Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de Mme Marie-Ange Debon, dont la nomination aux fonctions de présidente du conseil d’administration de La Poste est envisagée par le Président de la République, et vote sur ce projet de nomination (M. Julien Brugerolles, rapporteur) ;              2

 Examen pour avis des crédits budgétaires « Économie sociale et solidaire » du projet de loi de finances pour 2026 (M. Harold Huwart, rapporteur pour avis).              21

 

 


Mardi 21 octobre 2025

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 6

session ordinaire de 2025-2026

Présidence de

M. Stéphane Travert, Président


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La commission des affaires économiques a auditionné, en application de l’article 13 de la Constitution, Mme Marie-Ange Debon, dont la nomination aux fonctions de présidente du conseil d’administration de La Poste est envisagée par le Président de la République, et a procédé au vote sur le projet de nomination (M. Julien Brugerolles, rapporteur).

M. le président Stéphane Travert. Nous sommes réunis, en application de l’article 13 de la Constitution, pour entendre Mme Marie-Ange Debon, dont la nomination aux fonctions de présidente du conseil d’administration de La Poste est proposée par le Président de la République.

Nous sommes conscients des défis que doit relever La Poste et de l’importance de maintenir sa présence sur le territoire national, en particulier dans les zones rurales. Permettez‑moi d’emblée quelques questions liminaires : en quoi les fonctions que vous avez exercées, notamment dans une entreprise de réseaux comme Keolis, vous prédisposent-elles à prendre la présidence de La Poste ? Quels enjeux communs y retrouveriez-vous, au sujet desquels vous pourriez apporter votre expertise ?

Le service universel postal que La Poste exerce au travers de ses 17 000 points de contact comporte quatre missions : la distribution du courrier six jours sur sept, celle de la presse, l’accessibilité bancaire et l’aménagement du territoire. La Commission supérieure du numérique et des postes a souvent dénoncé le montant insuffisant de la compensation que l’État verse à La Poste pour l’exercice de ces missions. Partagez-vous ce constat ou souhaitez-vous engager des négociations pour obtenir une compensation équivalente au coût réel du service public rendu ?

La Poste joue un rôle essentiel dans la cohésion des territoires grâce à ses agences, dont le nombre a pourtant tendance à diminuer. Comment voyez-vous son implantation dans une dizaine d’années ? Quelle sera votre stratégie d’aménagement du territoire ?

M. Julien Brugerolles, rapporteur. Madame Debon, nous vous remercions pour les dix-sept pages de réponses que vous avez apportées à notre questionnaire, pour nous permettre de mieux connaître les orientations que vous comptez prendre en cas de validation de votre candidature.

Votre parcours a été marqué par des responsabilités à la Cour des comptes, dans de grands groupes industriels et à la SNCF, à travers Keolis. Il témoigne d’une expérience étendue de la gestion publique et parapublique.

La présidence du conseil d’administration de La Poste suppose une capacité particulière à garantir la qualité et la continuité du service public, la transparence de la gouvernance et le respect des agents. Cette audition s’inscrit dans le contexte particulier de la transformation de La Poste et de la redéfinition continue de ses missions de service public, à l’heure où la baisse structurelle du volume du courrier, la numérisation des échanges et la recomposition du paysage bancaire interrogent son modèle économique autant que son rôle social et territorial.

Le groupe La Poste demeure, par son histoire, par son réseau et par ses agents, l’un des piliers de la cohésion de nos territoires. Avec plus de 17 000 points de contact, il représente pour nombre de nos concitoyens, notamment dans les zones rurales, un service public de proximité irremplaçable.

La Poste est aussi une entreprise de 230 000 salariés, dont la contribution au lien social, à la distribution de la presse et à l’accessibilité bancaire ne saurait être réduite à des impératifs de rentabilité. Or, la période récente a vu s’accentuer une incompatibilité entre les exigences financières du groupe et les missions qui fondent son utilité collective. Entre 2018 et 2021, 1,8 milliard d’euros de dividendes a été versé aux actionnaires, tandis que plus de 26 000 emplois ont disparu entre 2020 et 2025. Ces chiffres interrogent, d’autant que ces dernières années, le groupe La Poste a été le principal bénéficiaire du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), remplacé par un allègement de cotisations patronales depuis 2019. Vous justifiez l’utilisation du CICE par « un maintien de l’emploi bien supérieur à la baisse de l’activité et au développement des compétences des postiers », sans plus de précision. Cette question de l’emploi, et singulièrement celle de la présence des agents de la branche services-courrier-colis, constitue pourtant un pilier fondamental de la relation de La Poste avec les usagers et de la présence territoriale du groupe. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Notre commission est attachée à ce que La Poste demeure un service public vivant, et ne devienne pas une entreprise ordinaire régie par la seule logique concurrentielle. Les missions de service universel postal sont au cœur du contrat d’entreprise 2023-2027 conclu avec l’État, mais leur financement demeure incomplet et insuffisant. En 2023, la Commission supérieure du numérique et des postes a ainsi rappelé que la compensation de l’État restait inférieure aux coûts complets évalués par l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

Dans vos réponses écrites, vous êtes revenue à plusieurs reprises sur cette sous-compensation, que vous estimez au moins à 1 milliard d’euros par an, alors que le coût annuel est évalué à 2 milliards par le régulateur. Vous appelez l’État et les parlementaires à prendre la mesure des difficultés que cette sous-compensation engendre pour le groupe et à ajuster le tir sur le plan budgétaire, notamment dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, « au risque que l’exercice même des missions de service public du groupe soit menacé ». Je ne peux que partager avec vous le constat que cette sous-compensation structurelle fragilise durablement l’équilibre du groupe, au risque d’alimenter une spirale de rationalisation incompatible avec le maintien du maillage territorial et la qualité de service. Encore faut-il que le groupe s’engage fermement et résolument au maintien, voire au développement de l’emploi dans les territoires, en lien avec ces missions. Quels engagements comptez-vous prendre en la matière ?

Au-delà des équilibres comptables, La Poste doit répondre à des impératifs humains et territoriaux. Or, ses agents ont vu leurs conditions de travail se dégrader, leurs tournées s’allonger et leur statut se précariser, ce qui entraîne un renouvellement des personnels et des difficultés élevées de recrutement. Je pense en particulier aux plus âgés d’entre eux, qui subissent des réorganisations à répétition. Depuis 2023, La Poste a également engagé la fermeture de six plateformes industrielles de courrier employant 1 500 agents – les centres de tri postaux de Clermont-Ferrand, d’Orléans, de Poitiers, de Strasbourg et de Roissy, ainsi qu’un entrepôt logistique à Brie-Comte-Robert.  Il y avait cinquante-cinq centres de tri en 2013 ; ils étaient vingt-six en 2020, et ne seront plus qu’une vingtaine en 2026 après l’application de ce plan… Là encore, le maillage territorial est menacé.

L’autre préoccupation des usagers et des élus concerne les restructurations du réseau de La Poste. Dans de nombreuses communes, en particulier rurales, la transformation de bureaux de plein exercice en agences postales communales ou en points relais a été et reste vécue comme une perte de présence publique et de considération pour ces territoires parmi les plus fragiles.

C’est aussi le cas des restructurations ou des disparitions de services en zone urbaine, comme les carrés réservés aux entreprises et à la clientèle professionnelle. Vous avez répondu par écrit qu’un moratoire sur les fermetures de bureaux de poste de plein exercice ne vous semblait « pas la réponse adaptée à la diminution constante de la fréquentation des points de contact ». Je crois, au contraire, que cet engagement minimal du groupe est indispensable. Il permettrait de lever beaucoup des colères légitimes de nos élus et habitants, dans la ruralité notamment, qui voient la présence des services publics reculer inexorablement. Quels engagements comptez-vous prendre sur ce point ?

Vous rappelez aussi, dans vos réponses écrites, que La Poste se diversifie, avec des engagements pour une logistique bas carbone, les services à la personne, le numérique, ou encore l’accompagnement des transitions écologique et démographique. Si ces orientations ouvrent des perspectives, elles exigent des garanties claires quant au maintien des missions historiques, ainsi qu’à la qualité des emplois et des conditions de travail, notamment dans les filiales Chronopost, DPD, Colissimo, Docaposte, Viaposte et Mediaposte.

Enfin, je souhaite vous interroger sur le contenu des accords que conclut ou entend conclure le groupe avec les géants du e-commerce pour renforcer son activité de distribution de colis. La Poste a récemment signé un accord avec le géant chinois Temu, dont nous connaissons la qualité et la durabilité des produits, ainsi que le respect accordé aux normes sociales et au respect des droits humains fondamentaux dans ses pratiques commerciales… De tels accords suscitent des interrogations quant à la politique de responsabilité sociale et environnementale du groupe La Poste, notamment son devoir de vigilance et de contrôle des produits distribués. Quelle est votre position à ce sujet ? Face au dumping social et environnemental, et aux conséquences pour le commerce local de l’explosion incontrôlée du e-commerce, pensez-vous qu’un encadrement législatif du secteur du colis et du petit colis soit nécessaire ?

Mme Marie-Ange Debon. C’est un honneur et un privilège de me présenter devant vous. La Poste est une magnifique entreprise, sans doute la plus ancienne de notre pays. Elle est majeure par sa taille, autant que par son utilité sociale. Elle est plus qu’une simple entreprise. Sa place dans notre histoire, dans notre culture et dans nos territoires en fait aussi une institution. Je mesure l’honneur qui m’est fait, l’héritage qui m’est transmis et les défis qui m’attendent si votre vote m’est favorable.

Après quelques mots sur mon parcours, j’exprimerai mon sentiment sur La Poste telle qu’elle est aujourd’hui, puis je présenterai mon projet – lequel méritera d’être affiné de l’intérieur, avec les équipes.

Mon parcours, d’abord. Je suis mariée et j’ai trois grandes filles. Je suis née en région parisienne, mais l’une de mes grands-mères est originaire du Finistère, l’autre du Cantal, et l’un de mes grands-pères vient de la Creuse. J’ai commencé mon parcours professionnel à la Cour des comptes comme magistrate, puis j’ai successivement rejoint France 3, Thomson Technicolor, Suez et Keolis. Mon parcours est marqué par les métiers de service public – celui de l’audiovisuel avec France 3, qui était à l’époque la chaîne dite des régions, et celui de l’environnement chez Suez, avec la gestion de l’eau et du recyclage – et les métiers de service de proximité à fort ancrage territorial.

Depuis cinq ans, je dirige Keolis. Cette entreprise compte 70 000 collaborateurs, répartis pour moitié en France et pour l’autre moitié à l’étranger. Keolis n’est peut-être pas aussi connue que sa sœur la RATP, car elle exerce souvent en marque blanche en endossant les marques locales – TBM à Bordeaux, TCL à Lyon, Star à Rennes, Rubis à Bourg-en-Bresse ou Artis à Arras. En taille, toutefois, elle dépasse la RATP d’une courte tête.

L’international a également été très présent dans mon parcours, puisque Thomson Technicolor avait son siège en France, mais n’y exerçait que 5 % de son activité.

J’ai aussi été membre du collège de l’Autorité des marchés financiers pendant sept ans. J’y ai abordé de nombreuses questions financières ayant trait aux banques, aux investisseurs et aux assureurs.

Je voudrais aussi dire quelques mots de ma personnalité et de ma vision en tant que cheffe d’entreprise. Mon objectif principal est d’embarquer les équipes de direction et les équipes de terrain dans un projet d’entreprise, une vision stratégique et une performance opérationnelle. Je suis une convaincue de la transparence, du dialogue et du collectif. J’ai besoin d’écouter avant de me forger une opinion et de prendre une décision. Écouter mon équipe – les postiers et les postières –, les remontées de terrain internes ou externes et les parties prenantes : c’est dans cet esprit que j’ai piloté Suez et Keolis, et c’est celui dans lequel j’entends piloter La Poste si votre vote m’est favorable. À cet égard, je pense m’inscrire dans la culture de mon prédécesseur, dont je voudrais chaleureusement saluer le bilan. Je suis honorée et fière de me présenter devant vous pour prendre la succession de Philippe Wahl, et avant lui Jean-Paul Bailly, qui ont été deux dirigeants emblématiques.

