Compte rendu

Commission d’enquête
sur les dysfonctionnements
obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins
des justiciables ultramarins

– Audition, ouverte à la presse, de M. Blaise Gourtay, préfet, administrateur supérieur de Wallis-et-Futuna 2

– Présences en réunion.................................5

 


Jeudi
25 septembre 2025

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 25

session 2024-2025

Présidence de
M. Davy Rimane,
Rapporteur de la commission

 


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La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.

M. Davy Rimane, président. L’accès au droit et à la justice apparaissant particulièrement problématique à Wallis-et-Futuna, je suis ravi d’accueillir M. le préfet Blaise Gourtay, en sa qualité d’administrateur supérieur, qui pourra faire état des difficultés particulières qu’y rencontrent les habitants.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Blaise Gourtay prête serment.)

M. Blaise Gourtay, préfet, administrateur supérieur de Wallis-et-Futuna. En ce qui concerne l’accès au droit, comme les précédentes personnes auditionnées ont dû vous le dire, le contentieux à Wallis-et-Futuna est relativement réduit, à la fois pour des raisons démographiques et du fait de l’importance qu’y occupe encore le droit coutumier. En pacifiant les rapports, les autorités coutumières limitent le niveau de délinquance et évitent une bonne partie du contentieux, réduisant de fait le recours à la justice. L’activité de la juridiction est donc relativement faible, et la principale difficulté réside dans l’absence d’aide juridictionnelle, faute d’avocats – et de barreau.

Pour pallier ce manque, il existe un système de citoyens défenseurs, qui présente néanmoins des limites. D’une part, certains n’ont que des compétences juridiques mesurées, ou, en tout cas, n’ont pas l’habitude de défendre des requérants devant les juridictions. D’autre part, si le système est gratuit pour les justiciables, il repose sur l’engagement bénévole de ces quelques personnes qui n’ont ni la même disponibilité, ni les mêmes compétences qu’un avocat.

À l’exception de cette difficulté, il ne me semble pas y avoir véritablement de problème – je parle sous le contrôle de Mikaele Seo.

M. Davy Rimane, président. Dans d’autres territoires ultramarins, les préfets se mobilisent pour assurer l’accès au droit par différentes initiatives – pirogue du droit en Guyane, Justibus en Martinique, points justice. Wallis-et-Futuna est certes dépourvu de CDAD (conseil départemental de l’accès au droit), mais, en tant que représentant de l’État dans ce territoire, comment pourriez-vous y améliorer l’accès au droit ?

M. Blaise Gourtay. Avec 11 000 habitants – 3 000 à Futuna et 8 000 à Wallis –, le territoire est très restreint. Les besoins y sont donc limités, mais les moyens de l’État aussi.

Néanmoins, c’est aussi un atout : le contact avec la population est beaucoup plus direct qu’ailleurs, et un rôle de relais auprès d’elle et de conseil est assuré d’une part par les autorités coutumières – roi ; chefs de district ou faipule pour ce qui est de Wallis ; chefs de village –, d’autre part par la trentaine de policiers et gendarmes, proches à la fois des habitants et des autorités coutumières.

Grâce à ce système, qui fonctionne plutôt bien, l’absence d’institutions formelles d’accès au droit, notamment de conseil territorial de l’accès au droit, ne constitue pas un véritable manque – mais ce point de vue n’engage que moi.

M. Mikaele Seo (EPR). Je souscris à ces propos : la grande chefferie et la coutume contribuent beaucoup à la justice. Et pourtant, la loi ne reconnaît pas le pardon coutumier. D’une certaine manière, cela revient à refuser de reconnaître le rôle de la chefferie.

M. Elie Califer (SOC). Je découvre l’organisation très particulière – et déstabilisante – qui a cours à Wallis-et-Futuna. Finalement, est-ce la justice coutumière ou la justice française qui y est rendue ? Notre commission porte sur l’accès au droit, mais aussi sur la qualité des décisions de justice. Selon vous, la situation à Wallis-et-Futuna ne pose-t-elle pas quelques soucis d’égalité, de transparence, de cohérence ?

Quelle est la contribution des gendarmes aux enquêtes et comment les autorités coutumières reçoivent-elles les conclusions de ces dernières ?

Enfin, le fait qu’une partie des juridictions se trouvent en Nouvelle-Calédonie n’entraîne-t-il pas une lenteur de la décision préjudiciable aux justiciables ?

M. Blaise Gourtay. Seuls les appels sont jugés à Nouméa : le tribunal de première instance, lui, se situe bien dans le territoire – il est installé à Mata’Utu, la ville principale de l’île de Wallis –, ce qui accélère les choses, d’autant que le contentieux est relativement faible. Je ne dispose pas de chiffres précis, mais le délai de traitement des affaires est globalement meilleur – voire largement meilleur – à Wallis-et-Futuna qu’ailleurs en France. De ce point de vue, la situation y est favorable aux justiciables.

