Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Examen, en application de l’article 148 du Règlement, de la pétition intitulée « Non à la Loi Duplomb - Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective » (n° 3014) (Mmes Hélène Laporte et Aurélie Trouvé, rapporteures). 2
– Informations relatives à la commission.....................2
Mercredi 5 novembre 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 19
session ordinaire de 2025-2026
Présidence de
M. Stéphane Travert, Président
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La commission des affaires économiques a examiné, en application de l’article 148 du Règlement, la pétition intitulée « Non à la Loi Duplomb - Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective » (n° 3014) (Mmes Hélène Laporte et Aurélie Trouvé, rapporteures).
M. le président Stéphane Travert. En application de l’article 148 du règlement, nous examinons la pétition n° 3014 intitulée « Non à la loi Duplomb – Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective », qui a recueilli plus de 2 millions de signatures – un fait sans précédent qui justifie l’attention que lui porte notre commission.
Le sujet est à la fois important et délicat. Les préoccupations citoyennes liées aux effets de certaines techniques agricoles sur la qualité de l’alimentation, l’environnement, la biodiversité et la santé sont légitimes. D’un autre côté, certaines filières agricoles peinent au quotidien à maintenir leur production, y compris face à la concurrence internationale.
Le 17 septembre, nous avons décidé de nous saisir de cette pétition ; le 8 octobre, Hélène Laporte et Aurélie Trouvé ont été désignées rapporteures sur proposition de leurs groupes respectifs. Aujourd’hui, nous examinons la pétition sans vote, à la suite de quoi un rapport comprenant son texte intégral, le compte rendu de nos débats ainsi qu’un avant-propos personnel de chacune des rapporteures sera publié. Je vous annonce que je demanderai à la Conférence des présidents que ce rapport fasse l’objet d’un débat en séance publique – ce serait une première pour une pétition ; ce débat ne donnerait pas non plus lieu à un vote, mais pourrait ouvrir la voie à des initiatives législatives.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. Ce débat sur les effets qu’ont les pesticides sur la santé et les modèles agricoles que nous voulons est un moment de démocratie inédit. L’examen de la proposition de loi Duplomb avait été confisqué dans l’hémicycle par une motion de rejet. La pétition contre ce texte, qui a recueilli plus de 2 millions de signatures pendant l’été, permet de le rouvrir ici et, je l’espère, en séance. C’est une victoire pour la démocratie, mais aussi pour la science qui, comme la santé, doit redevenir le guide de la décision publique.
Les auditions que nous avons conduites pour établir ce rapport ont rendu un diagnostic implacable : l’Ordre des médecins ou encore la Ligue contre le cancer, qui n’avaient pas été auditionnés sur la loi Duplomb, nous alertent sur les risques graves que présentent les néonicotinoïdes, en particulier l’acétamipride. Ces substances sont suspectées d’affecter le développement neurologique des fœtus et des enfants, et d’accélérer les cancers. La France est le pays d’Europe où le nombre de nouveaux cas de cancers croît le plus vite, notamment chez les enfants, et l’une des causes de cette tendance est l’exposition aux pesticides persistants.
Depuis plus de dix ans, les agences scientifiques, françaises comme européennes, demandent de nouvelles données sur les néonicotinoïdes. L’Agence européenne de sécurité des aliments, l’Efsa, reconnaît qu’il faut fortement revoir à la baisse les doses autorisées et n’exclut pas d’interdire l’acétamipride dès 2026. La loi Duplomb fait le choix inverse : lever les garde-fous en négligeant les données scientifiques et médicales. Le principe de précaution, pourtant inscrit dans la Constitution et dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), n’a pas été respecté.
Le constat dressé par les agences de l’eau n’est pas moins accablant : 64 % des points prioritaires de captage ont été déclassés dans le bassin Rhône-Méditerranée-Provence, et 200 des 5000 captages du bassin Adour-Garonne ont dû fermer à cause de pollutions agricoles diffuses. Le message est clair : c’est en amont qu’il faut agir, en transformant nos pratiques agricoles.
Pour cela, il faut des moyens budgétaires massifs. Les agriculteurs qui renoncent aux pesticides doivent être accompagnés, formés, soutenus. Plusieurs filières – la betterave, la pomme, la poire – ont montré que d’autres solutions existent : biocontrôle, filets, diversification des rotations, cultures mellifères. Pour les développer, il faut de la recherche publique. Les agriculteurs concernés doivent bénéficier de mesures de compensation, d’aides à l’achat d’équipements et d’intrants alternatifs, mais aussi de formations et du soutien encore insuffisant de l’ingénierie territoriale afin d’accélérer la transition agroécologique. Il faut encore améliorer les débouchés pour les produits bio, par exemple dans les cantines.
Or, depuis l’interdiction de l’acétamipride en 2018, l’État n’a pas mobilisé les moyens suffisants. Pendant que les agriculteurs attendent, Bercy fait tout le contraire de ce qu’il faudrait faire en annonçant des coupes dans le Parsada – le plan d’action stratégique pour l’anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures.
En outre, les Français consomment chaque jour des produits importés qui sont traités avec des pesticides interdits ici. L’accord commercial tout juste conclu entre l’Union européenne et les États-Unis, par exemple, aura pour effet d’autoriser l’importation de 500 000 tonnes de noix et noisettes américaines en franchise de droits. Autrement dit, nous interdisons à nos agriculteurs d’utiliser certaines substances au nom de la santé publique – c’est heureux – mais nous importons librement des produits traités avec ces mêmes molécules.
La France doit agir. L’article 36 du TFUE autorise les États membres à restreindre ou à interdire l’importation de produits portant atteinte à la santé publique. Il n’y a donc aucun obstacle juridique à ce que la France interdise l’importation de produits traités à l’acétamipride ou avec d’autres pesticides nocifs ; encore faut-il qu’elle en ait la volonté politique.
Autre défi : la baisse rapide et inexorable de la ressource en eau. Pour y faire face, il faut, plutôt qu’une fuite en avant, réduire la dépendance de l’agriculture à l’égard de l’irrigation et transformer les modes de production. En outre, l’augmentation continue de la taille des élevages risque, à terme, de condamner l’agriculture familiale, car il ne sera plus possible de transmettre les exploitations à un ou deux actifs.
Adoptée sans étude d’impact ni concertation, la loi Duplomb a fracturé la confiance entre citoyens, agriculteurs et institutions – confiance que la démarche entamée aujourd’hui peut contribuer à rétablir, en fondant la décision politique sur la science et la transparence, et surtout sur un critère déterminant : la santé humaine.
L’examen de la pétition doit selon moi aboutir à trois résultats : exiger que s’applique le principe de précaution, apporter un soutien financier massif à la transition agroécologique des filières – à l’inverse de ce que prévoit le budget qui nous est soumis – et défendre les agriculteurs contre la concurrence déloyale qu’alimentent des accords commerciaux contraires à l’impératif de protection de la santé des Européens.
Mme Hélène Laporte, rapporteure. La pétition « Non à la loi Duplomb » est historique par l’ampleur de son succès : aucune autre n’a jamais approché un tel nombre de signataires. Consciente de l’ampleur de cet événement démocratique, notre commission a décidé à l’unanimité de l’examiner, comme l’y autorise l’article 148 du règlement. Mme Trouvé et moi-même avons donc auditionné des acteurs du secteur agricole et du monde scientifique pour qu’ils apportent leur éclairage au débat en donnant suite à la demande formulée dans la pétition d’organiser une « consultation citoyenne des acteurs de la santé, de l’agriculture, de l’écologie et du droit ». Je regrette que ces auditions ne donnent pas lieu à la publication d’un rapport plus complet.
Étant donné l’isolement de la France concernant l’emploi de l’acétamipride en agriculture, nous avons auditionné la Commission européenne. Les vingt-six autres États membres de l’Union européenne et le reste du monde autorisent cette substance ; on ne saurait donc faire le tour du sujet en se limitant au cas français. Par ailleurs, il faut entendre les différents protagonistes du débat en cours dans la société civile. Selon la pétition, la loi Duplomb est une « aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire ». À la lumière des échanges que nous avons conduits depuis juillet, je peux répondre sans ambiguïté à ce reproche : non, la loi Duplomb, adoptée au terme de plusieurs mois de débat, n’est pas une aberration. Elle répond à des problèmes précis qui paralysent l’agriculture française, et son impact a été évalué avec un sérieux qui fait malheureusement défaut dans les réactions militantes qu’elle a suscitées.
En dépit de la censure partielle que le Conseil constitutionnel a prononcée le 7 août, une part importante de nos échanges a porté sur le point qui a cristallisé les désaccords : la possibilité d’utiliser à titre dérogatoire l’acétamipride ou des molécules ayant un mode d’action identique. Les auditions de représentants du monde agricole ont été éclairantes : sans cette molécule, certaines filières se trouvent dans une impasse technique. L’Inrae – l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement – a confirmé que la filière de la cerise et, plus encore, celle de la noisette n’ont aucune solution alternative.
La noisette illustre parfaitement la triste aptitude qu’a développée notre pays à sacrifier ses propres atouts. Dans le Lot-et-Garonne, par exemple, cette production augmentait depuis plusieurs décennies et toutes les conditions étaient réunies pour qu’elle prospère : altitude idéale, capital technologique et mécanisation, marché robuste. La France est le troisième consommateur mondial, mais 90 % des noisettes que nous achetons sont importées. Grâce à sa structuration et à ses méthodes de travail exemplaires, cette filière est devenue un fournisseur de choix pour certains industriels, en particulier le groupe Ferrero, qui achète et transforme un tiers de la production mondiale. Une seule faiblesse la condamne : l’arsenal phytosanitaire autorisé en France ne lui suffit pas pour se prémunir efficacement contre les attaques des ravageurs que sont la punaise diabolique et le balanin, au point qu’en 2024, les récoltes ont reculé de 65 %.
L’équation est simple : sans l’acétamipride, la filière française de la noisette n’est pas viable face à la concurrence de la Turquie, de l’Italie, des États-Unis ou encore du Chili. Dans ces pays, les molécules homologuées se comptent en centaines. Si nous perdons la filière de la noisette, dont 60 % des exploitations sont à haute valeur environnementale, les territoires devront affronter une forte érosion des coteaux. Bien sûr, les Français continueront de consommer des noisettes importées, sans traçabilité fiable des produits employés.