Je crois en la force du collectif, en particulier dans ces maisons de grande taille où il faut piloter la décision au plus près du terrain et de ceux qui connaissent intimement un territoire ou un sujet. La responsabilité locale et la décentralisation sont de puissants leviers de motivation des équipes, dans une période où l’on observe souvent une démotivation des jeunes et des moins jeunes vis-à-vis des entreprises.

Je voudrais maintenant partager avec vous ma perception de La Poste. Vous connaissez cette maison, pour avoir auditionné ses dirigeants à plusieurs reprises. En outre, monsieur le président, vous présidez l’Observatoire national de la présence postale. Vous connaissez donc plusieurs des points que je vais évoquer, mais il me semble utile de les rappeler avant de présenter ma feuille de route.

Au cours des dix dernières années, la Poste s’est profondément transformée, avec succès. Elle a dû surmonter un séisme avec la première baisse massive du courrier, et prendre trois virages : du courrier au colis, de la banque à la bancassurance, et d’une concentration française à une diversification géographique internationale. Elle est désormais une entreprise multi-activités et multiservices – avec des services logistiques, financiers et de proximité. Elle a comme colonne vertébrale son réseau, sa présence sur le terrain et les postiers et postières.

Ces trois virages ont été d’une ampleur sans précédent, puisque les volumes distribués ont été divisés par plus de trois. Le chiffre d’affaires du courrier ne représente plus que 15 % du total, contre 50 % il y a dix ans. Malgré ce séisme, La Poste a continué de croître. Elle affiche un chiffre d’affaires de 35 milliards d’euros et un résultat net de 1,4 milliard, avec une dette de 10 milliards.

Ces mutations, La Poste a su les faire en s’affirmant comme une entreprise citoyenne. C’est la plus grande entreprise à mission de France, avec la meilleure notation dans le domaine du développement durable. Ses engagements sont forts en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, avec une cible à 44 % de baisse à l’horizon 2030, comme en matière de finance durable, avec une part de 34 % de financements citoyens. Elle consent aussi un effort massif de formation vis-à-vis de ses salariés. La Poste peut se féliciter d’être le premier financeur bancaire des collectivités locales et des hôpitaux publics.

Elle est la première banque des plus fragiles et l’unique banque des exclus. C’est un honneur et une fierté, pour ses équipes, d’avoir à assumer cette mission.

La Poste a réussi cette transformation majeure grâce à ses équipes, engagées et attachées à l’entreprise. Elle a désormais à faire face à trois défis majeurs.

Le premier est la sous-compensation de ses missions de service public. La Poste est l’entreprise en Europe qui exerce le plus de missions de service public. Elle en est fière, ce sont ses racines et son histoire, mais elle est confrontée à une grave sous-compensation. Depuis 2023, celle-ci se chiffre annuellement à 1 milliard d’euros, et représente une part notable de sa dette, laquelle s’élève à 10 milliards. Cette tendance ne va pas s’améliorer, car les projections prévoient une baisse continue du courrier d’ici à 2030. Or, La Poste n’a pas une structure financière assez solide pour absorber une telle baisse, la plupart de ses activités étant juste à l’équilibre, fragiles ou fragilisées.

Le deuxième défi est la concurrence exacerbée dans la logistique et les services financiers. L’entreprise fait face à une concurrence accrue d’acteurs de la logistique, notamment à bas coûts ou du hors domicile. C’est vrai en France comme en Europe, dans les pays où Geopost s’est développé. Dans les services financiers, la Banque postale doit faire face à la concurrence forte des acteurs bancaires traditionnels, des mutualistes et des néobanques – les banques digitales ou celles qui portent Revolut.

Le troisième défi est la montée en puissance de sa diversification, qui s’avère plus difficile, plus longue et plus complexe que prévu. La Poste a cherché à capitaliser sur deux tendances fortes : l’évolution démographique et l’évolution numérique. Elle a lancé de nombreux services de proximité, comme le portage de repas et de médicaments à domicile, la possibilité de passer le code de la route ou les métiers de la logistique de proximité. Elle s’est aussi développée dans le numérique de souveraineté et de proximité avec Docaposte, l’identité numérique, le coffre-fort numérique, la signature et le vote électroniques, ou encore les données médicales. Ces activités ont progressé, mais plus lentement que prévu, et restent économiquement fragiles.

Cela dit, La Poste dispose aussi d’atouts majeurs, en premier lieu ses équipes. C’est sur eux que je voudrais bâtir ma feuille de route, et une nouvelle étape de la transformation de l’entreprise.

Cette feuille de route, je voudrais la construire autour de la confiance. La Poste est le symbole de la confiance. Les usagers et les entreprises lui font confiance, en lui confiant leur courrier, leurs colis, leurs économies et leurs données personnelles. La Poste s’est déjà positionnée en tiers de confiance en faisant le choix de deux orientations stratégiques majeures, le numérique de confiance et la santé. Je veux construire ma feuille de route sur un pacte de confiance – un pacte de confiance avec les pouvoirs publics et les territoires, un pacte de confiance avec les postiers et les organisations syndicales, et un pacte de confiance avec les clients.

Un pacte de confiance avec les pouvoirs publics et les territoires, cela signifie d’abord réaborder les missions de service public. Vous l’avez dit, elles sont l’ADN, l’histoire, la raison d’être et le modèle économique de La Poste. Elles ont fait l’objet d’ajustements, qui ont été travaillés avec vous et avec les élus de terrains, pour prendre en compte l’évolution des usages. Je pense notamment à l’évolution des 17 000 points de contact ou à la nouvelle gamme de courrier, introduite en 2023. Toutefois, la sous-compensation devient difficilement absorbable et pèse sur les nouveaux métiers, en particulier ceux qui doivent prendre le relais des métiers déclinants. C’est donc une question de survie à court ou à moyen terme.

Ce n’est pas un sujet facile, et il faudra travailler dans le temps. D’une part, il faudra voir comment les compensations peuvent être améliorées – à cet égard, votre assemblée et le Sénat ont un rôle à jouer dans la préparation du budget. D’autre part, nous devrons aussi trouver, en bonne intelligence collective, comment faire évoluer les missions de La Poste. La moitié du déficit vient de la distribution de la presse, pour laquelle l’accord de 2022 n’a pas produit les effets escomptés. Il faudra donc y retravailler.

S’agissant du contrat de présence territoriale, nous devons poursuivre le travail de mutualisation avec les partenaires locaux de La Poste, pour chercher la meilleure efficacité sociale et économique. Il convient de rechercher des formes innovantes de présence, d’améliorer le réseau France Services – La Poste compte 420 maisons France Services – et de travailler de manière plus étroite avec lieux de vie communaux, en particulier dans les territoires ruraux.

Ce pacte de confiance avec les territoires et les pouvoirs publics doit aussi s’accompagner d’une revue du portefeuille d’activités et d’une optimisation des coûts. L’international représente 45 % de l’activité de La Poste et plus de 45 % de sa rentabilité. Il a donc aidé à financer le reste et les missions de service public. Il importe d’être sûr des pays dans lesquels on investit. Il faut peut-être sortir de certains pays, et entrer ou grandir dans d’autres.

En 2024, compte tenu des difficultés de la Banque postale et de Geopost, le groupe a décidé de céder certains actifs. Il faudra s’assurer que cette évolution est pertinente si le redressement n’est pas possible à un horizon de trois ans, et que l’international est un atout et un amplificateur pour l’ensemble du groupe, et non un handicap.

La Poste doit travailler à l’optimisation de ses coûts. Ceux-ci ne se résument pas aux coûts de personnel, mais concernent aussi les achats, les prestations externalisées, les coûts de structure et les dépenses de systèmes d’information. Je pense également à la coopération interne, avec de nombreuses prestations croisées. Il s’agit d’éviter les doublons et les discussions longues ; la maison ne peut pas se le permettre.

Au sein de la Caisse des dépôts, il faut faire fonctionner toutes les synergies, tant pour le financement de l’économie que pour les outils numériques, qui sont un angle important de la nouvelle stratégie du directeur général de la Caisse.

J’en viens au pacte de confiance avec les postiers et les organisations syndicales. Je vous ai dit mon attachement à la transparence, au dialogue et au collectif. Je m’inscrirai dans les pas de mon prédécesseur. J’hérite d’une maison dans laquelle le climat social s’est apaisé ces dernières années et où le dialogue a été riche. Je m’inscris dans cette lignée, avec une attention particulière portée à l’accidentologie, à la protection des équipes et à l’absentéisme.

Des équipes engagées vont de pair avec des clients satisfaits. Ma tâche est aussi de faire fonctionner le collectif. La cohésion du collectif managérial sera l’une de mes priorités.

Je conclus par le pacte de confiance avec nos clients. La raison d’être d’une entreprise, ce sont ses clients, présents ou futurs, particuliers, entreprises, du secteur public ou du monde associatif. Ils doivent être au centre de nos préoccupations pour améliorer la qualité de service et permettre un parcours client facilité. Vous avez tous vécu des irritants avec la maison La Poste dans ses différents métiers. Il faudra que j’engage l’ensemble de la maison pour améliorer la satisfaction client et la mesurer.

Le vieillissement de notre base de clientèle, en particulier pour la Banque postale, est aussi un défi.

Enfin, le groupe a un bon socle de services de proximité et de souveraineté numérique. Mon objectif est que La Poste devienne le véritable tiers de confiance numérique de ses clients et l’opérateur public du secteur, dans un monde où l’intelligence artificielle et la cybersécurité sont devenues deux angles de premier plan.

Si votre vote m’est favorable, vous pourrez compter sur moi pour conduire La Poste dans cette nouvelle phase ou transformation de son histoire, fondée sur un socle multiservices, avec un ancrage de proximité.

M. le président Stéphane Travert. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Nicolas Meizonnet (RN). La Poste n’est pas une entreprise comme les autres. Elle fait partie du patrimoine national, auquel les Français tiennent profondément. Ce groupe est aussi le deuxième employeur de France. Présent dans tous les départements, il y fait vivre des milliers de foyers et assure des missions de service public essentielles que nos concitoyens souhaitent préserver.

Diriger ce groupe en mutation est un honneur, mais aussi une mission exigeante, car les défis sont immenses. Si nous contestons souvent et à raison les choix du Président de la République, le groupe Rassemblement national ne voit pas d’objection à votre nomination. C’est pourquoi nous nous abstiendrons lors du vote.

Je souhaite redire l’attachement que les Français éprouvent pour l’écu de la famille La Poste. Dans la période de crise que nous traversons, le maintien du groupe dans nos territoires les plus reculés est indispensable.

Face à la baisse continue du courrier, à la pression des concurrents mondiaux du colis et du numérique, à la nécessité de maintenir un maillage territorial dense, ou encore à la montée en puissance de l’intelligence artificielle, le groupe doit poursuivre sa transformation et consolider le travail entrepris ces dernières années.

La Poste est la propriété des Français, l’héritage du travail des générations précédentes. Nous avons le devoir de l’accompagner dans son développement et de faire fructifier cette richesse. Dans un monde concurrentiel, La Poste doit continuer à diversifier ses activités et à s’ouvrir sur le monde, pour s’imposer comme un grand groupe capable de rivaliser avec des acteurs comme Amazon, DHL ou Fedex dans le secteur de la distribution.

À travers sa filiale Geopost, le groupe effectue près de la moitié de son chiffre d’affaires à l’étranger. Ce développement international est essentiel, mais il ne doit pas détourner La Poste de sa mission première. Comment entendez-vous renforcer la présence du groupe à l’étranger et affirmer sa compétitivité face à ses concurrents internationaux, tout en préservant l’identité, les valeurs et les missions de service public qui font sa force ?

Mme Marie-Ange Debon. L’international représente 45 % de l’activité. La situation varie suivant les pays, certains étant très profitables et d’autres non. Ma volonté est d’être sélective et d’arbitrer une éventuelle sortie des pays dans lesquels un redressement n’est pas possible.

Le groupe est présent en Europe, mais aussi en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient, ainsi qu’au Brésil qui a beaucoup apporté financièrement à la CNP, c’est-à-dire à l’assurance. La Poste est présente dans une grande diversité de pays et ce point mérite l’attention. J’ai beaucoup travaillé la sélectivité, chez Keolis. Il ne faut pas s’éparpiller, mais se concentrer dans les pays où l’on a une valeur ajoutée, avec un ancrage territorial, des actifs et une marque. Ce sera ma priorité, pour que l’international bénéficie aux missions exercées par La Poste en France.

