunal de première instance à part entière. Votre commission d’enquête porte sur les « dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins » ; mais le terme de dysfonctionnements laisse entendre que le système a pu fonctionner un jour. Or il n’y a jamais eu d’accès au droit sur ce territoire, sachant qu’il n’y a pas de barreau attaché à cette juridiction. On peut considérer que, parmi les juridictions de l’Hexagone et d’outre-mer, Wallis-et-Futuna est la seule avec Saint-Pierre-et-Miquelon où il n’y a ni défense ni accès au droit.

Il existe certes un corps de citoyens défenseurs, mais qui n’est doté d’aucun statut écrit, d’aucune déontologie établie – et je les ai cherchés lorsque je suis arrivé il y a deux ans, en même temps, du reste, que M. le procureur de la République et M. le chef du greffe.

Cette création sui generis, qui remonte à une vingtaine d’années, prend toutefois pour base l’article 814 du code de procédure pénale, selon lequel, « dans les territoires des îles Wallis-et-Futuna, il peut être fait appel pour les attributions dévolues à l’avocat [lors de la garde à vue] à une personne agréée par le président du tribunal de première instance ». Celle-ci est rémunérée par l’aide juridictionnelle à la fois pour sa participation à l’entretien avec la personne gardée à vue et pour son assistance auprès d’elle pendant la période de garde à vue. Elle peut intervenir également en matière de retenue douanière.

Ces fonctions bien circonscrites ne sont pas très techniques. Le problème est que ces personnes agréées portent aussi la casquette de citoyens défenseurs et sont admises, du fait d’une tolérance qui s’est poursuivie au fil des années, à intervenir en matière pénale pour assister des justiciables devant le juge d’instruction, devant le juge des libertés et de la détention, devant le tribunal correctionnel, voire devant la cour d’assises, ce qui exige bien sûr des compétences techniques bien plus poussées. Le métier d’avocat s’apprend : il suppose une formation universitaire et une formation professionnelle au sein d’un CRFPA (centre régional de formation professionnelle des avocats).

Au-delà des enjeux de formation se pose un problème de régularité des procédures. Autoriser les citoyens défenseurs à intervenir dans les procédures pénales alors qu’ils n’ont aucun statut pour le faire, c’est s’exposer au risque que des nullités soient soulevées : on pourrait invoquer le fait que la personne n’a pas été assistée par un avocat.

Le citoyen défenseur est donc un pis-aller. En l’absence d’avocats, il fallait bien, dans un premier temps, que les personnes gardées à vue soient assistées par une personne issue de la société civile. On retrouve d’ailleurs le même genre de dispositions dans les îles éloignées de la Polynésie française où il n’y a pas d’avocat.

L’absence d’avocat se fait ressentir aussi en matière civile. En tant que président du tribunal, j’exerce aussi les fonctions de juge civil : juge aux affaires familiales, juge des tutelles, juge des enfants, juge électoral. J’interviens également pour le tribunal de commerce et pour le tribunal du travail. Il n’existe pas de code de procédure civile local à Wallis-et-Futuna : c’est le code métropolitain qui s’applique. Or, alors que la loi de 2019 a imposé la représentation obligatoire par un avocat devant les juridictions, à Wallis-et-Futuna, c’est l’inverse : l’article 1577 du code de procédure civile écarte cette obligation et permet, en l’absence d’avocat, de se présenter soi-même ou d’être représenté par un mandataire. Et le code n’impose pas de qualification particulière : n’importe qui peut devenir le mandataire d’un justiciable devant une juridiction civile, sans en avoir les compétences techniques. On ne peut pas lui reprocher cette lacune puisqu’il ne reçoit aucune formation. Cela pose toutefois un véritable problème d’accès au droit parce que, à défaut d’avocat, les gens se réfugient vers le citoyen défenseur, qui ne peut pas exercer toutes les fonctions dévolues à l’avocat.