L’Inrae rapporte que d’autres filières subissent les fortes répercussions de l’interdiction française : la cerise, la betterave, la pomme, la poire. Toutes ont leurs spécificités, mais se heurtent à un problème commun : en l’état actuel des connaissances, l’acétamipride n’est pas remplaçable pour lutter contre les ravageurs. Contrairement au reproche souvent adressé aux agriculteurs, l’absence de solution alternative n’est pas le résultat de leur mauvaise volonté. Des efforts considérables sont consacrés à l’innovation agronomique, mais aucune certitude n’existe qu’on puisse à brève échéance se prémunir contre les ravageurs.
De surcroît, l’interdiction pose la question de l’impact environnemental, sanitaire et social des substituts employés. Interdire deux passages annuels d’acétamipride, c’est imposer une quinzaine de passages de pyréthrinoïdes, selon l’Inrae, avec tous leurs effets sur l’écosystème et leur coût financier et humain pour les producteurs. En outre, la multiplication des passages crée un problème de résistance. Dans la filière de la cerise, l’installation de filets décuple les coûts de production et condamne les petits exploitants.
Face à ces éléments concrets, les arguments contre l’emploi de l’acétamipride – pourtant très encadré dans la loi Duplomb avant la censure de l’article concerné – ne m’ont pas convaincue. Ils confirment des données connues, à savoir l’évidente toxicité de cette molécule – argument qui vaut pour tous les pesticides – mais à ce jour, aucun lien formel n’a été établi entre l’exposition à l’acétamipride et le cancer ou d’autres pathologies. Plusieurs cancérologues ont d’ailleurs refusé de signer la pétition. Les organisations médicales, quant à elles, n’invoquent qu’un motif de précaution ; à cet égard, le Conseil de l’Ordre est dans son rôle. L’interdiction de l’acétamipride entraîne en effet le recours à d’autres substances dont on ne peut guère arguer de l’innocuité – et pour cause, elle ne peut pas être prouvée. Il est donc très incertain de spéculer sur l’impact sanitaire et environnemental d’une réintroduction de l’acétamipride.
Ce débat ne doit pas éclipser les autres points de la loi Duplomb, désormais inscrits dans le droit positif et qui doivent être préservés. Il faut que nos filières d’élevage obéissent aux mêmes règles que celles de leurs homologues européennes ; c’est l’objet de l’article 3. De même, face à la tension accrue que le changement climatique impose sur la ressource en eau, la multiplication des infrastructures hydrauliques permettra d’optimiser l’usage de l’eau et, in fine, de réduire les prélèvements agricoles à production égale.
L’examen de la pétition est l’occasion de porter un regard rétrospectif sur la loi, dont je reste convaincue qu’elle est équilibrée et qu’il fallait l’adopter. Pour autant, qu’elle ne nous fasse pas oublier que, pour inverser le déclin de la souveraineté alimentaire française, les chantiers législatifs sont, pour l’essentiel, encore devant nous.
M. le président Stéphane Travert. Une réflexion transpartisane sur la révision du règlement et l’organisation des travaux parlementaires est en cours à l’initiative de la présidente de l’Assemblée : je lui proposerai que chaque proposition de loi soit désormais accompagnée d’une étude d’impact afin d’apporter un éclairage objectif.
Il est vrai que les auditions menées en vue de l’examen de la pétition ne donnent pas lieu à l’établissement d’un rapport classique, mais le rapport comprendra, comme le prévoit le Règlement, le compte rendu de la présente réunion ainsi que le texte de la pétition ; il sera en outre précédé des observations personnelles de nos deux rapporteures. Je conviens que c’est une situation exceptionnelle, puisqu’il n’est presque jamais arrivé qu’une commission soit réunie pour examiner une pétition, et qu’aucune pétition n’a encore donné lieu à un débat en séance publique.
Nous en venons aux orateurs des groupes.
Mme Géraldine Grangier (RN). La pétition « Non à la loi Duplomb » réclame l’abrogation d’une loi pourtant déjà promulguée. Nous respectons le droit de pétition, mais le Rassemblement national ne soutient pas cette demande. Nous avons voté cette loi parce qu’elle desserrait enfin l’étau administratif qui étranglait nos agriculteurs.
Ce qui nous choque le plus, c’est l’hypocrisie, pour ne pas dire la trahison, de ceux qui prétendent la renégocier. Quand Emmanuel Macron dit qu’il veut rouvrir le dialogue, il sait pertinemment qu’il ne changera rien. Souvenez-vous : au Salon de l’agriculture, le Président de la République assurait que les agriculteurs ne devaient pas être une variable d’ajustement – mais dans les faits, rien. Voilà toute la méthode du président Macron : des mots compatissants, des gestes symboliques, et derrière, une politique qui continue d’étrangler ceux qui travaillent la terre. Comme à son habitude, le bloc central applaudit. Ils parlent d’Europe souveraine, mais sacrifient notre souveraineté alimentaire ; l’hypocrisie est totale. Ils nous disent vouloir protéger la santé des Français, mais autorisent les importations de produits traités avec des pesticides interdits en France. Ils prétendent défendre la planète mais, en réalité, ils obligent nos agriculteurs à produire moins pour importer plus. Ils promettent d’alléger les normes, mais en inventent de nouvelles chaque mois.
Pendant ce temps-là, dans mon territoire du Doubs comme ailleurs, les paysans se meurent, les jeunes renoncent à s’installer, les villages se vident. Cette loi aurait pu être un signal de redressement ; par la faute du Gouvernement, elle est devenue un symbole de duplicité.
Au Rassemblement national, nous ne varions pas. Depuis des années, nous affirmons que la France ne peut pas vivre d’une agriculture sous perfusion européenne. Nos agriculteurs ont besoin de liberté, de prix justes et de respect. Nous avons formulé des propositions simples, de bon sens, et nous défendons l’exception agriculturelle : des prix planchers par filière pour que personne ne vende à perte, et la préférence française dans la restauration collective et les marchés publics pour que l’argent public serve les productions françaises. Nous proposons aussi de mettre fin aux surtranspositions, cette manie française d’ajouter des contraintes aux contraintes alors que nos voisins les suppriment. Surtout, nous voulons soutenir les exploitations familiales, qui sont l’avenir de l’agriculture française.
Il n’y aura pas de redressement agricole sans courage politique, sans préférence agricole française et sans rupture avec les dogmes européens. La loi Duplomb n’est qu’un début. Elle devra être améliorée, appliquée avec prudence dans le cadre d’une stratégie de souveraineté nationale. Face à la duplicité du bloc central, nous, députés du Rassemblement national, continuerons de défendre les agriculteurs français, ceux de la France qui produit, la France qui nourrit, la France qui se tient encore debout.
Mme Hélène Laporte, rapporteure. Ce qui a le plus cristallisé l’opposition des auteurs de la pétition, c’est l’article 2 de la loi. La France est le parent pauvre de l’Europe, car les autres pays peuvent utiliser l’acétamipride. Les représentants de la Commission européenne que nous avons auditionnés n’ont pas exprimé le souhait de revenir sur l’autorisation de cette molécule avant 2033. Nous leur avons demandé s’il nous était possible d’interdire en France des produits qui en contenaient : il faudrait, nous ont-ils répondu, déposer des demandes solidement étayées par des données scientifiques.
Atteindre la souveraineté alimentaire est un défi colossal. Un chiffre résume tout : la France affiche désormais une balance du commerce agro-alimentaire déficitaire de 244 millions d’euros entre janvier et août 2025.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. En fait, la DG Santé de la Commission européenne nous a bien dit qu’elle se réservait le droit d’interdire l’acétamipride dès 2026 – et elle l’a écrit. J’ai même eu le sentiment que cette hypothèse était très plausible.
La Commission nous a également dit que la France pouvait parfaitement invoquer l’article 36 du TFUE pour un motif de protection de la santé humaine, auquel cas l’interdiction d’importer des produits contenant de l’acétamipride s’appliquerait immédiatement, en attendant que la Commission statue.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Le succès exceptionnel de la pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale montre que les questions que soulève la loi Duplomb-Menonville – n’oublions pas son deuxième auteur – interpellent nos concitoyens. Le débat est nécessaire ; d’ailleurs nous l’avons eu ici même, pendant dix-sept heures.
Cependant, je m’étonne que le rapport que nous examinons n’apporte aucun élément nouveau, alors que les rapporteures ont auditionné une vingtaine d’organismes, dont l’Inrae, l’Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail –, le CNRS – Centre national de la recherche scientifique –, le Conseil national de l’Ordre des médecins, et ainsi de suite.
Pendant ce temps, la réalité que connaissent nos agriculteurs, en particulier nos arboriculteurs, reste inchangée. Les experts de l’Inrae le rappellent clairement : certaines filières se trouvent dans une impasse technique et économique majeure – c’est le cas de la noisette, mais aussi de la pomme ou encore de la cerise, bien mal en point dans mon département du Rhône. Ils soulignent que les solutions alternatives à l’acétamipride ne sont pas encore opérationnelles, que le biocontrôle et la lutte biologique en sont encore au stade de la recherche, et que les substituts déjà utilisés, comme les pyréthrinoïdes, sont plus nocifs pour la biodiversité et la faune auxiliaire que l’acétamipride lui-même.
C’est aussi ce qu’ont récemment confirmé les filières de la pomme et de la poire : l’interdiction brutale des néonicotinoïdes a entraîné le recours à des produits moins efficaces, quoique problématiques pour l’environnement.
Dans la filière de la cerise, enfin, la principale solution de substitution à l’acétamipride consiste à installer des filets de protection, mais les coûts de production à l’hectare s’en trouvent décuplés ; ce n’est pas viable.
Il est vrai que pour certains députés, la rentabilité des activités agricoles n’est pas une priorité. Mais que préconisent dans l’immédiat les rapporteures pour sortir de l’ornière les filières de la noisette, de la cerise et de la pomme ?
Madame Laporte, vous défendez une proposition de loi sur l’étiquetage des denrées alimentaires : pensez-vous que l’emballage du sucre importé de Belgique devrait indiquer que les betteraviers belges utilisent parfois de l’acétamipride ?
Madame Trouvé, en septembre, vous avez déclaré ceci : « On interdit l’utilisation de l’acétamipride, on interdit l’importation du Nutella, et puis c’est comme ça. » Après avoir travaillé à votre rapport, continuez-vous de penser qu’il faut interdire l’importation de Nutella ? Cette interdiction pourrait bien contrarier certaines des familles des quelque 2 millions de signataires de la pétition contre la loi Duplomb…
Mme Hélène Laporte, rapporteure. Une réévaluation aura lieu à la fin 2026 mais pour l’instant, l’acétamipride n’est pas interdit. En attendant, la filière noisette est dans l’impasse et ses pertes sont catastrophiques.