La concurrence est féroce, ce qui rend d’autant plus nécessaire la sélectivité. La Poste se bat à la fois contre des opérateurs traditionnels comme DHL ou Fedex, et contre d’autres opérateurs, notamment chinois, dont la présence s’affirme en Asie du Sud-Est mais aussi dans certains pays européens, en Espagne par exemple.

Mme Françoise Buffet (EPR). Dans un contexte marqué par la baisse continue du volume de courrier et la montée en puissance des activités de logistique et de livraison de colis, La Poste fait face à la mutation profonde de son modèle économique.

Le volume de courrier a chuté de plus de 12 % en 2023 en France. Il ne représente plus que 15 % du chiffre d’affaires, contre 70 % dans les années 1990, tandis que l’activité colis est en hausse constante, avec plus de 2,6 milliards d’envois en 2024. Comment entendez-vous concilier les impératifs d’adaptation et de compétitivité avec la mission de service public au cœur de l’identité du groupe ? Je vise notamment le récent partenariat signé avec l’entreprise chinoise Temu.

Comment comptez-vous rendre les conditions de travail des sous-traitants compatibles avec la mission de service public du groupe ? Cette sous-traitance croissante des activités de livraison suscite de nombreuses interrogations quant à la qualité du service rendu. Les livreurs mettent systématiquement un avis en boîte aux lettres alors que les destinataires des colis sont présents, les contraignant ainsi à se déplacer au bureau de poste. Comment comptez-vous y remédier ?

Enfin, l’activité en lien avec l’augmentation constante de l’envoi de colis pourrait-elle préserver voire développer le maillage territorial, notamment dans les zones rurales et périurbaines ?

Mme Marie-Ange Debon. La qualité des services rendus sera un point majeur de mon investissement personnel, dans l’objectif de bien la mesurer et de mobiliser les équipes pour tous les métiers de l’entreprise grâce à des indicateurs de suivi. La Poste a déjà beaucoup travaillé en la matière. Ces dernières années, les indicateurs sont devenus des éléments de boussole. Toutefois, c’est un effort de longue haleine, dans une entreprise de 230 000 salariés avec un tel maillage territorial.

S’agissant de l’adaptabilité, nous devons continuer à investir dans nos outils informatiques, dans nos plateformes et dans la croissance externe à l’international. Ces investissements sont une source d’amélioration à la fois de la qualité de service et de la productivité, qui nous permet d’être plus efficaces dans l’exercice de nos différents métiers.

Vous avez mentionné le colis et Temu. Ce sujet a ému, mais induit parfois de la confusion. Il est donc utile que j’y revienne. Les produits chinois sont déjà présents en France, dans la grande distribution comme dans les plateformes américaines.

Par ailleurs, ce qui se joue – et sur quoi La Poste n’a pas d’influence – est la bagarre entre les plateformes de vente en ligne. Les ventes à distance ont progressé de 7 à 8 % par an ces dernières années. Cette croissance a constitué un facteur majeur de l’équilibre économique de La Poste. Ainsi, 80 % des colis Colissimo sont livrés par nos facteurs et factrices. Toutefois, deux tendances s’observent : la montée en puissance de plateformes chinoises, qui sont des places de marché comme Amazon ou les plateformes françaises de Fnac-Darty, Leroy Merlin ou Veepee ; d’autre part, une concurrence entre les plateformes.

M. Matthias Tavel (LFI-NFP). M. Macron propose que vous soyez la prochaine présidente de La Poste. Au-delà de votre personne, nous devons nous prononcer sur votre feuille de route. Il est urgent que La Poste redevienne le service public qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Ses quatre missions de service public – service universel postal, aménagement et développement du territoire, accessibilité bancaire et distribution de la presse – sont cruciales pour le pays, contre la fracture numérique, pour l’accès de tous au service public, en milieu rural, dans les quartiers populaires, dans les villes et dans les territoires partout dans le pays.

Mener ces missions est incompatible avec la libéralisation du secteur postal imposé par l’Union européenne. Pourtant, avec des coupes de plus de 100 millions d’euros, le budget présenté par le Premier ministre Lecornu ampute encore la compensation que La Poste perçoit de l’État au titre de ses missions de service public. Êtes-vous favorable à ces coupes ? Pensez-vous qu’elles sont nécessaires ? Pour y faire face, travaillerez-vous à réduire les missions de service public au lieu d’augmenter le budget ? Je ne vous cache pas que vos propos liminaires alimentent notre inquiétude.

Depuis sa transformation en société anonyme sous le gouvernement Sarkozy, La Poste a fermé un tiers de ses bureaux – pas moins de cinq dans ma circonscription, où deux sont encore menacés, dont un à Donges où la mobilisation locale a empêché la fermeture. Poursuivrez-vous cette politique de fermeture de bureaux de poste ? Ne pensez-vous pas qu’il est temps, comme le rapporteur l’a suggéré, de décider d’un moratoire au moins le temps de tenir le débat sur une nouvelle loi postale, qui a été repoussé aux calendes grecques ? À la place de ces fermetures, êtes-vous prête à faire de La Poste non seulement un prestataire dans les maisons France Services, mais l’opérateur principal de ces maisons, ce que vous refusez dans le territoire où je suis élu ?

Il est urgent que La Poste redevienne un service public ; mais, manifestement, sa direction fait le choix contraire, en s’orientant plutôt vers la recherche de rentabilité. C’est le cas de l’accord signé avec Temu, ou lorsqu’il faut désormais payer pour que le facteur prenne soin de vos parents ou de vos grands-parents – ce qu’il faisait spontanément jusqu’ici, par esprit de service public. C’est également vrai quand on regarde les rémunérations dans le groupe : le président de la Banque postale, M. Dedeyan, perçoit une rémunération de 850 000 euros, soit le double de ce que prévoit la loi pour les entreprises publiques. Mettrez-vous fin à cette stratégie qui privilégie la rentabilité plutôt que les services publics ? Respecterez-vous enfin la loi sur les rémunérations dans votre groupe ?

Mme Marie-Ange Debon. La recherche de rentabilité a un seul sens : préparer l’avenir de l’entreprise. On ne recherche pas la rentabilité en soi. On la recherche pour investir, créer de la valeur et la partager. C’est ma vision de la rentabilité, que je cherche pour préparer des investissements, notamment en informatique et dans nos plateformes, mais aussi des investissements externes ou autres.

La Poste n’a jamais devancé une fermeture de bureau mais, constatant à son corps défendant la baisse de la fréquentation et celle du courrier, elle propose des évolutions. Je ne suis donc pas favorable au moratoire, car nous sommes obligés de prendre en compte ce qui se passera dans les années à venir. C’est ainsi que nous gérerons et piloterons l’entreprise, de la manière la plus intelligente possible.

Nous sommes favorables à poursuivre notre développement dans les maisons France Services. Je crois à la mutualisation des services dans des lieux de vie communs, qui permet d’attirer les flux et d’augmenter la fréquentation.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés est attaché à la bonne santé de La Poste, laquelle est confrontée aux défis majeurs que vous avez rappelés. Si vos qualifications professionnelles, enrichies d’une longue carrière dans la sphère publique, sont incontestables et si nous envisageons de donner un avis favorable à votre nomination, nous souhaitons vous interroger sur votre projet pour ce groupe historique, sur le plan opérationnel comme sur le plan social. En effet, la nomination à la tête de ce groupe ne peut être envisagée comme une simple formalité, tant elle engage non seulement l’avenir d’une entreprise à capitaux publics, mais aussi la conception même du service public postal.

Forte de ses 230 000 salariés, dont nous saluons la qualité du travail de proximité, La Poste n’est pas une entreprise comme les autres. Elle est un pilier du service public à la française. À l’heure du tout-digital, nos compatriotes restent attachés au passage de leur facteur, particulièrement en milieu rural et de montagne. Je le mesure dans ma circonscription, où la qualité du service postal rendu tend à se dégrader, conséquence d’un regroupement d’agences pas toujours compris et générateur de tensions dans la livraison du courrier pour les uns, un durcissement des conditions de travail pour les autres. Comment envisagez-vous de garantir le maintien des tournées quotidiennes dans nos territoires, même les plus enclavés ?

Un autre sujet de préoccupation vient de la récente confirmation, par la cour d’appel de Paris, de la condamnation en première instance du groupe La Poste pour manquement à son devoir de vigilance. Notre opérateur postal historique est ainsi la première entreprise française sanctionnée sur le fondement de cette loi, dont l’adoption est largement due à la pugnacité de notre collègue Dominique Potier. Ce jugement met en lumière les insuffisances de l’entreprise en matière de prévention des risques sociaux et environnementaux, y compris dans la gestion des sous-traitants. Comment comptez-vous tenir les engagements pris par la direction actuelle sur le plan environnemental et social, alors que La Poste s’est récemment engagée avec le groupe chinois controversé Temu ? Cet accord a suscité de nombreuses réactions de la part de ceux qui considèrent que La Poste entend compléter ses ressources avec la contrefaçon et le dumping, selon un modèle reposant sur le colis individuel venu de Chine. Les explications que vous venez de fournir ne nous satisfont pas. Nous estimons que La Poste ne répond pas à ses propres exigences en la matière. C’est une question majeure, à la fois économique et environnementale.

Mme Marie-Ange Debon. La présence territoriale de La Poste repose sur trois piliers, dont le premier est le développement d’une activité multiservices dans le domaine logistique : ce fut la force du colis, qui est venu en complément du courrier et a permis aux facteurs d’occuper leurs tournées. Les deux autres piliers sont le réseau bancaire et les services de proximité.

Chez Keolis, j’ai appliqué avec volontarisme la directive CSRD, relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, et le devoir de vigilance instauré par la loi de 2017.

Je resterai très attentive à ce point. La Poste a certes été condamnée, mais moins pour un manquement au fond à son devoir de vigilance que pour une insuffisante capacité à le décrire et à l’expliciter : dans les années qui ont suivi l’application de la loi, elle n’a pas été assez précise dans les actions qu’elle conduisait. Depuis, elle met tout en œuvre pour que ce devoir de vigilance soit respecté, conformément à la loi. Évidemment, mon objectif est d’être en parfaite conformité avec la loi.

M. Guillaume Lepers (DR). Face à la baisse continue du nombre de plis distribués, La Poste se transforme et diversifie ses activités. Dans le même temps, le groupe réduit les moyens consacrés à l’activité postale. Dans une certaine mesure, cette diminution est logique, puisque La Poste s’adapte aux volumes du courrier. Pour autant, nous nous inquiétons de la dégradation continue du service, notamment dans les territoires ruraux. La Poste étant tenue d’assurer un service universel postal impliquant une continuité territoriale, celle-ci se traduit, en milieu rural, par des points de contact externalisés dans des agences postales communales installées en mairie, avec du personnel communal mis à disposition et formé à ces missions spécifiques. Pouvez-vous nous assurer de la continuité, sous votre présidence, du financement des partenariats entre La Poste et les communes ?

Mon autre question concerne les conséquences de l’adressage que les communes rurales ont été tenues d’appliquer ces dernières années. Alors que le système historique intégrant les lieux-dits et les quartiers fonctionnait parfaitement, les dysfonctionnements se multiplient. Les erreurs de distribution n’ont même jamais été aussi nombreuses. J’en veux pour preuve que près de 30 % de mes courriers adressés aux mairies de ma circonscription reviennent avec la mention « destinataire inconnu » ou « adresse non identifiée ». Qu’envisagez-vous pour y remédier ?

Je souhaite aussi revenir sur le partenariat noué avec Temu. La Poste est un acteur de proximité, elle exploite un service public et son actionnariat est à 100 % public. Elle n’est donc pas dans son rôle quand elle fait la promotion d’un modèle fondé sur l’hyperconsommation, les produits à prix cassé parfois non conformes aux normes européennes, la concurrence déloyale, un modèle qui pollue, qui gaspille et dans lequel les conditions de travail parfois indignes. Qui plus est, même si cela ne se voit pas encore aux portes de Paris, ce modèle est en train de détruire le commerce physique dans nos villes moyennes. Ce partenariat nous fait peur et nous met en colère.