La question se pose également pour le droit à l’exécution d’une décision de justice. À Wallis-et-Futuna, qui ne compte aucun commissaire de justice, les fonctions normalement dévolues à celui-ci sont assurées par des autorités administratives ou militaires – en l’occurrence, par les gendarmes. Or l’exécution forcée n’est pas leur cœur de métier. En outre, le métier de commissaire de justice demande des compétences en matière de rédaction d’actes, de respect des délais et de choix des procédures d’exécution. Un justiciable en métropole aurait recours à un avocat pour le conseiller sur la procédure, pour obtenir un jugement et pour choisir le cas échéant les mesures d’exécution forcée. Les gendarmes ne peuvent pas conseiller un justiciable pour faire exécuter une décision, même s’ils disposent d’un support grâce à des huissiers de Nouvelle-Calédonie. En pratique, il est très difficile pour les justiciables de Wallis de faire exécuter les décisions de justice.

Le territoire ne compte aucune étude notariale. Or, depuis 2010, ce ne sont plus les greffiers qui recueillent le consentement à l’adoption mais les notaires. Ainsi, en pratique, les justiciables de Wallis-et-Futuna qui souhaitent adopter ne le peuvent pas, car cela suppose de se rendre à Nouméa, située à 2 000 kilomètres, alors que le billet d’avion coûte au minimum 800 euros. Les coûts sont trop importants pour les justiciables de Wallis. J’ai contacté la direction des services judiciaires pour savoir s’il était possible de modifier le texte ou, au moins, de faire en sorte que les notaires de Nouméa recueillent le consentement par visioconférence, mais, pour le moment, nous n’avons pas avancé sur ce point.

Le territoire ne compte pas non plus de mandataire judiciaire pour les procédures collectives en matière commerciale. Certains mandataires judiciaires exerçant en Nouvelle-Calédonie ne souhaitent pas venir ici parce que leur assurance professionnelle exclut toute intervention à Wallis-et-Futuna.

Enfin, nous ne disposons pas de service de protection judiciaire de la jeunesse, pourtant essentiel car il s’occupe des mineurs en danger et des mineurs délinquants – je rappelle que c’est un service qui dépend de l’État. Les mesures éducatives sont quasiment impossibles à mettre en œuvre en l’absence d’éducateurs, d’un foyer pour mineurs en danger et d’un suivi – si ce n’est par deux agents de l’inspection du travail et des affaires sociales, qui bénéficient d’une tolérance pour intervenir et pour faire des rapports devant le juge des enfants.

À ces différents dysfonctionnements s’ajoute l’obsolescence des textes. Ainsi, le code du travail applicable à Wallis-et-Futuna a été signé par Antoine Pinay et Vincent Auriol : il date de 1952. Ce texte est donc même antérieur à la loi de 1961 qui a consacré Wallis-et-Futuna comme un territoire d’outre-mer. Même si un accord interprofessionnel territorial a été conclu postérieurement, la base textuelle demeure très ancienne et inapplicable pour certaines sanctions. Ainsi, en cas d’homicide involontaire intervenu dans le cadre d’un accident du travail, l’amende encourue est de 200 euros. Certains textes sont ainsi soit obsolètes, soit difficilement applicables, soit devenus inadaptés à l’environnement social et juridique ainsi qu’aux standards en vigueur dans l’Hexagone.

Je prendrai également l’exemple du barème des saisies des rémunérations, qui varie en fonction du montant des salaires. Quand je suis entré en fonction, en 2023, le texte en vigueur datait de 1955 et était exprimé en anciens francs ; il était donc inapplicable. Ainsi, cette voie d’exécution n’était pas ouverte aux créanciers. Toutefois, une avancée est intervenue le 29 juillet 2025 avec la publication d’un décret fixant un barème applicable à Wallis-et-Futuna.

Concernant les pistes d’amélioration de l’accès au droit dans le territoire de Wallis-et-Futuna, je souhaite évoquer mon expérience passée. En 1987, j’ai exercé pour le gouvernement de la Polynésie française dans ce qui s’appelait le service des affaires de terre, qui traitait des sorties d’indivision en matière foncière. Créé dans les années 1960 pour les personnes indigentes, ce service était piloté par un avocat rémunéré par le territoire, et doté d’un secrétariat et d’un interprète. Il permettait aux justiciables ne disposant pas des fonds nécessaires pour recourir à un avocat d’obtenir l’aide juridictionnelle. Ils pouvaient ainsi être défendus dans des dossiers en matière foncière, qui est l’un des problèmes endémiques en Polynésie française. Ce cabinet d’avocat territorial était financé par le territoire ; il était donc véritablement au service des justiciables.

