Compte rendu
Commission d’enquête
sur les défaillances
des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et les coûts de ces défaillances pour la société
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Caroline Semaille, directrice générale de Santé publique France 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Maëlig Le Bayon, directeur général de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) 13
– Audition, ouverte à la presse, de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) 29
– Présences en réunion................................43
Mardi
9 septembre 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 4
session 2024-2025
Présidence de
Mme Nicole Dubré-Chirat,
Présidente,
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La séance est ouverte à neuf heures trente.
La commission auditionne Mme Caroline Semaille, directrice générale de Santé publique France, accompagnée de M. Michel Vernay, directeur de la direction des maladies non transmissibles et traumatismes, et Mme Ingrid Gillaizeau, responsable de l’unité Santé mentale à la direction de la prévention et promotion de la santé.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Chers collègues, nous poursuivons les auditions de la commission d’enquête sur les défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et les coûts de ces défaillances pour la société.
Nous recevons Santé publique France, établissement public administratif issu de la fusion de plusieurs organismes, dont l’Institut de veille sanitaire. Je souhaite la bienvenue à Mme Caroline Semaille, directrice générale de Santé publique France, à M. Michel Vernay, directeur de la direction des maladies non transmissibles et des traumatismes, et à Mme Ingrid Gillaizeau, responsable de l’unité Santé mentale à la direction de la prévention et de la promotion de la santé.
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Caroline Semaille, M. Michel Vernay et Mme Ingrid Gillaizeau prêtent successivement serment.)
Mme Caroline Semaille, directrice générale de Santé publique France. Santé publique France est l’agence de santé publique créée en 2016. Nous avons trois missions. La première est d’anticiper et de garantir une réponse réactive aux menaces et aux crises, quelles qu’elles soient, grâce à la gestion des stocks stratégiques des produits de santé et à la réserve sanitaire, composée de professionnels de santé que nous pouvons mobiliser à n’importe quel moment.
Notre deuxième mission est de surveiller la santé de toutes les populations : maladies infectieuses, maladies chroniques, exposition aux produits chimiques, aux risques physiques – le froid, le chaud. La surveillance s’exerce dans tous les territoires, y compris ultramarins.
Notre troisième mission est de développer la prévention et de promouvoir la santé. La santé mentale est une thématique suivie par Santé publique France depuis longtemps, bien avant la pandémie de covid et bien avant qu’elle ne soit déclarée grande cause nationale. Nous n’aborderons pas ce sujet sous l’angle de la psychiatrie, et seulement partiellement s’agissant de la prise en charge, car ce n’est pas le cœur de nos missions.
En revanche, la surveillance de la santé mentale des Français est au cœur de nos missions. Elle repose sur plusieurs sources de données : les enquêtes, les bases médico-administratives, les données issues des urgences des hôpitaux.
En général, les enquêtes sont le plus souvent répétées dans le temps, réalisées sur un échantillon aléatoire et fondées sur des questionnaires, même si elles utilisent des échelles de santé mentale. Il est important de souligner que cette évaluation ne permet pas d’établir un diagnostic ou d’orienter vers une prise en charge.
Les enquêtes sont réalisées en population générale mais également auprès de populations spécifiques. Une enquête Enabee (étude nationale sur le bien-être des enfants) a ainsi été menée en 2022 chez les 3-11 ans. Il s’agit de l’une des premières enquêtes faites sur une population aussi jeune, puisque les enquêtes en population générale commencent le plus souvent à 18 ans. Une enquête EnCLASS (Enquête nationale en collèges et en lycées chez les adolescents sur la santé et les substances) a également été menée auprès de collégiens en 2022. Nous disposons de données sur les dépressions post-partum à travers une autre enquête. Enfin, les enquêtes CoviPrev (suivi du comportement et de la santé mentale pendant l’épidémie de covid-19) sont plus simples – par quota – et plus rapides – la méthodologie est moins lourde – mais elles permettent de récupérer moins d’informations, notamment concernant les déterminants de santé.
La deuxième source de données repose sur les bases médico-administratives : le SNDS (système national des données de santé), les informations codées par les professionnels de santé concernant le motif de passage aux urgences des patients – troubles anxieux, tentatives de suicide, etc. – ainsi que les données de SOS Médecins.
Les résultats des surveillances épidémiologiques sont publiés sous forme de rapports, d’articles, de bulletins réguliers. Ils nous permettent d’avoir une photographie de l’ensemble des Français « en vie réelle » et de contribuer à l’élaboration de stratégies et d’actions de prévention, dans le cadre de grandes campagnes.
Votre commission nous demande de mesurer la prise en charge en matière de santé mentale et de handicap, ainsi que l’impact que cela peut avoir sur la santé. Après vous avoir présenté un point de situation épidémiologique sur la santé mentale ainsi que des données plus réduites dont nous disposons sur l’état de santé des personnes en situation de handicap, je soulignerai aussi les freins que nous avons pu constater au sein de la population en matière de prise en charge. Il en découle des pistes d’amélioration.
Nous observons une dégradation de la santé mentale des Français en comparaison avec la période pré-covid, tout particulièrement chez les jeunes de 18 à 24 ans, chez les jeunes filles et chez les femmes. Ces différents indicateurs se maintiennent à un niveau élevé : ils ne redescendent pas au niveau d’avant la pandémie.
Selon le baromètre Santé publique France, dont les données s’étendent sur une période plus longue, les différentes analyses réalisées chez les plus de 18 ans ont mis en évidence des disparités marquées selon l’âge, la situation professionnelle, le niveau d’études et la composition des ménages. Là encore, les femmes présentent une santé mentale plus dégradée que les hommes.
D’après les résultats de l’enquête Enabee réalisée en 2022 concernant les enfants de 6 à 11 ans, plus d’un enfant sur dix présente un trouble probable de la santé mentale. Parmi ces derniers, on ignore pour la moitié d’entre eux s’ils ont bénéficié d’une prise en charge. Si l’on considère la totalité des enfants scolarisés en école élémentaire, un enfant sur cinq a consulté au moins une fois un professionnel de santé pour des raisons assez diverses – psychologiques, d’apprentissage, etc.
D’une manière générale, en épidémiologie, le non-recours est difficile à repérer car nous ne disposons pas de données longitudinales entre nos enquêtes et la prise en charge en milieu hospitalier. Nous ne connaissons pas le parcours des patients, s’il s’agit de patients et s’ils ont des troubles de santé mentale.
Néanmoins, les enquêtes épidémiologiques en population générale mettent en évidence plusieurs points de fragilité. Tout d’abord, il existe un décalage important entre le besoin et le recours aux soins. Selon la dernière édition du baromètre Santé publique France, qui n’est pas encore publiée mais dont nous partageons avec vous les résultats, environ un adulte sur six a connu un épisode dépressif caractérisé au cours des douze mois précédents ; parmi ceux-ci, une personne sur deux n’a eu aucun recours thérapeutique, ni auprès d’un professionnel, ni par traitement médicamenteux. Sur la même période, 6 % des adultes ont déclaré un trouble anxieux. Le non-recours est plus faible que pour les dépressions puisqu’il concerne une personne sur trois. Si les signaux sont plus dégradés chez les femmes et chez les jeunes de 18 à 29 ans, la proportion de non-recours aux soins est en revanche plus élevée chez les hommes, qu’il s’agisse d’un épisode dépressif ou d’un trouble anxieux.
Ensuite, et c’est un point important, le recours en première intention ne fait pas toujours appel à des soins spécialisés. En 2024, pour les épisodes dépressifs comme pour les troubles anxieux, le premier recours est le médecin généraliste, suivi par les psychologues et les psychothérapeutes et, en dernier lieu, par les psychiatres. Nous constatons par ailleurs une insuffisance de prise en charge après des situations critiques : près de la moitié des personnes ayant déclaré avoir fait une tentative de suicide ne se sont pas présentées à l’hôpital après leur acte et la plupart d’entre elles n’ont même pas consulté un médecin, un psychiatre ou un psychologue. Il faut souligner que les enquêtes sont faites sur la base des déclarations des personnes interrogées et que celles-ci déclarent plus fréquemment, de l’ordre de cinq fois plus, que ce que l’on trouve dans les données administratives.
Enfin, selon les données EnCLASS, un tiers des collégiens déclarent avoir déjà consulté un psychiatre au cours de leur vie. Cette proportion augmente fortement avec le niveau des risques dépressifs.
Il existe également des freins. L’enquête CoviPrev a révélé plusieurs obstacles : le prix des consultations, la difficulté à se confier, la peur de ce que l’on pourrait découvrir sur soi-même, ne pas savoir à qui s’adresser, le manque d’information, les difficultés pour obtenir un rendez-vous et même la peur que l’entourage l’apprenne.
Concernant les personnes en situation de handicap, leur surveillance épidémiologique n’entre pas strictement dans les missions de Santé publique France mais nous les intégrons dans les enquêtes en population générale. Nous nous intéressons ainsi aux troubles du spectre autistique dans les données médico-administratives. Ces personnes peuvent avoir des vulnérabilités particulières, notamment du point de vue de leur santé cardiovasculaire. Nous les repérons dans les bases administratives telles que le SNDS au travers de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), qui ne recouvre cependant pas toutes les personnes en situation de handicap. Il est compliqué d’obtenir des données fiables sur les personnes handicapées puisque nous n’avons connaissance que des adultes en situation d’activité.
Certaines difficultés sont communes aux personnes en situation de handicap et à la population générale, par exemple la difficulté à caractériser les troubles psychiques et à évaluer leur prise en charge. Nous nous appuyons sur des entretiens, le passage aux urgences ne constituant qu’une petite part de la prise en charge – une tentative de suicide ne donne d’ailleurs pas systématiquement lieu à la prolongation de celle-ci après une consultation aux urgences. Il nous est donc difficile de caractériser la prise en charge et d’enquêter dans certaines populations. La communication en matière de handicap nécessite des questionnaires particuliers, une adaptation technique ; elle est donc plus difficile à mettre en œuvre.
Les améliorations que nous souhaitons concernent les données. Celles dont nous disposons permettent d’identifier des pistes en faveur de la prévention, en renforçant les facteurs de protection. Cela concerne par exemple les compétences psychosociales, qui sont développées de plus en plus tôt chez les adultes et chez les enfants dans le cadre de l’éducation nationale. Nous espérons que, dans les années à venir, tous les enfants y seront formés.
Il est très important également de lutter contre la stigmatisation, en informant davantage sur les troubles psychiques et en faisant la promotion du bien-être, qui joue un rôle important sur la santé mentale – laquelle est aussi importante que la santé physique. Bien avant que celle-ci ne soit déclarée grande cause nationale, nous avons commencé à mener de nombreuses actions en ce sens, par exemple en organisant de grandes campagnes de prévention à la télévision, à la radio et par affichage. Nous avons lancé le site www.santementale-info-service.fr, dont nous allons bientôt faire la promotion auprès du grand public. Il est en partie accessible aux personnes en situation de handicap. Nous gérons divers sites d’information – sur le tabac, sur l’alcool, sur le cannabis – que nous sommes en train de rendre progressivement accessibles à tous, et nous finançons par ailleurs d’autres dispositifs que je ne détaillerai pas.
Nos actions en matière de santé mentale s’inscrivent dans le cadre des stratégies nationales, en lien avec toutes les délégations. Nous procédons à une évaluation de nos dispositifs : VigilanS, qui vise à rappeler les personnes ayant fait une tentative de suicide six mois après leur passage à l’acte afin d’éviter la réitération, a ainsi été jugé très positivement.
Pour conclure sur les pistes d’amélioration souhaitées, nous aurions besoin de mieux caractériser les personnes en situation de handicap dans les bases médico-administratives, notamment médico-sociales. Nous devrions aussi mieux documenter la santé et le rôle des aidants, qui constituent un maillon essentiel du parcours.
Il est également essentiel de poursuivre le développement des enquêtes en milieu scolaire, afin de dépister très tôt d’éventuels troubles de la santé mentale. C’est ce que nous faisons avec le concours de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) et de la DGESCO (direction générale de l’enseignement scolaire).
Parmi les autres axes prioritaires, il faut renforcer la prévention primaire et poursuivre le développement des compétences psychosociales, qui permettent de faire face à des situations stressantes, de mieux communiquer, de résoudre des problèmes et d’avoir une pensée critique.
Nous souhaitons informer non seulement sur les troubles psychiques mais aussi sur la santé mentale positive, tout comme nous l’avons fait l’année dernière sur l’importance de l’activité physique.
Les données CoviPrev ont montré que les barrières financières persistaient.
Il est toujours nécessaire de déstigmatiser la santé mentale, même si la grande cause nationale y participe, d’informer sur les signes de souffrance psychique et de développer des programmes de prévention tertiaire tels que le dispositif VigilanS.
Je ne suis pas intervenue sur les indicateurs et sur les données issues des passages aux urgences en matière de troubles anxieux, mais nous pourrions le faire.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Nous disposons de beaucoup de données en matière de santé mentale, pour laquelle le diagnostic est à peu près stabilisé. La difficulté est de passer à l’étape d’après, à savoir celle de la prévention. En dépit des stratégies que vous proposez, une part importante de la population n’a pas recours aux soins. Comment faire pour aller la chercher, pour faire un repérage plus précoce, pour organiser une prise en charge adaptée et graduée ? Malheureusement, même si la santé mentale a été déclarée cette année grande cause nationale, cela n’a pas donné lieu à des actions incisives.
Concernant le handicap, nous manquons encore plus cruellement d’informations sur la prise en charge et sur les conséquences pour les familles en matière de logement, de travail ou de finances. Comment s’assurer que chacun puisse recourir aux soins dont il a besoin, de façon adaptée et sans pénaliser la famille ?
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Je vous remercie pour la qualité de vos propos, en m’étonnant tout de même que la situation des personnes en situation de handicap soit insuffisamment documentée alors que l’on connaît l’enjeu majeur que représente l’accès aux soins pour ces personnes. Nous interrogerons la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) un peu plus tard dans la matinée sur ce point de vigilance majeur.
Je suis très attentif également aux difficultés rencontrées par les aidants qui s’occupent des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, et dont l’épuisement peut affecter la santé mentale.
Les troubles psychiques coûtent 109 milliards d’euros à la société française, dont près de la moitié en perte de productivité, selon vos propres estimations. Dans le contexte budgétaire actuel, des questions se posent ; pourtant, investir dans la prévention et dans l’accompagnement serait économiquement vertueux. Vous avez évoqué VigilanS, qui prévoit de rappeler une personne six mois après une tentative de suicide afin d’empêcher la réitération. La Haute Autorité de santé (HAS) a démontré dans une étude que ce dispositif permettait de réduire le risque de suicide.
Vous avez publié récemment des données sur les urgences qui ne peuvent que nous inquiéter. Un peu d’argent investi là permettrait d’en faire gagner beaucoup plus tard. La logique de coût évité constitue l’un des fils conducteurs de cette commission d’enquête. Comment cet enjeu est-il appréhendé dans les préconisations que vous formulez ? Comment convaincre les décideurs publics qu’il convient de pousser les curseurs plus haut en matière de prévention et d’accompagnement précoce ? On nous explique qu’il est compliqué d’accéder rapidement à un CMP (centre médico-psychologique) ou à un orthophoniste. Or la réactivité est très importante. Pourquoi sommes-nous si mauvais dans la prise en compte de ces enjeux ?
Les pays anglo-saxons utilisent les indicateurs Qaly (Quality-Adjusted Life Year, espérance de vie corrigée par la qualité) et Daly (Disability-Adjusted Life Year, espérance de vie corrigée de l’incapacité). Cette approche est-elle présente dans vos réflexions, dans vos préconisations, dans vos arbitrages ? Peut-on adapter nos politiques publiques en ce sens et montrer qu’un investissement massif dans ce domaine permettrait de faire gagner beaucoup à notre pays, tant humainement qu’économiquement ?
Mme Caroline Semaille. Il nous manque en effet la possibilité de tracer les personnes en situation de handicap dans les bases médico-administratives et médico-sociales. L’accès aux données, même si cela n’est pas suffisant, constitue un levier majeur pour la prise en charge. C’est aussi le nerf de la guerre car les chiffres permettent de mesurer l’ampleur de la situation.
L’enquête Enabee, dont les résultats ont été partagés avec l’éducation nationale mais aussi avec les familles et les parties prenantes, s’avère très importante parce qu’elle permet de déculpabiliser certains parents qui n’osaient pas recourir à un psychologue ou à un psychiatre, en leur montrant que cela n’avait rien d’aberrant ou de discriminant. Le partage des données a contribué à lever certains freins dans les familles.
La prévention a fait beaucoup de progrès. Les campagnes au sujet de la dépression, par exemple, étaient beaucoup moins nombreuses il y a dix ans. Depuis la période du covid, on a pris conscience des troubles psychiques et de l’importance, à côté de la santé physique, de la santé mentale. Je serai donc moins sévère que vous. Santé publique France a déployé un dispositif très large comportant des guides, des affiches et de grandes campagnes de communication : #JenParleA et « En parler, c’est déjà se soigner » pendant la crise sanitaire, et une prochaine qui sera diffusée prochainement. Surtout, le site internet www.santementale-info-service.fr met des informations à la disposition de tous.