Mme Marie-Ange Debon. Je prends bonne note de la dégradation du service de distribution. Je le redis, la qualité de service sera la première de mes préoccupations. Il conviendra de la mesurer et de la suivre, tant pour la logistique que pour les services financiers. Nous sommes dans une phase de transformation. La Poste cherche à être plus efficace en améliorant les adresses, mais les débuts sont peu satisfaisants et l’adressage participe à la dégradation de la qualité de service. Nous travaillerons avec la branche concernée.

Par ailleurs, je ne peux pas être favorable à une coupe des financements pour les missions de service public, compte tenu des chiffres que j’ai mentionnés. Depuis trois ans, le montant de la sous-compensation pèse sur la profitabilité générale de l’entreprise – laquelle lui sert à construire son avenir.

Enfin, la Poste n’a pas cherché à faire la promotion de Temu, qui était déjà son client. L’accord qui vient d’être signé applique les mêmes conditions générales de vente que par le passé, mais pour une durée de trois ans au lieu d’un an. De façon générale, La Poste ne fait en aucune manière la promotion de ses clients – celui-là pas plus qu’un autre. Cela étant, j’ai conscience de l’émotion créée par cet accord.

M. Benoît Biteau (EcoS). Je suis paysan, élu d’un territoire rural. Dans ces territoires, La Poste est une institution, et chaque disparition d’un service postal engendre de l’émotion.

Je commencerai par Temu. Les territoires ruraux, dont on peine à faire vivre l’activité économique avec des services et des commerces de proximité, vivent très mal le fait qu’un acteur comme La Poste apporte précisément ce qui concurrence le commerce local. À cet égard, si La Poste veut conserver une image positive, il est essentiel que ses décisions soient comprises. Quand vous fermez une agence postale en raison de sa faible fréquentation, cette décision peut être comprise si elle est expliquée – nous savons que les coûts de fonctionnement peuvent rendre un équipement moins pertinent. Pour autant, outre l’explication des décisions de fermeture, peut-être faut-il remplacer les bureaux de poste par une maison France Services.

Toutefois, la fréquentation, c’est aussi la question de la poule ou de l’œuf. À force de fermer des services de proximité dans les territoires ruraux, la fréquentation s’effondre, car l’éloignement empêche certains de nos concitoyens de fréquenter les agences postales. En faire un argument pour justifier une fermeture est donc ambigu. J’appelle votre attention sur le risque de cercle vicieux que peut entraîner le seul indicateur de la fréquentation pour décider d’une fermeture.

Par ailleurs, je vis dans un hameau avec huit foyers et douze sièges d’entreprise ou d’association, qui ne comptait qu’une seule boîte aux lettres. Pendant quatre mois, la porte de cette boîte ne fermait plus. Personne n’y mettait donc plus de courrier et pour ce motif, on a supprimé la boîte aux lettres. Il n’y avait pourtant aucun coût de fonctionnement pour La Poste. Ce type d’expérience est très mal vécu dans les territoires ruraux. La Poste a nié que l’absence de courrier venait du fait que la porte ne fermait plus ! Ce comportement crée une défiance à l’égard d’une institution pourtant unanimement reconnue dans les territoires ruraux.

Mme Marie-Ange Debon. Merci de nourrir ma feuille de route par ces témoignages.

Je suis d’accord, l’équation économique ne peut pas être le seul critère d’analyse. La force de La Poste est sa capacité à exercer une activité multiservices, qui lui permet de développer la fréquentation. La dimension multiservices est ce qui a guidé La Poste et qui me guidera, d’autant que la numérisation est incontournable, même si 25 % des Français ne sont pas encore à l’aise avec le numérique. Plus personne n’envoie de courrier, ou peu, y compris les entreprises et les administrations. Alors que la baisse du courrier se poursuivra, nous sommes obligés de développer l’activité multiservices pour conserver une présence territoriale.

La Poste est très souvent l’une des dernières à rester présente dans un territoire. Je veillerai à ce que cela reste le cas.

M. Pascal Lecamp (Dem). La Poste traverse une période charnière de son histoire. Mes collègues l’ont rappelé, nous partageons un grand attachement à La Poste – dans nos territoires ruraux, elle est souvent le dernier service public présent. Pour autant, nous comprenons que l’écroulement progressif du courrier et de la presse écrite impose une révolution copernicienne de son modèle.

La Poste a su amorcer sa diversification mais, malgré ces efforts, la Cour des comptes souligne « la fragilité financière persistante du groupe ».

Maintiendrez-vous les 17 000 points de contact du territoire ? Comment vous assurerez-vous que ce maillage conserve sa qualité ?

La Poste se diversifie et doit continuer à le faire. La question du portage des repas est régulièrement évoquée. Philippe Wahl l’avait d’ailleurs largement abordée lors de son dernier petit-déjeuner avec les parlementaires. Quels seront vos projets de diversification ? Comment seront traités les changements de métiers et la requalification pour les agents postaux concernés ?

Comment voyez-vous le futur modèle économique de La Poste ? Vous annoncez, dans vos réponses écrites, « une nouvelle réflexion, d’une part sur l’exercice des missions de service public dont le financement pose problème, d’autre part sur la diversification géographique du colis et la diversification des services en France, afin d’atteindre une croissance responsable et rentable en France et à l’international ».

La Poste est un partenaire essentiel des maisons France Services. Elle en porte cinq des vingt-sept de mon territoire. Quel regard portez-vous sur ce dispositif et sur la position que La Poste devra y occuper à l’avenir ?

Quid de l’ouverture le samedi matin ? Avant cette audition, j’ai invité à déjeuner la nouvelle déléguée territoriale de la Vienne. Ce sujet coince, dans les campagnes.

Enfin, 1 milliard d’euros de compensation par an pour le service public, alors qu’il vous coûte 2 milliards… Comment comptez-vous faire pour récupérer ce manque à gagner dans les prochains projets de loi de finances ?

Mme Marie-Ange Debon. Concernant la diversification géographique, il faut sélectionner les pays dans lesquels une présence est pertinente.

S’agissant des 17 000 points de contact, l’objectif a plutôt consisté à les faire évoluer, pour maintenir une présence territoriale face à la baisse durable de fréquentation. Les différentes formules qui ont été développées sont intéressantes et, souvent, une réussite. Nous restons dans ce cadre, mais la nature de cette présence peut être appelée à évoluer en fonction des attentes territoriales.

La Poste compte plus de 400 maisons France Services. Il faut améliorer la qualité de service et discuter avec les mairies de la nature des services et de la proximité géographique, pour optimiser ces moyens et mutualiser les flux. Nous serons plus forts si nous nous regroupons.

Philippe Wahl s’est déjà exprimé sur l’ouverture du samedi matin, en particulier les jours de marché. Il faudra voir ce qu’il est possible de faire pour aller plus loin.

M. Thomas Lam (HOR). La Poste est le deuxième employeur public, après l’État. Acteur historique du service public, elle doit concilier ses missions d’intérêt général avec les exigences d’un environnement économique et concurrentiel en profonde mutation.

La Poste n’est plus seulement le distributeur de courrier d’autrefois.

Avec 34,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023, dont 44 % à l’international, le groupe a opéré une diversification radicale. Quatre piliers structurent désormais son activité : la livraison de colis à l’international, la distribution nationale de courrier et de colis, les services financiers de la Banque postale et le développement de solutions numériques ou de proximité. Pourtant, cette diversification n’a pas suffi à garantir sa rentabilité. Dans son rapport du 4 décembre 2024, la Cour des comptes alerte : les nouvelles activités peinent à dégager des marges suffisantes, tandis que le modèle historique devient insoutenable, même si les collectivités locales ont absorbé une partie des coûts – comme dans ma circonscription, à Asnières-sur-Seine, où la mairie a repris un bureau de poste dans ses locaux, avec ses employés.

Si votre parcours nous rassure et si nous ne voyons pas d’objection à votre nomination, le partenariat avec Temu nous inquiète. Cet accord avec une plateforme chinoise de commerce en ligne à bas prix conduit à s’interroger profondément sur l’articulation entre les missions de service public du groupe et ses orientations stratégiques. En effet, Temu est régulièrement dénoncé pour ses pratiques commerciales agressives – concurrence déloyale, non-respect de la propriété intellectuelle, mise en circulation de produits non conformes aux normes européennes.

La Poste, entreprise européenne, est juridiquement responsable de la conformité des produits distribués sur le territoire de l’Union européenne. Or, les vendeurs étrangers comme Temu échappent souvent aux obligations clés concernant la sécurité des produits, le marquage CE – souvent falsifié –, les normes Reach et RoHS relatives aux substances chimiques dangereuses, l’étiquetage textile ou la responsabilité élargie des producteurs (REP), qui impose une contribution à la gestion des déchets. La Poste ne peut pas participer à ce déséquilibre réglementaire et à la concurrence déloyale sur le marché européen, en totale contradiction avec les valeurs et les responsabilités sociétales d’une entreprise à capitaux publics.

Si les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat confirment votre nomination à la tête du groupe La Poste, comment entendez-vous concilier ses missions de service public avec l’urgence économique à laquelle il fait face ?

Mme Marie-Ange Debon. La situation financière de La Poste doit être un angle particulier de travail, et la perspective de l’aggravation de la sous-compensation est un vrai enjeu.

Pour en revenir à Temu, un accord existait déjà. Celui qui vient d’être signé confirme l’application des conditions générales de vente de La Poste, qui ne peut pas faire un refus de vente ou de la discrimination.

J’appelle aussi votre attention sur une tendance inquiétante, celle de la réinternalisation de leur logistique par les plateformes. Amazon l’a déjà fait pour une large part et dispose d’une vaste flotte. Alibaba a commencé à le faire. Ainsi, contrairement à ce que l’on peut croire, La Poste connaît plutôt une baisse de ses volumes de produits chinois depuis le début de l’année. La bagarre se joue d’abord entre plateformes, Temu essayant de rogner sur Amazon. La réinternalisation est un problème de taille, car la logistique est clé pour notre équilibre économique.

M. David Taupiac (LIOT). La Poste nous est chère, en milieu rural. En tant que député du Gers et coprésident du groupe d’études consacré à la ruralité, je suis attaché au maillage territorial de La Poste dans nos campagnes.

Les centres de tri voient arriver des réorganisations, en lien avec le volume de courrier et de colis qui évolue à la baisse. Or, nous manquons de visibilité concernant ces réorganisations. Certains centres de tri, par exemple, quittent le Bas-Armagnac, où les producteurs font beaucoup d’export, pour rejoindre des territoires qui en ont peut-être moins besoin. Nous peinons à comprendre les choix opérés.

Par ailleurs, les horaires d’ouverture des bureaux de poste évoluent à la baisse, parfois sans concertation suffisante avec les élus locaux. Nous parvenons à maintenir une ouverture les jours de marché, mais plus rarement le samedi. La réduction drastique des horaires d’ouverture entraîne une accélération de la baisse de la fréquentation, dont on se sert pour justifier les fermetures. C’est le serpent qui se mord la queue !

La transformation d’agences postales communales, régulièrement proposée en milieu rural, peut constituer une solution. Certains élus l’acceptent, mais nous manquons de visibilité quant à la pérennité des financements et leur adéquation avec la fréquentation et le volume d’horaires affecté aux agents qui assurent les missions d’animation de ces agences. Dans mon territoire, plusieurs communes n’y trouvent pas leur compte.

Enfin, les maisons France Services apportent un service indéniable qu’il faut développer, même si la fréquentation n’est pas toujours au rendez-vous. Quel sera votre projet pour les inscrire dans le panorama local ? Il faudrait éviter que ce ne soit qu’un effet d’aubaine pour financer les autres activités de La Poste.

Votre objectif, dites-vous, est la transparence et le dialogue avec vos équipes. J’espère que vous aurez le même avec les élus locaux.

Mme Marie-Ange Debon. La Poste compte 230 000 collaborateurs, dont 175 000 en France. Je suis très attachée à sa présence territoriale, qui se nourrit de l’activité multiservices, puisque le courrier ne peut plus être à lui seul la colonne vertébrale de la maison. L’objectif est de nourrir le maillage de l’entreprise de nouveaux services de proximité. De ce point de vue, le rapprochement de la CNP et de la Banque postale est un succès. Il doit permettre de développer l’activité sur le terrain.