Il serait techniquement assez simple de s’inspirer de cette solution, qui existe également au Canada. Cela permettrait d’attirer un professionnel du droit dans le territoire de façon pérenne. En effet, la profession d’avocat relevant du libéral, il serait difficile de trouver un avocat acceptant de créer un cabinet compte tenu des enjeux financiers que cela représente, particulièrement dans un territoire comptant 11 151 habitants en 2023 : le nombre d’affaires n’est pas suffisant pour financer un cabinet d’avocats. Cette solution serait une véritable porte d’entrée dans la juridiction pour les justiciables et leur permettrait de défendre leurs droits.

Des modifications textuelles peuvent également être apportées. J’ai exercé pendant six années comme juge forain dans les archipels des Tuamotu, Gambier et Australes. L’article 444 du code de procédure civile de la Polynésie française permet aux justiciables de présenter des requêtes verbales – les requêtes écrites constituant un véritable obstacle lorsque l’on n’a pas accès à un avocat – qu’il appartient au juge et au greffier de transcrire en termes juridiques.

La visioconférence peut être utile, mais ce n’est pas forcément la panacée. L’article 706-61 du code de procédure pénale permet dans certains cas au justiciable de communiquer avec son juge à distance. Mais la visioconférence suppose tout de même, en amont, qu’il ait pu contacter un avocat pour préparer sa défense. Le travail accompli avec l’avocat ne pourra jamais être suppléé par la visioconférence. De plus, Wallis-et-Futuna compte de nombreux locuteurs en langues wallisienne et futunienne : le truchement d’un interprète est indispensable pour recevoir les confidences et les demandes des justiciables. Le rapport existant entre un client et son avocat ne pourra jamais passer par la visioconférence, pas même avec un avocat de Nouméa. La visioconférence n’intervient qu’in fine.

En matière civile, le recours à la visioconférence ne peut se faire que pour un motif légitime. Cette disposition du code de l’organisation judiciaire a été créée peu après la pandémie de covid.

Je précise aussi que, pour tenir compte des sujétions qui pèsent sur les avocats de Nouméa, nous avons décidé, le chef de greffe, le procureur de la République et moi-même, de regrouper l’intégralité des audiences sur une semaine, afin de permettre aux avocats qui souhaiteraient venir de traiter tous leurs dossiers dans ce laps de temps ou bien de désigner un avocat permanencier pour les représenter à Wallis-et-Futuna. Cette possibilité créée par le tribunal pour permettre une défense effective a favorisé la venue d’avocats dans le territoire – deux d’entre eux viennent une semaine tous les trois mois environ.

Deux avocats créant un cabinet de façon pérenne dans le territoire suffisent pour créer un barreau. L’article L. 211-7 du code de l’organisation judiciaire dispose que lorsque le barreau compte moins de huit avocats, les fonctions dévolues au Conseil de l’ordre sont confiées au tribunal judiciaire. Cela a une conséquence directe sur l’aide juridictionnelle, qui existe actuellement en matière pénale mais pas en matière civile et administrative. Un projet de modification de la loi sur l’aide juridictionnelle est en préparation. Il prévoit deux choses importantes : d’une part, la prise en charge des frais de déplacement et d’hébergement des avocats de Nouméa qui viendraient plaider à Wallis-et-Futuna et, d’autre part, l’extension de l’aide juridictionnelle en matière civile et administrative.

La loi de 1961 a créé une juridiction de droit local, mais celle-ci n’a jamais été mise en place ; elle n’était d’ailleurs pas demandée par les autorités coutumières. Du reste, ce dispositif me semble difficile à appliquer. La loi de 1961 prévoit que les justiciables peuvent refuser d’être jugés par la juridiction de droit local. Dans cette hypothèse, les magistrats de la juridiction de droit commun doivent statuer en appliquant les us et coutumes, qui, par définition, ne sont pas écrits. Cela constituerait une véritable difficulté pour les juridictions de droit commun.

Il existe donc une véritable déficience en matière d’accès au droit – il ne faut pas le cacher. Toutefois, le conseil d’accès au droit ne me paraît pas constituer le meilleur levier pour pallier cette déficience. La présence d’au moins un avocat rémunéré par le territoire permettrait déjà, de façon embryonnaire, d’assurer l’accès au droit.