Je suis favorable à une traçabilité totale des produits. Il se trouve que mes enfants consomment parfois du Nutella et qu’il est à base de noisettes produites en Turquie ; je préférerais qu’ils mangent du Nutella fabriqué avec des noisettes françaises, traitées au moyen de molécules que nous connaissons, car en Turquie, les producteurs de noisettes utilisent plus d’une centaine de molécules.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. Ne serait-ce que par respect pour la Ligue nationale contre le cancer et l’Ordre des médecins, que nous avons auditionnés, je dois vous dire que nous avons bien pris connaissance d’éléments nouveaux puisqu’ils n’avaient jamais été auditionnés pour préparer la loi. Or, ils nous ont expliqué que la corrélation entre l’usage de produits phytosanitaires, notamment l’acétamipride, et les effets promoteurs de cancer était avérée, et que le risque sanitaire était assez fort pour justifier l’application du principe de précaution – ce même principe qui n’a pas été appliqué pour le chlordécone aux Antilles, avec les conséquences sanitaires désastreuses que nous connaissons.
Au fond, la question qui nous est posée est non seulement politique, mais aussi morale et même philosophique : la santé des personnes doit-elle ou non être un critère déterminant ? Si oui, il faut donner à l’action publique les moyens d’interdire les produits potentiellement dangereux.
Quant aux propos que vous rapportez, je les ai tenus pendant une intervention d’une heure et demie à la fête de l’Humanité. Et je confirme que je suis opposée à l’importation de substances blindées d’acétamipride dans le Nutella.
M. François Piquemal (LFI-NFP). Le miel, produit par les abeilles, mangé par les humains et les ours, a la réputation d’être impérissable – mais jusqu’à quand ? Toutes celles et ceux qui ont signé la pétition contre la loi Duplomb ont raison de s’en inquiéter. L’acétamipride, dont la loi Duplomb autorise la réintroduction, est un néonicotinoïde qui s’attaque au système nerveux des insectes, notamment des pollinisateurs comme les abeilles. Les études de l’Inrae montrent sa dangerosité : ce pesticide est 5 à 10 000 fois plus toxique que le DDT – le dichlorodiphényltrichloroéthane –, un insecticide pourtant interdit depuis les années 1970. Un tiers des colonies d’abeilles meurent chaque année. Selon certains scénarios, elles auront complètement disparu dans quelques décennies. Or, près de 90 % des arbres fruitiers dépendent de leur pollinisation.
Mais l’acétamipride ne s’arrête pas à nos ruches. Il se retrouve aussi dans le cycle de l’eau, des ruisseaux à l’eau de pluie, avec des conséquences néfastes sur la santé. Les données de l’Inserm – Institut national de la santé et de la recherche médicale – établissent les liens qui existent entre l’exposition aux pesticides et des maladies comme celle de Parkinson, des cancers du sang et de la prostate, des leucémies, des troubles de la fertilité ou encore certains troubles cognitifs.
Disons-le : la loi Duplomb est une loi poison. La voter tue. Qui, ici, veut nous faire absorber du poison ? Avec cette loi, que restera-t-il de la ressource en eau ? Les agences de l’eau nous rappellent qu’une grande partie des aires de captage d’eau potable sont affectées par une pollution diffuse qui est souvent d’origine agricole, à tel point qu’il a fallu en fermer 200 dans le bassin Adour-Garonne. Elles insistent toutes sur le coût de traitement de cette pollution, à quoi s’ajoute la raréfaction de la ressource du fait de la multiplication de dispositifs d’un autre temps, comme les mégabassines.
Nos enfants pourront-ils encore manger du miel ? Boire une eau propre sans pesticides ? Pour qu’ils le puissent, il nous faut changer de modèle agricole, afin de protéger nos agricultrices et agriculteurs, mais aussi la qualité de ce que nos concitoyennes et concitoyens mettent dans leur assiette. Nous avons 2 131 160 bonnes raisons de le faire.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. L’Efsa nous a bien indiqué que l’autorisation vaut jusqu’en 2033, mais qu’une révision est possible en 2026 sur la base des nouvelles données qu’elle attend, même si les dispositifs capables de produire des éléments suffisants manquent.
Mais l’Efsa n’est pas une agence scientifique ; c’est un organisme de réglementation qui s’appuie sur les données scientifiques et les interprète. On ne peut donc pas dire que l’Efsa produit des démonstrations scientifiques implacables. Les véritables acteurs scientifiques, nous les avons auditionnés : le CNRS, l’Inserm et la Ligue nationale contre le cancer, par exemple. Tous nous ont fait part d’études collectives – certaines remontant même à 2013 – qui établissent la corrélation possible entre le cancer et l’acétamipride.
Mme Hélène Laporte, rapporteure. Les noisetiers fleurissent l’hiver, hors période de pollinisation. Ensuite, la principale menace qui pèse sur les abeilles, c’est le frelon asiatique. De surcroît, aucune donnée ne montre que la mortalité des abeilles ait évolué, en mieux ou en pire, depuis l’interdiction de l’acétamipride – qui, contrairement à d’autres pesticides, disparaît rapidement. Enfin, l’utilisation de l’acétamipride était très encadrée et réservée à certaines filières.
M. Dominique Potier (SOC). Pierre Mendès France disait que la démocratie est d’abord un état d’esprit, celui du dialogue et de la recherche commune de la vérité dans la diversité de nos pensées ; je me réjouis que ce débat nous donne l’occasion de le vivre. Comme le président Travert, Boris Vallaud a demandé au nom de notre groupe qu’il se poursuive en séance publique.
La ligne du groupe socialiste est inchangée : réconcilier la société avec son agriculture, l’économie avec l’écologie. Les enjeux de l’agriculture contemporaine sont le mur climatique et la falaise démographique. Nous avons besoin d’une grande loi foncière, d’une grande loi sur le renouvellement des générations, d’une grande loi pour l’élevage. Nous avons besoin d’un architecte de la transition comme Edgard Pisani le fut après-guerre. Nous avons besoin d’une vision.
À la place, nous avons Duplomb : hystérisation du débat et occultation des questions socio-économiques pourtant fondamentales pour l’agriculture. Dans l’esprit de Laurent Duplomb et de ceux qui le suivent, l’écologie est l’ennemi, et l’agroécologie ce sur quoi il faut revenir. C’est faire l’impasse sur une donnée essentielle : sans santé des écosystèmes et des sols, il n’y aura pas de productivité. Notre souveraineté alimentaire est directement attachée à la santé des écosystèmes ; et dans le temps long, la régulation est profondément favorable à la prospérité.
Notre ligne reste inchangée, elle ne varie pas selon les humeurs ou l’opinion publique. Nous l’avons définie en 2023 face à la remise en cause de l’agroécologie et de l’Anses, qui a commencé au début de la guerre en Ukraine. J’en rappelle les grandes lignes : il faut poursuivre l’effort agroécologique, car il est salutaire. Pour cela, il faut renforcer la politique Écophyto : les crédits proposés dans le budget de cette année ne représentent qu’un cinquième de ceux d’il y a deux ans. Il est impératif de réparer le continuum recherche-développement, notamment par le conseil agronomique et la mobilisation des filières, qui fait encore défaut. Entre précaution, interdiction et négation, nous prônons la prévention des risques et l’anticipation des crises. Le retrait des molécules est inéluctable et nous devons trouver de nouvelles solutions ; toutes passent par l’agronomie.
La science doit être au cœur de nos arbitrages. Nos décisions ne doivent être déterminées ni par l’opinion, ni par le marché, mais par l’Anses, qu’il faut renforcer, et par l’Efsa, à qui il revient de réguler les produits.
Telle est notre ligne, qui prend trois formes législatives : des mesures miroir de lutte contre la concurrence déloyale, une proposition de résolution européenne, et une proposition de loi qui apportera de véritables réponses aux questions que soulève la loi Duplomb.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. Je souscris à vos propos.
Un mot sur le miel : lors de l’adoption de la loi Duplomb, l’Union nationale de l’apiculture française y a vu « une véritable attaque contre l’apiculture française ». Autre apport nouveau des auditions : Philippe Grandcolas, du CNRS, nous a expliqué que la betterave, certes, n’est pas mellifère, mais qu’elle est souvent cultivée en rotation avec d’autres cultures qui le sont, comme le colza. Or, l’acétamipride persiste dans l’eau et les sols et finit par contaminer les abeilles. C’est précisément pourquoi votre groupe, monsieur Fugit, était divisé lors du vote de la loi.
Mme Hélène Laporte, rapporteure. Nous avons également auditionné Éric Lelong, représentant de l’interprofession des produits de la ruche, selon qui les problèmes sont moindres pour la filière de la noisette. Il n’en va certes pas de même pour le colza, mais nos auditions n’ont pas porté sur ce point. De même, j’ai interrogé les agences de l’eau sur la traçabilité de l’acétamipride : aucun retour à ce sujet.
Quant à M. Potier, il a exposé un programme politique ; je n’ai rien à en dire.
M. Julien Dive (DR). Vous avez raison, monsieur le président, de demander des études d’impact pour les propositions de loi. Au reste, sur le sujet qui nous occupe, un projet de loi aurait été préférable : il nous aurait permis d’étoffer le débat et d’en maîtriser la durée.
Le débat aurait été confisqué, nous dit madame Trouvé : c’est faux, le débat en commission a duré dix-sept heures – vous le savez d’autant mieux que vous présidiez la commission à l’époque –, des milliers d’amendements ont été examinés et tous les groupes ont pu en faire adopter ; l’opposition en a d’ailleurs fait voter davantage que la majorité relative d’alors. Certes, le débat dans l’hémicycle n’a pas eu lieu, mais le Conseil constitutionnel a validé le processus démocratique qui a conduit à l’adoption de la loi. En outre, la motion de rejet a été adoptée par un vote, à 70 % : c’est aussi la démocratie qui s’est exprimée, et nous savons tous pourquoi la motion a été votée. Si l’obstruction annoncée avait eu lieu, nous n’aurions pas ce débat aujourd’hui, parce que le texte serait encore dans les limbes du calendrier législatif.