Je continuerai à assurer cette présence territoriale, en toute transparence et dans le dialogue avec vous, qui connaissez parfaitement vos territoires. Vous êtes les mieux à même de nous en parler et nous devons vous écouter attentivement pour définir notre présence dans les territoires.

M. le président Stéphane Travert. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Frédéric Weber (RN). Vous aspirez à prendre la direction du groupe La Poste. C’est une grande responsabilité.

Votre prédécesseur a décidé d’enlever des boîtes aux lettres pour faire des gains de gestion lors des tournées. Même si l’on peut comprendre le volet économique de cette décision, je vous alerte sur les difficultés que connaissent les personnes âgées, nombreuses dans nos villages, qui ont des difficultés à se déplacer et n’ont pas accès à la numérisation. Examinerez-vous à nouveau cette question, pour que les suppressions de boîtes aux lettres soient décidées en concertation avec les maires – ce qui n’a pas toujours été le cas ?

Mme Olivia Grégoire (EPR). La Poste, dont le capital est détenu à 66 % par la Caisse des dépôts et à 34 % par l’État français, a officialisé un accord avec Temu qui a suscité une profonde indignation.

Il y a quelques jours, quand la Banque des territoires a eu connaissance du partenariat qui se nouait entre Shein et le BHV, le directeur général délégué de la Caisse des dépôts, Olivier Sichel, a immédiatement mis fin aux négociations avec la Société des grands magasins (SGM) pour le rachat des murs du magasin. De fait, il a estimé qu’il n’était pas envisageable d’engager des fonds publics dans une opération contraire à la mission d’intérêt général de la Caisse. Si vous étiez nommée présidente du conseil d’administration de La Poste, vous engageriez-vous à renier cet accord pour protéger notre économie et notre identité ?

Mme Aurélie Trouvé (LFI-NFP). Les territoires ruraux ne sont pas les seuls dans lesquels La Poste est un service public essentiel. Dans les quartiers populaires urbains, elle est parfois le seul service public. Dans celui de la Noue-Caillet à Bondy, quand le distributeur de billets de La Poste est en panne, ce qui arrive fréquemment, c’est un enfer pour les habitants.

Toutefois, je souhaite surtout vous interroger sur la continuité territoriale avec les outre-mer. Comment justifier des écarts de prix parfois du simple au double ou au triple entre l’Hexagone et l’outre-mer, qui rendent parfois inabordable l’envoi de colis pour nos compatriotes ultramarins ? C’est une blessure, quand le territoire et notre République devraient être indivisibles. Envisagez-vous une péréquation tarifaire ou une compensation publique pour garantir l’égalité d’accès au service postal ?

Mme Valérie Rossi (SOC). Je suis députée des Hautes-Alpes et rapporteure pour avis de cette commission pour le programme 134, qui inclut le service postal universel. À ce propos, je rappelle que La Poste a été reconduite comme prestataire de ce service pour dix ans à compter du 1er janvier 2026. La nomination à la tête de ce groupe n’est donc pas une simple formalité.

Vous avez évoqué la diversification – difficile, longue et fragile, pour reprendre vos mots – comme une réponse possible au développement futur des activités de La Poste, pour pallier le déficit de 1 milliard d’euros dû à la sous-compensation persistante de l’État. Qu’entendez-vous exactement par diversification ? Distribuer le courrier, vendre de la téléphonie, gérer un réseau mobile, déployer des services bancaires et répondre aux besoins du bien vieillir ne sont pas les mêmes métiers. Par ailleurs, qui dit métiers dit femmes et hommes. Comment envisagez-vous d’organiser le recrutement et la montée en compétences de vos agents compte tenu de ce panel éclectique d’activités ?

M. Charles Fournier (EcoS). Je confirme que la présence de la Poste est aussi importante dans les territoires urbains, et pas seulement par son activité de courrier, même si l’on a parfois le sentiment que c’est le seul critère pris en compte pour décider de la fermeture d’un bureau de poste. L’activité bancaire de proximité est tout aussi importante, a fortiori dans les quartiers où vivent de nombreuses personnes âgées. Et quand la fermeture d’un bureau de poste s’accompagne de celle de commerces, le sentiment des habitants concernés est celui d’un abandon total. Comment construirez-vous vos critères de décision ? Il faut là aussi faire preuve de transparence, pour que la discussion permette que la décision soit juste et ne repose pas seulement sur un élément comptable.

Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR). J’ai visité la plateforme industrielle courrier de Bois-d’Arcy, dans les Yvelines, qui traite quotidiennement plus de 1,6 million de plis grâce à l’engagement de plus de 400 agents.

Ce site incarne les évolutions profondes du groupe La Poste, avec la diversification dans de nouveaux services comme le portage de repas, le reconditionnement d’ordinateurs ou la logistique du dernier kilomètre, mais aussi avec la réaffirmation de ses missions de cohésion sociale et territoriale.

Dans un contexte de baisse continue des volumes de courrier et de transformation des usages, cette capacité à conjuguer innovation, ancrage local et utilité sociale est à la fois un atout et un défi de pilotage. Comment accompagnerez-vous cette diversification tout en assurant la pérennité et la qualité des missions de service public, en particulier dans les territoires ruraux et périurbains où La Poste reste souvent le dernier lien de proximité ?

M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Comptez-vous, si votre nomination est validée, remettre en cause l’accord signé avec Temu ?

Respecterez-vous l’écart maximum de rémunération de 1 à 20 dans toutes les filiales du groupe, y compris la Banque postale ?

Enfin, pour revenir à France Services, l’objectif n’est pas d’avoir une agence postale dans une maison France Services financée par la commune. Il s’agit de savoir si La Poste accepterait d’être l’opérateur qui porte cette maison, avec des salariés de La Poste pour accueillir les usagers. C’est une autre logique. Il ne suffit pas qu’il y ait « marqué La Poste », il faut que ces maisons soient le cadre d’un service public, mis en œuvre par un opérateur de service public ; mais chez moi, vos délégués répondent qu’il n’en est pas question.

Mme Marie-Ange Debon. Je le redis, mon objectif est le maintien de la présence territoriale et de l’emploi, en travaillant en concertation avec vous, élus de terrain, quand nous constatons une baisse de la fréquentation. Nous devons penser le territoire dans un dialogue avec les élus et toutes les parties prenantes. C’est aussi vrai pour les boîtes aux lettres. Parfois, même quand la porte ferme, il arrive qu’une seule lettre soit déposée en plusieurs mois. Cette question doit être étudiée sur la base de faits précis. Je m’engage devant vous à procéder à une analyse fine de vos besoins sur le terrain.

La diversification a été large et ne peut fonctionner que si nous formons nos équipes et si des recrutements les complètent. Nous poursuivrons le travail entamé dans ce domaine. Le portage des repas n’est pas simplement de la logistique. Par ailleurs, il ne faut pas que cette diversification parte dans tous les sens. Nous avons donc aussi un travail de sélection à accomplir, pour que les activités de diversification soient absorbables par le réseau.

J’en viens à vos remarques relatives aux territoires populaires urbains. La Poste accomplit une mission d’accessibilité bancaire. Plus de 300 bureaux sont dédiés aux migrants, avec des services spécifiques. Aucune autre banque ne propose cela. C’est une activité que nos équipes ont la volonté de conduire – et il n’y a pas de sas. Voilà un exemple parmi d’autres pour illustrer la forte présence de La Poste dans ces territoires.

Concernant l’outre-mer, la péréquation qui s’applique depuis plusieurs années jusqu’à 100 grammes couvre 96 % des envois. La continuité territoriale est compliquée. Du fait du coût du transport aérien, le coût de desserte est quatre à cinq fois plus élevé que dans l’Hexagone. Si la péréquation était étendue, l’impact financier pour La Poste serait élevé.

S’agissant de Temu, je rappellerai plusieurs points. D’abord, ce client avait un contrat avec La Poste, laquelle n’a pas la possibilité de faire du refus de vente et applique ses conditions générales de vente à tous ses clients.

Ensuite, la principale inquiétude vient de l’internalisation du dernier kilomètre par les plateformes – c’est une préoccupation majeure pour nos postiers. La concurrence s’accroît et elle est le fait d’opérateur à bas coût.

Par ailleurs, le transport des colis est indispensable dans la mutualisation des coûts du service universel postal.

Certes, les marchandises chinoises posent problème, mais La Poste n’est qu’un maillon. Plusieurs facteurs peuvent jouer, comme la politique douanière, la politique européenne et les autorités, notamment la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Depuis quelques mois, La Poste connaît un déclin de ses volumes de colis chinois, parce que ce sont d’autres qu’elle qui les livrent. Nous avons les moyens, à l’échelle européenne comme à celle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), de traiter ces questions, en particulier celle des droits de douane.

S’agissant de la position de la Caisse des dépôts vis-à-vis de Shein, la problématique est différente. En effet, la Caisse n’avait pas de contrainte particulière et pouvait décider de ne pas accorder de financements. La Poste, en revanche, ne peut pas faire du refus de vente pour des colis qui se trouvent déjà sur le territoire français et qu’elle distribue.

Avec Temu, le terme de partenariat a peut-être été interprété de manière excessive et il a eu une forte caisse de résonance. Je fais le mea culpa des équipes de La Poste, même si je n’y suis pas encore. Le document que les équipes ont signé n’a pas d’angle stratégique particulier et il existait préalablement. Sans doute y a-t-il eu une erreur d’appréciation quant à son impact sur l’opinion publique et le petit commerce, mais, encore une fois, un tiers des produits vendus par les plateformes commerciales sont chinois. Présence de Temu ou pas, en France ou en Europe, les produits chinois sont diffusés dans les grandes surfaces et dans les plateformes.

C’est une question importante pour l’emploi de La Poste, puisque 80 % des colis de Colissimo sont distribués par les facteurs, mais aussi pour sa performance opérationnelle. La Poste se bat contre l’internalisation opérée par les plateformes. Le commerce en ligne a progressé de 8 % par an ces dernières années. La Poste a accompagné ce mouvement, mais elle n’en est pas à l’origine. Je comprends l’émotion, mais j’essaie de donner les éléments de diagnostic. Il faut aussi que le combat soit mené aux frontières européennes et à l’OMC.

La sous-compensation de 1 milliard d’euros pèse sur les comptes de l’entreprise. Notre objectif est de continuer à travailler avec les pouvoirs publics et avec vous pour que cette sous-compensation soit réduite. Or, le projet de loi de finances laisse penser qu’elle sera accrue. Aujourd’hui, ce milliard est difficilement soutenable par l’entreprise. À moyen terme, il nuit au développement de La Poste. C’est son futur qui est en jeu.

Concernant les salaires, La Poste respecte la loi. Depuis 2018 et l’opération « Mandarine » qui a conduit à déplacer la CNP au sein de la Banque postale, La Poste n’est plus une filiale de premier rang de l’État. Ses filiales ne sont donc pas soumises au décret de 2012.

J’ajoute que le conseil d’administration de la Banque postale et celui de la CNP, composés de personnalités qualifiées et de représentants des salariés, de l’actionnaire et de l’État, se sont prononcés sur ces rémunérations. C’est la compétence de ces instances.

Pour autant, je n’esquive pas la question. En tant que cheffe d’entreprise, ma responsabilité est d’attirer des talents, de les garder et de les motiver. La Banque postale et la CNP évoluent dans des marchés concurrentiels et difficiles, dans un contexte de guerre des talents en France. Les personnes dont la rémunération a été placée sous le feu des projecteurs sont de grand talent et apportent beaucoup au groupe. Mon objectif est qu’il faut les garder – j’aimerais vous faire partager ce sentiment. Il faut qu’elles se sentent contributives dans l’entreprise. Ce sera mon objectif et mon devoir de m’assurer de les conserver et d’en attirer d’autres. La Poste, la Banque postale et la CNP sont en ligne et plus raisonnables en la matière. Malheureusement, nous vivons dans une dichotomie entre les entreprises de service public et les autres, complexe à vivre pour les premières. Nous devons parvenir à concilier ces deux mondes. Je comprends qu’on considère que ces rémunérations sont excessives ou déraisonnables – ce ne sera pas le cas de la mienne –, mais le secteur bancaire et assurantiel est construit ainsi.