L’accent mis sur les compétences psychosociales, une notion anglo-saxonne difficilement reconnue auparavant en France, est également assez récent. L’éducation nationale est désormais convaincue de l’importance de développer ces compétences non pas seulement chez les enfants mais aussi chez les enseignants. On peut espérer que d’ici dix ou vingt ans, l’ensemble des générations passant sur les bancs de l’école y seront éduquées. Au-delà des écoles, nous embarquons aussi les institutions et les associations sportives notamment.
J’en viens enfin au coût des troubles psychiques pour la société. Même si c’est difficile, Santé publique France s’engage à calculer de plus en plus souvent le retour sur investissement de ses actions de prévention : nous l’avons fait pour la lutte contre le tabagisme et pour VigilanS par exemple, dont l’évaluation médico-économique est très positive : 1 euro investi permettrait d’éviter 2 euros en coûts de santé, et le coût moyen évité par patient inclus dans le dispositif s’élève à 248 euros. Cette expérimentation est d’ailleurs en cours de déploiement.
M. Michel Vernay, directeur de la direction des maladies non transmissibles et des traumatismes. Quitte à enfoncer une porte ouverte, je voudrais rappeler que la France, qui s’est dotée tardivement d’une agence nationale, n’est pas le pays de la santé publique. La prévention y est à la peine car la priorité a été donnée au système de soins, qui était extrêmement performant. Vous avez évoqué l’indicateur Daly et le GBD (Global Burden of Disease, fardeau global des maladies). Nous travaillons en collaboration avec l’université de Washington, qui fut la première à développer cette méthode, afin de concevoir des indicateurs utiles à notre plaidoyer : ils nous permettront de démontrer le rôle des événements de santé aigus dans la mortalité prématurée, ainsi que celui des maladies et du handicap dans les années de vie avec incapacité – illustrant ainsi le poids qu’ils font peser sur la solidarité nationale.
Le constat concernant le coût du handicap pour la société est encore moins partagé que celui relatif au coût de la santé mentale. Des freins nous empêchent en effet de mener à bien la surveillance pourtant indispensable pour dresser les constats, définir les politiques et les évaluer. Des enquêtes réalisées en population générale s’efforcent de quantifier les limitations fonctionnelles ou d’activité : c’est le cas de certains travaux de Santé publique France mais aussi de l’enquête « Autonomie » de la Drees sur la dépendance et la perte d’autonomie. Mais on devrait pouvoir établir un constat au sujet des personnes en situation de handicap comme on le fait pour d’autres catégories de population, par exemple pour les personnes défavorisées sur le plan socio-économique. La lourdeur des questionnements, dans le cadre des enquêtes, rend difficile la caractérisation du handicap.
Nous nous appuyons beaucoup sur les données médico-administratives du système national des données de santé – hospitalisation, bénéfice d’une prise en charge à 100 % au titre d’une affection de longue durée (ALD), délivrance de certains médicaments, recours à certains actes –, mais la caractérisation du handicap dans ces bases est de mauvaise qualité. En routine, il n’y a que le bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés que nous puissions utiliser, alors que celle-ci ne concerne que la population en situation d’activité professionnelle et présentant un handicap reconnu comme relativement sévère sur le plan administratif.
La solution existe : cela fait longtemps que les données des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) doivent remonter dans le SNDS. Nous avons déjà commencé à réfléchir, avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), à une caractérisation des personnes handicapées qui pourrait nous fournir des indicateurs de façon beaucoup plus régulière. Nous avons déjà établi que les bénéficiaires de l’AAH sont davantage concernés par des événements cardiovasculaires graves que le reste de la population, sans pouvoir aller plus loin à ce stade : certains sont porteurs d’anomalies congénitales qui les rendent vulnérables mais on peut aussi imaginer que l’éloignement de l’offre de prévention et de soins est en cause. Nous attendons avec impatience les données des MDPH car elles nous permettront d’établir un constat plus largement partagé et de mener un plaidoyer plus robuste.
Mme Ingrid Gillaizeau, responsable de l’unité Santé mentale à la direction de la prévention et de la promotion de la santé. D’après l’enquête CoviPrev, le frein principal à la consultation, mentionné par près de la moitié des répondants, est le prix de la consultation. Il est suivi de près par la difficulté à se confier et la peur de ce que l’on peut découvrir sur soi-même, qui renvoient à la stigmatisation de la santé mentale et des troubles psychiques. Viennent ensuite le manque d’information sur le rôle des professionnels, le fait de ne pas savoir à qui s’adresser, la difficulté à obtenir un rendez-vous, l’image des professionnels et la peur que l’entourage apprenne la démarche.
Sur la base de ces données, Santé publique France peut mettre en place différents leviers de prévention primaire. Nous menons des actions visant à développer les compétences psychosociales afin de promouvoir la santé mentale et les comportements protecteurs avant même l’apparition des troubles psychiques. Nous identifions à cet effet les programmes ayant été évalués favorablement et ayant démontré d’importants bénéfices sur la réduction des troubles, notamment anxio-dépressifs, ainsi que sur la réussite éducative et sociale.
Nous contribuons à accroître les connaissances des professionnels et des adultes en position d’éducation. Nous soutenons les programmes probants de développement des compétences psychosociales comme Unplugged, qui a fait l’objet d’une évaluation coût-économie et démontré son efficacité sur la consommation de substances. Pour intervenir plus tôt, nous soutenons également le programme de soutien aux familles et à la parentalité (PSFP). Enfin, nous concevons un programme en ligne qui aura pour but de développer les compétences psychosociales des jeunes et des adultes.
Dans la mesure où les répondants estiment ne pas être suffisamment informés, nous menons aussi des campagnes d’information sur le recours aux soins mais aussi sur les actions permettant de prendre soin de sa santé en amont. Le site internet www.santementale-info-service.fr permet de diffuser la culture de la santé mentale et de la prévention primaire. Il s’agit notamment de favoriser le repérage des premiers symptômes de mal-être ou de souffrance psychique sans attendre des troubles plus graves, et d’expliquer vers qui l’on peut orienter ou ce que l’on peut faire pour aider un proche ou s’aider soi-même. Nous proposons une réponse graduée : toutes les situations ne nécessitent pas nécessairement la consultation d’un psychologue ou d’un psychiatre et, lorsque le malaise est léger ou passager, on peut trouver appui auprès de son entourage. Mais il faut aussi savoir à partir de quel moment consulter. Depuis 2021, nous diffusons ces informations au travers de nos campagnes et au moyen de nos outils numériques.
Nous soutenons également des dispositifs téléphoniques d’aide à distance, qui constituent une première forme de prise en charge souvent sous-estimée.
Nous allons enfin déployer cette année une campagne de lutte contre la stigmatisation.
M. David Magnier (RN). Je vous remercie pour les informations chiffrées que vous nous avez fournies. Vous n’expliquez pas la raison de la dégradation de la santé mentale des jeunes, notamment des lycéens et des plus de 18 ans. Vos enquêtes comportent-elles des questions qui permettraient de l’expliquer ? Cette dégradation est-elle due à la prolongation des cours à distance au moment du covid, qui a empêché les jeunes de sortir de chez eux pendant longtemps ?
Santé publique France est chargée de la préparation et de la réponse aux menaces et aux alertes sanitaires. Or la crise du covid a mis en lumière une certaine désorganisation. Quant aux auditions menées par notre commission la semaine dernière, elles ont montré que les professionnels de santé travaillaient en silo. En êtes-vous conscients et quelles sont vos pistes d’action pour y remédier ?
Enfin, le vieillissement de la population française constitue un défi important pour le système de santé publique. Des soins adaptés doivent améliorer la qualité de vie des personnes et garantir leur droit au bien vieillir. Comment Santé publique France peut-elle participer à l’élaboration d’une politique efficace de prévention de la perte d’autonomie ?
M. José Beaurain (RN). Les questions que je souhaitais poser recoupent celles de mon collègue. J’en avais une sur la prévention notamment, à laquelle il a déjà partiellement été répondu.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP). Je vous remercie pour les informations très complètes que vous nous avez apportées.
Je voudrais revenir sur les troubles mentaux affectant les enfants avant l’âge de 14 ans. Il se trouve que notre pays souffre d’une pénurie aiguë de pédopsychiatres. Certains départements n’en ont pas et les délais d’attente dans les centres médico-psychologiques infanto-juvéniles atteignent parfois plusieurs mois, voire un an. Quels effets constatez-vous sur la santé psychique des plus jeunes et sur leur développement à plus long terme ?
Sur votre site internet, il est indiqué que les affections psychiatriques représentent la première cause d’entrée en invalidité. Quelles mesures peut-on prendre pour prévenir celle-ci ?
L’étude « Prévalence des états anxieux chez les 18-85 ans : résultats du baromètre Santé publique France (2017-2021) » montre que les conditions socio-économiques et environnementales sont des facteurs déterminants de la santé psychique. Les difficultés économiques ou professionnelles, l’exposition aux violences, l’isolement et le fait d’être à la tête d’une famille monoparentale peuvent accroître le risque de développer des troubles psychiques. Quelles mesures de prévention préconisez-vous pour agir sur ces facteurs ?
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Vous avez indiqué que 50 % des personnes présentant un épisode dépressif ne se faisaient pas soigner, en raison notamment du prix de la consultation. Or la consultation d’un médecin généraliste, d’un psychiatre et, dans le cadre du dispositif Mon soutien psy, d’un psychologue, est prise en charge. L’existence de ce frein me paraît donc étonnante. Avez-vous davantage d’éléments à ce sujet ?
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Dans ce domaine, l’action doit nécessairement être interministérielle et interadministrative. Si l’on fait d’un sujet une grande cause nationale, c’est pour faire en sorte que chaque acteur – médecin généraliste, éducation nationale, etc. – s’en approprie pleinement les enjeux. Dans une certaine mesure, nous sommes tous responsables.
Je suis abasourdi – mais vous n’y êtes pour rien – de constater que le dispositif VigilanS n’est pas généralisé de façon massive alors qu’il a fait l’objet d’une évaluation médico-économique favorable. Il permet de prévenir des suicides – ce n’est pas anodin – tout en étant économiquement vertueux. En outre, il est plus facile de le mettre en œuvre que de former un pédopsychiatre. C’est une pépite ! Ce sont les décideurs publics que je critique ici : en tant que responsable, si j’ai connaissance d’un tel dispositif, je ne peux que l’exploiter et le déployer le plus largement possible. Comment convaincre de la nécessité de le mettre en place ? C’est un cri du cœur que je vous adresse !
Mme Caroline Semaille. Les missions de Santé publique France ont beau être larges, je me permettrai de ne pas répondre au sujet de la carence en pédopsychiatres. Ce sujet en effet n’entre pas dans le périmètre de nos missions : notre rôle est d’observer et de surveiller. Encore une fois, les chiffres sont le nerf de la guerre car ils rendent les choses visibles.
Le fonctionnement en silo de certains professionnels n’est pas le fait de Santé publique France. Nous nous efforçons d’y remédier en recueillant les données des différents professionnels de santé – qu’ils soient hospitaliers ou de ville – et en mettant en œuvre des conventions une fois que les entrepôts de données sont en place.
Il est vrai que la dégradation de la santé mentale des lycéens n’est pas un phénomène nouveau. C’est ce que montrent les données hospitalières relatives aux tentatives de suicide et aux troubles anxieux, qui mettent aussi en lumière les différences entre jeunes et personnes âgées, ainsi qu’entre femmes et hommes. Mais la crise du covid a aggravé les choses et l’on ne parvient pas à revenir à la situation antérieure. Les causes sont multiples, et toutes ne sont pas connues. Certains évoquent l’éco-anxiété et le système économique ; sans doute le fait qu’on en parle davantage incite-t-il aussi certaines personnes à déclarer leurs troubles.
Je voudrais signaler à ce sujet que nous avons mis en place des actions de prévention spécifiques à destination des jeunes, sous la forme d’un fil rouge, pour leur donner des clés au sujet de la santé mentale. S’ils connaissent globalement les effets positifs de l’activité physique et d’un bon sommeil, ils ignorent que s’occuper d’autrui – ne serait-ce que tenir la porte à une personne âgée – et penser positivement font aussi du bien à la santé mentale.
Quant au dispositif VigilanS, dont le bilan est effectivement positif, il a d’abord été lancé dans les Hauts-de-France et il est en cours de déploiement dans l’ensemble des régions.
M. Michel Vernay. Sur l’accessibilité de l’offre de soins en psychiatrie, je vous renvoie vers nos collègues de la Drees.
Ensuite, certains constats sont sans doute à nuancer : il est difficile d’évoquer des tendances alors que l’enquête Enabee portant sur les enfants de 3 à 11 ans a été menée pour la première fois en France en 2022. Quant à la comparaison avec des enquêtes réalisées dans d’autres pays similaires, elle montre que leurs résultats sont proches des nôtres. Il ne s’agit pas de s’adresser un autosatisfecit mais de constater que notre situation n’est pas plus préoccupante que celle d’autres pays.
Sans doute faut-il aussi prendre en compte un phénomène de déport de la patientèle, dans la mesure où la pénurie de pédopsychiatres dans le secteur libéral peut inciter les parents à se rendre aux urgences. Et comme l’a souligné Caroline Semaille, la dégradation de la santé mentale des jeunes était antérieure à la crise du covid, même si celle-ci a aggravé la situation.
J’aimerais par ailleurs souligner un élément plus positif : en France, le taux de personnes qui décèdent par suicide est en diminution régulière depuis de nombreuses années. On peut penser que ce recul est associé à une augmentation du nombre de patients en amont.
Sans me prononcer sur l’intersectorialité, qui est un sujet collectif, j’ajouterai que ce qui manque pour sensibiliser des décideurs – en particulier à un niveau territorial fin – à certains dispositifs, ce sont sans doute les données. Souvent interrogés par les collectivités territoriales, nous travaillons à la mise en place d’une offre infradépartementale d’indicateurs au niveau des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) et des contrats locaux de santé (CLS) : quand un dispositif est efficace, encore faut-il déterminer où le mettre en place en priorité, et convaincre les acteurs. Cela ne permettra pas de résoudre tous les problèmes mais cela y contribuera.
J’en viens aux sujets du vieillissement et de la perte d’autonomie. Dès lors que l’on améliore la prévention – qu’elle soit primaire, secondaire ou tertiaire –, on travaille à la réduction de la perte d’autonomie. Les accidents vasculaires cérébraux sont à l’heure actuelle, en France, la première cause de handicap physique acquis. Promouvoir une meilleure alimentation, davantage d’activité physique, moins de sédentarité et moins de tabac, c’est au bout du compte réduire le handicap et agir pour le mieux vieillir.
Nous travaillons aussi à des approches santé à l’âge de 40 ou 45 ans, dès la mi-vie, en nous efforçant de fédérer des acteurs autour de cet enjeu. Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas au moment de la retraite qu’il faut agir pour le bien vieillir – souvent, il est déjà trop tard – mais tout au long de la vie, plus particulièrement autour de la quarantaine. C’est d’ailleurs à cet âge que le taux de recours aux urgences et le taux d’hospitalisation pour gestes auto-infligés – une notion plus large que celle de tentative de suicide – sont particulièrement importants, notamment chez les hommes.
Il faut aussi favoriser les environnements favorables à la santé, dans le cadre d’approches globales et inclusives. Il s’agit d’embarquer tout le monde pour faire en sorte que les événements de santé soient moins fréquents, les plus tardifs possible et, s’ils se produisent, qu’ils entraînent une dégradation de la santé à un âge le plus avancé possible.
Dans une démarche d’aller vers, l’agence travaille aussi à la mise en place d’indicateurs plus génériques de fragilité. Il s’agit d’identifier les territoires vulnérables et les personnes qui sont moins en mesure que d’autres de répondre au stress, qu’il soit celui de la vie quotidienne ou qu’il soit provoqué par les menaces environnementales ou infectieuses. Sur la base du SNDS, et sans recourir à des enquêtes lourdes et spécifiques, on peut ensuite mettre en place des actions individualisées de ramener vers. C’est ainsi que l’assurance maladie a identifié – en partie à partir de nos données – les profils de fragilité dans le cadre de la vaccination contre le covid, et mis en place des actions visant à convaincre les personnes concernées.
Il est clair en tout cas que ces approches doivent être intersectorielles, car tous les acteurs sont concernés. Les mobilités douces, par exemple, sont importantes non seulement pour la décarbonation mais aussi pour la santé mentale et cardiovasculaire.
Mme Ingrid Gillaizeau. Pour expliquer l’augmentation du mal-être, des troubles anxio-dépressifs et des idées suicidaires chez les jeunes, nous avons principalement des hypothèses : l’exposition aux réseaux sociaux, les considérations sur le climat ou encore le confinement, même si cette tendance avait été constatée avant le covid. Plusieurs travaux sont en cours sur le sujet mais, pour mettre en évidence les raisons de la dégradation de l’état de santé des jeunes, il faut des études longitudinales. Il y a aussi l’enquête EnCLASS, dont les prochains résultats seront disponibles d’ici la fin de l’année.