M. Frédéric Avena, chef du greffe du tribunal de première instance de Mata-Utu. Lorsque nous sommes arrivés tous les trois, il y a deux ans, nous avons établi une organisation permettant d’assurer l’efficience de l’accueil du public. Aujourd’hui, le service d’accueil unique du justiciable (Sauj) est ouvert au public pendant trois heures en matinée, ce qui correspond tout à fait au besoin local.

Nous avons également mis en place des effectifs correspondant aux cibles définies par le ministère au vu de nos statistiques et des besoins particuliers de Wallis, concernant notamment la durée des échanges. Nous disposons d’agents qualifiés qui prennent leur temps pour accueillir les justiciables – les langues wallisienne et futunienne sont largement pratiquées dans les services d’accueil – car nous savons qu’ils n’ont pas recours à un conseil. Ainsi, nous ne nous contentons pas d’une simple remise de formulaires : nous commentons ces derniers et nous aidons les personnes à les remplir.

Nous avons traversé une phase particulière concernant le personnel. Nous sommes aujourd’hui au complet après avoir perdu des effectifs pendant plus d’un an. Une de mes missions, en tant que chef de greffe, consiste à promouvoir les agents. Trois d’entre eux ont réussi des concours de la fonction publique et sont partis se former dans l’Hexagone. Cela a nécessité un investissement pour les agents restants, car il n’y a pas eu de remplacement en nombre suffisant. De plus, sur les trois lauréats, un seul a pu revenir ici, les deux autres ayant été dans l’obligation de choisir des affectations différentes, en Guyane et en région parisienne. Le retour à Wallis après une promotion n’est donc pas systématique.

Nous avions dû abandonner, pendant quelques mois, les permanences des greffiers sur l’île de Futuna. Or il est important, au-delà des simples audiences foraines, que le greffe se déplace sur cette île située à 230 kilomètres et à une heure de vol de Wallis pour se rendre au plus près de la population futunienne, car les permanences des deux avocats se font à Wallis, et non à Futuna. La présence de greffiers permet donc de rencontrer la population et de lui apporter des explications.

L’accueil au tribunal concerne à 90 % la tenue du registre du commerce et des sociétés de Wallis-et-Futuna, les 10 % restants venant pour des procédures civiles ou pour demander des renseignements concernant des procédures pénales.

Nous avons par ailleurs ouvert le tribunal au public scolaire. Il est important que les élèves des deux îles puissent se rendre dans une juridiction pour comprendre les métiers et les missions et pour assister à des audiences. Cela contribue pleinement à l’accès des justiciables à la justice.

Les services de greffe sont désormais équipés pour suivre les chefs de juridiction dans leurs missions et dans leur volonté de faire progresser l’accès au droit. Nous sommes en relation permanente pour mettre en place l’organisation nécessaire. Il est important que le greffe dispose des moyens pour ce faire.

Nous avons connu des expériences différentes au sein de juridictions différentes – Polynésie pour le président, Mélanésie et Corse pour le procureur, et Saint-Pierre-et-Miquelon en ce qui me concerne. L’organisation du TSA de Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait être dupliquée sur les îles sœurs de Wallis et Futuna, car même si elles se situent aux antipodes du point de vue climatique et structurel, les besoins sont identiques.

Pour ma part, je me réjouis de pouvoir compter sur six agents compétents. L’absentéisme n’existe pas : les effectifs sont motivés pour faire progresser la justice sur les îles de Wallis et de Futuna et pour rendre service aux justiciables. C’est important, car c’est la qualité du service public qui est en jeu.

Je tiens tout de même à souligner une difficulté : pour qu’il y ait réussite à un concours, encore faut-il que celui-ci soit organisé dans notre territoire. Or les concours du ministère de la justice sont organisés par la cour d’appel, ce qui peut dissuader certains habitants des îles de Wallis et de Futuna de s’y présenter. Cette semaine, le ministère de l’intérieur a pour une fois organisé un concours déconcentré sur l’île de Wallis, permettant ainsi aux Wallisiens et Futuniens de passer à moindre frais un concours pour entrer dans la fonction publique et pour servir la nation. Nous avons encore une marge de progrès assez importante pour les concours internes et externes. Il en va de même pour les formations tout au long de la vie, celles-ci se déroulant non pas à Wallis-et-Futuna mais en Nouvelle-Calédonie, siège de la cour d’appel dont nous dépendons, ou dans l’Hexagone. Ainsi, l’École nationale des greffes se trouve à Dijon.