M. le président Stéphane Travert. Merci. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous faire part de votre avis sur ce projet de nomination ?

M. Julien Brugerolles, rapporteur pour avis. Merci pour les réponses que vous avez apportées, madame Debon. Les questions qui vous ont été posées prouvent l’attachement des députés aux missions de service public de La Poste, et expriment les inquiétudes que nourrissent la mutation du groupe à l’égard du maintien de l’emploi dans les territoires et de la qualité du service public.

Je reste très réservé quant à vos réponses aux questions portant sur la trajectoire d’emploi du groupe. Je vous ai notamment interpellée sur le maintien de l’emploi dans la branche du courrier et des colis. La Poste a une responsabilité particulière dans ce domaine, mais vos réponses n’ont pas été claires quant à vos engagements. Décider d’un moratoire pour la fermeture de bureaux de poste de plein exercice serait une marque de confiance largement attendue par les députés et par les élus de nos territoires, ruraux comme en zone urbaine. Or, vous n’avez pas répondu positivement à cette demande.

S’agissant de la sous-compensation, le dialogue avec l’État et les parlementaires doit être mis en relation avec le maintien de l’emploi dans les missions de service public du groupe. Vous avez évoqué les nouveaux métiers, mais j’estime que la compensation ne doit en aucun cas passer dans le développement de ces nouveaux métiers. Elle doit répondre à l’exigence de maintenir les missions de service public.

Vous avez rapidement abordé l’évolution de la mission de distribution de la presse, et votre réponse m’inquiète. Si une partie du courrier est distribué à j + 1, permettant de maintenir une distribution quotidienne du courrier, c’est grâce à cette mission de distribution de la presse. Le risque de la voir externalisée, à terme, nous inquiète.

Concernant les horaires d’ouverture, il faut répondre avec des engagements forts. C’est attendu, dans nos ruralités.

Enfin, je laisse juges mes collègues quant à vos réponses concernant l’accord signé avec Temu. Cela nous interroge sur la politique sociale et environnementale de La Poste et son évolution dans la durée.

En somme, j’ai un avis réservé et je vous propose de vous abstenir sur cette nomination.

M. le président Stéphane Travert. Madame Debon, je vous remercie d’avoir participé à cette audition. Nous allons procéder au vote. Je vous invite donc à quitter la salle.

Mme Marie-Ange Debon. Merci pour votre écoute. Soyez assurés de mon implication et de ma volonté de conduire au mieux cette magnifique entreprise.

 

Après le départ de Mme Marie-Ange Debon, la commission, délibérant à huis clos, se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l’article 29-1 du règlement, sur cette proposition de nomination, les scrutateurs d’âge étant M. Maxime Amblard et Mme Louise Morel.

 

Les résultats sont annoncés à dix-neuf heures vingt :

 

Nombre de votants : 43

Suffrages exprimés : 37

Avis défavorables : 22

Avis favorables : 15

Abstentions : 6

 

*

*   *

Puis la commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Harold Huwart, les crédits « Économie sociale, solidaire et responsable » de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2026.

M. Harold Huwart, rapporteur pour avis. L’économie sociale et solidaire (ESS) est une économie à part entière, qui emploie des millions de nos concitoyens. Dans certains territoires ruraux et isolés, elle représente 25 % de l’emploi total, notamment dans des segments dont le marché s’est retiré et où l’État peine à revenir. Pourtant, cette économie du lien, du soin et du quotidien est souvent considérée comme un accessoire dans notre budget.

Le projet de loi de finances pour 2026 entérine ainsi une baisse de près de 40 % des crédits de paiement de l’action 04 du programme 305, qui passeraient de 18,9 millions d’euros (M€) à 12,33 M€. Cette contraction dépasse les simples ajustements techniques qui avaient été évoqués et rompt avec la dynamique adoptée par notre commission et par la représentation nationale l’an dernier, qui avait permis de renforcer ces dotations de 20 %, soit 3 M€.

Ce choix est d’autant plus regrettable et contradictoire que notre pays proclame haut et fort l’importance de la cohésion sociale, de la transition écologique et du renforcement de la souveraineté économique. Sans moyens, ces priorités sont vaines.

Nous sommes face à un risque de décrochage silencieux. Nous constatons l’érosion des trésoreries, l’augmentation des charges pesant sur les acteurs de l’ESS et la baisse des soutiens financiers. Cette baisse frappe aussi les dispositifs d’accompagnement et, surtout, les « têtes de réseau » – un point particulièrement préoccupant, tant est fondamental le rôle des coordinateurs et de tous ceux qui forment, accompagnent, soutiennent et structurent les filières.

Aussi vous est-il proposé de rehausser les crédits de cette action, afin d’assurer la continuité des missions et de l’effort consenti depuis plusieurs années. Ne pas le faire reviendrait à fragiliser gravement les réseaux. Dans la masse des décisions que nous aurons à suggérer ou à voter, les quelques millions d’euros dont nous parlons ne sont pas un élément décisif pour l’équilibre budgétaire de l’État. En revanche, ils peuvent avoir un impact décisif pour la vie et l’action des structures concernées. La prudence nous oblige à être attentifs au fait que certaines baisses de dépenses ou économies, qu’on peut juger nécessaires au niveau national, peuvent se traduire par des dépenses supplémentaires des collectivités locales qui, à la fin, créeront des situations intenables.

Par prudence, j’émettrai donc un avis défavorable aux crédits de l’action 04 du programme 305.

Nous aurons aussi à nous prononcer sur la question de la mesure. Nous le constatons chaque année, l’État pilote à vue – la Cour des comptes l’a encore rappelé dans son dernier rapport consacré à l’ESS. Nous manquons d’indicateurs consolidés, d’outils de mesure de la valeur créée et de données fiables quant à l’impact économique et social de ce secteur.

Aussi ma première recommandation consiste-t-elle à créer un compte satellite de l’économie sociale et solidaire, en lien avec l’Insee et nos partenaires européens, afin d’en mesurer la part dans le PIB, la valeur ajoutée, l’investissement et l’emploi, car il nous faut une expertise sur ces données consolidées. Leur identification est donc nécessaire, étant entendu qu’on est toujours tenté de sous-financer ce que l’on ne mesure pas.

La question des référentiels d’évaluation d’impact est également posée, l’enjeu étant de rendre la dépense plus lisible. Ma deuxième recommandation concerne donc l’« Orange budgétaire ». Il y a dix ans, devant nous, le ministère chargé de l’économie sociale et solidaire avait souligné la nécessité de ce document de politique transversale. Les années passent et nous ne pouvons que regretter l’impuissance des parlementaires dans l’architecture budgétaire et la dépendance vis-à-vis de Bercy pour tout ce qui concerne l’élaboration et l’orientation de ces documents. Or, je le répète : ce qu’on compte, on le protège, ce qu’on mesure, on le finance mieux.

Le troisième pilier de mon rapport concerne la mobilisation citoyenne et privée. L’économie sociale et solidaire n’est pas une affaire d’État.

Elle vit d’abord de l’engagement de nos concitoyens. Lorsque les crédits publics se contractent, les citoyens et les territoires prennent le relais. Toutefois, sans impulsion publique, la solidarité privée finit par s’épuiser. Cette impulsion doit se traduire par des leviers financiers adaptés. Le premier levier est celui des entreprises solidaires d’utilité sociale (Esus), qui relèvent du régime fiscal de l’IR-PME, c’est-à-dire la réduction d’impôt pour souscription au capital d’une PME. Or, ce régime unique est plus adapté aux entreprises à forte croissance qu’à celles de l’économie sociale et solidaire, pour qui les délais d’amortissement et de comptabilisation sont plus longs. Les taux de rendement, les critères d’âge restrictifs et les durées d’éligibilité ne sont pas non plus adaptés. Il vous est donc proposé d’aller vers un régime fiscal autonome IR-PME Esus, qui soit déclaré à la Commission européenne pour la période 2026-2030. Le coût estimé de ce régime serait dérisoire, mais son impact serait décisif pour le secteur, qui a besoin de leviers pour renforcer son engagement économique.

Je passe sur les obligations sociales des contrats à impact des fonds régionaux d’investissement solidaire, qui font l’objet d’amendements.

Dans nos fonctions d’élu, nous avons tous eu l’occasion d’instaurer des fonds régionaux d’investissement avec le système du « un pour un ». Ces crédits sont toujours utiles, même s’ils requièrent de l’accompagnement. Dans la région Centre-Val de Loire, par exemple, le précédent de Duralex est un bel exemple du fait qu’on peut donner un avenir à l’industrie française par la voie des coopératives, en impliquant les salariés dans la reprise de leur entreprise. Le rapport émet des préconisations dans ce domaine.

J’en viens aux monnaies locales. Loin d’être un élément de « folklore économique », comme j’ai pu le penser autrefois – mea culpa ! –, l’expérience montre qu’elles apportent un bénéfice en permettant de flécher la consommation vers des circuits locaux. Elles sont aussi des outils de mobilisation essentiels pour les bénévoles.

Le phénomène n’est pas anecdotique : quarante mille utilisateurs et dix mille entreprises recourent aux quatre-vingts monnaies locales qui existent dans nos territoires. Si nous voulons aller plus loin et miser sur l’effet multiplicateur local de ces expérimentations, il faudrait autoriser certaines dépenses et recettes publiques en monnaie locale – ce qui poserait des problèmes, compte tenu des règles de la comptabilité publique –, mais aussi créer un fonds d’amorçage national autofinancé pour soutenir la formation, la numérisation et le lancement des projets. Ces deux recommandations visent aussi à valoriser une certaine idée de l’engagement et de l’économie, avec un rendement social maximal et un rendement économique qui a fait ses preuves.

Au-delà de l’avis défavorable sur les crédits, ce rapport vise donc à appeler votre attention sur les monnaies locales, qui suscitent une forte attente sur le terrain et pour lesquelles de nombreuses collectivités sont prêtes à s’engager.

M. le président Stéphane Travert. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Frédéric Weber (RN). L’économie sociale et solidaire se présente comme un mode d’entreprise différent, fondé sur la coopération, la solidarité et l’utilité sociale. Dans le principe, nous n’avons aucune raison de nous opposer à cette philosophie, puisqu’elle s’inscrit dans la tradition ancienne des mutuelles et des coopératives agricoles ou artisanales nées de la volonté des travailleurs de s’organiser collectivement, sans aides publiques.

Mais entre cette économie du bon sens, ancrée dans les territoires et issue de l’effort collectif, et l’ESS d’aujourd’hui, il y a un fossé. Depuis dix ans, ce secteur est devenu un champ d’expérimentation administrative vivant principalement de subventions publiques.

Le rapport de la Cour des comptes publié en septembre est d’ailleurs sans appel : entre 2018 et 2024, plus de 16 milliards d’euros (Md€) d’aides publiques ont été distribués à l’ESS par l’État et 6,7 Md€ l’ont été par les collectivités territoriales, sans stratégie claire ni évaluation sérieuse. La part de l’ESS dans l’emploi salarié reste stable (10,6 %) et la progression de ses structures est quasi nulle. Le rapport souligne aussi un pilotage instable, une gouvernance floue et des dispositifs de financement d’une complexité redoutable. En résumé, beaucoup d’argent et peu d’impact pour la relance économique.

Pourtant, le projet de loi de finances pour 2026 ne tire pas les leçons de cet échec. Certes, les crédits de paiement de l’action Économie sociale, solidaire et responsable baissent de 19,8 M€ à 12,33 M€, soit 37,7 % ; mais cette diminution ne s’accompagne d’aucune réorientation structurelle : on continue de subventionner un modèle administré, sans repenser son utilité réelle pour la production nationale.

L’État doit veiller à ce que chaque euro dépensé serve une stratégie claire et cohérente, au service de l’intérêt général. Les soutiens publics doivent être mieux ciblés et recentrés sur les missions régaliennes, le service public et les secteurs structurants pour notre économie, en l’occurrence l’énergie (notamment nucléaire), l’agriculture et l’industrie.

L’État doit cesser de multiplier les dispositifs coûteux, pour enfin créer un environnement favorable à l’économie et à l’initiative dans nos territoires : simplification administrative, baisse des impôts de production, soutien à l’investissement productif et suppression de normes anti-industrie, comme l’objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN).