Vous avez fait le lien entre l’acétamipride, les pesticides permanents – dont beaucoup sont des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques dites CMR 1, donc interdites – et les cancers. À la suite des auditions que vous avez menées, êtes-vous en mesure de nous apporter la preuve que l’acétamipride est cancérogène ? Dominique Potier l’a dit : nous devons nous fonder sur la science – et renforcer l’Anses. La question est donc simple : l’acétamipride est-il cancérogène ? Avez-vous étudié les solutions alternatives comme les pyréthrinoïdes, qui ont fait l’objet d’une alerte de l’Anses ?
La pétition a recueilli plus de 2 millions de signatures, un nombre record. Mais interrogeons-nous sur sa diffusion : c’est la première fois que je vois une pétition autant relayée sur les stations du service public en plein cœur de l’été. Pourquoi n’avez-vous pas auditionné l’Arcom, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ?
Mme Hélène Laporte, rapporteure. Tous les groupes politiques étaient représentés à la commission mixte paritaire qui a adopté le texte. Le vote final ne convient peut-être pas à certains groupes politiques, mais tous étaient là. On ne peut donc pas crier au déni de démocratie.
Les auditions que nous avons menées ne me permettent pas de dire que l’acétamipride nous met en danger, car je ne l’ai pas entendu. Dans une tribune parue dans Le Point, le médecin cancérologue Jérôme Barrière a dit refuser une « forme d’enfumage émotionnel » et qu’aucune preuve scientifique n’établissait que l’acétamipride pouvait présenter un risque.
Nous avons principalement auditionné les filières et le monde scientifique, mais pas l’Arcom, puisque la pétition a d’abord été gérée par France Connect.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. Il aurait mieux valu, en effet, que ce texte soit un projet de loi, assorti d’une étude d’impact. Je regrette que le Gouvernement n’ait pas fait ce choix, car il aurait changé la nature du débat.
Le débat en commission a été riche et constructif ; je m’en réjouis. En revanche, je le répète, il a été confisqué dans l’hémicycle et l’esprit de la motion de rejet a été dévoyé.
À la suite des auditions, je peux vous le dire clairement : l’acétamipride comporte des risques de perturbation endocrinienne et de perturbation du développement neurologique des enfants. Du fait de ce qui est au minimum une controverse scientifique, le principe de précaution doit s’appliquer.
M. le président Stéphane Travert. J’ai lu dans la presse que le débat n’avait pas eu lieu à l’Assemblée. Au contraire, le débat en commission a été de qualité, apaisé, respectueux, et nous a permis de faire bien avancer le texte.
M. Benoît Biteau (EcoS). Par leur proposition de loi, les sénateurs Duplomb et Menonville avaient l’ambition de réagir à la crise économique agricole, mais ils ont oublié que cette crise structurelle est l’héritage de soixante ans de développement agricole. Vu l’état du secteur, il faut réinventer les pratiques plutôt que prolonger des mécanismes qui ont plongé l’agriculture dans la situation où elle est.
La loi Duplomb ne concerne qu’une frange des agriculteurs, puisque l’acétamipride ne peut être utilisé que sur 4,2 % des surfaces. Seuls 6 % des agriculteurs sont irrigants, donc concernés par le stockage de l’eau, et 3 % seulement des éleveurs sont concernés par les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Ce n’est que cette frange-là que vise la loi, en aucun cas la très grande majorité des agriculteurs, que la loi Duplomb, parce qu’elle ne leur apporte aucune réponse économique, laisse dans une grave difficulté.
En outre, elle ne tient pas compte des alertes scientifiques sur la biodiversité et la santé. Le principe consistant à refuser toute suppression sans solution, en occultant les solutions fondées sur l’agronomie, est consternant. Nous, législateurs, devons réagir à un texte pareil par des politiques publiques. Voilà ce que nous demandent les citoyens et les pétitionnaires, qui nous invitent à repenser le développement agricole par l’action publique.
Enfin, ce qui menace la souveraineté alimentaire, c’est le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Pour avancer, nous devons proposer des solutions techniques qui préservent le climat et la biodiversité. Ce que nous demandent les signataires de la pétition, c’est de replacer la question agricole au cœur d’un débat de société. Parler d’agriculture, c’est parler de l’alimentation de chacun, de l’eau qu’on boit chaque jour, de l’air qu’on respire à chaque instant, et de la santé de tous – au premier rang desquels nos enfants, qui sont les premières victimes de l’utilisation massive des pesticides, comme en témoignent hélas les récents événements survenus dans ma circonscription. De ce débat de société, le législateur aurait pu sortir en invoquant le principe de prévention et de précaution qui préserve la biodiversité et la santé humaine.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. Là est la question centrale : comment aider les agriculteurs à compenser l’interdiction heureuse de pesticides potentiellement dangereux et à travailler autrement ? De ce point de vue, le compte n’y est pas. Les filières nous l’ont dit : on ne leur donne ni compensation, ni les moyens d’utiliser des traitements alternatifs. Christian Lannou, de l’Inrae, nous a expliqué que malgré un plan national de recherche et d’innovation (PNRI) de trois ans sur la betterave, aucune solution d’ingénierie territoriale n’a pu être proposée sur le terrain. De même, il est vrai que les filets de protection des cerisiers coûtent très cher, ce qui avantage les grandes exploitations. Pourquoi l’État ne mobilise-t-il pas les moyens nécessaires pour que les petites exploitations puissent s’équiper ?
Mme Hélène Laporte, rapporteure. Le déploiement des filets de protection fait passer le coût de production de la cerise de 10 000 à 100 000 euros l’hectare. Pour les petits producteurs, c’est impossible ; d’ailleurs, beaucoup arrêtent et changent de production. Quant à la noisette, l’Inrae nous a dit que les solutions seraient disponibles dans trois à cinq ans. Par exemple, la généralisation de la technique de l’insecte stérile, en cours de déploiement dans le Lot-et-Garonne, prendra du temps.
M. Éric Martineau (Dem). Cette pétition a reçu un nombre record de signatures. Nous ne devons pas l’ignorer : elle révèle les inquiétudes de beaucoup de nos concitoyens. Elle dénonce « une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire ». Quant à moi, j’assume mon vote pour cette loi visant à lever les contraintes au métier d’agriculteur dans le respect des normes sanitaires et environnementales qui font la qualité de ce que nous mangeons. Les agriculteurs ne se divisent pas entre les bons et les méchants ; n’opposons pas les agricultures et l’environnement.
Je suis agriculteur et je connais les difficultés de certaines filières, ainsi que les produits utilisés pour lutter contre les ravageurs. Parlons vrai : il arrive que les filières, conventionnelles ou bio, aient besoin d’utiliser des produits de traitement pour protéger leurs récoltes. Reste à déterminer lesquels nous autorisons, lesquels nous interdisons. Je ne suis pas scientifique, mais je sais écouter la parole des autorités telles que l’Anses. Le dernier rapport de l’Inrae présente les situations dans lesquelles les solutions alternatives aux néonicotinoïdes sont insuffisantes, voire absentes.
Pour autant, toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ? L’acétamipride a été interdit en 2018, et personne ne se demande par quoi il a été remplacé. Qui a parlé de l’azadirachtine ? Personne. Qu’il s’agisse du puceron de la betterave, du pommier, du navet, de la mouche de la cerise ou de celle du figuier, toutes les filières sont concernées – surtout la cerise, nous dit l’Inrae, et la noisette. Cette dernière filière fait un usage déraisonnable des pyréthrinoïdes, qui portent préjudice à la biodiversité et détruisent les régulations naturelles dans le verger. Pourtant, elle est au bord de la faillite.
Nous, députés, avons voté une résolution contre les surtranspositions du droit européen, mais lorsqu’il s’agit de faciliter le travail des agriculteurs – soutenus par 70 % des Français –, le débat s’enflamme et il est difficile, voire impossible de lever les entraves. Nous nous sommes lié les mains. Pendant ce temps, on importe des noisettes de Turquie, d’Italie et des États-Unis, qui contiennent des néonicotinoïdes.
Soutenons les agriculteurs, en leur donnant les moyens de produire en quantité et en qualité. Réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques et assurer la transition de l’agriculture, j’y suis pleinement favorable, mais en maintenant la productivité et la compétitivité des filières – c’est l’Inrae qui le dit. Cette pétition omet une phrase essentielle : « Je m’engage à acheter des produits français de qualité et de saison, en acceptant de rémunérer les agriculteurs à la hauteur de mes exigences sanitaires et environnementales ». Avec cette phrase, j’aurais signé.
On s’étonne du nombre d’exploitations qui disparaissent, mais on n’offre aucune solution aux agriculteurs. Je veux bien qu’on me dise que je travaille mal, mais dites-moi juste comment je dois faire. Soyons fiers de nos agriculteurs et donnons-leur des solutions !
Mme Hélène Laporte, rapporteure. L’Inrae décrit la situation financière critique de la filière de la noisette en raison des pertes de récolte qu’elle a subies. Il ajoute que la surutilisation des pyréthrinoïdes est une réponse d’urgence à une crise, mais qu’elle ne peut pas constituer une solution durable pour plusieurs raisons, notamment le risque de développement de résistances.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. En 2016, l’Efsa a demandé que l’acétamipride soit classé parmi les substances cancérogènes ; la France, l’Espagne et l’Allemagne y étaient favorables, mais c’est resté sans effet.
Les solutions alternatives existent dans les filières de la betterave, de la pomme et de la poire, même s’il est vrai qu’elles sont plus coûteuses : filets, biocontrôle, parasitoïdes, etc. Le problème, c’est que les gouvernements successifs de M. Macron n’ont pas mobilisé les moyens nécessaires. Dans le dernier budget, les programmes liés à la sortie des pesticides continuent de baisser.
M. le président Stéphane Travert. Je précise que la commission a demandé à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) de mener une étude sur plusieurs molécules, dont l’acétamipride ; d’après nos informations, il devrait rendre ses conclusions en début d’année prochaine.
M. Henri Alfandari (HOR). Je salue les citoyens qui ont signé cette pétition pour exprimer leur inquiétude légitime, et je pense à tous les autres, qui sont bien plus nombreux.
Le débat opposerait ceux qui se préoccupent de la santé des gens et de leurs enfants à ceux qui veulent donner le cancer et tuer les leurs – on voit la profondeur intellectuelle de la caricature. À l’origine de tout cela, on trouve une loi d’orientation agricole (LOA) incomplète, qui ne résolvait pas certains problèmes, en particulier de surtransposition du droit européen et de foncier. Bien sûr, il faudra y revenir – la proposition de loi Duplomb ne visait qu’à s’occuper de la surtransposition.