L’équipe sur place est composée à la fois de personnel expatrié et de ressources locales qui ont pu bénéficier, après de nombreuses tergiversations, d’une avancée statutaire puisqu’elles ont pu intégrer la fonction publique dans un corps qui leur est propre. Je peux donc désormais compter sur deux greffiers et des personnels administratifs.

M. Davy Rimane, président. À vous entendre, c’est à se demander si Wallis-et-Futuna fait vraiment partie de la République. Indépendamment du statut particulier de cette collectivité, je ne pensais pas qu’on en était là en matière d’accès au droit et à la justice.

Monsieur Avena, pourquoi un seul des trois agents partis en formation est-il revenu ? Au ministère de la justice, on sait pourtant organiser des concours délocalisés avec affectation déjà identifiée.

M. Frédéric Avena. L’une de ces trois personnes était une vacataire contractuelle futunienne ayant le diplôme requis pour passer en externe le concours national. Elle est donc allée en formation à l’école de Dijon pendant dix-huit mois, puis elle a été affectée en fonction de son rang de classement de sortie à l’un des postes ouverts. C’est elle qui tenait les permanences à Futuna dont je vous expliquais l’importance ; elle était donc un relais important sur place pour les magistrats.

La deuxième personne, une Wallisienne, a dû aussi faire le choix de quitter définitivement le territoire après avoir réussi un concours interne mais à vocation nationale de catégorie C, qui lui a permis de passer de faisant fonction de greffière à greffière. Cette formation de douze mois s’effectue en alternance entre l’école de Dijon et des juridictions du territoire hexagonal. Elle aussi a été affectée en fonction de son rang de classement à l’un des postes ouverts. Or il n’y en avait pas dans la juridiction de Wallis-et-Futuna.

La troisième personne a pu rester à Wallis-et-Futuna dans le cadre d’une requalification. Cet agent avait une ancienneté de faisant fonction de greffier suffisante pour devenir greffier après la réussite à un concours extraordinaire, simplifié et donnant accès à une formation plus courte. Dans ce cadre, la personne a la garantie de revenir puisqu’elle est affectée dans sa juridiction d’origine avant même de partir en formation, alors que dans les deux premiers cas, les personnes sont soumises, pour revenir, aux mêmes règles de mobilité en cas de vacance de poste que les autres greffiers de tout le territoire hexagonal.

M. Davy Rimane, président. Est-ce que les choses se passent bien avec les citoyens défenseurs ou est-ce que vous rencontrez des difficultés liées à leur manque de formation ?

M. Jordane Duquenne. Nous avons de très bonnes relations avec ces personnes que nous sommes amenés à rencontrer quasi quotidiennement dans l’enceinte du TPI. Cela étant, les standards de compétence des citoyens défenseurs sont très éloignés de ceux attendus d’un avocat.

M. Christian Mour. En effet, les relations avec les citoyens défenseurs sont très courtoises, ce qui n’empêche pas des difficultés dues à leur manque de formation dans des matières qui exigent une grande technicité, notamment quand ils interviennent comme mandataire dans une procédure civile. Car le juge civil ne peut statuer ultra petita, sur des demandes qui n’auraient pas été présentées par le justiciable ou son mandataire.

Avant de devenir magistrat, j’ai été avocat pendant dix-sept ans au barreau de Versailles. J’ai été magistrat en Polynésie française où j’avais déjà eu l’occasion de me rendre à plusieurs reprises en tant qu’avocat. Un juge a toujours intérêt à avoir face à lui des avocats qui vont présenter des demandes et des arguments de défense. Le jugement est vraiment une œuvre collective ; il est rendu au vu de demandes et après confrontation d’arguments.

Prenons le cas d’un accidenté de la route qui demande la liquidation de ses préjudices, sachant qu’il existe différents chefs de préjudice ouvrant droit à indemnités. Si les chefs de préjudice ne sont pas tous présentés à l’appui de la demande, le juge ne peut suppléer la carence des parties et statuer quand même sur un chef de préjudice omis. Le droit de la famille est aussi une matière très difficile. Le droit devient de plus en plus technique et précis. Les citoyens défenseurs – et les mandataires de manière générale – n’ont pas la compétence pour assister leurs clients et présenter les requêtes devant le tribunal.

Les citoyens défenseurs, dont certains sont wallisiens et futuniens, peuvent en revanche faire profiter l’institution, notamment dans le cadre d’une procédure pénale, de leur connaissance de l’environnement social et des comportements habituels des Wallisiens et des Futuniens.