Nous avons mis en place la campagne #JenParleA au moment de la crise sanitaire pour inciter les jeunes à parler de leur mal-être et les renvoyer vers des dispositifs d’écoute de première ligne comme Fil Santé Jeunes. Bien entendu, ces actions que nous mettons en œuvre à notre niveau doivent être relayées par les acteurs de terrain, au moyen d’autres outils.
Une plateforme européenne est par ailleurs en cours de mise en œuvre dans le cadre du projet Improva. Elle aura pour but de promouvoir la santé mentale des jeunes et d’aider au repérage. Je vous fournirai des informations à ce sujet ultérieurement, par écrit.
Quant à l’identification des freins à la consultation, elle a été réalisée en 2021 et mériterait d’être réévaluée. J’ajoute qu’il faut du temps pour que les nouveaux dispositifs soient connus. Peu d’informations avaient été diffusées jusqu’à maintenant au sujet de Mon soutien psy, par exemple : la première grande campagne n’a eu lieu que cette année. Les représentants de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) pourront certainement vous en dire plus à ce sujet, sachant qu’il faut aussi s’interroger sur la capacité d’absorption de nouveaux dispositifs.
Le déploiement de VigilanS est en cours dans l’ensemble des régions mais il prend du temps. Une base de données nationale permettra de suivre l’efficacité du dispositif. Celui-ci s’inscrit, avec le numéro national 3114, dans le cadre d’une stratégie nationale de prévention du suicide au sujet de laquelle la DGS (direction générale de la santé), qui l’a élaborée, pourra vous fournir davantage d’informations.
Mme Caroline Semaille. Vous pouvez compter sur Santé publique France pour continuer à s’investir dans le domaine de la santé mentale bien au-delà de la grande cause nationale 2025.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Nous vous remercions d’avoir répondu à nos interrogations. N’hésitez pas à nous envoyer par écrit d’éventuels compléments d’information que vous jugeriez utiles.
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Puis, la commission auditionne M. Maëlig Le Bayon, directeur général de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), accompagné de M. Olivier Paul, directeur du financement de l’offre, et M. Étienne Deguelle, directeur adjoint de la direction de l’accès aux droits et des parcours.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Je souhaite la bienvenue à MM. Maëlig Le Bayon, directeur général de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), Olivier Paul, directeur du financement de l’offre, et Etienne Deguelle, directeur adjoint de la direction de l’accès aux droits et des parcours.
Je vous remercie d’avance de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Maëlig Le Bayon, Olivier Paul et Etienne Deguelle prêtent successivement serment.)
M. Maëlig Le Bayon, directeur général de la CNSA. Je vais tout d’abord essayer de décrire la place de la CNSA dans l’histoire du handicap en France – vous avez auditionné des acteurs qui ont évoqué l’histoire particulière du pays avec les personnes en situation de handicap. Je dresserai ensuite un bilan de l’action de la Caisse depuis un peu plus de vingt ans avant d’aborder la manière dont elle se projette dans l’avenir, notamment pour tenir compte des défaillances que vous avez identifiées.
Longtemps, le handicap a fait l’objet d’une politique de l’exclusion, de l’indifférence et de l’invisibilisation, renvoyant aux familles la charge d’accompagner, de faire grandir et d’autonomiser leurs enfants ou leurs proches. L’État a commencé à s’intéresser aux personnes en situation de handicap il y a très peu de temps à l’échelle de notre histoire. La loi de 1975 est le premier acte fondateur, qui nous a permis d’organiser les institutions médico-sociales. Trente ans après, la loi de 2005 a été l’occasion, après un diagnostic national partagé, de poser les premières pierres d’une véritable politique publique pour accompagner les personnes en situation de handicap. Le grand débat national organisé à cette occasion avait permis de constater la persistance du maintien de jeunes adultes isolés dans des structures fermées destinées à accueillir les mineurs, des déséquilibres géographiques structurels, des écarts entre la réalité des prises en charge et le coût du reste à charge, une vision du handicap limitée à certaines typologies et situations de handicap – notamment le handicap physique et sensoriel –, enfin une absence de prise en compte des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap, notamment celles atteintes de troubles du neurodéveloppement (TND).
Ces sujets ont tous été abordés de manière très récente par la société et il faut garder ce point à l’esprit lorsque l’on évoque la manière de construire nos politiques publiques actuelles. Cela fait seulement vingt ans que la France a mis en place une véritable politique publique du handicap.
La création de la CNSA est concomitante de la loi de 2005. Elle nous a permis de structurer une mission et une organisation assez atypique, en lien avec les conseils départementaux, qui sont des partenaires essentiels de la branche autonomie et sont évidemment associés à l’ensemble de la conduite de cette politique. Depuis la création de la CNSA, nous avons fait le choix d’intégrer les personnes au sein de sa gouvernance. Rien n’est jamais fait sans elles : c’est l’objectif de la construction d’une politique publique du handicap. Depuis la transformation en branche – et contrairement à d’autres caisses de sécurité sociale –, notre gouvernance accorde une place entière aux représentants des personnes en situation de handicap et des personnes âgées – comme vous le savez, la CNSA s’occupe également des politiques du grand âge, mais je me limiterai mon propos aux personnes en situation de handicap.
Nous consacrons près de 15,7 milliards d’euros aux établissements et services accompagnant les personnes en situation de handicap. Nous contribuons, aux côtés des départements, au financement des principales prestations, que ce soit la prestation de compensation du handicap (PCH) ou l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), mais aussi des prestations plus particulièrement destinées à l’accompagnement des aidants.
Dans nos missions, définies par la loi, figurent évidemment l’équité territoriale et l’harmonisation – je pense que nous y reviendrons lors de nos échanges. C’est l’un des axes essentiels, qui repose sur le constat d’une différenciation territoriale très forte, liée à l’histoire des moyens consacrés au handicap et à leur stratification, mais aussi à des politiques départementales et à des choix effectués par les exécutifs départementaux qui ont été disparates. En matière d’équité territoriale, nous exerçons un rôle d’expertise, notamment auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Créées elles aussi par la loi de 2005, elles ne disposent pas d’une tête de réseau national affirmée. La Caisse est venue combler ce vide lorsqu’il s’agit d’interpréter des textes, de fournir la capacité de construire des outils communs d’évaluation et de se projeter dans des systèmes d’informations plus efficients. Depuis la loi de 2015, nous avons notamment été chargés de construire un système d’information harmonisé des MDPH, qui atteint désormais ses limites car sa conception ne permet pas de traiter efficacement les dossiers administratifs.
Depuis la loi « bien vieillir » de 2024, nous avons également une mission d’accompagnement et d’audit, ce qui nous permet désormais d’accéder aux MDPH alors que cela ne pouvait auparavant avoir lieu que sur la base du volontariat. Pour nous, c’est un élément important de pouvoir vérifier réellement, sur place, les conditions d’exercice des missions qui sont déléguées aux maisons départementales et d’être capables de les accompagner pour améliorer le service rendu.
Le déploiement du service public départemental de l’autonomie a eu lieu très récemment. Après une année de préfiguration en 2024, il est généralisé depuis le 1er janvier 2025. Piloté par les équipes de la Caisse, en lien avec les départements, il a déjà produit de premiers résultats en matière de coordination. Son champ est très large, car il concerne tous les pans de la vie des personnes en situation de handicap, de la naissance jusqu’au décès, en passant par la scolarisation et l’accès à l’emploi. Nous avons donc besoin de coordonner différents acteurs publics, lesquels sont particulièrement divers dans le domaine qui nous intéresse – plus peut-être que dans toute autre politique publique.
La transformation en caisse de sécurité sociale nous a permis de conforter cette mission, d’animer un réseau territorial et de travailler en lien direct avec les départements. Mais nous sommes encore dans une situation atypique par rapport à ce qu’est une caisse de sécurité sociale. Nous n’avons en effet pas le pouvoir de prescrire d’obligations de service public aux départements, ni de contrôler de manière fine la façon dont ils organisent leur politique. Le partage de la compétence en matière de programmation de l’offre territoriale entre les agences régionales de santé (ARS) et les conseils départementaux conduit parfois à des blocages.
On peut évidemment se féliciter que les financements aient beaucoup augmenté depuis la création de la Caisse. Entre 2005 et 2024, les dotations en faveur des établissements et services qui accompagnent les enfants et les adultes en situation de handicap ont augmenté de 128 %. Cette progression s’élève à 37 % au cours des dix dernières années, hors effets de l’inflation. La dynamique est donc très forte. Elle est également liée au cofinancement des prestations. La prestation de compensation du handicap a fait l’objet de réformes importantes, qui ont conduit à élargir le champ des personnes accompagnées. Le nombre de ses bénéficiaires a été multiplié par trois : ils sont passés d’un peu plus de 130 000 en 2005 à près de 430 000 selon les derniers chiffres consolidés de 2022. Alors qu’on comptait 160 000 bénéficiaires de l’AEEH, ce nombre est passé à 464 000 en 2023. La qualité de travailleur handicapé avait été reconnue à 800 000 personnes ; nous en sommes à 2,7 millions.
Ces chiffres permettent de dire que nous couvrons mieux les Français en situation de handicap, que nous les accompagnons mieux et que nous leur ouvrons davantage de droits. Le nombre de Français qui bénéficient de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) a progressé de 65 % entre 2007 et 2023 et il est actuellement de 1,3 million. Les montants ont également augmenté – je n’y reviendrai pas.
Si l’on considère notre capacité à toucher ce public, le périmètre de ces droits reste en question. Ceux accordés par la loi de 2005 ont été progressivement élargis à la parentalité et aux personnes ayant un trouble du neurodéveloppement. Historiquement, la politique du handicap était très centrée sur le handicap physique et sensoriel. Elle s’est ouverte ces dernières années, notamment en ce qui concerne la prestation de compensation du handicap, ce qui permet de prendre en charge aussi bien des fonctions du quotidien – parentalité, préparation des repas, vaisselle – que des types de handicap qui étaient mal couverts. C’est le cas des troubles du neurodéveloppement, du handicap psychique ou encore de la surdicécité, c’est-à-dire une déficience à la fois auditive et visuelle.
Améliorer la qualité du soutien aux aidants constitue une politique nouvelle, que la CNSA a accompagnée. On sait que les politiques publiques du handicap ne peuvent pas concerner seulement les personnes en situation de handicap. Il faut s’appuyer sur leurs aidants, qui sont encore très nombreux à assumer quotidiennement un rôle d’accompagnement humain. Pour ce faire, certains d’entre eux peuvent être rémunérés en utilisant la PCH. Il faut dire qu’ils sont indispensables pour garantir l’autonomie des personnes qu’ils accompagnent.
Les droits, qui étaient complexes, ont été en partie simplifiés – même s’il nous reste du chemin à parcourir. Je pense à l’octroi de droits sans limitation de durée, depuis 2019, pour les personnes dont le handicap n’est pas susceptible d’évoluer favorablement, et à l’automaticité de certains droits ; cela concerne par exemple la carte mobilité inclusion ou la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé pour les jeunes.
Comme partout, la numérisation permet d’accélérer et de simplifier les démarches, grâce aux portails créés par la Caisse qui permettent de déposer en ligne son dossier de demande de droits. Une large majorité des départements ont adhéré au service de dépôt en ligne que nous avons créé ; quelques départements en restent aux dossiers papier. Le portail Mon parcours handicap est très visité, avec 6,7 millions de connexions chaque année. On voit à quel point les Français ont besoin d’être accompagnés pour les aider à comprendre cette politique publique complexe.
Au-delà de ces réussites, de nombreux besoins sont encore insatisfaits ou mal identifiés.
Premier point : il faut identifier ces besoins et le nombre de personnes en situation de handicap. Nous savons que les évaluations actuelles, au sein des MDPH comme plus globalement dans la société, ne permettent pas d’avoir une vision claire de l’ampleur et de la diversité des solutions nécessaires pour accompagner les personnes.
Ensuite, la catégorisation des solutions médico-sociales constitue un frein. Les dispositifs réglementaires existants prévoient des cases qui ne correspondent pas forcément à la réalité des besoins. Les foyers d’accueil médicalisé (FAM) et les maisons d’accueil spécialisées (MAS) reçoivent des publics qui sont beaucoup plus proches que dans le passé. Les sujets de l’hébergement et de l’accompagnement sont encore très mêlés, ce qui ne nous permet pas d’être pleinement efficients.
Certains publics sont encore très mal accompagnés. C’est notamment le cas des enfants à double vulnérabilité, dont le nombre progresse fortement au sein des cohortes de personnes en situation de handicap.
Ensuite, les personnes handicapées vieillissent. Pendant longtemps, cette situation est restée un impensé des politiques publiques, car ces personnes mouraient avant de pouvoir vieillir. Il faut se féliciter que notre système de santé et d’accompagnement ait permis que cela change ; encore faut-il désormais leur proposer des solutions adéquates.
On peut aussi évoquer le vaste sujet des jeunes adultes qui relèvent de ce que l’on appelle l’amendement Creton : ils restent dans des établissements pour enfants faute d’accompagnement, d’anticipation et de solutions dans les établissements et services destinés aux adultes.
Quant aux inégalités territoriales, elles persistent en matière de taux de couverture des besoins et de dotations en professionnels de santé. La Caisse a identifié des territoires où la situation est plus tendue ; les outre-mer, l’Île-de-France, les Hauts-de-France, la région Paca (Provence-Alpes-Côte d’Azur) ou l’Occitanie en font partie.
Fiabiliser nos données est un enjeu. Actuellement, nous ne sommes pas capables de vous dire quel est le nombre de personnes en situation de handicap en France. Nous disposons d’estimations, que la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) établit à partir d’enquêtes populationnelles. Nous connaissons le nombre de personnes qui ont un droit ouvert en MDPH, mais il ne correspond pas forcément à celui des personnes qui pourraient bénéficier de ces droits – même si, comme je vous l’ai dit, le nombre de bénéficiaires a augmenté fortement.
Beaucoup de sujets concernent l’école – nous y reviendrons. La nation a beaucoup investi depuis 2005 pour scolariser les enfants en situation de handicap, mais des difficultés persistent en matière de qualité d’accompagnement. L’aide humaine, notamment par le biais des AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap), est-elle la bonne solution pour l’ensemble de ces enfants ? Quelle coopération faut-il rechercher avec le médico-social ? Dans quelle mesure arrivons-nous à construire une politique d’accessibilité native, qui évite à la CNSA de financer la compensation et permet d’autonomiser réellement les personnes en situation de handicap ?
L’attribution des droits reste complexe, malgré les simplifications auxquelles nous avons procédé. Les délais de traitement des demandes sont restés stables. On pourrait se féliciter que les MDPH, dont les effectifs sont restés quasiment identiques, traitent désormais près de 5 millions de demandes, soit une augmentation de près de 80 % depuis 2009. Notre appareil d’évaluation pourrait de ce fait estimer que nous sommes particulièrement efficients. Cependant, la durée de traitement des demandes reste supérieure au délai légal dans bien des cas. Dans certains départements, cette durée atteint en moyenne jusqu’à huit à dix mois.
Ces disparités territoriales s’expliquent notamment par les effectifs des équipes, qui diffèrent en fonction de la mobilisation des départements. Cela résulte de l’histoire : les MDPH ont été créées sans que les effectifs nécessaires pour une MDPH-type aient été définis au préalable. Cela fait partie des sujets qui sont encore devant nous.
Après avoir dressé ce constat, quelques perspectives pour l’avenir.
Premier point : la nouvelle branche de sécurité sociale, à laquelle le législateur a souhaité confier une responsabilité particulière, doit enfin pouvoir disposer de l’accès à l’ensemble des données territoriales, celles des départements et des MDPH. Tel est le sens de la construction d’un système d’information unique, national, que le gouvernement avait annoncé au mois de juillet dernier et que je considère comme un élément indispensable de pilotage de l’équité territoriale et de régulation de l’accès aux droits afin de vérifier que les textes sont pleinement appliqués et que les processus d’évaluation sont équivalents selon les territoires. Actuellement, le degré d’harmonisation des systèmes nous permet seulement d’établir des moyennes s’agissant des délais de traitement des dossiers et du nombre de bénéficiaires, mais nous sommes aveugles sur le reste.
Deuxième point : la transformation profonde de notre offre. Comme je l’ai déjà dit, la typologie des dispositifs est trop cloisonnée, ce qui ne nous permet pas d’accompagner les évolutions de l’autonomie des enfants et des adultes. Il faut que nous construisions une offre qui corresponde aux parcours des personnes et ne les force pas à s’inscrire dans une case particulière. Cela suppose que les professionnels soient mobiles, mais aussi que l’accompagnement soit affiné et ne se résume pas à une orientation médico-sociale. Des réévaluations doivent avoir lieu régulièrement en cours de parcours. Pour cela, il faut investir. Nous disposons de 250 millions grâce au fonds d’appui à la transformation de l’offre. C’est un premier pas, mais il faudra procéder à beaucoup de modifications structurelles de cette dernière si nous voulons être au rendez-vous.