Je pense que tous les députés ici présents veulent conserver des objectifs environnementaux ambitieux – ne caricaturons pas les positions. La meilleure manière de les atteindre consiste à produire chez nous pour ne pas dépendre des importations. Or, en vingt-cinq ans, la part des biens alimentaires importés est passée de 25 % à 50 %, et la situation continue de se dégrader. Quand on veut faire quelque chose bien, on commence par le faire chez soi, en étant exemplaire et en maîtrisant la chaîne de production.
L’Europe est le continent le plus écologique du monde ; nulle part ailleurs les normes ne sont aussi strictes. Nous ne demandons qu’une chose : laisser nos agriculteurs travailler dans les mêmes conditions que leurs collègues européens. Il faut arrêter de les accabler ; comme la majorité des Français, ils font de leur mieux, et même plus – nul autre n’est soumis à une telle conditionnalité des financements. Ils s’adaptent toujours plus, mais c’est au prix de leurs revenus, de la maîtrise de leur destin et de la transmission de leurs exploitations.
Arrêtons l’hypocrisie. Tout le monde parle de Shein : l’urgence, c’est le réchauffement climatique, mais la plupart des produits que nous utilisons, même hors de l’alimentation, ont nécessité de l’énergie issue du charbon, donc ils pourrissent l’environnement – il faudrait s’y intéresser. Plutôt que d’interdire des substances peut-être cancérigènes – sans qu’on le sache vraiment –, commençons par interdire celles, en libre circulation, qui le sont à coup sûr.
Enfin, puisqu’il est question de santé, le choix de la précaution devrait dépendre du rapport bénéfice-risque. Rien dans la vie n’est dépourvu de risque : la question est de savoir si le bénéfice vaut le risque. Sortons de l’écologie de la lutte des classes pour entrer dans l’écologie des résultats et enfin soutenir nos agricultures.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. Il faut produire chez nous et acheter français, dites-vous ; commençons par ne pas multiplier les accords de libre-échange, au premier rang desquels l’accord avec le Mercosur. Le président de la République est à deux doigts d’abandonner la position française : il y a trop d’hypocrisie à tenir votre discours sans s’insurger.
Vous voulez que les agriculteurs soient payés au juste prix. Pourquoi n’avez-vous pas voté les prix planchers ?
Pour protéger les agriculteurs, on peut interdire l’importation de produits agricoles traités avec des substances illégales en France. L’article 36 du TFUE nous permet de demander dès aujourd’hui à la Commission européenne d’interdire l’importation de denrées traitées à l’acétamipride.
Mme Hélène Laporte (RN). Il faut en effet commencer par s’opposer aux traités de libre-échange. En janvier, nous avons adopté la proposition de résolution européenne visant à refuser la ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur, sans aucune voix du groupe EPR. Il faut être cohérents – consommer français pour protéger nos agriculteurs.
Sur l’acétamipride, en effet, la France ne peut pas être le seul pays européen à ne pas l’autoriser.
M. David Taupiac (LIOT). Notre groupe reste favorable à l’organisation d’un débat en séance publique. Sans portée législative, il ne répondra pas à la demande des signataires de la pétition, mais ce sera l’occasion d’évoquer les aspects qui ont suscité de l’inquiétude chez nos concitoyens, en particulier l’usage des phytosanitaires et le partage de l’eau dans un contexte de pénurie croissante.
Le succès de la pétition confirme qu’en matière sanitaire et environnementale, nous devons fonder nos décisions sur des avis scientifiques, afin qu’elles soient rationnelles, donc acceptables. Parce que l’expertise scientifique sur l’acétamipride manquait, nous avions déposé, sur la proposition de loi, des amendements visant à encadrer son usage, en le bornant dans le temps et en le limitant aux filières en difficulté ayant engagé un processus de sortie des pesticides.
Pour la même raison, nous avions demandé en mai une saisine préalable de l’Anses et l’Inrae, afin d’actualiser l’évaluation des risques sanitaires et de déterminer les filières éligibles à la dérogation, en appliquant les critères établis par la représentation nationale.
Nous avons également demandé le retrait du décret du 10 juillet, publié sans égard pour les débats parlementaires. Il imposait au directeur de l’Anses un calendrier d’examen des demandes d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques établi par le ministère de l’agriculture.
Seul l’Inrae a publié ses recommandations, mais ces premières conclusions nous éclairent déjà. De nombreuses filières sont en grande difficulté ; certaines, comme la noisette, sont même dans une impasse technique. Les solutions alternatives ne sont pas encore opérationnelles. Si nous ne voulons pas que ces filières disparaissent, nous devons faire preuve de lucidité et les soutenir, mais non sans précautions.
Une autre leçon s’impose : sur des sujets aussi essentiels, il est imprudent de recourir à une proposition de loi. Sans les études d’impact qui sont l’apanage des projets de loi, nous naviguons à l’aveugle. Par ailleurs, il faut réfléchir au rôle que devrait jouer l’Opecst lors de l’examen de telles propositions de loi.
Le débat en séance permettra d’aborder la nécessité d’augmenter le budget de la recherche agronomique et scientifique ; celle d’imposer des mesures miroirs pour éviter d’importer des produits interdits en France, donc de tolérer une concurrence déloyale pour les agriculteurs ; celle d’accompagner les filières qui subissent des pertes – lors de l’examen de la proposition de loi en commission, j’avais déposé un amendement en ce sens, qui avait été adopté.
Mme Hélène Laporte (RN). Nous avons auditionné le panel le plus large possible, mais nous ne disposions que de dix jours pour entendre une quinzaine de personnes. Je reviens toujours à cela : plusieurs cancérologues et médecins ont refusé de signer la pétition. Ils se sont même étonnés, dans une tribune parue il y a quelques semaines dans Le Point, que la Ligue contre le cancer s’y soit associée et l’ont interpellée pour savoir sur quelles études elle fondait sa position. Apparemment, ils attendent toujours la réponse. Ce sera peut-être différent dans le rapport ; il reste aussi l’éventualité que le processus législatif se poursuive.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. C’est vrai, quelques scientifiques ont contesté ce point. Cependant, je le rappelle, le président du conseil scientifique du CNRS et de celui de l’Institut national du cancer, la Ligue nationale contre le cancer dans son ensemble et – c’est inédit – le Conseil national de l’Ordre des médecins se sont tous ensemble, probablement pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, opposés à la réintroduction de l’acétamipride. Il faut écouter la science.
Évidemment, dans une controverse, on entend toujours quelques voix en désaccord, mais quand plusieurs institutions prennent ensemble position de manière aussi claire, que des études – de l’Inserm, de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), de l’Inrae et tant d’autres – affirment qu’il existe une corrélation entre les cancers et les néonicotinoïdes et qu’il faut agir, la décision publique doit les suivre.
M. Julien Brugerolles (GDR). Lancée le 10 juillet dernier, la pétition pour l’abrogation de la loi dite Duplomb a recueilli plus de 2,1 millions de signatures, en quelques semaines seulement. Cette mobilisation inédite révèle que la protection de l’environnement est devenue une préoccupation majeure. De la contamination généralisée des eaux par les PFAS (substances per- ou polyfluoroalkylées) à la pollution des écosystèmes par les microplastiques, en passant par les résidus d’hexane dans des huiles végétales, pas un mois ne se passe sans nouvelle alerte sur les incidences délétères pour la santé humaine et pour l’environnement de notre modèle industriel et agricole.
Pas moins de 70 % des jeunes âgés de 16 à 25 ans déclarent être inquiets de l’avenir écologique et climatique. Ce n’est pas un hasard si la pétition qui nous occupe a été lancée par une étudiante de 23 ans. Nous devons entendre cet appel et ouvrir le débat en séance publique.
La loi Duplomb a été écrite pour soutenir non pas les agriculteurs, mais des intérêts économiques qui, à terme, mettront notre agriculture au diapason de la concurrence internationale, dans une logique de fuite en avant. Elle ne contient aucune mesure pour garantir une juste rémunération des producteurs. Elle ne prévoit rien en matière de prévention et d’assurance contre les aléas climatiques et les risques sanitaires et environnementaux, qui ne feront que s’aggraver dans les décennies à venir.
Elle accentue la dérégulation et s’attaque à nos normes environnementales et sanitaires. Malheureusement, la même orientation provoque le délitement de la future politique agricole commune (PAC). Et que dire de la saignée des crédits du Parsada, principal outil de recherche et de déploiement des solutions alternatives aux phytosanitaires ?
Certes, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 2, qui renvoyait au pouvoir réglementaire les dérogations à l’interdiction d’utiliser les néonicotinoïdes, et il a formulé des réserves d’interprétation sur la présomption d’intérêt public majeur des retenues de stockage prévue à l’article 5. Toutefois, nous considérons qu’un débat en séance publique est indispensable.
Mme Hélène Laporte (RN). Vous parlez de la juste rémunération des agriculteurs, mais elle est impossible s’ils ne peuvent pas vivre de leur production. Encore une fois, il est question de molécules qu’ils ne peuvent pas utiliser chez nous, alors qu’elles sont autorisées dans tous les autres pays européens, et d’importations de produits qui ont fait l’objet de traitements bien supérieurs et incontrôlables.
Vous dites que le monde « scientifique » s’oppose à cette autorisation. Il est évident que le Conseil national de l’Ordre des médecins ne peut donner un avis favorable à l’usage de pesticides. Toutefois, il faut considérer la hiérarchie des conséquences. Le recours à l’acétamipride n’est pas une fin en soi et il doit rester temporaire. Certains s’offusquent d’entendre cette réponse depuis des années ; ils ont raison, mais il faut laisser à la recherche le temps d’avancer. L’Inrae prévoit qu’il faudra trois à cinq ans. En attendant, on consomme des produits beaucoup plus traités.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. En 2016 déjà, l’Efsa possédait assez d’éléments pour proposer de classer l’acétamipride dans la liste des cancérogènes. Au-delà, vous avez raison, les études collectives portent plus généralement sur les pesticides, dont les néonicotinoïdes ; elles ont montré une corrélation entre ces substances et la promotion de cancers.
Il faut élever le débat. La question qui nous est posée est politique, presque morale : voulons-nous aller de l’avant ? Au contraire, réautoriser un produit qui a été interdit, c’est aller en arrière.
M. le président Stéphane Travert. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions relatives à la réintroduction de l’acétamipride. Pourtant, cette molécule est utilisée dans de nombreux pays européens. Une nouvelle fois, les agriculteurs français sont abandonnés, alors que la concurrence est féroce.