M. Mikaele Seo (EPR). Je suis vraiment ravi de savoir que l’on se soucie de Wallis-et-Futuna car, comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, on pourrait se demander si ces îles font vraiment partie de la République française. On oublie qu’après la Calédonie, il faut encore trois heures de vol pour arriver à Wallis-et-Futuna. C’est pourquoi je vous remercie, monsieur le rapporteur, qui n’êtes pas président de la délégation aux outre-mer pour rien !

J’ai les mêmes questionnements et sujets de préoccupation que vous, notamment en matière d’aide juridictionnelle, et j’en ai fait part récemment au ministère de la justice ainsi qu’à Bruno Karl et Camille Miansoni, respectivement premier président de la cour d’appel de Nouméa et procureur général à la cour d’appel de Nouméa. En collaboration avec les équipes du ministère de la justice, je travaille à la rédaction d’un amendement sur l’application de l’aide juridictionnelle à Wallis-et-Futuna.

L’absence de PJJ et d’éducateurs s’est fait sentir sur le territoire lorsque nous avons eu à traiter du cas de mineurs. Certains ont été envoyés à Nouméa, mais ils étaient de retour un mois plus tard car la Nouvelle-Calédonie est elle-même confrontée à un manque de moyens. Une fois revenus, ces mineurs étaient dans la nature. Outre des familles d’accueil, il faut aussi des éducateurs à Wallis-et-Futuna.

Si la justice doit évoluer dans notre collectivité, elle doit aussi conserver des spécificités telles que le fai hu, la procédure coutumière de demande de pardon. Contrairement à ce qui se passait il y a encore dix, quinze ou vingt ans, la demande de pardon n’a désormais pas d’incidence sur le jugement. Pourquoi ? L’article 3 de la loi de 1961 laisse pourtant toute sa place au respect des coutumes, et de nombreuses familles font encore ce geste très fort en s’attendant à ce qu’il ait une conséquence sur le jugement.

Au cours de la précédente législature, mon combat commun avec les députés Philippe Dunoyer et Moetai Brotherson, élus respectivement de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française, avait permis d’obtenir que les citoyens défenseurs soient désormais rémunérés. Nous voulions aussi qu’ils aient une formation comparable à celle des avocats pour pouvoir bien défendre les justiciables.

S’agissant des greffiers, j’ai été sollicité par deux personnes qui ont été nommées dans d’autres juridictions après avoir fait une formation et qui voudraient revenir en poste à Wallis-et-Futuna. Le ministère nous oppose toujours la même réponse : il n’y a pas de poste ouvert.

Pour la délocalisation des centres d’examen pour les concours du ministère de l’intérieur, j’avais mené un autre combat avec Jean-Baptiste Dulion, alors chef de la mission outre-mer à la DGPN (direction générale de la police nationale). Il s’agissait de donner leur chance aux jeunes Wallisiens et Futuniens qui n’avaient pas forcément les moyens de se rendre à Nouméa pour passer un concours. Côté justice, la même démarche devrait prochainement aboutir en ce qui concerne les concours de recrutement de surveillants pénitentiaires. Nous allons relancer très vite un appel d’offres pour la construction de la future prison, le dernier ayant été infructueux, car notre petit centre pénitentiaire ne peut accueillir tous les condamnés. Nombre d’entre eux sont dans la nature car il y a une liste d’attente, ce qui est problématique. Nous avons vraiment besoin de cette future prison.

M. Jordane Duquenne. Monsieur le député, il n’y a plus de liste d’attente de condamnés qui ne peuvent intégrer la prison. À mon arrivée en septembre 2023, il y avait des dossiers en souffrance, des condamnations à des peines d’emprisonnement ferme qui n’avaient jamais été mises à exécution. Ces dossiers ont été purgés. De plus, le jeu des réductions et aménagements de peine a permis de remédier au phénomène de surpopulation carcérale qui affectait le centre pénitentiaire de Mata’Utu – et dont j’avais eu l’occasion de m’entretenir avec le Lavelua – en ramenant à sept le nombre de détenus, qui était monté à quinze ; c’est beaucoup plus satisfaisant.