Troisième point : au sein de la CNSA, nous croyons profondément qu’il faut construire une politique du logement pour les personnes en situation de handicap. Elle doit permettre à chacun d’être autonome, en colocation, peut-être, avec un accompagnement à domicile, souvent, mais sans contraindre systématiquement à basculer vers l’établissement médico-social ou l’hébergement. Je voudrais qu’on arrive enfin à construire une politique du logement qui permette aux personnes de vivre pleinement leur vie en étant autonomes. Cela suppose de disposer de personnels mobiles. Or il existe une pénurie de professionnels, notamment pour l’aide à domicile, qui doit nous alerter. Comment construire une politique qui rendra ces métiers très attractifs ? Ce sujet est important pour les personnes en situation de handicap, mais plus encore pour les personnes âgées.
On pourrait aussi parler du soutien spécifique aux MDPH, qui est en cours de construction, de l’allégement des dossiers, de la mobilisation de l’intelligence artificielle, de l’accroissement des solutions pour les aidants, mais je m’arrête là afin de pouvoir discuter des principaux points que vous souhaitez approfondir.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Le manque d’accès aux données que vous décrivez est frappant. En 2018, nous avions travaillé sur la constitution des dossiers dans les MDPH – à l’époque, plutôt sous forme papier – et constaté qu’on passait son temps à faire des dossiers pour des gens qui n’en avaient pas besoin puisque leur handicap était stabilisé, ce qui contribuait à augmenter les délais de traitement.
Ma deuxième question porte sur les places disponibles dans les établissements. Le dispositif Creton crée un phénomène d’embolisation dans les IME (instituts médico-éducatifs). Se pose aussi la question de l’hébergement des personnes âgées handicapées, pour lesquelles les Ehpad sont plus ou moins adaptés en matière d’accompagnement.
On compte plus de 9 millions d’aidants en France – principalement des femmes, mais aussi des mineurs qui accompagnent leurs parents. Cela a un effet significatif sur leur vie sociale et professionnelle, même si des efforts ont été faits pour eux. Beaucoup de femmes arrêtent de travailler et sont invisibles pour le système, car on ne sait pas identifier la raison de cette interruption de l’activité professionnelle.
Enfin, nous avons un vrai souci d’attractivité des métiers de l’accompagnement, notamment celui d’AESH. Malgré les modifications que nous avons adoptées pour favoriser l’emploi à temps plein, dans un même lieu et avec une formation, on voit bien que les niveaux de salaire et les conditions d’exercice du métier créent des difficultés. Il y a aussi un écart entre les demandes d’AESH formulées par les parents et la réalité du besoin.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. En premier lieu, merci pour la qualité synthétique de votre propos liminaire.
Comme vous ne pouvez peut-être pas vous le permettre, j’ajoute que la promesse républicaine sur le sujet du handicap était tellement forte qu’il est normal qu’elle suscite encore autant d’attentes dans les familles concernées. Malgré les avancées, nous devons chercher une amélioration constante pour faire face aux nouveaux enjeux que vous avez évoqués – personnes handicapées vieillissantes, prises en charge des TND, etc. Il faut aussi aborder les défis de l’école, au sujet desquels il y a des dissonances majeures. J’espère que nous organiserons une audition qui permettra de mesurer l’effectivité de l’inclusion scolaire, laquelle est encore théorique pour beaucoup trop de familles.
D’un côté, nous constatons des améliorations – la CNSA jouant un rôle majeur en la matière. De l’autre, nous avons les attentes légitimes de nos concitoyens – la promesse politique qui a été faite n’étant pas totalement tenue.
Ma première question est assez technique. Vous avez évoqué le système d’information harmonisé et vous avez retracé l’histoire des choix faits par les MDPH. Certaines ont développé leur système en interne, d’autres ont eu recours à des prestataires, ce qui pose des difficultés d’agrégation des données et d’interopérabilité. Nous n’en sommes malheureusement pas à la fin de l’histoire. Une harmonisation a été annoncée pour 2026. Est-on est vraiment à l’aube d’une révolution en matière d’accessibilité des données – ce que j’espère ?
Je relaie également les propos de plusieurs universitaires que nous avons entendus en demandant s’il serait possible d’ouvrir les données aux chercheurs. Les responsables de Santé publique France, que nous avons auditionnés précédemment, ont également fait part de leurs difficultés à accéder aux données relatives au handicap. Or cet aspect est important pour l’accès aux soins. Envisagez-vous d’établir des liens avec le monde universitaire ? C’est selon moi fondamental.
Ma deuxième question est relative à l’effectivité des droits. Ouvrir des droits, c’est bien. Qu’ils soient effectifs, c’est mieux – qu’il s’agisse des AESH ou des services divers et variés comme le CSAT (contrat de soutien et d’aide par le travail), le Samsah (service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés) ou le SAVS (service d’accompagnement à la vie sociale). Cela vaut aussi pour l’accès aux établissements – IME, FAM et MAS –, pour lequel les délais sont incroyablement longs. Pour schématiser, on ouvre des droits alors que l’offre de services sur le territoire est extrêmement disparate, avec des différences allant de un à cinq, voire plus. La Corrèze, par exemple, est connue pour être assez généreuse en matière d’offre. D’autres départements le sont moins. Travaillez-vous sur ce sujet de l’effectivité ?
Dernier point : les coûts évités. Vous avez dit de manière élégante que le fait de scolariser un enfant en situation de handicap soulageait la CNSA du poids du financement de la compensation. Un enfant dûment scolarisé, c’est aussi probablement une famille – et singulièrement une femme – qui n’est pas contrainte à l’inactivité professionnelle. Accompagner une personne vieillissante en situation de handicap, c’est probablement soulager des aidants. Cette approche médico-économique est majeure.
M. Maëlig Le Bayon. S’agissant du manque de données et de l’histoire des MDPH, il y a dix ans, nous en étions encore à la phase préhistorique de ce qu’est une administration publique : dossiers papier uniquement et envoi de courrier aux caisses d’allocations familiales pour ouvrir les droits. Il n’y avait aucune numérisation des flux. La CNSA a travaillé de manière constante avec le réseau des MDPH pour les numériser. Cela peut paraître anodin aujourd’hui, mais cette première étape était indispensable si l’on considère ce qui existait il y a dix ans.
De mon point de vue, c’est aussi l’occasion de se pencher de nouveau sur l’organisation du traitement des dossiers par les MDPH. Même s’il existe des difficultés, les autres caisses de sécurité sociale maîtrisent globalement bien un processus. On ne peut pas laisser chaque département s’organiser comme bon lui semble. Nos interventions menées très régulièrement auprès des MDPH en difficulté montrent grosso modo que l’on a toujours affaire aux mêmes problèmes d’engorgement, d’absence de positionnement et d’expertise insuffisante dans certains domaines.
Dans le Finistère, l’intervention de la CNSA aux côtés du département a permis de réduire de neuf mois à deux mois et demi le délai moyen de traitement des dossiers. Il a certes fallu procéder à quelques embauches, mais, pour l’essentiel, les solutions ont reposé sur la manière d’évaluer un dossier et d’écouter la parole des gens, en remettant de l’humain dans le processus plutôt qu’en traitant la question uniquement sur papier. Ce sont vraiment des éléments importants et il faut que l’on arrive à les généraliser. La CNSA n’a pas le pouvoir d’imposer une organisation aux MDPH, mais elle peut faire des préconisations. Cela doit être l’occasion de structurer un accompagnement plus large.
Le manque de données est lié aux défauts du système d’information. Etienne Deguelle va vous préciser comment le système d’information harmonisé a été construit et quelles sont les données qu’il fournit. Mais nous en avons très peu, ce qui affecte notamment notre capacité à réagir en cours d’année et à alerter le réseau des MDPH.
M. Etienne Deguelle, directeur adjoint de la direction de l’accès aux droits et des parcours. Le système d’information actuel est harmonisé, ce qui signifie que chaque département dispose de sa solution informatique, laquelle doit être conforme à un référentiel national.
Ce système est un progrès indéniable par rapport à la situation qui prévalait auparavant. Cependant, les évolutions prennent un temps considérable, car chaque changement au niveau national suppose ensuite cent adaptations au niveau local. Néanmoins, le nouveau système déployé à partir de 2019 a le mérite de fournir des données beaucoup plus harmonisées que par le passé. Il nous permet aussi d’en avoir à un rythme infra-annuel, ce qui n’était pas le cas auparavant. Nous disposons par exemple de données mensuelles sur les délais de traitement des dossiers par les MDPH.
Mais ce système a ses limites. En effet, des données plus profondes nous manquent, notamment sur la description des personnes, sur la qualification du handicap ou pour retracer le raisonnement qui a conduit à la décision concernant l’ouverture d’un droit. Nous travaillons donc actuellement, dans la perspective du système d’information unique, à une première étape : un système d’information sur l’évaluation, laquelle est le cœur du système. La nouvelle solution, qui sera déployée à partir de l’année prochaine, a pour ambition de regrouper tous les éléments pour une meilleure description, donc une meilleure compréhension des disparités dans les territoires.
M. Maëlig Le Bayon. Pour favoriser l’ouverture des données, la caisse a créé Data Autonomie, un portail qui, depuis le printemps dernier, met à la disposition des Français, des collectivités et des chercheurs l’ensemble des données collectées par la branche.
Concernant les places dans les ESMS, il faut d’abord se demander si les personnes ont le bon niveau d’accompagnement. Cela doit être la base de notre réflexion. Les places dans les instituts médico-éducatifs sont occupées à hauteur de 20 % à 30 % par de jeunes adultes, alors qu’elles sont d’abord destinées aux enfants. Ces institutions se retrouvent donc engorgées. La question se pose également pour les adultes vieillissants, qui occupent parfois des solutions d’hébergement dans un établissement alors qu’ils préféreraient vivre dans un autre endroit.
J’ai visité plusieurs établissements qui ont construit des parcours, mais cette logique est encore trop peu présente dans le champ du handicap. On raisonne au moment où c’est déjà trop tard. La construction des parcours et des choix doit être anticipée et elle doit se faire avec les personnes concernées, afin de leur ouvrir des horizons. Le logement autonome a, pendant longtemps, été un impensé : à la sortie de l’IME, l’adulte était automatiquement dirigé vers un établissement spécialisé dans l’hébergement d’adultes.
Le diagnostic posé à l’entrée de la personne dans l’IME, pour certaines dès l’âge de 5 ou 6 ans, n’est pas systématiquement réévalué. Le département de la Corrèze, par exemple, interroge régulièrement le diagnostic pour évaluer le niveau d’autonomie de la personne concernée. Il faudrait le faire pour l’ensemble des personnes qui occupent aujourd’hui des solutions d’hébergement pour savoir si elles sont au bon endroit et si cela correspond à leur volonté.
On ne peut plus imposer aux personnes en situation de handicap un endroit où vivre. Si leur rêve est de vivre dans un logement autonome ou en colocation avec des copains, construisons ces solutions au lieu de vouloir pour elles une place en FAM ou en MAS. Inversement, pour celles et ceux qui ont besoin d’un accompagnement et qui le souhaitent, les places pour adultes doivent pouvoir être pleinement utilisées, ce qui passe par l’amélioration du financement, car les disparités en la matière empêchent d’avoir le taux d’encadrement nécessaire.
Nous défendons une réforme du financement afin que celui-ci se fonde davantage sur les profils des publics accompagnés et sur les besoins d’accompagnement dans le cadre des solutions médico-sociales. Ce projet, appelé Serafin-PH (services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées), permettrait de gérer les disparités qui se sont accumulées au cours de l’histoire.
Le diagnostic territorial doit servir de base à la construction des solutions adéquates. Pour construire la stratégie d’un département en matière d’autonomie, il faut que le conseil départemental et l’agence régionale de santé se penchent non seulement sur les organisations et les orientations décidées il y a dix ans, mais sur les besoins réels et actuels du territoire. Ils doivent notamment faire des projections pour anticiper les besoins des populations, par exemple des jeunes de 16 ans lorsqu’ils auront 20 ans. L’offre doit être programmée de façon commune. Aujourd’hui, le fonctionnement en silo de l’action et de la programmation ne correspond pas à la réalité de la vie des personnes en situation de handicap.
Face aux ruptures de carrière des aidants – le plus souvent des mères de famille, surreprésentées parmi eux –, nous avons créé de nouveaux droits, financés par la branche autonomie, comme l’allocation journalière du projet aidant (AJPA) ou le congé de proche aidant. Ces droits sont encore sous-utilisés, car ils sont méconnus.
Les entreprises, qui ont historiquement contribué à développer notre politique familiale en finançant la branche famille, pourraient être un partenaire utile pour construire, par les négociations syndicales, des droits spécifiques pour les aidants – congés ou droits d’absence. Les situations de handicap dans l’emploi sont désormais plus visibles ; nous devons rendre aussi plus visibles les aidants, qui doivent parfois s’absenter sans que l’employeur en connaisse les raisons. C’est une démarche que la CNSA a déjà adoptée en tant qu’employeur. Le relayage, récemment mis en place à la suite d’une loi que vous avez votée, va dans le même sens, comme les plateformes de répit.
Concernant l’effectivité des droits, le principal sujet est le manque de personnel. La branche peut bénéficier de milliards supplémentaires, elle n’améliorera pas l’accompagnement si elle ne dispose pas de professionnels pour construire une offre. Notre priorité doit donc être de construire une politique d’attractivité allant de la sortie du collège à la reconversion professionnelle. Le secteur est en tension sur le marché de l’emploi et, dans certaines zones, le pourcentage de personnes étrangères n’est pas négligeable. Il ne faut pas l’oublier. Malgré le covid et tout ce qui a été fait, ces métiers sont encore considérés comme secondaires et l’orientation vers eux comme une voie de garage. Ils sont pourtant essentiels. Dans les prochaines années, il faudra recruter massivement pour remplacer les professionnels qui partiront à la retraite et accompagner les 400 000 personnes âgées supplémentaires qui, d’ici 2040, perdront leur autonomie. Nous ne sommes pas encore sur la trajectoire fixée par le rapport El Khomri de 2019.
La Caisse essaye de créer des plateformes d’attractivité des métiers sur les territoires et nous souhaitons les généraliser. Ce sont des dispositifs importants pour sensibiliser le public et faire l’intermédiaire avec les établissements et les services. Le secteur doit également moderniser sa gestion des ressources humaines. Il faut non seulement augmenter le nombre de candidats, mais aussi sécuriser le maintien en emploi de ces personnes, encore trop nombreuses à décrocher faute d’accompagnement. La politique de l’emploi et de la formation doit s’y attacher, en parallèle de ce que la branche autonomie finance.
Nous avons commencé à construire des unités pour les personnes en situation de handicap vieillissantes dans les ESMS et dans les Ehpad. J’ai pu constater, lors de visites, qu’elles fonctionnent bien. Il faut veiller à ce qu’elles correspondent au libre choix des personnes. J’ai rencontré par exemple des personnes en situation de handicap de 50 ou 60 ans qui m’ont dit préférer le rythme calme d’un Ehpad aux activités organisées dans les FAM et les MAS. Il ne faut pas isoler les personnes : c’est la mixité qui permet de créer des groupes cohérents en tenant compte du degré d’autonomie des personnes, qu’elles soient en situation de handicap ou en perte d’autonomie en raison de l’âge. Et il ne faut surtout pas placer des jeunes en Ehpad.
Nous en sommes tous convaincus, il faut trouver des solutions alternatives. Cela suppose de réévaluer la situation des personnes qui sont dans un foyer de vie, parfois depuis quinze ou vingt ans. Il faut également prendre en compte la situation de celles qui ont toute leur vie été accompagnées à domicile par des aidants familiaux : elle ne peut être gérée de la même façon que celle de personnes qui étaient accompagnées dans un logement autonome ou dans le médico-social. Une fois que leurs parents ont atteint l’âge de 80 ou 90 ans, que deviennent-elles ? Pourront-elles suivre leurs parents sur leur lieu de vieillissement ? Que se passe-t-il une fois que les parents sont partis ?
Concernant les coûts évités, la mise en accessibilité des services publics et de la société en général permettrait de diminuer la compensation et de renforcer l’autonomie des personnes. Si une aide humaine aussi abondante est nécessaire, c’est parce que, malheureusement, l’aide technique fait défaut et que les professionnels concernés ne sont pas formés. Il ne s’agit pas de demander aux enseignants ou aux professionnels de l’accueil et du contact avec le public de se substituer au médico-social, mais de leur offrir une formation de base pour accompagner les personnes en situation de handicap. Dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques, nous avons formé l’ensemble des bénévoles et des accueillants. Ce modèle pourrait être généralisé à l’ensemble de notre nation pour favoriser l’accessibilité réelle des personnes en situation de handicap physique, mais aussi psychique. L’accessibilité doit être la priorité, la compensation ne venant que dans un second temps.
Les AESH compensent, en partie, le défaut d’accessibilité de l’école. La question est donc d’assurer son accessibilité réelle. Comment réintégrer l’accessibilité native ? Comment faire en sorte que l’éducation nationale, dans son ensemble, considère que le rôle des AESH n’est pas de se substituer à l’enseignant, mais d’apporter les quelques éléments que celui-ci ne peut fournir directement, faute de temps suffisant pour une individualisation totale ?
M. David Magnier (RN). Selon une circulaire du 21 août 2015, l’AESH, individuel ou mutualisé, peut être présent dans une Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire) auprès d’un enfant lorsque celui-ci a besoin de soins physiologiques permanents.