Tout n’est cependant pas perdu : le Conseil n’a pas condamné le principe de la réintroduction, il a seulement dénoncé le manque d’encadrement de la disposition. Il reste possible d’examiner un texte visant à réautoriser l’acétamipride sous certaines conditions. Pourriez-vous nous préciser lesquelles ?
Mme Sandra Marsaud (EPR). « Je suis agacée. Il faut bien comprendre que les cancers de l’enfant n’ont rien à voir avec les cancers de l’adulte. À tous les niveaux : ils n’ont pas la même épidémiologie, pas la même physiopathologie, leurs causes sont différentes, comme leur prise en charge et leurs traitements. Cette façon de parler des cancers, et d’y inclure les cancers de l’enfant pour faire plus de buzz et provoquer l’émotion, est insupportable. […] Laisser croire que [le cadre de vie des parents] serait directement en cause, et qu’il y aurait une sorte de complot national pour dissimuler la nocivité de produits connus présents dans l’environnement et responsables du cancer de leur enfant, est non seulement faux mais également cruel. » Ces propos sont ceux de Virginie Gandemer, présidente de la Société française de lutte contre les cancers et les leucémies de l’enfant et de l’adolescent (SFCE). Elle développe sa pensée dans la suite de l’entretien donné au Point – je vous invite à le lire.
Pourquoi n’avez-vous pas auditionné la SFCE ? Étant donné la situation que nous avons connue cet été après le vote, qui a conduit nombre d’entre nous à porter plainte, j’aimerais qu’on entende aussi les voix des nombreux chercheurs qui, comme le docteur Barrière et elle, tiennent un autre discours.
M. René Pilato (LFI-NFP). J’ai rencontré des agriculteurs qui manifestaient – ils n’arrivent plus à vivre de leur travail. Je leur ai dit d’accord, on supprime les impôts, les normes et les charges, à une condition : vous gagnerez 200 euros par mois, pour être compétitifs vis-à-vis des paysans ukrainiens, par exemple. Une fois l’évidence de l’impossibilité constatée, nous avons pu discuter calmement.
La pétition contre la loi Duplomb soulève la question du modèle de société que nous voulons. Si nos priorités sont la santé et la souveraineté alimentaire, comment développer une agriculture nourricière qui permette à nos concitoyens de se payer des produits de qualité, tout en protégeant nos agriculteurs des importations de malbouffe ?
Faut-il autoriser, au nom des désirs fabriqués par la propagande des multinationales, la vente et la consommation de n’importe quoi produit n’importe comment, au détriment de notre écosystème et de nos concitoyens ? En d’autres termes, la course au moins cher n’est-elle pas dévastatrice ?
Mme Mélanie Thomin (SOC). Une loi adoptée sans débat démocratique, qui met la pression pour enjamber les protocoles scientifiques, les processus administratifs et les normes, ne peut aucunement apaiser la société, préoccupée de son cadre de vie, du respect des règles sanitaires pour protéger la santé et d’une meilleure alimentation, ni la réconcilier avec le monde agricole, soucieux de défendre ses filières stratégiques, comme l’élevage.
La recherche de solutions ne doit pas conduire à remettre en cause l’autorité de la science : ce n’est pas ainsi qu’on aidera les filières à renouveler leur stratégie. Elles ont besoin de règles et d’orientations durables. Les impasses techniques et juridiques sont une réalité en agriculture ; nos lois doivent fournir des plans de sortie plutôt que de supprimer les cadres de concertation et d’autoriser des dérogations éphémères. Ces dernières ne sont que des leurres, qui bercent les agriculteurs de l’illusion de lutter contre la concurrence déloyale. Il faut apaiser cette crainte, en leur offrant la garantie d’un revenu digne et en leur attribuant une part de la valeur produite. Voilà la souveraineté dont il aurait fallu chercher les voies lors de l’examen de la proposition de loi Duplomb – débattons-en.
Mme Delphine Batho (EcoS). Que penseront les signataires de la pétition de nos débats ? Encore une fois, c’est un festival de relativisations des risques, de mises en doute des connaissances scientifiques sur les néonicotinoïdes, pourtant établies depuis des années – le législateur a voté leur interdiction il y a dix ans, celle-ci n’a donc jamais été brutale.
Je remercie les signataires. Depuis le lancement de la pétition, la justice a reconnu le préjudice écologique lié aux pesticides. Mais le projet de loi de finances diminue les moyens de l’Anses de 6 équivalents temps plein (ETP) et plafonne l’étude des AMM. En outre, fait grave, dont notre commission devrait se saisir, le rapport du haut-commissariat à la stratégie et au plan, intitulé « Les politiques publiques de santé environnementale », est tellement bidonné, caviardé, que cela a été dénoncé par son conseil scientifique.
Quand la représentation nationale décidera-t-elle d’écouter les signataires de la pétition, majoritaires dans l’opinion, et de mettre fin à l’obscurantisme ?
M. Pascal Lecamp (Dem). M. Alfandari a souligné que la proposition de loi Duplomb venait compléter la LOA, dont j’étais le corapporteur. Avant l’examen du projet de loi, j’ai reçu M. Duplomb pendant deux heures pour lui demander d’intégrer tout ce que je jugeais utile, relativement au foncier, aux bâtiments d’élevage et à l’eau. C’est lui qui a refusé. Il aurait pu ne pas y avoir de loi Duplomb ni de traitement séparé de la question de l’acétamipride.
Je fais partie des neuf députés Modem qui n’ont pas voté la proposition de loi, essentiellement à cause de l’article 2, contradictoire avec le principe de précaution. Certains regardent d’abord le rapport bénéfice risque, d’autres appliquent le principe de précaution : c’est un choix. Avec des collègues de tous bords, j’ai auditionné l’Inrae et les instituts techniques. Il en résulte qu’il existe des solutions alternatives, qui coûtent plus cher. Pourquoi ne pas décider de compenser le manque à gagner des agriculteurs jusqu’en 2026 ou 2033, afin de produire sans utiliser l’acétamipride ? C’est ça, la solution intelligente.
Mme Hélène Laporte (RN). Pour que le dispositif soit recevable, monsieur Lopez-Liguori, il faut une autorisation temporaire – elle était prévue pour trois ans – et prévoir quelles filières pourront en bénéficier. Certaines, comme la noisette et la cerise, qui sont dans une impasse, auraient dû être nommées– les filets offrent une solution mais, pour beaucoup de producteurs, elle n’est pas tenable.
Madame Marsaud, je comprends votre agacement : non seulement les arguments que vous dénoncez n’élèvent pas le débat, mais en plus ils créent un climat anxiogène, et ils placent une cible dans le dos des députés qui ont voté la proposition de loi. Je ne compte plus le nombre de fois où l’on m’a traitée d’empoisonneuse, ni celles où l’on m’a souhaité un cancer, ainsi qu’aux membres de ma famille. Cela ne vous émeut peut-être pas, mais moi si, parce que c’est d’autant plus violent que c’est régulier, et parce qu’il est inadmissible qu’on vise mes enfants – vous le comprendrez.
Plusieurs voix scientifiques se sont élevées contre cette pétition, comme celles du docteur Barrière et du professeur Robert. Leur parole ne vaut pas moins que celle d’un autre praticien. Quand on veut se fonder sur la science, il faut écouter tous ses représentants, non pas sélectionner les praticiens que l’on veut entendre.
Il n’est pas question de l’ensemble des pesticides, mais de l’acétamipride. Évidemment les pesticides ne sont pas une fin en soi. Toutefois, il faut se souvenir que, pour remplacer l’acétamipride, on appliquera des dizaines de traitements.
Certains réclament un nouveau débat, mais nous avons déjà débattu à plusieurs reprises.
Enfin, s’agissant de la noisette, il n’existe aucune solution alternative.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. Je suis d’accord avec M. Lecamp : le principe de précaution doit s’appliquer. Il est inscrit dans la Constitution française et dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Dès lors qu’un élément soulève une controverse scientifique et qu’il implique un risque élevé pour la santé, une décision politique doit l’interdire. Ici, le risque de cancer existe – je le répète, l’Efsa voulait classer l’acétamipride parmi les cancérogènes.
En science, la parole d’un scientifique n’a pas la même portée que l’expertise collective, qui se fonde sur des études. Celles de l’Inserm, de l’IPBES, de l’Inrae et de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), notamment, concluent toutes à une corrélation entre les pesticides, en particulier les néonicotinoïdes, et la promotion des cancers, les perturbations endocriniennes ainsi que le mauvais développement neurologique des enfants.
Le cas de la noisette, il est vrai, est spécifique, comme l’a confirmé l’audition de M. Lannou de l’Inrae. Pour toutes les autres filières, il existe des alternatives, mais elles nécessiteraient des moyens qui ne sont pas déployés. C’est bien le problème : l’État ne les mobilise pas. Si on veut aider les agriculteurs, il faut déjà compenser les pertes et leur donner les moyens de s’équiper, en outils de biocontrôle par exemple. Pour les noisettes, l’alternative sera effective dans trois à cinq ans ; elle passe par un parasitoïde. En attendant, il faut compenser les baisses de rendement, qui atteignent 20 à 30 %. Les producteurs de noisettes sont au nombre de 300 : l’État pourrait leur donner les moyens de se maintenir jusqu’à ce qu’on dispose enfin de cette protection.
Mme Christelle Minard (DR). L’interdiction de l’acétamipride a des conséquences majeures pour les filières de la betterave et de la noisette, qui étaient déjà fragilisées par les interdictions successives de molécules, sans solution de remplacement.
Dans certaines parcelles, près de 70 % des plants sont touchés par la jaunisse, entraînant des pertes de rendement de plus de 40 %. En moyenne, une contamination par la jaunisse représente plus de 1 000 euros de perte par hectare. Or, certains agriculteurs subissent ce phytovirus pour la troisième année. L’un d’entre eux me disait « ne plus pouvoir continuer à la roulette russe avec son exploitation » pendant les prochaines années.
M. Hervé de Lépinau (RN). Deux critères sont essentiels, pour évaluer l’usage des produits phytosanitaires – que les molécules soient de synthèse ou naturelles : la rémanence du produit et les quantités utilisées.
Le sulfate de cuivre est le fongicide phare de l’agriculture biologique. Or, en 2023, les chercheurs de l’institut Curie, du CNRS et de l’Inserm – excusez du peu – ont dévoilé une chaîne de réactions biochimiques impliquant le cuivre, qui conduit à des modifications métaboliques et active l’inflammation ainsi que la progression tumorale.