M. Harold Huwart, rapporteur pour avis. Je réfute une partie du constat que vous dressez. Le rapport de la Cour des comptes est assez catégorique quant au fait que le secteur de l’ESS bénéficie de moins d’aides économiques que le secteur marchand et que ses entreprises employeuses (associations, mutuelles, etc.) ne bénéficient pas des mêmes dispositifs de soutien à l’emploi que les autres. L’emploi dans ce secteur est donc plus coûteux qu’ailleurs, sans compter que la part des subventions est en moyenne inférieure à 20 %, y compris pour les associations non lucratives et sans ressources marchandes, qui vivent des produits qu’elles génèrent, des cotisations, du soutien de leurs membres et des actions de leurs bénévoles.

Durant huit ans, j’ai défendu le budget de l’économie, y compris sociale et solidaire, dans l’hémicycle d’un conseil régional. Je n’ai alors pas entendu vos collègues du Rassemblement national tenir votre discours. Au contraire, ils reconnaissaient la valeur ajoutée et l’implication des structures de l’ESS dans les territoires.

Le débat national a ses exigences, mais la prise en compte des réalités locales doit nous inciter à la nuance.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Je partage pleinement le constat du rapporteur, que je félicite pour son travail.

Certains arguments sont difficiles à entendre. L’économie sociale et solidaire représente 10 % de notre PIB et 25 % de l’emploi salarié en milieu rural, chers collègues du Rassemblement national.

Vous parlez d’intérêt général : est-il d’intérêt général qu’en milieu rural, nous ayons des crèches associatives ? Mais peut-être n’est-il plus besoin de crèches, après tout, les femmes retourneront à la maison et garderont leurs enfants ! Est-il utile et d’intérêt général que nous ayons des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) associatifs en milieu rural ? En l’absence de modèle économique, aucun Ehpad ou aucune crèche privée ne viendra s’installer. Sans l’économie sociale et solidaire, il n’y aurait tout simplement pas de service public de cette nature.

Qu’on le veuille ou non, les chiffres sont là : un quart de l’emploi salarié en milieu rural relève de l’économie sociale et solidaire. Le rapport de la Cour des comptes tombe donc à point nommé et était très attendu. Contrairement aux idées reçues, l’ESS n’est pas une économie subventionnée quand on la compare avec l’économie traditionnelle. Elle fait largement avec « des bouts de ficelle ».

Nous ne validerons pas un budget qui diminue de 40 % les crédits pour une économie qui, si elle ne fait pas suffisamment parler d’elle, fait beaucoup sur le terrain.

M. Harold Huwart, rapporteur pour avis. De nombreux établissements basculent du format associatif vers le format d’une économie sociale, et même du secteur privé vers une reprise en mode ESS. L’émergence d’acteurs comme le Groupe SOS, qui compte plus de 98 000 collaborateurs et agents, est aussi l’indice qu’il existe dans l’activité non lucrative et dans le secteur non marchand une source d’efficacité économique qui doit être prise en considération.

Mme Françoise Buffet (EPR). Les associations, fondations, mutuelles, coopératives et sociétés commerciales de l’ESS représentent plus d’un emploi sur dix dans notre pays. Ces structures sont au cœur du lien social – ce sont nos clubs sportifs, nos centres sociaux ou culturels ou encore nos entreprises à mission – et font vivre les valeurs démocratiques au quotidien.

Contrairement aux idées reçues, l’ESS peut aussi être économiquement performante. Les coopératives agricoles prouvent que démocratie et efficacité économique peuvent aller de pair. À elles seules, elles réalisent la moitié du chiffre d’affaires de l’agroalimentaire français. Le soutien de l’État à l’ESS est indispensable, et je vous invite à ne pas le considérer par le petit bout de la lorgnette.

L’action 04 est dotée de 11 M€, principalement destinés au dispositif local d’accompagnement (DLA). Ce montant ne représente qu’une petite goutte dans le total des aides versées par l’État aux structures de l’ESS, chiffré en septembre par la Cour des comptes à 16 GEUR, en hausse de 23 % depuis 2018.

L’ESS représente environ 10 % du PIB selon les estimations de l’Insee. Comparée à l’économie conventionnelle, qui bénéficie, d’après le Haut-Commissariat au plan, de 122 Md€ d’aides pour une participation de 75 % à la valeur ajoutée, l’ESS est proportionnellement trois fois plus aidée. Il ne s’agit donc pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux. Dépourvu de stratégie nationale, l’État intervient à travers une multiplicité d’acteurs, avec une grande diversité d’objectifs. Cela nuit probablement à l’efficacité de la dépense publique, autant qu’à la lisibilité de son action.

J’ai proposé un amendement en commission des finances, étant hors délais pour la nôtre, visant à renforcer le programme Statistiques et études économiques afin d’inciter l’Insee à créer un compte satellite. Soutiendrez-vous cet amendement ?

M. Harold Huwart, rapporteur pour avis. Oui. Je suis très favorable à la création d’un compte satellite. Pour surmonter les débats dont cette commission est systématiquement le théâtre, il importe d’objectiver une fois pour toutes le niveau de soutien dont bénéficie ce secteur, ainsi que son impact économique et social.

Mme Valérie Rossi (SOC). Le budget dédié à l’ESS est l’une des mesures les plus violentes du projet de loi de finances pour 2026 – pas par sa portée budgétaire, mais par son ampleur pour le secteur concerné : pas moins de 40 % de réduction des crédits.

L’ESS n’est pas un ersatz d’économie, mais une part entière de notre économie. Elle structure nos territoires, génère de nombreux emplois, contribue souvent à l’insertion de personnes éloignées du marché du travail classique et répond à des besoins que le reste de l’économie ignore, faute de rentabilité suffisante à ses yeux.

La politique de soutien de l’État à l’ESS contribue donc à aider les acteurs qui, des têtes de réseau aux organisations locales, aident au développement et à la structuration d’un vaste réseau économique et associatif assurant un maillage fin de nos territoires. Ce mode d’entreprendre, qui se caractérise par une gouvernance démocratique et une lucrativité nulle (ou limitée), représente 2,6 millions d’emplois, soit 13,7 % de l’emploi privé – et plus de 20 % dans un département rural comme le mien. Quelle autre dépense budgétaire de l’État soutient l’emploi pour moins de dix euros par an ?

Les économies proposées relèvent d’une approche purement comptable selon laquelle, pour réaliser des économies résiduelles à l’échelle des besoins, on inflige des dégâts maximaux. Dans les Hautes-Alpes, le pôle territorial de coopération économique (PTCE) Altitudes coopérantes, particulièrement performant, fédère les acteurs de l’ESS autour d’un projet de mutualisation d’outils – annuaire en ligne, échange de matériel, fonds de mutualisation de trésorerie, accompagnement de projets. Dans les Alpes-Maritimes, le PTCE Fleurs d’exception du pays de Grasse a réussi à rassembler artisans, PME, agriculteurs, associations, chercheurs et collectivités pour relocaliser la production de plantes à parfum.

Fragiliser les PTCE, c’est prendre le risque de casser une dynamique unique dans nos territoires. En deux ans, leur budget serait divisé par 22, pour atteindre 110 000 euros. À un tel niveau, cette sous-action existe-t-elle encore ?

Il est urgent de rétablir les crédits de l’action à un niveau soutenable pour les acteurs de l’ESS. Nous proposerons même un effort supplémentaire, avec une augmentation des crédits de 20 M€. À défaut, il nous semble essentiel qu’un effort budgétaire supplémentaire permette à tout le moins de soutenir les acteurs locaux au travers des DLA et des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (Cress).

Ce que coûte l’ESS au budget, c’est une dépense. Ce qu’elle rapporte à la société, c’est un investissement. En l’état, mon groupe est radicalement opposé aux crédits de l’action 04. Nous proposerons, par amendements, de redonner à cette politique publique les moyens de son action.

M. Harold Huwart, rapporteur pour avis. Au-delà des PTCE, la baisse de crédits proposée frappera aussi les DLA, qui jouent un rôle capital dans la structuration de l’emploi associatif et de l’ESS. La répercussion sera également forte sur les têtes de réseau. Dans un moment où l’ESS subit la « double lame » de la baisse des crédits de l’État et des collectivités publiques et de la montée des charges, ainsi que de la frilosité des bénévoles et des acteurs privés, il est indispensable de renforcer les têtes de réseau et les structures d’accompagnement.

M. Charles Fournier (EcoS). Je remercie le rapporteur pour son analyse des crédits budgétaires et des champs d’innovation économique que sont les monnaies locales et la finance solidaire.

Chaque année, nous nous trouvons face aux mêmes difficultés : pas d’orange budgétaire pour une vision consolidée, sérieuse et précise de la contribution de la puissance publique, et pas de compte satellite du côté de l’Insee, malgré une promesse datant de 2019.

La part de l’ESS dans le PIB et dans l’emploi privé est régulièrement citée, mais il serait intéressant de regarder au-delà. Le PIB n’est pas l’indicateur le plus juste pour parler du bénévolat, de la vie associative et des services rendus. Sans l’ESS, notre pays ne fonctionnerait pas. Ce moment où nous connaissons un creusement des inégalités et un affaiblissement démocratique, où la bifurcation écologique est en panne et où notre économie aurait besoin de s’appuyer sur une économie territorialisée et des emplois non délocalisables, est aussi celui où l’on décide d’envoyer de mauvais signaux à cette économie qui défend des valeurs nécessaires.

Les coupes budgétaires ne concernent pas seulement la ligne de l’ESS ou celle de la vie associative, mais toutes les politiques publiques. Or, l’ESS est particulièrement sensible aux politiques publiques. Je pense au sport ou à la culture, mais aussi aux coupes en direction des collectivités, qui compensent parfois l’absence d’engagement envers l’ESS.

Plutôt qu’avoir une politique interministérielle ambitieuse comme d’autres pays – l’Espagne a consacré 800 M€ pour soutenir l’investissement dans le champ de l’ESS –, nous discutons d’une baisse de 19 M€ à 11 M€. Cela ne va pas du tout !

Contrairement à ce qui a été dit, l’ESS n’est pas une économie sous respiration artificielle d’argent public. Les chiffres avancés par le Rassemblement national et par madame Buffet ne sont pas les bons. Il faut comparer ce qui est comparable. Le rapport du Sénat montre que les aides directes et indirectes à l’économie représentent environ 211 Md€, tandis que le rapport de la Cour des comptes évalue à 16 Md€ celles pour l’ESS. Ces 16 Md€ ne correspondent pas à la part que représente l’ESS dans notre économie, loin de là. Il faut soutenir ce secteur, qui est aussi le champ de l’innovation sociale, y compris à travers ses sociétés commerciales. Nous sommes loin des caricatures qui viennent d’être faites.

Nous devons collectivement envoyer un message fort aux acteurs de l’ESS, car il ne peut y avoir d’ESS sans cet écosystème. Tout comme les chambres de commerce et d’industrie (CCI) et les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) pour l’économie classique, les Cress ont besoin d’être soutenues. Je proposerai des amendements en ce sens.

Enfin, vous avez évoqué les monnaies locales. Il y a quelque temps, sur ces mêmes bancs, nous n’en partagions pas la même vision, monsieur le rapporteur. Je suis heureux de constater que le temps travaille et que nos points de vue convergent désormais.

M. Harold Huwart, rapporteur pour avis. Je souscris largement à vos propos. Nous poursuivrons le débat lors de l’examen des amendements que vous avez déposés.

M. Romain Daubié (Dem). Je vous félicite pour la qualité de votre travail, monsieur le rapporteur. Dès lors qu’elle représente 10 % du PIB et 14 % des emplois, l’ESS est un sujet économique, et non accessoire.

En témoigne, dans mon territoire, le travail effectué par Valhorizon à Trévoux, Cotière Avenir dans les secteurs de Montluel et Miribel, Objectif Développement Insertion à Meximieux ou Rênoverie dans la Plaine de l’Ain. Je n’oublie pas les activités non marchandes, parmi lesquelles des crèches associatives et des Ehpad non lucratifs. Ces structures effectuent un travail remarquable en matière d’emploi, d’insertion, de pouvoir d’achat ou d’empreinte carbone. En l’occurrence, un euro bien ciblé est un emploi non délocalisable et utile.