Une note du ministère de l’éducation nationale en date du 12 mai 2016 précise qu’« il est de bonne pratique, pour répondre aux besoins particuliers de certains élèves présentant des troubles du spectre autistique et au regard de l’organisation des ressources du dispositif Ulis, d’envisager la possibilité d’accompagnement par une aide humaine individuelle ou mutualisée, dès lors que cet accompagnement fait l’objet d’une notification de la CDAPH [commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées], après évaluation de l’équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). C’est pourquoi il convient, lorsque l’aide humaine constitue une condition indispensable d’accessibilité à l’école pour un élève en situation de handicap, notamment ceux présentant des TSA, de ne pas priver l’élève de cette possibilité d’accompagnement y compris dans le cadre d’une Ulis, tout en veillant à ce que le nombre d’accompagnants ne porte pas préjudice au bon fonctionnement pédagogique ».
Je constate que cette note n’est pas appliquée : des enfants atteints d’un TSA ou de dysphasie sont scolarisés en Ulis, mais sans AESH. La réponse de la MDPH, malgré les relances, est toujours la même : soit Ulis, soit AESH. Nous attendons toujours la date de la commission qui doit réexaminer le dossier, alors qu’on nous avait informés qu’elle aurait dû se tenir fin juin en vue de la rentrée scolaire. Avez-vous un droit de regard, pouvez-vous faire quelque chose ? Comment remédier à une telle défaillance des services publics en matière d’inclusion scolaire ?
La CNSA contribue au pilotage de la lutte contre l’isolement des personnes âgées ; dans ce cadre, vous avez mis en place un réseau de référents. Quel bilan en tirez-vous ? Ce réseau est-il suffisamment connu des personnes concernées ? Comment s’articule-t-il avec les associations et les professionnels de santé ?
Mme Lisette Pollet (RN). J’ai été aidant. Pour les familles, malgré les belles propositions, aucune solution de repli ne vient jamais ; on ne trouve jamais la bonne personne pour nous aider. Chez moi, nous avons fait le choix de l’aide à domicile. J’avais donc la personne à domicile nuit et jour. Je parle de mon cas, mais, en tant que députée, j’ai eu beaucoup de dossiers similaires à traiter. Les places, que ce soit en Ehpad ou en IME, manquent.
Quelles actions avez-vous mises en place pour prévenir les abus concernant la gestion des résidents en Ehpad révélés par les scandales des dernières années ?
M. Maëlig Le Bayon. La question de l’attribution des AESH a fait l’objet de très nombreuses missions d’inspection et d’évaluations de la Cour des comptes ces dernières années. Je rappelle que les AESH sont financés par le ministère de l’éducation nationale. La CNSA conduit et organise, avec les MDPH, l’évaluation des besoins d’AESH à partir de grilles construites de façon commune. La CNSA anime un réseau de référents dans chaque MDPH pour les dispositifs d’accompagnement scolaire. Les situations sont éminemment individuelles et on ne peut pas décider que tout enfant atteint d’un TSA doit être accompagné d’un AESH. Le spectre de l’autisme concerne des personnes quasiment autonomes comme d’autres qui ont besoin d’être encadrées vingt-quatre heures sur vingt-quatre par deux personnes. C’est l’évaluation fine des besoins grâce à l’interaction entre les professionnels de la MDPH et la personne concernée, en conformité avec la loi de 2005, qui permet de définir le bon niveau d’accompagnement. Je ne saurais donc vous dire, monsieur le député, s’il est normal que la personne dont vous parlez n’ait pas accès à un AESH. En tout cas, la réglementation permet à un enfant scolarisé en Ulis d’être accompagné par un AESH si ses besoins le nécessitent.
M. Etienne Deguelle. La CNSA, dans son rôle d’appui aux professionnels, notamment des référents scolarisation dans les MDPH, organise des journées nationales qui permettent d’expliquer la réglementation et d’échanger à propos des pratiques.
Les décisions concernant les droits peuvent faire l’objet d’un recours, mais la CNSA n’a pas un rôle d’appel des décisions prises en CDAPH. Nous sommes en revanche saisis au fil de l’eau par les MDPH de questions précises d’interprétation réglementaire. Nous mettons également à leur disposition des fiches métier qui rappellent la réglementation de façon très précise, notamment concernant la scolarisation.
M. Maëlig Le Bayon. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous apporter plus d’informations sur la situation que vous avez évoquée, au-delà du fait que les instructions que nous donnons en réseau sont des orientations : elles ne sont pas opposables aux MDPH. Comme je vous l’ai dit, notre rôle est particulier par rapport aux autres caisses de sécurité sociale : nous ne pouvons pas donner des instructions au même titre que la Cnam (Caisse nationale de l’assurance maladie), les Cpam (caisse primaire d’assurance maladie) ou encore la Cnaf (Caisse nationale des allocations familiales) pour ce qui est des CAF (caisses d’allocations familiales). Nous dépendons de l’évaluation des professionnels locaux et surtout de la CDAPH, dont les membres, notamment des représentants associatifs, prennent les décisions en matière d’orientation – c’est un élément structurant sur le plan de la gouvernance.
Une évaluation ponctuelle a aussi ses limites, compte tenu de la situation particulière des enfants, qui peuvent perdre ou au contraire gagner en autonomie, selon le déroulement de leur vie. Les pôles d’appui à la scolarité (PAS), dont le déploiement est financé par la Caisse, sont un moyen de suivre les élèves au plus près de l’environnement scolaire, en faisant en sorte que des professionnels du médico-social enrichissent le diagnostic. Même si la MDPH a dit l’année précédente qu’une aide n’était pas nécessaire, les professionnels du médico-social qui accompagnent l’enfant sur le terrain, en lien avec l’éducation nationale, peuvent considérer que cela ne tient pas et qu’il faut donc aller au-delà de ce qui a été proposé. Cela marche beaucoup mieux quand on travaille avec une équipe de professionnels du médico-social implantée dans l’école que lorsqu’on revient devant la MDPH au bout de trois, quatre ou cinq ans. Nous souhaitons certes que les délais de renouvellement des droits soient plus longs, mais aussi que l’on s’appuie davantage, pour leur ouverture, sur l’expertise des professionnels, au-delà de l’évaluation faite par la MDPH à un instant T. Cela me semble un élément important, au-delà de ce qu’apportent les PAS pour d’autres volets.
La question de la prévention de la perte d’autonomie et de la lutte contre l’isolement est peut-être un peu plus éloignée de l’objet de cette commission d’enquête, puisqu’elle porte sur l’autre branche de la CNSA, qui est l’accompagnement des personnes âgées. Nous travaillons notamment avec des associations, telles que les Petits Frères des pauvres et Monalisa, qui sont des structures importantes pour la lutte contre l’isolement, grâce à leur capacité à faire de l’aller vers – elles permettent d’outiller les mairies et les CCAS (centres communaux d’action sociale) en matière de démarches. Le service public départemental de l’autonomie (SPDA) a un axe de lutte contre l’isolement qui est également important, en ce qu’il doit permettre de structurer les stratégies locales. Du fait, aussi, du phénomène de déconjugalisation dans les nouvelles générations, beaucoup plus d’hommes seront isolés à l’avenir. Il est donc important de construire des solutions.
La question du logement se pose pour les personnes âgées en perte d’autonomie. Certaines d’entre elles, qui peuvent subir une perte d’autonomie intermédiaire, leur permettant tout à fait de rester à domicile avec le soutien nécessaire, pourraient souhaiter vivre en colocation pour lutter contre l’isolement. C’est le sens de la politique d’habitat inclusif que nous souhaitons construire ensemble.
S’agissant des aidants à domicile, votre situation, madame la députée, est vécue par encore beaucoup de familles. Si tous les aidants arrêtaient d’intervenir auprès de leur conjoint ou de leurs enfants, nous ne saurions pas, je l’ai dit, accompagner les personnes en situation de handicap en France.
Il faut donc vous permettre de vous former afin de sécuriser vos gestes. Nous avons essayé de proposer une valorisation des acquis de l’expérience afin que toutes celles et tous ceux qui ont investi du temps dans l’accompagnement puissent le faire valoir dans le cadre d’une carrière professionnelle s’ils le souhaitent. Cela me semble essentiel pour l’attractivité des métiers.
Il faut également que vous puissiez respirer. C’est vraiment la demande majeure des aidants. Au-delà de la construction de solutions, dont j’ai parlé, il faut vous assurer un moment de pause, dans lequel vous ayez confiance en la personne qui vous remplace – c’est aussi un élément structurant. Cela implique de permettre le relayage à domicile, l’accueil de jour dans les établissements et services médico-sociaux et la possibilité de prendre des vacances partagées. Nous finançons ainsi, en ce moment, des centres de vacances répit dans un certain nombre de territoires – les Landes vont bientôt ouvrir un centre. C’est important pour préserver la santé des aidants. Trop souvent, s’agissant des personnes âgées, notamment, des aidants meurent avant les personnes qu’ils aident. Notre politique publique doit se construire en la matière : la première stratégie pour les aidants en France ne date que de 2019. Nous avons encore beaucoup de choses à faire.
La question de la gestion des Ehpad est aussi un peu marginale par rapport à la thématique de cette audition, mais je vais y répondre de mon point de vue de directeur de la CNSA. Nous n’avons pas pour rôle de contrôler la qualité de service dans les Ehpad ; en revanche, nous informons les Français qui choisissent un établissement, grâce à notre plateforme intitulée Pour les personnes âgées. Nous y publions l’ensemble des données des évaluations, notamment celles de la HAS, la Haute Autorité de santé. Qu’il s’agisse des personnes handicapées, grâce à Mon parcours handicap, ou des personnes âgées, sur le site https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr, chacun peut connaître les évaluations faites par des organismes extérieurs. Par ailleurs, vous le savez, les agences régionales de santé ont appliqué un vaste plan de contrôle. Vous pourrez retrouver sur leurs sites internet les rapports qui ont été publiés au sujet de la qualité de service. Dès lors qu’il y a des interruptions ou que des pratiques sont signalées par l’agence régionale de santé au conseil départemental à l’occasion des contrôles, nous déréférençons de nos annuaires les établissements concernés. Nous le faisons en ce moment, vous pourrez le vérifier.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. De précédentes auditions ont fait apparaître un fonctionnement plutôt en silo, avec le médical d’un côté et le médico-social de l’autre, et la difficulté à assurer une coordination. Y a-t-il une chance que la situation évolue ? Vous avez notamment évoqué, s’agissant des AESH, les équipes pluridisciplinaires, qui visent à mieux avancer en travaillant ensemble plutôt que chacun de son côté.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Vous avez parlé de l’expression d’un projet de vie. Le choix des personnes est évidemment fondamental et des questions d’adaptation de l’école à des besoins d’accompagnement très forts peut se poser. Quand on ouvre la boîte noire, on voit des choses dysfonctionnelles. Lorsqu’une famille dépose un dossier – on préconise souvent de le faire en janvier ou en février –, une équipe pluridisciplinaire d’évaluation (EPE) soumet une décision à la CDAPH. Or il faut savoir que celle-ci ne voit que 1 % ou 0,5 % des propositions faites par l’EPE.
S’agissant des enfants en situation de handicap, l’éducation nationale fait partie de l’équipe pluridisciplinaire d’évaluation ; elle peut avoir la suspicion, même si celle-ci n’est pas étayée, d’approches très restrictives et contraires à ce que la loi permet, compte tenu de l’évolution des besoins. Dire, par exemple, qu’un enfant orienté vers un dispositif Ulis ne peut pas avoir un AESH individuel est totalement illégal, mais on ne peut pas conseiller aux familles de porter plainte – elles bataillent déjà pour déposer des dossiers et un recours ne serait tranché qu’un an plus tard ; que deviendrait l’enfant pendant ce temps ?
Cette situation est la résultante du dysfonctionnement que vous avez évoqué. Les AESH ne sont pas une solution miracle : des besoins très importants existent pour certains enfants, mais pour d’autres, en cas de troubles dys, par exemple, les enseignements pourraient être mieux adaptés et les professionnels mieux formés. On retrouve ce dysfonctionnement systémique dans les cas de figure abordés par notre collègue. Vous n’y pouvez pas grand-chose, mais c’est tout de même un aspect très important pour cette commission d’enquête qui porte sur les défaillances. J’espère que nous pourrons entendre l’éducation nationale, en particulier la Dgesco (direction générale de l’enseignement scolaire).
Ma question concerne la transformation de l’offre. Vous avez parlé de l’habitat inclusif, dont nous savons qu’il est accompagné, notamment grâce à l’AVP, l’aide à la vie partagée. Certaines études montrent que les coûts de prise en charge y sont 20 %, 30 % ou 40 % moins élevés que dans les établissements médico-sociaux. C’est, par ailleurs, une solution qui paraît plébiscitée par les bénéficiaires. Il semblerait pourtant que son développement subisse un coup d’arrêt. S’agissant de la transformation de l’offre, devrait-il y avoir des incitations dans le cadre des CPOM (contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens) pour faire de l’intracting, comme on le dit dans le domaine de l’énergie ? Je ne comprends pas qu’on n’aille pas plus loin dans l’exploration de ces solutions qui répondraient à la demande, raccourciraient les délais et seraient plus vertueuses du point de vue du respect du projet de vie des personnes ainsi que sur le plan économique, ce qui n’est pas une mince affaire dans la période actuelle.
M. Maëlig Le Bayon. Je vous répondrai au sujet du médical et du médico-social – Olivier Paul complétera s’agissant des réflexions sur l’hospitalisation à domicile, qui me semble aussi un élément important pour le décloisonnement.
L’idée du service public départemental de l’autonomie, en tout cas tel qu’il a été conçu, est de mettre autour de la table les acteurs médicaux, ceux de l’autonomie et la branche classique, qu’il s’agisse des CPAM ou des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé), pour construire une responsabilité populationnelle à l’échelle d’un bassin de vie. C’est de cette façon qu’il faut réfléchir ensemble à la question des ressources médicales et médico-sociales pour les Français concernés.
Le « désilotage » est indispensable : on ne peut plus se permettre de penser qu’on aura les moyens, avec les seules ressources médico-sociales, de maintenir l’autonomie des personnes, notamment celles qui veulent vivre à domicile. C’est vrai pour celles en situation de handicap et peut-être plus encore pour les personnes âgées, qui restent chez elles plus longtemps et ont besoin de soins. Nous avons donc investi, majoritairement, dans les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), pour en créer 6 000, selon une tarification différenciée qui repose sur une typologie des personnes accompagnées. C’est une nouveauté : plutôt que de payer de la même façon qu’il s’agisse de changer un pansement ou d’accompagner une personne qui a une maladie neurodégénérative ou un handicap important, nous faisons en sorte que certaines dotations et tarifications puissent être majorées en temps réel, afin que les Ssiad puissent mieux accompagner des personnes en situation de handicap à domicile et passer davantage de temps auprès d’elles – c’est souvent la question qui se pose, avec celle de la formation.
La question des déserts médicaux a aussi un impact pour nous, je ne vais pas vous dire le contraire. Quand vous n’avez pas de pédopsychiatre dans l’ensemble d’un département, les diagnostics sont posés beaucoup plus tard. Or, pour les troubles du développement, on sait qu’il est indispensable de le faire dans les trois premières années – ou les six premières, c’est là une absolue nécessité. Après six ans, malheureusement, on commence à avoir des pertes de chance. Vous pourrez interroger des profs. Ils m’ont dit qu’ils savent immédiatement, pour un même trouble du spectre autistique, ayant les mêmes répercussions, si un enfant a été diagnostiqué en amont ou non, et que si c’est fait avant six ans, il s’en sortira ou, en tout cas, sera beaucoup plus autonome et moins coûteux pour la société, si l’on en vient à des questions purement financières, alors que les autres, malheureusement, auront besoin de beaucoup plus d’étayage, de soutien. Il est vraiment indispensable de réaliser un repérage précoce, d’intervenir et d’être en capacité de faire du zéro reste à charge pour les familles le plus tôt possible en massifiant nos interventions, qu’elles soient médico-sociales ou médicales.
M. Olivier Paul, directeur du financement de l’offre. La question de l’articulation entre les structures médico-sociales et d’hospitalisation à domicile est un axe assez important. Leur coopération, lancée en 2007 pour les Ehpad et en 2012 dans le champ du handicap, s’est développée d’une manière différenciée. Elle est aujourd’hui plus forte dans le champ des Ehpad, parce qu’elle y est plus naturelle : la dimension du soin est peut-être plus présente et il existe une plus grande proximité culturelle avec l’hospitalisation à domicile. Elle est donc sans doute à renforcer dans le champ du handicap.
Cette coopération présente deux avantages. Le premier est la continuité, notamment entre les équipes, qui ne sont pas dessaisies des usagers en cas d’hospitalisation, que ce soit en Ehpad ou à domicile dans le cadre d’un Ssiad. Il y a aussi une vertu économique, puisque les tarifs de la HAD sont légèrement minorés dans ce cadre, l’équipe du Ssiad continuant l’accompagnement à domicile, tandis que la HAD permet d’apporter la dimension hospitalière ou des médicaments de la réserve hospitalière – c’est parfois la raison pour laquelle on a recours à la HAD.