Peut-être faut-il envisager la suppression du sulfate de cuivre, qui contamine l’eau et stérilise les sols, d’autant que sa rémanence dans le sol est de plusieurs siècles et que les résidus sont importants – en agriculture biologique, il faut en effet multiplier les passages pour être efficace. Les personnes auditionnées avaient-elles un avis sur ce point ?
Mme Nicole Le Peih (EPR). Selon France Stratégie, le métier d’agriculteur est menacé de disparition d’ici à 2030. Le ministère de l’agriculture annonce d’ailleurs une hybridation de ce métier. La question qui se pose à nous est-elle donc d’ordre philosophique et moral ? Tout à fait. L’approche consistant à opposer les gentils et les méchants que l’on stigmatise fait des dégâts : un agriculteur sur deux quitte la profession avant l’âge de la retraite, et 30 % des salariés de l’agroalimentaire quitteront le métier dans les dix ans à venir. Le métier d’agriculteur ne séduit plus. Nous importons entre 25 % et 50 % de notre alimentation, selon les denrées, et le problème s’aggrave à vitesse grand V. Il faut donc relever le niveau du débat et évaluer le rapport bénéfice risque de l’acétamipride du point de vue de notre souveraineté alimentaire.
Un dernier mot sur le miel : les apiculteurs présents au Salon des productions animales – le Space – à Rennes ont fait savoir que cette année, la production avait été exceptionnelle.
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Chers collègues de droite, pensez-vous vraiment que si nous réautorisons l’acétamipride, les producteurs et productrices de noisettes françaises cesseront de subir la concurrence internationale ? Nous ne produisons que 12 % de notre consommation de noisettes. Le reste, nous l’importons, notamment depuis la Turquie. Or, ce pays utilise beaucoup plus de produits que nous, et en plus, fait travailler des enfants. La course à la compétitivité que vous promouvez ne mène qu’à un alignement des normes françaises sur le moins-disant international, en matière environnementale d’abord, sociale ensuite.
Les tarifs douaniers en vigueur favorisent l’importation des noisettes de Turquie. La solution est d’ordre économique : le protectionnisme est nécessaire pour nos productions, car elles sont mieux-disantes.
M. Dominique Potier (SOC). Le CHU (centre hospitalier universitaire) d’Amiens-Picardie est le premier à avoir créé une consultation pesticides et pathologies pédiatriques. La MSA (Mutualité sociale agricole) soutient le déploiement de telles consultations à l’échelle nationale, à travers le projet Pestipedia, et je m’en réjouis. Les scientifiques que j’ai rencontrés sur place étaient déterminés et engagés, mais leur ton était loin d’être aussi péremptoire que celui que j’entends ici, de part et d’autre. Ils étaient d’une extrême prudence dans la recherche de l’exposome, des conséquences à long terme et des solutions combinées. Quand nous évoquons la science, nous devrions avoir les mêmes précautions.
Avec le débat sur cette pétition, nous n’avons fait que nourrir la controverse, et ce sera certainement la même chose dans l’hémicycle. Ne pourrions-nous pas nous mettre d’accord pour laisser l’Anses, qui serait saisie à la faveur d’une procédure de reconnaissance mutuelle, trancher la question à travers un avis sur l’acétamipride ?
M. Hubert Ott (Dem). Je regrette que nous ayons un débat contradictoire sur la dangerosité de l’acétamipride, car elle ne fait aucun doute. Nous savons que les néonicotinoïdes sont d’une toxicité sans équivalent dans la batterie de produits phytosanitaires dont nous disposons. La trentaine d’études qui ont été écartées révèlent que l’acétamipride, outre ses effets létaux sur les insectes, a un effet sublétal, qui n’est pas moins grave : cette molécule cause la mort à long terme.
Quand on veut, on peut. Des solutions agronomiques existent ; et la filière de la noisette ne représente que 8 000 hectares, c’est-à-dire un timbre-poste par rapport à la surface agricole utile française.
Mme Hélène Laporte, rapporteure. Soyons honnêtes, plusieurs positions existent dans le monde scientifique. Certains médecins considèrent qu’ils ne disposent pas d’études suffisantes pour juger de l’effet de l’acétamipride.
Vous qualifiez la filière de la noisette de timbre-poste. Mais elle fait partie de notre patrimoine ; elle compte ! Nous en consommons les produits.
Madame Meunier, le temps presse. Imaginez-vous que la filière de la noisette tiendra encore cinq ou dix ans ? Certains producteurs seront en cessation de paiement dans quelques mois. Comment faire pour eux, alors qu’ils doivent rembourser leurs investissements ? Comment faire pour les consommateurs qui seront obligés de consommer des noisettes importées – celles de Turquie, notamment, qui ont été soumises à des traitements beaucoup plus importants ? La situation est urgente.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. Je souscris au propos de M. Ott : la dangerosité de l’acétamipride et des autres néonicotinoïdes est avérée. C’est une question politique : veut-on, oui ou non, appliquer le principe de précaution ? Veut-on faire de la santé humaine le critère déterminant ?
Depuis sept ans que l’acétamipride et les autres néonicotinoïdes sont interdits, les moyens nécessaires pour permettre aux agriculteurs de trouver des solutions alternatives n’ont pas été déployés. Les compensations nécessaires n’ont pas été versées non plus.
Oui, il faut un travail de l’Anses, mais elle doit disposer des données nécessaires. Or, le projet de budget diminuera ses moyens.
Voulons-nous permettre aux agriculteurs de maintenir leurs exploitations et même de les développer ? Sommes-nous d’accord pour accorder une compensation aux 300 producteurs de noisettes, notamment ? Aucune compensation n’est prévue actuellement, alors que l’acétamipride est interdite depuis sept ans et qu’il faudra encore entre trois et cinq ans avant que les solutions alternatives à l’acétamipride soient efficaces. Il serait possible d’installer des filets, même s’ils coûtent cher et n’empêcheront pas des baisses de rendement.
Sommes-nous d’accord pour aider fortement les agriculteurs, les betteraviers, les producteurs de pommiers et de poiriers à s’équiper en filets, en produits de biocontrôle, en parasitoïdes ? Actuellement, ils ne reçoivent pas d’aide en ce sens. Sommes-nous d’accord pour protéger les agriculteurs en faisant jouer l’article 36 du TFUE, pour interdire l’importation de produits traités avec des pesticides interdits en France aux frontières françaises ?
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Madame Trouvé, j’ai été surpris de vous entendre rabaisser l’Efsa tout à l’heure, d’autant que votre collègue de La France insoumise, Manon Meunier, nous a demandé à juste titre d’écouter ses préconisations, quand elle s’exprimait, dans le cadre de nos débats budgétaires, en tant que rapporteure pour avis sur la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales. Selon vous, faut-il supprimer l’Efsa ? Vous avez l’air de dire qu’il ne faut pas écouter ses avis.
Vous affirmez que des études ont montré la corrélation entre l’acétamipride en particulier – plutôt que les néonicotinoïdes en général – et l’apparition de certains cancers. Êtes-vous en mesure de nous fournir les références bibliographiques ? C’est tout ce que je demande, en tant que chercheur. Ces études pourront-elles être annexées au rapport qui sera issu de nos travaux ?
M. Boris Tavernier (EcoS). Le succès de cette pétition montre que nos concitoyens souhaitent avoir leur mot à dire sur le système alimentaire, sur ce qu’ils mangent, ce qu’ils font manger à leurs enfants et ce qui est produit dans les champs à côté de chez eux. De fait, ils doivent avoir le droit de définir leur système alimentaire. C’est même la définition de la souveraineté alimentaire : un système alimentaire dans lequel les personnes qui produisent, distribuent et consomment de la nourriture contrôlent également les mécanismes et les politiques de production et de distribution alimentaire. Cette pétition est donc un cri pour davantage de souveraineté alimentaire et de démocratie dans l’alimentation. Entendons ce cri, et conduisons nos prochains travaux sur les questions agricoles et alimentaires en conséquence.
Il faut donner davantage de pouvoir à nos concitoyens en sortant de la cogestion par la FNSEA et le ministère de l’agriculture, et démocratiser la décision, par exemple en réformant les chambres d’agriculture, comme nous y invite la Cour des comptes.
M. Julien Dive (DR). Certains nous ont déjà fait comprendre qu’ils n’en avaient « rien à péter » de l’agriculture ; ils nous confirment aujourd’hui qu’ils n’en ont rien à péter de la filière de la noisette. On ne peut pourtant pas s’asseoir dessus !
Depuis le début, ce débat se focalise sur l’autorisation de l’acétamipride. Je vous annonce un scoop : l’acétamipride est interdite puisque le Conseil constitutionnel a censuré l’article 2 de la loi Duplomb. Si vous voulez débattre, parlez de l’article 1er de cette loi, qui concerne la séparation entre les activités de conseil et de vente, ou des articles concernant le stockage de l’eau. Cela permettrait d’évacuer les caricatures sur les grandes bassines, qui ne sont pas des mégabassines, mais de simples dispositifs de stockage de l’eau en retenue. Nous pourrions également débattre des élevages. Mais de grâce, parlons de ce que contient la loi en l’état.
Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR). Mesdames les rapporteures, quelles solutions concrètes vous semblent applicables dès aujourd’hui dans les filières les plus durement touchées ?
Sans réponse réellement efficace dès aujourd’hui – je ne parle pas de solutions qui ne seraient que potentiellement viables dans trois ou cinq ans –, beaucoup d’exploitations et de filières agricoles françaises vont disparaître. La question est simple : veut-on continuer à produire en France ?
Mme Marie Pochon (EcoS). Je me félicite de ce débat, même si, la prochaine fois, il serait utile que le débat précède le vote de la loi. Je remercie les millions de concitoyens qui se sont mobilisés cet été pour protéger le métier d’agriculteur. C’était également l’objectif affiché par la loi Duplomb, mais en réalité, elle traitait les agriculteurs comme des variables d’ajustement du libéralisme mondialisé, sans rien prévoir pour leur rémunération, l’accès au foncier, l’accompagnement face à la crise climatique. Il s’agissait uniquement de s’aligner sur la concurrence internationale.
Or, il y aura toujours des pays qui produisent pour moins cher, utilisent des produits dangereux, maltraitent les animaux, font travailler des enfants et imposent moins de taxes. Plutôt que nous aligner sur les prix, les salaires, les normes sanitaires et environnementales d’autres pays, ne vaudrait-il pas mieux pratiquer un protectionnisme intelligent, en interdisant l’importation de produits dangereux, en mettant fin aux accords de libre-échange et en accompagnant les producteurs dans la transition ?