Même si je comprends que l’effort budgétaire s’impose à tous, je regrette les coupes trop marquées pour l’ESS. Je recommanderais qu’il y ait moins de frais de fonctionnement central et plus d’argent pour les actions de terrain. Je constate l’utilité des PTCE, mais je m’interroge sur le coût des Cress. Pourriez-vous demander un rapport d’évaluation à ce sujet ?

M. Harold Huwart, rapporteur pour avis. On peut toujours demander un rapport, étant précisé que la contribution de l’État aux Cress est marginale par rapport à celle des conseils régionaux qui, de leur propre initiative, assurent l’essentiel de cette dépense. Il sera donc utile de les associer à ce travail d’information, dont je ne doute pas qu’il aboutira à démontrer que ces instances de démocratie permettent à la fois d’exprimer le besoin du secteur et de mettre en relation ses acteurs entre eux. Les effets positifs ne sont pas directement perceptibles, mais le législateur que nous sommes doit pouvoir les prendre en compte dans la durée.

M. Julien Brugerolles (GDR). Je remercie à mon tour le rapporteur pour son avis. J’ai reçu hier plusieurs associations d’insertion par l’activité économique. Elles étaient paniquées par la baisse de 40 % des crédits pour l’ESS. Ce sentiment est partagé par l’ensemble des acteurs du secteur, qui dénoncent ce projet de budget. Ces coupes franches sont inacceptables s’agissant d’un secteur déjà massivement sous-doté, alors qu’il représente à lui seul 10 % du PIB et 14 % de l’emploi privé, et qu’il joue un rôle social irremplaçable, en particulier en milieu rural.

Ces coupes s’ajoutent à la baisse de 13 % des crédits consacrés au développement de la vie associative, à la baisse des crédits du programme Accès et retour à l’emploi et des politiques d’insertion, sans compter les répercussions indirectes des efforts d’économies demandés aux collectivités territoriales. C’est un profond contresens économique. Ces choix auront des conséquences dramatiques pour tous les acteurs du secteur, avec un risque de perte de quatre-vingt-dix mille emplois pourtant essentiels à la réponse aux besoins sociaux, au développement économique local et à la cohésion sociale et territoriale.

Le signal envoyé par ce budget est déplorable. Nous avons impérativement besoin de revoir les crédits de cette mission.

M. Harold Huwart, rapporteur pour avis. Nous sommes face à un plan social massif et silencieux, masqué par la diversité et la dispersion des acteurs. Parmi nos travaux potentiels, il faudrait essayer de caractériser l’ampleur de ce phénomène qui aura des conséquences tant pour nos territoires que pour notre économie.

M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Nous entrons dans l’examen du budget pour 2026 – un mauvais budget pour la France, un mauvais budget pour les Français et un mauvais budget pour l’ESS.

L’ESS est déjà trop oubliée. C’est pourtant un secteur clé pour notre économie, au-delà de son utilité sociale et de son utilité écologique qui en font un socle de solidarité, de progrès et d’efficacité économique.

L’ESS, ce sont près de trois millions de salariés et 10 % de la richesse nationale créée. Ce sont des entreprises, de vraies entreprises, dont l’objectif de production l’emporte sur la recherche du profit personnel, des associations et nombre d’autres structures. Ce sont des crèches et des Ehpad non lucratifs, des aides à domicile, des activités sportives, de l’insertion par l’activité économique, de la culture. Bref, du progrès, de l’emploi et du mieux-vivre. Comme l’ont rappelé les représentants de cette économie lors de leur audition devant notre commission en avril, l’ESS est essentielle et souvent présente où les services publics ne le sont plus. Elle est même souvent le dernier kilomètre de l’intérêt général, au plus près des besoins.

Pourtant, ce secteur est structurellement moins soutenu que les autres par l’État. En 2024, ce dernier lui a consacré 16 Md€, soit à peine 7 % des 211 Md€ d’aides publiques accordées chaque année.

Le chiffre d’affaires des entreprises de l’ESS est estimé à 381 Md€ en 2024, contre à peine 25 Md€ pour celui des start-up dont on entend parler du matin au soir. Ce secteur reste pourtant fragile, en tension. La reconnaissance de la richesse qu’il crée, dans tous les sens du terme, n’est pas là. Les coupes prévues dans le budget pour 2026 sont estimées à 54 %. Elles représentent une baisse de 14 M€ pour les seules dépenses qui concernent directement les acteurs du secteur, soit des dizaines de milliers d’emplois. Un plan social massif et silencieux est en cours. Comme le disent les associations, ça ne tient plus.

Cette situation est d’autant plus grave qu’elle s’ajoute aux coupes prévues pour les régions. La présidente de la région des Pays-de-la-Loire a déjà pris des décisions de coupes drastiques pour l’ESS. En Normandie, la Cress a été placée en liquidation judiciaire et ne peut plus accompagner les acteurs.

Pour toutes ces raisons, nous avons déposé des amendements visant à reconduire les crédits de 2025, sinon les augmenter, mais aussi à créer un fonds dédié à la reprise d’entreprises par les salariés – comme la reprise en société coopérative et participative (Scop) de Duralex, dans le Loiret, qui mérite d’être soutenue.

Bref, en matière d’emploi, mieux vaut écouter l’économie sociale et solidaire que le Medef.

M. Harold Huwart, rapporteur pour avis. S’il m’était permis d’aller dans votre sens, dans les limites de la prudence politique qui doit être la mienne, j’ajouterais qu’en plus de la baisse des crédits du programme 305, on pourrait en citer au moins une quinzaine d’autres. La ligne de crédit 134 de BPIFrance, qui intervient aussi en soutien du secteur, a été portée à zéro. Les taxes sur les mutuelles et les chèques-vacances, de même que d’autres mesures fiscales, auront aussi un effet négatif sur le secteur.

L’effet cumulatif des décisions inscrites dans ce budget et dont la somme n’est pas calculable doit nous préoccuper. Je ne sais pas si c’est un mauvais budget, mais il ne tient qu’à nous d’en faire, si ce n’est un bon budget, au moins un budget utile pour le pays – dans la limite d’une situation qui reste grave.

M. Jérôme Nury (DR). L’ESS a sa place dans notre économie. Elle représente 11 % de l’emploi privé. Si nous voulons que ce secteur reste légitime et efficace, il faut poser des limites claires et combattre l’idéologie.

On peut comprendre que l’État refuse de continuer à financer indéfiniment des projets soutenus uniquement par des intentions louables, mais sans modèle économique ou résultats concrets. Nous devons concentrer les moyens publics sur ce qui fonctionne, par exemple les coopératives agricoles qui ont démontré leur solidité depuis des décennies. Elles permettent aux agriculteurs de mutualiser les outils de production, de s’organiser face aux fluctuations du marché et de créer de la valeur localement. Ce sont des structures économiquement viables, utiles et enracinées.

Les associations d’insertion par l’activité économique ont des défis immenses à relever, notamment pour appliquer la loi pour le plein emploi. Notre crainte est que la baisse drastique et immédiate du nombre d’emplois aidés mette des structures à terre. Dans l’Orne, après la baisse des emplois aidés cette année, l’association AIFR Bocage devra licencier. Avec une baisse supplémentaire en 2026, l’avenir de cette structure s’assombrit. Il est pourtant essentiel de préserver les emplois aidés par ces acteurs, surtout quand ils remplissent leurs objectifs de sorties positives, pour accompagner les pouvoirs publics dans la révision du dispositif du RSA.

À l’inverse, trop de projets restent subventionnés à perte, sans perspective de pérennité. Ce n’est plus tenable.

Les choix budgétaires doivent reposer sur des critères simples : viabilité économique, impact mesurable, ancrage territorial, atteinte des objectifs. Ainsi, le recentrage de l’intervention de l’État dans ce budget ne doit pas être un retrait « sec », mais une clarification. L’État doit continuer à financer la gouvernance nationale du secteur, à accompagner les têtes de réseau, à soutenir l’innovation sociale et à défendre des dispositifs comme les investissements à impact social.

Le recentrage de l’État, que l’on peut comprendre, doit aussi s’accompagner d’une gestion plus rigoureuse. Le DLA doit être évalué de manière approfondie pour éviter les doublons avec les dispositifs européens comme le « Fonds social européen + » (FSE +). La simplification des démarches et la dématérialisation complète doivent être poursuivies pour libérer les énergies sur le terrain.

Enfin, disons les choses clairement : les structures matures doivent tendre vers l’autonomie financière. L’ESS ne saurait être un secteur sous perfusion permanente, il faut l’aider à se consolider.

M. Harold Huwart, rapporteur pour avis. Je partage ce constat et cet objectif. Vous citez les coopératives agricoles : c’est un débat que nous avons depuis cent quarante ans. À l’époque, lorsque les lois relatives aux syndicats et aux coopératives ont été votées, une partie de nos collègues ont obtenu que soient décidés des incitations fiscales, des taux réduits sur les accises et d’autres dispositions coûteuses pour le budget de l’État, tandis qu’une autre partie doutait que ce soit une bonne solution, estimant qu’il fallait laisser faire le marché. En l’occurrence, ceux qui ont considéré qu’il fallait aider ce secteur à se structurer ont donné à l’agriculture la possibilité de franchir une étape et d’accomplir des progrès qui ont réécrit l’histoire de la ruralité en France, ainsi que le destin de la puissance française.

Ainsi, pour les mêmes raisons que celles que vous mentionnez, vous devriez participer à notre débat quant à la nécessité de rétablir certains crédits, que j’estime utiles et bien investis.

M. le président Stéphane Travert. C’est ce qui fait la spécificité du monde des coopératives, qui obéissent aussi à la commande publique.

M. Charles Fournier (EcoS). Je ne crois pas que le secteur de l’ESS soit sous perfusion. Les associations reçoivent tout au plus 20 % de subventions, et certaines n’en perçoivent pas. Il faut lire le rapport de notre collègue Fabien Gay : on parle de 211 Md€, sans transparence et sans contrepartie. À la différence de l’économie conventionnelle, l’ESS se fixe des contreparties et des règles à elle-même. Elle se fixe des contreparties démocratiques, une limitation de sa lucrativité et des engagements sociaux et environnementaux. Non, il n’y a pas de perfusion ! C’est une légende. Il faut en sortir et objectiver ces éléments.

Par ailleurs, vous avez évoqué les monnaies locales, mais que pensez-vous des monnaies interentreprises ?

M. Harold Huwart, rapporteur pour avis. Elles font partie des dispositions potentiellement intéressantes, mais posent des questions différentes de celles des monnaies locales. Il fallait choisir une cible.

Quand on pense aux associations et aux services que leurs bénévoles rendent… si l’économie sociale est sous perfusion, c’est sous la perfusion de la bonne volonté des Français qui s’engagent pour la faire vivre ! Le jour où ces structures baisseront le rideau, compenser leur action impliquera des dépenses colossales par rapport aux quelques économies que nous voudrions en tirer.

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du Mardi 21 octobre 2025 à 17 heures 

 

Présents.  M. Laurent Alexandre, M. Maxime Amblard, M. Antoine Armand, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Benoît Biteau, M. Julien Brugerolles, M. Stéphane Buchou, Mme Françoise Buffet, Mme Nathalie Coggia, M. Romain Daubié, M. Julien Dive, M. Charles Fournier, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Jean-Carles Grelier, M. Harold Huwart, M. Maxime Laisney, M. Thomas Lam, Mme Annaïg Le Meur, Mme Nicole Le Peih, M. Robert Le Bourgeois, M. Guillaume Lepers, Mme Sandra Marsaud, M. Patrice Martin, M. Nicolas Meizonnet, Mme Manon Meunier, Mme Christelle Minard, Mme Louise Morel, M. Jérôme Nury, M. Dominique Potier, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, Mme Anne-Sophie Ronceret, Mme Valérie Rossi, M. David Taupiac, Mme Sabine Thillaye, Mme Mélanie Thomin, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Frédéric-Pierre Vos, M. Frédéric Weber

Excusés.  M. Inaki Echaniz, Mme Hélène Laporte, M. Aurélien Lopez-Liguori, M. Max Mathiasin, M. Maxime Michelet, M. Philippe Naillet, M. Stéphane Peu, M. Joseph Rivière

Assistaient également à la réunion.  M. Jean-René Cazeneuve, Mme Olivia Grégoire