S’agissant des coopérations entre le monde du handicap et le monde ambulatoire, je reviens aussi sur les délais ou difficultés d’accès à certains dispositifs. Le développement des pôles de compétences et de prestations externalisées, qui s’est engagé à partir du milieu des années 2010, à la suite de la circulaire du 2 mai 2017, a permis d’intervenir sur les listes d’attente, mais aussi de favoriser, en attendant une indication cible ou une admission dans la structure cible, d’apporter un accompagnement, un étayage, à la fois aux familles et aux personnes concernées.
M. Maëlig Le Bayon. Beaucoup de dispositifs existent et ils se sont stratifiés. On doit, pour y remédier, éviter de faire de la coordination de coordinateurs de coordination : il faut plutôt arriver à reconstruire une vision territorialisée. Le SPDA peut être soit un machin vécu comme une strate supplémentaire, soit une façon d’arrêter de se marcher sur les pieds en construisant une réponse à l’échelle de chaque bassin de vie : c’est l’objectif de la CNSA dans sa mission d’animation des territoires et cela apporte une vraie plus-value là où cela fonctionne. Il s’agit que les CCAS, les CPTS, les Ssiad, la HAD, les Ehpad et l’ensemble des structures médico-sociales et de soins à domicile se demandent comment construire une communauté qui arrive à se structurer et à échanger des informations au lieu de dépendre de la coordination assurée par les aidants et les personnes concernées, qui doivent tout le temps frapper à une porte nouvelle pour être accompagnés.
En ce qui concerne la transformation de l’offre, ce que vous avez dit correspond à notre pensée profonde : l’habitat inclusif a montré son efficacité. Un avis du Conseil d’État qui vient tout juste d’être publié montre qu’on peut construire une politique du logement d’un côté et une politique du service d’accompagnement de l’autre, d’une manière décorrélée, pour respecter la vision politique du logement qui est suivie. On a su construire en France des Ehpad, parmi de nombreux autres dispositifs. Dans ce domaine, les réponses s’élaborent aussi à l’échelle des bassins de vie. Les prochaines élections municipales auront lieu en 2026 ; or les maires ont la capacité de construire des logements. La Caisse, quant à elle, doit garantir, avec les départements, le financement du fonctionnement, tout en mobilisant la Caisse des dépôts, la Banque des territoires et les bailleurs sociaux pour construire l’offre dans la proximité.
Je ne crois plus aux déplacements géographiques à l’autre bout d’un département, voire d’une région. Il faudrait peut-être construire des solutions s’inscrivant dans une plus grande proximité et faire venir l’expertise pour former les acteurs, au lieu de se tourner vers une hyperspécialisation à l’autre bout de la France. La France a longtemps fait ce choix pour ses établissements et services, dans le cadre d’autorisations reposant sur une typologie fine du handicap – la déficience intellectuelle sévère, par exemple. Si ces autorisations ont commencé d’être allégées, nous continuons, contrairement à d’autres pays européens, à avoir des établissements qui n’ont pas une vocation universelle d’accueil dans la proximité. Peut-être faudrait-il envisager de développer un socle commun qui permettrait d’accueillir toutes les personnes, en apportant l’expertise et la spécialisation un peu partout.
C’est ce genre de chose que nous faisons désormais dans le cadre des Ehpad : les centres de ressources territoriaux apportent une expertise aux services d’aide à domicile, qui n’ont pas forcément la capacité d’accompagner les maladies neurodégénératives. S’agissant des troubles du spectre autistique, par exemple, on pourrait avoir des référents ou des centres de référence qui forment dans les établissements existants, au lieu de construire la Rolls-Royce de l’accompagnement en matière de TND, qui ne concernera que quelques centaines de Français et dont le taux d’encadrement sera de six pour un. Je ne dis pas que c’est inutile mais que nous avons besoin d’avoir les deux : une couche commune et une spécialisation lorsque c’est nécessaire.
La promesse républicaine est d’être en mesure d’accompagner tous les Français d’une façon optimale. Or cette promesse se heurte à la réalité des ressources humaines de notre branche. Garantissons le socle des droits fondamentaux – c’est indispensable – et travaillons ensuite sur la manière dont on peut améliorer la situation en partant de ce socle.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. La question de la difficulté des parcours de prise en charge tout au long de la vie, en fonction des besoins, que ce soit pour les personnes vieillissantes ou en situation de handicap, se pose aussi.
M. David Magnier (RN). Je tiens à remercier notre collègue Saint-Pasteur d’avoir parlé des problèmes qui peuvent se présenter s’agissant des AESH. Il est bien marqué sur les sites des MDPH qu’on peut avoir un AESH et une place en Ulis. Or j’ai sous les yeux un courrier qui précise qu’un AESH individuel est octroyé à un enfant ayant des difficultés correspondant à un TSA (trouble du spectre de l’autisme) – une dysphasie – mais n’accorde pas de place en Ulis, alors qu’un AESH est disponible dans l’établissement – on ne lit peut-être pas les dossiers jusqu’au bout.
M. Maëlig Le Bayon. Pouvez-vous nous transmettre le dossier ? Nous le regarderons.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Merci pour vos réponses très claires. Si vous voulez nous faire parvenir des documents par la suite, notamment parce que vous penseriez avoir commis des oublis, vous pourrez nous les adresser par e-mail.
Enfin, la commission auditionne M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), accompagné de Mme Catherine Grenier, médecin-conseil national, et Mme Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de la CNAM.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Nous poursuivons nos travaux en recevant M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), Mme Catherine Grenier, médecin-conseil national de la Cnam, et Mme Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de la Cnam.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Thomas Fatôme, Mme Catherine Grenier et Mme Marguerite Cazeneuve prêtent successivement serment.)
M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie. La prise en charge du handicap et de la santé mentale est essentielle pour l’assurance maladie et les assurés patients. Ce sont deux questions prioritaires dans le cadre de nos politiques d’accès aux soins.
L’assurance maladie mobilise plusieurs leviers pour faciliter l’accès aux soins des personnes en situation de handicap et répondre aux difficultés que rencontrent une partie de ces assurés patients. Les nombreuses actions que nous conduisons s’inscrivent dans un cadre que nous avons défini, notamment, à partir de la charte Romain Jacob. Nous travaillons très étroitement avec Pascal Jacob, fondateur de l’association Handidactique, qui a conçu le baromètre Handifaction. Nous avons signé la charte Romain Jacob et l’avons déployée dans l’ensemble du réseau de l’assurance maladie et dans les structures de l’Ugecam (Union pour la gestion des établissements des caisses de l’assurance maladie), qui proposent notre offre de soins. Cela illustre nos engagements pour l’accès aux soins des personnes handicapées et leur déclinaison sur le terrain.
Beaucoup d’actions traduisent notre engagement de service public pour l’accueil – physique, téléphonique – des personnes en situation de handicap. Nous accompagnons nos personnels dans cette prise en charge et agissons aux échelons national et local sur l’accès aux soins des personnes handicapées. Nous mobilisons les conventions conclues avec les professionnels de santé pour répondre à ces défis. Sur le plan local, les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), bien souvent en lien avec les agences régionales de santé (ARS), se mobilisent pour répondre à certaines difficultés.
Le travail que nous avons effectué avec Pascal Jacob et ses équipes se traduit aussi par l’internalisation du baromètre sur l’accès aux soins des personnes handicapées – Handifaction –, auquel nous avons donné, grâce à notre mobilisation, une ampleur accrue. Ce baromètre est notre instrument de mesure de référence de l’accès aux soins des personnes handicapées, qui fait écho à des travaux que nous avions réalisés en 2019 pour qualifier l’accès et le recours aux soins des personnes en situation de handicap dans le cadre de notre rapport charges et produits pour 2020. Le baromètre montre clairement les difficultés que rencontrent un certain nombre de ces personnes : dans sa dernière édition, en juillet, un peu moins de 30 % d’entre elles déclaraient des difficultés dans l’accès aux soins, des refus de soins, un renoncement à ceux-ci ou la nécessité de consulter plusieurs professionnels de santé pour y accéder.
Par ailleurs, de manière quasi systématique, nous faisons du handicap l’un des sujets des conventions que nous négocions avec les professionnels de santé et les syndicats. C’est le cas de la convention que nous avons conclue avec les médecins comme des accords conventionnels que nous avons signés avec les dentistes et les masseurs-kinésithérapeutes. Nous y prévoyons des consultations spécifiques, des majorations, des leviers permettant d’accompagner les professionnels de santé dans la prise en charge des personnes en situation de handicap. À titre d’exemple, les consultations blanches, auprès des médecins comme des dentistes, permettent à la personne en situation de handicap de s’approprier la consultation. Cela exige du professionnel qu’il s’organise, qu’il y consacre du temps, ce qui justifie une rémunération spécifique.
Un autre volet de l’engagement de l’assurance maladie en faveur de l’accès aux soins des personnes handicapées est son offre de soins. On ne le sait pas suffisamment mais nous gérons un peu plus de 200 établissements qui emploient quelque 15 000 salariés. Cette offre de soins non lucrative est très orientée vers la prise en charge du handicap, y compris dans son virage inclusif.
En tant que service public, notre première responsabilité est d’être accessible, dans le domaine de l’accès aux soins, tant physiquement que par téléphone ou sur internet. Nous travaillons systématiquement sur l’accessibilité numérique, notamment sur Mon espace santé, sur ameli.fr. Nous nous efforçons d’améliorer nos outils numériques pour qu’ils soient le plus adaptés possible aux besoins des personnes en situation de handicap.
Nous travaillons depuis plusieurs années avec le ministère sur les PCO (plateformes de coordination et d’orientation) afin d’offrir des solutions à certaines personnes en situation de handicap – cela peut concerner aussi des personnes affectées de troubles de la santé mentale. Nous participons à la structuration de ces plateformes, qui visent à organiser et à solvabiliser, notamment en matière d’autisme et de TND (troubles du neurodéveloppement), des réponses aux patients, aux enfants comme à leur famille.
Notre engagement est également placé au service de l’innovation dans l’organisation des soins. Nous soutenons des initiatives destinées à répondre à des prises en charge spécifiques. Tel est le sens de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, qui s’est traduit par un grand nombre d’actions dans le domaine du handicap. Je voudrais insister sur les centres Handiconsult, qui assurent la prise en charge sanitaire, notamment somatique, de patients en situation de handicap grâce à des mécanismes spécifiques de rémunération, notamment des forfaits. Les professionnels de santé peuvent ainsi organiser, dans des conditions adaptées, une prise en charge gynécologique, dentaire, radiologique, etc. Les initiatives lancées entre 2020 et 2023 ont fait l’objet d’évaluations intermédiaires positives. Nous travaillons avec le ministère au déploiement plus large de dispositifs de soutien à ces centres.
Le fait qu’un Français sur cinq éprouve des difficultés en matière de santé mentale constitue un enjeu majeur de santé publique. La consommation d’antidépresseurs chez les jeunes a augmenté de plus de 60 % entre 2019 et 2023. Un tiers des journées d’arrêt de travail sont liées à des difficultés en matière de santé mentale, au sens large.
Cela représente également un enjeu financier considérable pour l’assurance maladie, qui consacre près de 28 milliards à des pathologies liées à la santé mentale, lesquelles recouvrent un spectre très large. Cela témoigne de l’investissement de l’assurance maladie et de l’ampleur de la solvabilisation des prises en charge que nous réalisons. C’est l’une de nos priorités en matière d’accès aux soins et de santé publique.
L’investissement de l’assurance maladie porte d’abord sur la prévention, au sens large, qui englobe tant la prévention primaire que la prise en charge des troubles légers. Je pense notamment aux mesures que nous avons déjà commencé à prendre pour soutenir le programme Premiers secours en santé mentale (PSSM), notamment vis-à-vis des jeunes. Nous travaillons au déploiement progressif de ce programme dans le monde de l’entreprise. La détection la plus rapide possible des premiers signes de dégradation en matière de santé mentale est un enjeu essentiel.
Nous sommes également partie prenante des actions du ministère de la santé visant à influer sur les facteurs susceptibles de provoquer une dégradation de la santé mentale. Nous avons ainsi relayé les recommandations des ministres sur la prévention de l’exposition des enfants aux écrans, en particulier pour les moins de 3 ans.
Par ailleurs, à la frontière entre la prévention et la prise en charge, le dispositif Mon soutien psy monte en puissance. Il y a quelques années, l’assurance maladie ne prenait pas en charge les séances chez le psychologue. Nous avons lancé, en 2018, une expérimentation dans quatre départements dont les résultats ont été intéressants. Avec le soutien du ministère et du Parlement, nous avons généralisé le dispositif. Malgré un certain nombre de critiques, y compris de professionnels, ce dernier monte en charge très rapidement : plus de 6 500 psychologues cliniciens, sur 20 000 environ, ont été conventionnés. L’ensemble des départements sont à présent couverts ; plus de 900 000 assurés ont d’ores et déjà bénéficié de séances auprès d’un psychologue. Les tarifs ont augmenté l’année dernière. Parallèlement, le parcours de soins a été assoupli : l’accès au dispositif est désormais possible sans intermédiaire. Toutefois, l’interface avec le médecin traitant reste, à nos yeux, essentielle.
C’est un dispositif plébiscité par les médecins traitants, qui se trouvent souvent démunis face aux difficultés de santé mentale et qui n’ont généralement d’autre alternative – je caricature un peu – que la prescription de médicaments ou d’un arrêt de travail. Le fait que leurs patients puissent bénéficier de soins auprès d’un psychologue, pris en charge par l’assurance maladie, constitue pour nous un progrès majeur. Nous allons continuer à faire connaître ce dispositif et à accompagner sa prise en charge par les psychologues. Nous sommes en train de gagner notre pari.
Au-delà de la prévention, l’assurance maladie s’investit dans l’organisation du système de soins, même si elle est moins directement en responsabilité dans le domaine hospitalier. Nous soutenons toutes les mesures permettant d’améliorer la coopération entre médecins et infirmiers : on peut citer les IPA (infirmiers en pratique avancée) et les Idel (infirmiers diplômés d’État libéraux), qui se forment et agissent en ce domaine. Le projet d’expérimentation Sésame (soins d’équipe en santé mentale), mené dans le cadre de l’article 51 précité, est très prometteur : il institue un binôme médecin-infirmier qui permet une prise en charge de proximité.
Nous sommes convaincus de l’intérêt de la structuration de proximité des équipes de soins spécialisés (ESS), par exemple de psychiatres, qui peuvent notamment réaliser des téléconsultations de manière efficace et coordonnée avec les médecins traitants dans les territoires. Ces dispositifs, qui sont pérennisés dans la convention, vont se développer.
Il existe parallèlement une prise en charge par des organisations plus hospitalières qui sont en tension sur ces questions.
Nos actions, qui doivent se poursuivre et s’amplifier au cours des prochaines années, ne doivent pas masquer les difficultés réelles d’accès aux soins des personnes en situation de handicap et le défi majeur que constitue la santé mentale, à l’aune de la dégradation des indicateurs que nous observons notamment depuis le covid.
Mme Catherine Grenier, médecin-conseil national de la Cnam. Sur ces deux questions complexes, les enjeux sont de trois ordres. Le premier est la prévention. Le deuxième réside dans la détection et la prise en charge précoces. Certains troubles de la santé mentale sont mineurs et ne s’aggraveront pas s’ils sont pris en charge de manière rapide et adaptée. Le troisième enjeu est celui de la coordination. Le système de santé est un peu trop cloisonné entre le somatique et le psychique. Le trouble psychique n’empêche pas le trouble somatique, et inversement. Il y a une véritable intrication entre les trois grands enjeux de santé publique en France : le cancer, la santé mentale et les maladies cardiovasculaires. Ces pathologies sont souvent liées les unes aux autres car elles ont en commun des facteurs de risque, évitables ou non.
Concernant la prise en charge des troubles psychiques mineurs, le médicament est encore trop prescrit en première intention, ce qui a des effets délétères sur la santé de la population, qu’il s’agisse de l’addiction ou des conséquences sur le comportement, tant en matière de santé que sur le plan social. Le premier traitement face à un trouble psychique mineur doit être la psychothérapie. La prise en charge de ces pathologies par les psychologues est bienvenue et répond aux besoins de la population comme des médecins traitants, qui éprouvent des difficultés face à ces sujets.
Mme Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de la Cnam. L’assurance maladie a également pour rôle de donner l’alerte à partir des chiffres dont elle dispose. L’année dernière, on a observé une très forte augmentation de la prise d’antidépresseurs par les adolescents et les jeunes. L’assurance maladie ne disposant pas de l’expertise suffisante pour l’interpréter, nous avons demandé qu’une commission pluridisciplinaire nous aide à le faire, à partir des chiffres que nous avons publiés. Ils semblent indiquer que cette population va de plus en plus mal mais révèlent aussi, peut-être, une amplification de la prise en charge et du repérage de ces troubles. Nous constatons également des atypies de consommation, autrement dit un non-respect des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) en matière de prise en charge médicamenteuse.