Mme Chantal Jourdan (SOC). Le passage en force de la loi Duplomb a suscité de fortes réactions qui sont un avertissement. Sur l’exercice de la démocratie, d’abord : cette pétition est un retour du refoulé, car la société civile a été privée du débat qu’elle attendait, après avoir lancé de multiples alertes auprès des représentants de la nation. Les pourfendeurs de la démocratie devraient s’interroger et reconnaître que l’information, la transparence et le débat sont les outils les plus justes.
Ensuite, l’agriculture est devenue une préoccupation sociétale, à laquelle il faut répondre. Nos concitoyens s’informent, s’emparent des connaissances scientifiques et des questions de santé publique. De fait, ils constatent au quotidien l’explosion des cancers, des maladies du neurodéveloppement et des pathologies endocriniennes. Même si certains considèrent que l’effet de l’acétamipride sur la santé n’est pas confirmé, nos concitoyens sont attachés au principe de précaution.
Sortons des clivages et adoptons une vision systémique. Des solutions alternatives existent, notamment les pratiques agroécologiques.
M. Benoît Biteau (EcoS). Le débat tourne autour de l’acétamipride et de solutions alternatives telles que la deltaméthrine ou d’autres pyréthrinoïdes. Bref, on continue de raisonner comme si une molécule interdite devait forcément être remplacée par une autre molécule. En l’occurrence, ni l’acétamipride, ni les pyréthrinoïdes ne sont des molécules sélectives. Elles font disparaître les parasites qu’elles visent – le baladin, la punaise diabolique – mais aussi leurs prédateurs ! Si nous voulons lutter contre ces parasites, il faut donc préserver la guêpe samouraï et les carabes. La bonne réponse, c’est de restaurer des écosystèmes en équilibre : si vous comprenez cela, vous aurez tout compris.
M. Julien Brugerolles (GDR). Dès qu’ils remettent en question l’utilisation des pesticides, les scientifiques subissent des pressions très fortes. Dans son édition du 30 octobre, Le Monde revenait justement sur les pressions exercées sur les rédacteurs du rapport du haut-commissariat à la stratégie et au plan sur les politiques publiques de santé environnementale. Le cabinet de la ministre de l’agriculture leur a demandé d’ajouter, de supprimer ou de reformuler certains passages, comme ils le signalent dans un commentaire cinglant placé en annexe du rapport. Ces pressions visant la parole scientifique accroissent encore l’intérêt du débat que nous aurons dans l’hémicycle sur la question.
M. Dominique Potier (SOC). Ce débat ressemble à un jour sans fin, chacun s’opposant des vérités scientifiques – santé contre production, et ainsi de suite. Le 13 octobre 2014, le législateur a proposé une voie, en confiant à l’Anses la fixation des conditions de mise sur le marché des produits phytosanitaires. Or, cette agence ne s’est pas prononcée récemment sur l’acétamipride, alors que la connaissance scientifique a évolué. La seule sortie digne est de demander une saisine rapide de l’Anses, en s’appuyant sur la procédure de reconnaissance mutuelle. Elle seule pourra trancher ce débat, en mettant en perspective toutes les données économiques, écologiques et sanitaires.
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Oui, Monsieur Fugit, il faut lire les rapports de l’Efsa. Avez-vous lu son avis complémentaire du 15 mai 2024 sur l’acétamipride ? Il m’a convaincu de la nécessité d’appliquer le principe de précaution pour cette molécule. Alors que l’un des métabolites issus de sa dégradation a une durée de vie très longue, notamment dans le corps humain, nous n’avons pas de recul sur ses effets.
Quant à l’acétamipride elle-même, nous avons désormais du recul : l’avis souligne son lien avec des troubles neurologiques, pour motiver la décision de réduire fortement les limites maximales de résidus et les doses journalières de cette molécule admises jusque-là par l’Union européenne, par principe de précaution. Au nom de ce principe, la France doit donc cesser d’appliquer un tarif préférentiel aux noisettes produites en Turquie et protéger sa production.
Mme Aurélie Trouvé, rapporteure. En effet, monsieur Fugit, il faut écouter l’Efsa. J’ai simplement rappelé la différence entre un organe scientifique et une institution qui s’appuie sur les données scientifiques. En outre, cette agence a précisément proposé de classer l’acétamipride comme substance cancérogène dès 2016.
Ne vous inquiétez pas, je référencerai les études de l’Inserm, de l’IPBES, de l’Inrae ou de l’Ifremer que j’ai mentionnées en note de bas de page de mon avant-propos au rapport.
Monsieur Dive, à l’issue de l’audition des représentants des filières, j’ai constaté que, sept ans après l’interdiction de l’acétamipride, les producteurs n’ont toujours pas reçu de compensation et d’accompagnement pour la transition agroécologique.
Je remercie les plus de 2 millions de signataires de cette pétition, qui ont permis un débat utile. Il doit nous permettre d’avancer vers la transition agroécologique, au profit des agriculteurs.
La mauvaise situation des betteraviers ne s’explique pas uniquement par les parasites, mais aussi par l’impact très fort de la dérégulation du marché menée depuis vingt ans – dans le passé, cette filière bénéficiait d’un régime de quotas sucriers, avec des prix garantis et des protections très fortes aux frontières.
Si nous voulons être à la hauteur des enjeux agricoles et assurer la souveraineté alimentaire, nous devons d’abord rétablir la confiance et permettre un nouveau compromis entre les agriculteurs et la société. Pour cela, il faut que l’agriculture protège la santé et le vivant. Or, les aides en faveur de la transition agroécologique font actuellement défaut ; et pour protéger nos productions, il faut faire preuve de courage politique. Le président de la République devrait par exemple avoir le courage de refuser l’accord de libre-échange avec le Mercosur – ce qui n’est pas le cas.
En outre, quand nous interdisons l’usage d’un pesticide en France, il faut demander à la Commission européenne l’autorisation d’interdire l’importation des produits qui ont été traités avec – actuellement, ce n’est même pas le cas.
Enfin, il faut donner les moyens nécessaires aux agriculteurs pour utiliser les solutions alternatives existantes – pour la filière de la noisette, elles sont en cours de développement.
Avançons ensemble. Nous pouvons trouver une majorité ici pour promouvoir l’agroécologie et protéger les agriculteurs de la concurrence déloyale. Le président de la République et ses gouvernements successifs n’ont pas su mener cette politique forte, alors que c’est la seule solution, pour que des décisions justes soient prises en faveur de la santé de nos concitoyens.
Mme Hélène Laporte, rapporteure. Cessez d’opposer ceux qui aimeraient la planète et ceux qui ne l’aimeraient pas. Soyons factuels : nous débattons de l’acétamipride – pas des néonicotinoïdes, ni des pesticides en général – et de l’effet de son interdiction sur quelques filières, notamment la filière de la noisette – qu’un collègue, j’en ai été choquée, a qualifiée avec mépris de timbre-poste malgré la souffrance des producteurs concernés.
Par ailleurs, il faudra débattre un jour des effets du sulfate de cuivre. N’ayez pas l’indignation sélective.
Rappelons que la proposition de loi Duplomb prévoyait une réautorisation encadrée de l’acétamipride, d’une durée de trois ans seulement ; que les noisetiers fleurissent l’hiver, en dehors des périodes de pollinisation ; que l’acétamipride est autorisée partout ailleurs en Europe et qu’elle a une durée de vie limitée, d’à peine six jours, en milieu humide.
Le débat s’est malheureusement focalisé sur l’article 2 de la loi Duplomb, alors qu’il a été censuré. Nous aurions pourtant pu débattre des élevages de porcs ou des retenues d’eau.
Vous proposez d’interdire l’importation de produits traités avec l’acétamipride, et donc de braver la Commission européenne. Lors de l’examen de ma proposition de loi visant à rendre systématique l’information du consommateur sur l’origine des denrées alimentaires par le moyen de l’étiquetage, vous avez pourtant déclaré à de multiples reprises que c’était impossible.
M. le président Stéphane Travert. Merci à tous. Je vous remercie pour le débat que nous venons d’avoir et qui s’est globalement bien tenu, et vous donne rendez-vous dans l’hémicycle pour la troisième étape de ce débat. Je précise par ailleurs que je rejoins la suggestion de notre collègue Jean-Luc Fugit concernant la publication des références bibliographiques qui devrait être adossées au rapport qui rendra compte des travaux de notre commission.
*
Informations relatives à la commission
La commission a nommé :
– M. Loïc Prud’homme, rapporteur sur la proposition de loi visant à interdire l’importation en France de produits agricoles et denrées alimentaires contenant de l’acétamipride et à abroger la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur (n° 1959),
– M. Perceval Gaillard, rapporteur sur la proposition de loi relative à l’établissement de l’égalité d’accès au service public postal en outre-mer (n° 1962).
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 5 novembre 2025 à 9 h 30
Présents. – M. Laurent Alexandre, M. Henri Alfandari, M. Charles Alloncle, M. Antoine Armand, M. Christophe Barthès, M. Benoît Biteau, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Julien Brugerolles, M. Stéphane Buchou, M. Julien Dive, M. Inaki Echaniz, M. Frédéric Falcon, M. Charles Fournier, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, Mme Géraldine Grangier, M. Maxime Laisney, Mme Hélène Laporte, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie Lebec, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Hervé de Lépinau, M. Laurent Lhardit, M. Aurélien Lopez-Liguori, M. Alexandre Loubet, M. Bastien Marchive, Mme Sandra Marsaud, M. Éric Martineau, M. Patrice Martin, M. Nicolas Meizonnet, Mme Manon Meunier, Mme Christelle Minard, Mme Louise Morel, M. Philippe Naillet, Mme Sandrine Nosbé, M. Jérôme Nury, M. René Pilato, M. François Piquemal, M. Dominique Potier, M. Loïc Prud'homme, M. Richard Ramos, Mme Anne-Sophie Ronceret, Mme Valérie Rossi, M. David Taupiac, Mme Mélanie Thomin, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Frédéric-Pierre Vos, M. Frédéric Weber
Excusés. – M. Alexandre Allegret-Pilot, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bolo, M. Perceval Gaillard, M. Harold Huwart, M. Max Mathiasin, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Joseph Rivière
Assistaient également à la réunion. – Mme Delphine Batho, M. Damien Girard, Mme Chantal Jourdan, Mme Murielle Lepvraud, M. Hubert Ott, Mme Marie Pochon