S’agissant de la coutume de pardon, je vais préciser mon propos. Il convient de distinguer le pénal et les intérêts civils qui peuvent en découler. Prenons le cas d’un homicide involontaire routier. Dans ce genre de dossier où il y a décès, la procédure coutumière de pardon entre deux villages ou deux districts est engagée très rapidement. Cette coutume est très précieuse, y compris dans le cadre de la procédure judiciaire : le processus de rapprochement entre deux familles, deux villages ou deux districts réduit mécaniquement le risque de représailles qui peut exister après ce type de faits.

Au niveau pénal, cette coutume de pardon ne change rien à la phase d’enquête qui peut être diligentée par la gendarmerie, ni à la phase de poursuite que je peux exercer ensuite à l’égard des individus mis en cause. Elle n’aura pas d’incidence sur la tenue d’un procès. Au vu de la gravité des faits, elle ne pourra pas non plus avoir de conséquences sur une condamnation et une éventuelle incarcération. Au niveau des intérêts civils, en revanche, elle a une conséquence concrète : à l’audience, il n’y a pas de constitution de partie civile, c’est-à-dire que la famille de la victime ne va pas réclamer de dommages et intérêts, étant donné que la coutume de pardon a déjà eu lieu.

M. Christian Mour. Ce qui est intéressant, c’est la coexistence des deux systèmes. Rappelons que la présence européenne à Wallis-et-Futuna date du protectorat français établi en 1888. Une organisation sociale et judiciaire lui a évidemment préexisté.

Cette tradition du pardon est intéressante et valorisante, mais elle peut entrer en confrontation avec la justice de droit commun. En discutant avec les justiciables, on perçoit une espèce d’incompréhension qui tient au fait que la sanction était auparavant l’apanage du roi, et qu’elle tenait nécessairement compte d’une demande éventuelle de pardon. Dans le cadre de la justice pénale, comme l’a dit M. le procureur, la coutume du pardon est prise en compte par l’absence de constitution de partie civile et de demande de dommages et intérêts.

Précisons que certains justiciables wallisiens refusent la coutume, auquel cas l’affaire suit son cours in extenso et des demandes de dommages et intérêts sont présentées par les victimes.

M. Mikaele Seo (EPR). De plus en plus de familles cessent de recourir au pardon coutumier parce qu’il n’a pas d’effet sur le jugement. Auparavant, il apparaissait comme une obligation parce que la décision du tribunal en tenait compte. Je connais des personnes qui n’ont pas été condamnées après un homicide involontaire routier parce qu’elles avaient eu recours au pardon coutumier. Pourquoi n’est-ce plus le cas de nos jours, alors que ce sont les mêmes textes qui s’appliquent ?

M. Jordane Duquenne. Depuis mon arrivée en septembre 2023, j’ai toujours appliqué le code pénal et le code de procédure pénale. Je suis incapable de vous répondre sur les dossiers que vous évoquez. À ma connaissance, aucun dossier n’a été classé sans suite du fait d’une coutume de pardon depuis mon arrivée. Pour ma part, je ne l’ai jamais fait.

M. Mikaele Seo (EPR). J’aborde la question parce que notre territoire conserve sa spécificité.

M. Christian Mour. Cette spécificité est prise en compte : il y a une coexistence entre le droit commun et la coutume. J’en veux pour preuve la proposition de loi portant adaptation des règles relatives au transfert des propriétés immobilières dans les îles de Wallis et Futuna que vous avez déposée en mars 2024. Vous proposez que la gestion des conflits fonciers ne relève plus de l’assemblée territoriale mais des chefferies. En cas de contestation des décisions prises par la chefferie, la juridiction de droit local serait compétente.

Il subsiste un système de résolution des conflits antérieur à la présence française, dont j’ai pu discuter à plusieurs reprises avec le Lavelua. Il s’applique à tous les domaines, notamment aux dossiers civils et fonciers. En Polynésie française, les conflits fonciers sont traités par la coutume, les chefs de village, les chefs de district et le roi, et ils échappent totalement à la compétence de la juridiction de droit commun, à l’institution judiciaire. La spécificité de Wallis-et-Futuna réside dans cette coexistence de contentieux relevant de la compétence coutumière ou de celle de la juridiction de droit commun.

M. Davy Rimane, président. Il me reste à vous remercier tous pour votre participation à nos travaux

La séance s’achève à dix-heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Elie Califer, M. Davy Rimane, M. Mikaele Seo