Le médecin généraliste est la porte d’entrée pour la plupart des patients atteints de troubles psychiques. L’une de nos missions est d’équiper au maximum ce médecin traitant, qui se sent souvent démuni face à un burn-out ou à des risques psychiques plus ou moins graves. Nous avons essayé de développer et de mettre à sa disposition un panel d’outils, sur le fondement des recommandations de la HAS. Nous avons étendu Mon soutien psy mais aussi accompagné les médecins traitants pour les aider à y recourir. Nous leur avons également apporté un accompagnement en matière de prescription des arrêts de travail en leur indiquant, par exemple, que, lorsqu’on arrête une personne affectée d’un trouble psychique, il faut absolument la revoir au bout de quinze jours.
Les troubles du neurodéveloppement chez l’enfant ont fait l’objet d’une attention particulière dans le cadre du quatrième plan Autisme, présenté en 2018. Jusqu’à cette date, les parents pouvaient attendre un an ou deux avant qu’un centre de ressources autisme ne formule un diagnostic. Ce plan a permis aux professionnels de ville d’intervenir dans la prise en charge par le biais des PCO, étant précisé que chaque département dispose de l’une de ces plateformes. Lorsqu’un médecin traitant, un professionnel de ville ou des parents reçoivent des signaux d’alerte, l’enfant peut être orienté vers une plateforme, ce qui enclenchera, si besoin est, un accompagnement, y compris par des professionnels de ville, sans que l’enfant ait à attendre. En ce qui concerne le neurodéveloppement, les premières années sont cruciales : c’est à ce moment-là qu’il faut, le cas échéant, mener une rééducation.
L’assurance maladie a accompagné le déploiement et la rémunération de professionnels qui, jusque-là, n’étaient pas conventionnés : c’est en particulier le cas des psychomotriciens. Nous remboursons désormais ces professionnels dans le cadre de parcours spécifiques pour les enfants présentant des troubles du neurodéveloppement, soit un enfant sur dix. Il conviendra sans doute de développer ce modèle dans les années à venir pour certaines prises en charge spécifiques.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Nous accusons un peu de retard en matière de repérage précoce, pour certaines pathologies – ce n’est pas le cas pour l’autisme. Nous sommes encore confrontés à des difficultés d’accès aux soins : certaines études montrent que deux tiers des patients renoncent à des soins, que ce soit en raison du coût financier, malgré des remboursements en principe adaptés – il faut toutefois rappeler que 2 à 3 millions de personnes n’ont pas de complémentaire santé –, ou compte tenu de la difficulté à trouver un professionnel de santé, 9 millions de personnes n’ayant pas de médecin traitant.
Dans le domaine de la santé mentale, si nous avons accompli des progrès notables sur la prévention, nous pouvons aller plus loin. Une étude nous apprend que 50 % des enfants de 6 à 11 ans affectés de troubles psychologiques ne reçoivent pas de soins, pour diverses raisons. Cela montre la difficulté qu’éprouvent les professionnels de santé et les personnes œuvrant au sein de l’éducation nationale au côté des enseignants, pour repérer ces troubles et éviter que les enfants n’entrent dans un circuit d’hypermédicalisation, où la prescription médicamenteuse est inadaptée puis renouvelée. Ces traitements ont des conséquences plus graves que celles induites par le trouble initial. Dans quelle mesure l’assurance maladie peut-elle inciter à faire bénéficier les enfants très tôt de parcours gradués ? Dans le domaine de la santé mentale, l’idée n’est pas de psychiatriser tout le monde. Pour ce qui est du handicap, il faut, dès que possible, être au plus près de ce dernier pour offrir l’accompagnement adapté.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Si nous étions déjà convaincus avant cette audition de la mobilisation de la Cnam sur ces enjeux, vous venez de nous en donner une démonstration. Cela ne signifie pas pour autant que tout soit parfait ; le chemin à parcourir est encore long.
Vous avez bien compris que la défaillance de la prise en charge avait un coût pour la société. Il s’agit donc de nous situer dans une logique de coûts évités, qui justifie la prévention et en démontre les bienfaits.
J’en viens à ma première question. Les dépenses de l’assurance maladie consacrées à la santé mentale ou, plus précisément, aux troubles psychiques, estimées à 28 milliards d’euros, en sont le premier poste de dépenses. Disposez-vous d’une évaluation économique des coûts évités dans les domaines des troubles anxieux et de la prise en charge précoce du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), dont vous avez, docteur Grenier, souligné la nécessité ? Le fait que les PCO ne soient plus accessibles aux familles ayant formulé une demande auprès d’une maison départementale des personnes handicapées (MDPH) est un bon exemple de situations où la volonté d’étendre un dispositif peut se trouver limitée par des restrictions budgétaires. Il s’agit certes là de réglages fins et d’arbitrages qui n’ont évidemment rien de facile, mais la volonté d’améliorer l’offre et l’accessibilité peut se heurter à un manque de professionnels de santé ou de capacité à répondre à l’ampleur du besoin.
Ma deuxième question porte sur le lien entre la prise en charge et la possibilité d’éviter des hospitalisations. Nous avons récemment été alertés d’une augmentation du nombre d’hospitalisations en urgence. Or l’hospitalisation coûte très cher et le fait de pouvoir l’éviter, par l’ambulatoire ou par une intervention précoce, est vertueux tant pour la personne concernée que pour les finances publiques. S’agit-il là d’un élément majeur dans vos réflexions ou simplement connexe ? La philosophie à cultiver consiste en effet à investir pour économiser.
Dans le même registre, vous connaissez aussi les défaillances – qui ne sont pas nouvelles – en matière de disponibilité de certains médicaments permettant de stabiliser la situation des patients, comme le méthylphénidate pour traiter les TDAH ou le Repatha pour les traitements cardiaques. Compte tenu de l’angoisse des patients et des conséquences de la fin de la prise en charge de ces médicaments, comment pourrait-on déplacer les curseurs pour faciliter les choses ? Le phénomène est certes multifactoriel et le coût n’est pas seul en cause, mais il faudrait tenter de résoudre ces problèmes, qui ont un impact important tant sur le plan médiatique que pour les familles concernées.
Madame Cazeneuve, ce que vous avez dit à propos de la prise en charge de la psychomotricité est très intéressant. Comme l’ergothérapie, cette approche reste marginale, alors que les plus-values en sont énormes. Pensez-vous qu’il existe d’autres modèles d’accompagnement et de prise en charge, notamment pour les enfants en situation de handicap, comme pour les compléments d’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) ? Vous avez esquissé une piste à propos de la psychomotricité, dans cette même logique de coûts évités. À défaut d’en avoir la démonstration, j’ai la conviction qu’un accompagnement précoce renforcé, coordonné et efficace permet d’éviter des prises en charge beaucoup plus coûteuses, tant humainement, pour les familles, que pour les finances publiques. Nous ne pourrons pas faire l’économie de telles approches dans des périodes budgétaires où l’on vous demandera – si tant est qu’on ne vous le demande pas déjà – d’arbitrer financièrement à très court terme, alors que, face à de tels enjeux, c’est sur le moyen terme que se construisent les bonnes réponses.
M. Thomas Fatôme. Je commencerai par une réflexion générale et quelque peu technique : nos systèmes d’information ne contiennent pas d’éléments relatifs au handicap de la personne. Nous y travaillons très étroitement avec la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et les MDPH, afin de pouvoir intégrer dans le système national des données de santé la situation de la personne en matière de handicap, notamment le bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Ce travail chemine et nous allons y parvenir. Toutefois, aujourd’hui, une personne qui a droit à l’assurance maladie peut par exemple être prise en charge pour une affection de longue durée (ALD) ou percevoir la complémentaire santé solidaire (C2S), mais on ne connaît pas sa situation en matière de handicap. Je le signale, car nous avons engagé un certain nombre de politiques reposant sur le fait que certaines personnes en situation de handicap vont malheureusement souffrir également d’une affection longue durée et « bénéficier » de politiques transversales que nous menons pour favoriser l’accès aux droits.
Pour être encore plus précis : l’action que nous menons depuis deux ans pour trouver un médecin traitant pour des personnes en situation d’ALD a eu pour effet que, alors que 5,5 % de ces personnes n’avaient pas de médecin traitant en 2022 et que ce taux augmentait précédemment d’un point chaque année, elles sont aujourd’hui à peine plus de 4 %. Même si nous ne savons pas l’objectiver, il est clair qu’une partie de cette population sera en situation de handicap. C’est évident et, pour ainsi dire, mécanique. Ce que nous faisons avec détermination de manière transversale, sous l’angle des pathologies comme sous celui des droits, pour lutter contre le non-recours à la C2S, avec l’aide du Parlement et du gouvernement qui appliquent des mesures simplifiant l’accès à cette dernière pour certains bénéficiaires des minima sociaux, sera aussi au bénéfice des personnes en situation de handicap.
Pour ce qui concerne la prévention, nous la plaçons très haut, comme vous l’avez vu dans le rapport charges et produits de cette année. Il est clair que, de manière transversale, le retour sur investissement que permet la prévention est massif, qu’il s’agisse de la santé mentale, du cardiovasculaire ou du diabète. Cela a été bien documenté par des sachants, sous le contrôle du docteur Grenier. Selon The Lancet, 1 euro investi dans la prévention de maladies en santé mentale permet d’en récolter 4. Même avec un ratio différent, les effets seront proches pour le diabète ou les maladies cardiovasculaires : tout investissement réalisé pour retarder une pathologie, voire pour en éviter l’apparition, produit un retour sur investissement très significatif. D’où les virages que nous nous efforçons d’opérer dans de nombreux domaines, dont la santé mentale, afin d’assurer une prévention plus active. Les programmes de premier secours, par exemple, sont moins anecdotiques qu’il n’y paraît car, chez les étudiants et les jeunes, la détection est tardive : si nous parvenons à déployer ces programmes pour former des gens dans les missions locales, les Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) et les universités et leur permettre de repérer ces difficultés, le retour sur investissement sera important sur le plan de la santé publique et, compte tenu des montants engagés, sur le plan financier, même si la question se pose d’abord au niveau de la santé publique.
Il en va de même – Mme Cazeneuve pourra en parler plus en détail – pour la détection à l’école des troubles du langage. Tout le programme que nous appliquons depuis maintenant trois ans, avec l’intervention d’orthophonistes à l’intérieur de l’école, la formation des enseignants, l’accompagnement des familles, la détection et l’instauration d’un fast track – pardon de l’anglicisme – pour que la détection débouche sur une prise en charge, se traduit évidemment par un gain de qualité de vie et d’espérance de vie en bonne santé. Même si cela nous éloigne un peu de la question, il en va de même pour l’obésité avec des programmes tels que Retrouve ton cap, programme de prévention et d’accompagnement que nous déployons depuis plusieurs années.
Pour ce qui concerne l’hospitalisation, même si cette question est un peu transversale, les modèles de logique que nous poussons consistent à l’éviter, lorsque c’est possible, au moyen d’une prise en charge renforcée en ville avec le médecin traitant et l’Idel, de la mobilisation de psychologues assurant l’interface avec les psychiatres dans le cadre d’équipes de soins spécialisés, ainsi que de la structuration de l’accès aux soins, en lien avec le ministère, avec des services d’accès aux soins (SAS) psychiatrie et des filières dédiées, qui permettent d’éviter que l’absence ou la non-organisation de la prise en charge en ville ne se solde par des hospitalisations non maîtrisées. Cette structuration n’est facile ni dans le domaine de la santé mentale ni dans celui du somatique, mais c’est dans ce sens que nous voulons construire une réponse graduée en matière de prise en charge.
Quant aux pénuries, il s’agit en effet d’un sujet très vaste, sur lequel les pouvoirs publics sont très mobilisés. Nous sommes ainsi partie prenante des plans d’action ministériels et interministériels que Ségur et Bercy ont construits. Les indicateurs montrent cependant que, globalement, la dégradation a été stoppée. Ces dernières semaines, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a redit que l’automne et l’hiver s’annonçaient globalement mieux que les années précédentes.
Des problèmes très spécifiques demeurent et, sans entrer dans le détail des différents produits concernés, je me permets toutefois de vous alerter avec beaucoup de force, même si cela n’a pas de relation directe avec le handicap ou la santé mentale, à propos de pathologies pour lesquelles la pénurie n’a rien à voir avec la disponibilité du produit ou des difficultés d’approvisionnement mais – pardon de le dire directement – avec des stratégies de laboratoires qui, dans les négociations qu’ils ont menées sur les prix, ont atteint leurs populations cibles et ne veulent plus livrer les médicaments aux professionnels, laissant supposer qu’il existe des problèmes d’accès. Je suis à votre disposition pour vous fournir des illustrations très précises à propos de pathologies que vous avez évoquées. Cela ne signifie pas que d’autres phénomènes ne se produisent pas également, car la question est complexe et il faut la traiter sujet par sujet et produit par produit. Je pense toutefois, en constatant les inquiétudes qui s’expriment à propos de certaines prises en charge qui ne touchent pas principalement la santé mentale et le handicap, que la difficulté tient directement à des négociations de prix et non pas à la capacité d’approvisionnement du marché. Pardon de m’être un peu éloigné de la question et de répondre un peu vigoureusement mais cette question me préoccupe fortement.
Mme Marguerite Cazeneuve. J’ajoute, pour amplifier et conforter les propos du directeur général, que notre institution est absolument convaincue qu’investir dans la prévention produit un impact médico-économique positif : c’est de l’argent bien utilisé et nos rapports, année après année, visent le plus possible à le démontrer et à faire en sorte que les pouvoirs publics nous accompagnent dans cette démarche. Nous sommes donc très mobilisés à cet égard et nous efforçons à notre tour de sensibiliser à la prévention.
Pour répondre précisément à votre question, nous n’avons pas calculé les ROI ou retours sur investissement au-delà du champ de la santé. Il serait intéressant de les connaître et de savoir ce qu’on perd, plus globalement, sous forme de coûts pour la société. Cela a été calculé pour les enfants suivis par l’ASE (aide sociale à l’enfance). Nous avons travaillé l’année dernière avec tous les enfants qui ont connu des childhood adverse experiences, des situations de vie adverses dans leur enfance. Des études précises ont été réalisées sur l’impact ultérieur de ces expériences sur l’ensemble du champ de la santé, car ces enfants développent non seulement des troubles psychiques et psychiatriques mais également de nombreuses autres maladies somatiques. Il s’agissait donc d’aller au-delà, en mesurant par exemple l’impact sur leur capacité à travailler. Si nous en restons aujourd’hui aux ROI dans le champ sanitaire, il serait très intéressant – peut-être la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) pourrait-elle nous y aider – de voir comment élargir nos démonstrations de preuves en matière d’impact de la prévention.
Pour ce qui concerne l’attractivité des professions de santé, les professionnels de ce secteur sont, comme vous l’avez dit, de moins en moins nombreux. Toutefois, puisque cela s’inscrit dans le périmètre de notre action, nous avons, dans le cadre de la dernière convention médicale, très fortement revalorisé les psychiatres libéraux et toutes les actions de pédopsychiatrie. En effet, les psychiatres sont quasiment derniers dans le classement des rémunérations des personnels de santé libéraux. Nous avons donc essayé, puisque c’était dans nos moyens, de rehausser les rémunérations pour que cette spécialité médicale devienne plus attractive.
Quant aux psychomotriciens, aux ergothérapeutes et aux psychologues, le problème que nous rencontrons est que les membres de ces professions, en tout cas les psychologues, ne sont pas reconnus comme professionnels de santé – et, pour certains, ne veulent pas l’être. À défaut de professions de santé que nous pourrions conventionner au niveau national, nous avons demandé notamment à des centres ressources spécialisés d’identifier, pour la prise en charge des troubles du neurodéveloppement, des psychologues en ligne avec les recommandations de la HAS – car tous ne le sont pas. Le conventionnement est donc en quelque sorte délocalisé, car nous ne savons pas encore le faire au niveau national, en raison notamment du problème de la reconnaissance comme professionnels de santé et de la nécessité d’un accord des représentants syndicaux au niveau national.
L’existence d’un conventionnement plus local est cependant aussi une bonne chose, car elle permet d’identifier, par bassin de population, les professionnels qui ont l’habitude de travailler ensemble et qui sont plus spécialisés dans la prise en charge de certains troubles. Ce conventionnement plus proche du terrain, que nous avons adopté pour les psychologues dans le cadre des PCO, pour les psychomotriciens et les ergothérapeutes, a donc également son intérêt. Peut-être, dans le futur des prises en charge en santé mentale, le fait de disposer d’un conventionnement plus proche du terrain et inscrit dans le cadre de parcours – comme l’a voté l’Assemblée nationale avec les PCR (parcours coordonnés renforcés) – permettra-t-il de faire rembourser par l’assurance maladie certaines prises en charge assurées par des professionnels qui ne sont pas nécessairement conventionnés au niveau national. Cela peut également s’appliquer par exemple, même si cela n’a pas de rapport avec la santé mentale, à des professeurs d’activité physique adaptée (APA) ou à des éducateurs spécialisés. Nous poussons en ce sens et avons, en tout cas, ouvert cette voie avec les PCO. L’objectif est de pouvoir développer des initiatives locales et des parcours spécifiques accompagnés par l’assurance maladie, même s’ils n’entrent pas dans tous les clous au niveau national, ce qui a longtemps empêché leur prise en charge.