L’articulation entre justice coutumière et justice « républicaine » se fait naturellement, car, à l’exception des cas les plus graves et de ceux dans lequel le pardon coutumier peut entrer en jeu, elles ne traitent pas des mêmes affaires. Il y a une sorte de partage des responsabilités. Au reste, il arrive que la justice coutumière règle complètement des affaires qui auraient pu relever de la justice républicaine ; la plupart du temps, les cas ne remontent alors pas jusqu’à la justice de droit commun.

Quant à l’activité de police judiciaire de la gendarmerie, elle est identique à ce que l’on retrouve dans le reste du territoire national. Le commandement de la gendarmerie abrite une brigade de recherche placée sous l’autorité du procureur de la République, qui conduit ses enquêtes comme partout ailleurs. Elle dispose peut-être même d’un atout supplémentaire : le lien de confiance avec les autorités coutumières – là encore, je parle sous le contrôle du député Seo –, qui permet l’échange d’informations, fluidifie les rapports et facilite la résolution des enquêtes.

M. Mikaele Seo (EPR). Le fait que les appels soient traités en Nouvelle-Calédonie ralentit bel et bien la décision. Le procureur près le tribunal de première instance de Mata’Utu a d’ailleurs plaidé pour que les appels soient traités directement à Wallis-et-Futuna, afin d’accélérer les décisions.

Quant à la place de la justice coutumière, je ne polémiquerai pas davantage ici. Le sujet appelle une discussion locale ; nous en reparlerons, monsieur le préfet.

M. Elie Califer (SOC). Monsieur le préfet, que pensez-vous réellement de l’organisation actuelle et de la qualité de la justice rendue à Wallis-et-Futuna ? Je vous rappelle que vous avez juré de dire toute la vérité. L’objectif de cette commission d’enquête est d’améliorer les choses. Que pourrait-on améliorer dans votre territoire ?

M. Blaise Gourtay. Honnêtement, je pense que le système actuel est satisfaisant, tant sur le plan des principes, puisque les droits des personnes y sont aussi bien respectés qu’ailleurs, que pour les justiciables. La justice de première instance y est plutôt plus rapide et l’implantation du tribunal de première instance dans le territoire permet aux magistrats de bien prendre en compte les particularités du contexte local, très différent de ce que l’on peut rencontrer en métropole ou dans les autres outre-mer. Cette prise en compte des spécificités locales est précieuse, il faut la préserver. Enfin, à l’exception de ce qui concerne le pardon coutumier, justice coutumière et justice républicaine travaillent en bonne intelligence. Je ne crois pas qu’il y ait vraiment de conflit entre elles. Le système me semble donc adapté aux spécificités locales et plutôt efficace.

Comme le volume d’affaires traitées en première instance est réduit, l’activité d’appel le sera plus encore. Partant, il serait délicat d’affecter sur place des magistrats se consacrant à l’appel : ils seraient loin d’être occupés à temps plein. Quant à confier l’appel aux magistrats qui ont jugé en première instance, cela porterait atteinte à des principes fondamentaux de la justice, ce qui, de mon point de vue, n’est pas acceptable.

M. Mikaele Seo (EPR). Monsieur le préfet, même si l’activité d’appel est réduite, le procureur de la République a demandé que cette activité ait lieu sur place et il faut soutenir cette demande.

Vous dites que tout va bien à Wallis-et-Futuna, mais qu’en est-il de l’absence d’aide juridictionnelle ou de familles d’accueil ?

Certes, le taux de délinquance est encore faible grâce à la forte présence de la coutume, mais il commence à augmenter. Encore une fois, la chefferie joue un rôle très important.

M. Blaise Gourtay. J’ai dit que le système me semblait globalement satisfaisant en réponse à la question de M. Califer. Mais effectivement, comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, l’absence d’aide juridictionnelle est véritablement pénalisante pour les justiciables wallisiens et futuniens. S’il n’y avait qu’une réforme à mener pour le territoire, ce serait de développer ce système – même si, faute d’avocats, il ne pourrait être rigoureusement identique à ce qui existe ailleurs. Certes, il existe la visioconférence, mais pour assurer au justiciable la défense la plus efficace et la plus juste possible, l’avocat doit se déplacer. Développer l’aide juridictionnelle à Wallis-et-Futuna est un impératif.

M. Mikaele Seo (EPR). Nous y travaillons avec les équipes du ministère de la justice. Je déposerai un amendement en ce sens.

M. Davy Rimane, président. Je le voterai des deux mains ! Nous avons bien entendu les spécificités de votre territoire. L’aide juridictionnelle n’est déjà pas toujours adaptée aux réalités des territoires d’outre-mer, mais Wallis-et-Futuna part d’encore plus loin.

Un grand merci pour votre présence. Nous attendons désormais la réponse au questionnaire que nous vous avons adressé – idéalement, d’ici à la mi-octobre. N’hésitez pas à nous transmettre tout élément complémentaire.

La séance s’achève à onze heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Elie Califer, M. Davy Rimane, M. Mikaele Seo