Mme Catherine Grenier. Pour préciser le contexte général, je rappelle que, en matière de santé mentale, les tendances épidémiologiques ne sont pas bonnes et que l’impact des actions de prévention doit être considéré en fonction de l’évolution de l’état de santé de la population. En effet, au seul niveau des masses financières, l’objectif peut être de ne pas aggraver la situation mais, compte tenu de la tendance du nombre de personnes concernées, il serait illusoire d’aller jusqu’à penser que l’on peut réduire la dépense : il faut déjà la maîtriser et s’efforcer d’utiliser du mieux possible les sommes consacrées à ce sujet. Il faut néanmoins garder bien présent à l’esprit que la tendance ne va pas dans le bon sens et qu’il faut lutter contre.
M. David Magnier (RN). Je vous remercie pour les chiffres et les éclaircissements que vous nous avez fournis, en particulier sur les 28 milliards d’euros de dépenses consacrées à la santé mentale et au handicap.
Mme la présidente a évoqué le problème des personnes qui ont du mal à accéder aux soins, qui n’y recourent pas par manque de pouvoir d’achat ou qui ne possèdent pas d’assurance complémentaire. Les Français souffrent en effet d’un manque de pouvoir d’achat. Comment la Cnam justifie-t-elle l’augmentation continue du coût de l’AME (aide médicale de l’État) et l’explosion du nombre de ses bénéficiaires ?
M. Thomas Fatôme. Nous gérons cette prestation pour le compte de l’État et ouvrons les droits aux demandeurs de l’AME selon les textes réglementaires. Comme le montre le rapport Evin-Stefanini, cette prestation est gérée de manière rigoureuse par les caisses de l’assurance maladie. Elle répond par ailleurs à des enjeux de prise en charge et de santé publique que j’ai évoqués à différentes reprises. L’augmentation des dépenses est principalement liée à celle du nombre de bénéficiaires, facteur sur lequel l’assurance maladie n’a pas de prise, puisqu’il est lié à des demandes de la part d’étrangers en situation irrégulière. Les dépenses par tête, comme pour les assurés, augmentent mécaniquement avec l’inflation, ce qui est logique. Nous considérons toujours que cette prestation est nécessaire et sa gestion par les caisses d’assurance maladie est rigoureuse.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Peut-être, comme vous le suggériez, la Drees pourrait-elle nous aider à voir quels sont les coûts évités pour la vie sociale et professionnelle, notamment des aidants mais aussi des personnes en situation de handicap ou de maladies psychiatriques importantes. Il serait intéressant de pouvoir faire le parallèle et d’améliorer cette prise en charge.
Une autre interrogation porte sur la formation des professionnels dans le système. En effet, les prescriptions médicamenteuses pour les troubles psychologiques font apparaître un écart qui pose question. Il y a donc un problème de formation et, peut-être, d’accessibilité des outils pour recevoir des conseils adaptés. Qu’est-ce qu’on peut mieux faire dans ce domaine ? Les conventionnements localisés que vous évoquiez pour des professionnels non labellisés mais qualifiés sont une piste pour améliorer la prise en charge tout au long d’un parcours gradué.
Mme Marguerite Cazeneuve. Pour ce qui est de la pertinence de la prescription, notamment médicamenteuse, il est précisément du rôle de l’assurance maladie d’accompagner les prescripteurs. Nous menons chaque année des campagnes, nous allons voir les médecins et nous essayons de les accompagner pour assurer la conformité de leurs prescriptions aux recommandations de la Haute Autorité de santé – c’est notamment ce que fait notre service médical et Catherine Grenier pourra compléter ce propos.
Il n’en reste pas moins qu’un médecin traitant débordé, qui enchaîne les consultations toute la journée, ne peut pas se renseigner en permanence sur les dernières recommandations de la Haute Autorité de santé, particulièrement dans le domaine de la santé mentale, où il faut être vigilant en raison de l’apparition de nouvelles molécules. C’est la raison pour laquelle l’assurance maladie croit beaucoup aux logiciels d’aide à la prescription de plus en plus sophistiqués qui permettent d’absorber toutes les connaissances de la Haute Autorité de santé et les recommandations scientifiques et qui, au moment de prescrire une molécule, aident le prescripteur à vérifier les antécédents du patient ou l’informent que telle molécule n’est plus prescrite dans certains cas.
Il existe un système de labellisation des logiciels d’aide à la prescription et nous, assurance maladie, poussons en ce sens. De fait, de nouveaux logiciels, de nouveaux outils faisant notamment intervenir l’IA sont aujourd’hui disponibles pour les médecins et nous permettent de mieux les équiper, en tenant compte de recommandations scientifiques importantes mais pas toujours faciles à digérer. Nous avons donc notre réseau physique de personnes qui visitent les prescripteurs et allons disposer de ces outils numériques qui les aideront également.
Par ailleurs, l’assurance maladie est en train de mettre en place un système de restitution des données qui permettra à chaque médecin de suivre, patient par patient, sa manière de prescrire, car il est souvent difficile pour un médecin de se situer par rapport aux autres. Il pourra ainsi, à terme, situer sa prescription d’anxiolytiques ou d’autres médicaments de santé mentale au-dessus ou au-dessous de la moyenne et en évaluer la pertinence pour sa patientèle. Notre rôle d’assurance maladie est donc d’utiliser nos données pour les restituer au prescripteur et lui faire prendre conscience de sa pratique en lui donnant des outils, des clés qui l’aident dans celle-ci. Nous pouvons ainsi lui fournir un accès plus facile aux recommandations de la Haute Autorité de santé et une visibilité de sa propre prescription par rapport à ces recommandations ou à la pratique de ses pairs.
Mme Catherine Grenier. L’assurance maladie accompagne de façon assez importante les soins primaires en santé mentale. Les évolutions en cours devraient nous permettre d’analyser la stratégie thérapeutique dans son ensemble : le volet médicamenteux, avec la liste des médicaments recommandés ou déconseillés en première intention ; la psychothérapie, grâce à Mon soutien psy ; l’impact des arrêts de travail, qui peuvent améliorer la situation ou, au contraire, la dégrader. Il faut une approche globale.
Je rappelle que, pour les troubles anxieux ou dépressifs, c’est bien la psychothérapie qui doit être prescrite en première intention et non les médicaments. Si les pratiques se sont beaucoup éloignées de ces recommandations, notamment faute d’un accès aux psychothérapeutes, le maillage territorial s’est amélioré. Les psychologues sont disponibles et les généralistes très désireux de leur adresser des patients. Nous insistons particulièrement sur l’importance des échanges entre ces deux acteurs : l’intégration du psychologue dans la prise en charge sanitaire est essentielle pour éviter le recours aux médicaments, aujourd’hui quasi systématique.
M. Thomas Fatôme. J’abonde dans ce sens. Pour dialoguer tous les jours avec des médecins, nous voyons bien que la diffusion et l’appropriation des nouveaux dispositifs déployés par l’assurance maladie sont plus ou moins rapides. En l’espèce, les médecins traitants se sont très rapidement saisis de Mon soutien psy pour mobiliser les psychologues : douze mois après son lancement, 30 000 à 40 000 médecins avaient déjà prescrit des séances, alors que la montée en charge d’un nouveau dispositif prend généralement entre deux et cinq ans – le temps de le découvrir, de s’organiser. C’est inédit et cela confirme à la fois l’existence d’un besoin pour les médecins et les patients et la pertinence de ce levier supplémentaire dans la prise en charge. L’accès au dispositif a d’ailleurs été assoupli depuis.
On continue d’entendre une petite musique autour de Mon soutien psy. Certains psychologues ne veulent pas intégrer le dispositif : c’est leur droit – les honoraires de la profession sont libres. Mais n’en déduisons pas qu’il ne fonctionne pas. En trois ans, pas moins de 6 500 professionnels l’ont rejoint et ont pris en charge des centaines de milliers de patients. Il fonctionne. Évidemment, Mon soutien psy ne résoudra pas à lui seul l’ensemble des problèmes de santé mentale du pays mais nous sommes convaincus que c’est un levier très puissant sur lequel nous devrons continuer de nous appuyer dans les mois et années qui viennent.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Madame Cazeneuve, peut-être vous ai-je mal comprise, mais il me semble que vous n’avez pas tout à fait répondu à ma question concernant la prise en charge de l’ergothérapie et de la psychomotricité. Je pense au dernier kilomètre des politiques publiques et à la façon dont les familles cherchent des solutions d’accompagnement adaptées aux besoins de leur enfant. Prenons l’exemple de l’ergothérapie : 70 % des ergothérapeutes n’exercent pas en libéral. Pourtant, cette discipline apporte une véritable plus-value en matière d’autonomisation des enfants, réduisant potentiellement d’autant les besoins en AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) dans le milieu scolaire. La notion de coût évité est complexe mais fondamentale, comme le retour sur investissement.
Décentralisateur dans l’âme, je trouve plutôt séduisante la démarche de conventionnement territorialisé avec des psychologues. Ne pourrait-on imaginer une approche similaire pour la psychomotricité et l’ergothérapie ? J’ai bien conscience des limites budgétaires mais je ne comprends pas que ces spécialités, qui semblent apporter une importante plus-value pour un investissement loin d’être colossal, ne soient pas prises en charge dans certaines situations. Pour bien des familles, le frein financier est réel et l’absence de prise en charge génère une inégalité d’accès aux soins qui me semble préjudiciable.
Toujours dans cette logique de coût évité, je reviens sur les pénuries de médicaments. Je ne suis pas un fin connaisseur du dialogue avec les industries pharmaceutiques, mais vos propos sur le prix des médicaments m’ont interpellé, monsieur Fatôme – on sent que c’est une question qui pèse un peu sur votre conscience, ce que je peux comprendre. Il ne s’agit pas de se mettre en situation de faiblesse dans la négociation, mais je pense aux patients condamnés au nomadisme pharmaceutique pour trouver une solution – quand c’est encore possible. C’est une dimension que l’on ne peut pas éluder.
Je me mets aussi à votre place, vous qui êtes responsable du bon usage des deniers publics. En l’absence de médicaments, une pathologie cardiaque peut conduire à un AVC et à une hémiplégie, qui sera éminemment plus coûteuse pour la société que l’affection initiale. Comment expliquer aux patients qu’ils pourraient ne pas avoir accès à un médicament dont l’efficacité est scientifiquement prouvée, uniquement pour une question de prix ? La dimension politique du problème excède vos seules fonctions – je ne vous mets évidemment pas en cause personnellement, la responsabilité étant collective.
Mme Marguerite Cazeneuve. C’est le législateur qui décide ce qui est remboursé par l’assurance maladie : c’est parce qu’il l’a décidé que nous avons pu prendre en charge les séances de psychothérapie. Il existe aujourd’hui différents dispositifs – Mon soutien psy, les PCO et les PCR, qui permettent de faire entrer dans la danse du parcours de soins des professionnels dont l’intervention n’était pas remboursée par l’assurance maladie jusqu’à présent. C’est une évolution à laquelle nous sommes très favorables. Lorsque Mon soutien psy a été adopté par l’Assemblée nationale, les agents de l’assurance maladie ont ouvert les Pages jaunes et sont allés frapper à la porte de tout un tas de professionnels que nous ne connaissions pas, qui ne figuraient dans aucun de nos annuaires, pour les intégrer au parcours de soins.
Nous l’avons montré, nous sommes très mobilisés et prêts, d’un point de vue opérationnel, à le faire pour de nouveaux professionnels dès que le législateur ouvrira de nouvelles prises en charge – encore une fois, lui seul peut en décider. Prenons l’exemple des enfants polyhandicapés, dont la prise en charge est encore insuffisante à certains égards. Faute de place, tous ne peuvent pas être accueillis en établissement, ce qui implique d’organiser un relais en ville. Pour assurer cette prise en charge, nous sommes prêts à passer des conventions avec de nouveaux professionnels. Nous avons déjà développé un système de facturation directe avec des acteurs que nous ne connaissions pas jusqu’à présent.
En trois ans, nous avons développé notre capacité à intégrer de nouveaux professionnels avec efficacité et professionnalisme. Nous n’avons absolument pas le pied sur le frein des dépenses : à aucun moment nous ne refuserons de prendre en charge un enfant dans le cadre d’une PCO pour des raisons d’enveloppe. Dès lors qu’une prise en charge est ouverte, nous faisons tout ce qu’il faut d’un point de vue opérationnel.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. J’ai bien conscience que c’est aussi le législateur qui, d’une certaine manière, demande des comptes. Travailler sur les coûts évités vise également à stimuler la dynamique de prise en charge dans un contexte de forte contrainte budgétaire. Alors que le remboursement de l’ergothérapie me semble une évidence, nous échouons chaque année à créer une nouvelle ligne budgétaire faute de raisonner dans une perspective pluriannuelle. Cette commission d’enquête est un peu un appel à l’aide, en démontrant la nécessité de nous inscrire dans une logique qui dépasse l’annualité budgétaire.
M. Thomas Fatôme. L’assurance maladie étant garante de l’accès des assurés aux soins, les pénuries de médicaments constituent un vrai problème. Pour lutter contre ce phénomène multifactoriel, il existe une stratégie interministérielle, régulièrement mise à jour, qui repose sur plusieurs leviers : gestion des stocks, amélioration de l’information sur leur répartition entre laboratoires, grossistes et pharmaciens, réactivité des acteurs, diversification des sources d’approvisionnement, relocalisation industrielle en France ou en Europe. Cette question mobilise les pouvoirs publics et l’assurance maladie depuis plusieurs années. Ils interviennent dans la gestion de crise mais aussi à froid, en intégrant la sécurisation de l’approvisionnement dans la négociation des prix.
N’oublions pas que l’assurance maladie rembourse une trentaine de milliards d’euros de produits de santé chaque année : cela en fait, d’une certaine manière, un acheteur très significatif, même si on la considère moins sous cet angle que sous celui du financeur. Or, dans n’importe quel système d’achat au monde, si un fournisseur n’est pas capable d’honorer la commande, il y a des conséquences. Il existe bien des sanctions en cas de pénurie de médicaments – c’est l’ANSM qui en est chargée –, mais le cadre législatif gagnerait à être renforcé.
Il faut bien identifier la responsabilité de chacun. Nous travaillons avec les industriels dans le cadre du Comité économique des produits de santé, qui négocie les prix. Alors que nous avons évidemment besoin de médicaments innovants, il arrive que l’absence de traitement relève d’un choix des laboratoires de ne pas approvisionner la France. Les difficultés relèvent alors de leur propre responsabilité.
Notre système offre malgré tout un accès aux traitements innovants dans de très bonnes conditions, comme nous l’avons encore montré cette année. C’est très important pour nous.
Mme Marguerite Cazeneuve. Il faut distinguer deux situations. Si la pénurie concerne une molécule tombée dans le domaine public, comme c’est arrivé avec l’amoxicilline ou la sertraline, nous sommes très organisés et mobilisés collectivement. Les choses sont différentes pour des médicaments comme les inhibiteurs de PCSK9 – j’imagine que c’est à cela que vous pensiez en évoquant les maladies cardiaques.
Le législateur doit être bien conscient que, si un laboratoire refuse de livrer certains médicaments parce qu’il n’est pas satisfait du prix d’achat, alors qu’il a des stocks et que l’assurance maladie a payé, c’est du chantage à la négociation. Faut-il alors céder et accepter de signer un chèque supplémentaire pour garantir l’approvisionnement et l’accès des patients aux médicaments ou considérer que ce sont les laboratoires qui ne respectent pas leur part du contrat et avoir davantage recours à la coercition ?
Ce n’est pas que l’assurance maladie refuse de financer les soins ; les industriels aussi ont leur part de responsabilité, lorsqu’ils ont des doses et qu’ils refusent d’honorer leur part du marché pour que les patients français puissent être soignés. C’est un peu facile d’arrêter les livraisons pour réclamer un prix plus élevé. Il ne s’agit pas tant de restreindre les dépenses d’assurance maladie – ou à tout le moins de faire attention – que de s’assurer que les cotisations de tous les Français ne sont pas captées par certains acteurs qui font des patients les otages d’une négociation des prix.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Ce constat soulève une vraie difficulté, tout comme le fait que les marchés européens n’achètent pas les médicaments au même prix.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Sans faire du name and shame, je suis tout à fait disposé à convoquer les représentants des laboratoires les moins vertueux. Il faut penser aux conséquences pour les patients. Tout pertinent et cohérent que soit votre argumentaire, il est difficile à entendre pour ceux dont la vie est mise en danger par la pénurie.
Mme la présidente Nicole Dubré-Chirat. Il existe des équivalences médicamenteuses – certes, pas pour toutes les pathologies.
Je vous remercie pour vos interventions. N’hésitez pas à nous adresser tout document complémentaire.
La séance s’achève à treize heures.
Présents. – M. José Beaurain, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Sylvie Ferrer, Mme Chantal Jourdan, M. David Magnier, Mme Lisette Pollet, M. Sébastien Saint-Pasteur
Excusés. – Mme Sandra Delannoy, M. Denis Fégné, M. Charles Fournier, Mme Camille Galliard-Minier, M. Daniel Labaronne, Mme Élise Leboucher