Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Suite de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (n°s 1907 et 1999) (M. Thibault Bazin, rapporteur général ; M. Hadrien Clouet, Mme Anne Bergantz, Mme Sandrine Runel et M. Gaëtan Dussausaye, rapporteurs) 2
– Présences en réunion.................................38
Mardi
28 octobre 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 9
session ordinaire de 2025-2026
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence à seize heures trente.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission examine la suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (n°s 1907 et 1999) (M. Thibault Bazin, rapporteur général ; M. Hadrien Clouet, Mme Anne Bergantz, Mme Sandrine Runel et M. Gaëtan Dussausaye, rapporteurs)
Article 9 (suite) : Rationalisation d’exonérations spécifiques
Amendements identiques AS44 de M. Max Mathiasin, AS646 de M. Joseph Rivière et AS943 de Mme Karine Lebon
M. Max Mathiasin (LIOT). Le taux de chômage outre-mer demeure deux à trois fois plus élevé que celui de l’Hexagone.
La réforme envisagée du régime dit « Lodeom social » issu de la loi pour le développement économique des outre-mer est profondément injuste dans ses fondements et serait destructrice.
Alors même que la France hexagonale se fixe un objectif de plein emploi – la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi vise un taux de chômage de 5 % –, les outre-mer n’ont jamais bénéficié d’une déclinaison stratégique à la hauteur de cette ambition nationale. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le taux de chômage dans les outre-mer s’élève en moyenne à 18 %.
Chaque territoire ultramarin doit être considéré comme un bassin d’emploi à dynamiser, grâce à des engagements pragmatiques et mesurables et à des moyens dédiés et stables. Cette réforme, purement budgétaire et paramétrique, va complètement à l’encontre de ces objectifs.
Pour cette raison, le présent amendement supprime les dispositions de l’article 9 relatives au régime d’exonérations dit « Lodeom ».
M. Christophe Bentz (RN). À défaut d’avoir réussi à supprimer l’article 9 dans sa globalité, voici un amendement AS646 de repli de notre collègue Joseph Rivière, député de La Réunion, visant à en supprimer certaines dispositions néfastes portant sur le régime d’exonération des cotisations, qui auraient de lourdes conséquences sur les territoires ultramarins, déjà en grande souffrance sur le plan économique et social. En effet, le texte tend à supprimer 350 millions d’euros d’allégements de charges ; les effets négatifs sur les petites et moyennes entreprises (PME) ultramarines, dans les domaines du tourisme, de l’industrie, de l’agriculture ou encore de l’artisanat, seraient nombreux.
M. Frédéric Maillot (GDR). Je défends l’amendement AS943.
La suppression de la Lodeom serait la guillotine assurée pour nos très petites entreprises (TPE) et PME.
En tant qu’insulaires, nous vivons sur un territoire exigu et étroit et nous ne pouvons pas aller chercher du travail dans le département d’à côté ; nous sommes confinés sur une île. Nous sommes certes bien contents d’y vivre, mais il est économiquement compliqué de se passer de la Lodeom. Ce n’est pas un cadeau fait aux outre-mer, c’est un besoin, car le taux d’emploi y est nettement moindre que dans l’Hexagone et le taux de chômage chez nos jeunes est beaucoup plus important.
À ceux qui évoquent des fraudes potentielles pour justifier le projet de supprimer les 350 millions d’euros de la Lodeom, je pose la question des 211 milliards distribués aux entreprises en France, sur lesquels ne s’exerce absolument aucun contrôle, comme le souligne le rapport de Fabien Gay au Sénat. Soyons justes et raisonnables, regardons les outre-mer droit dans les yeux et ne leur faisons pas payer ce dont ils ne sont pas responsables ; ils ne méritent pas ce traitement.
Quel impact la suppression de la Lodeom aurait-elle sur nos territoires ? M. Vigier avait raison de le demander ce matin. En tant que Martiniquais, Guadeloupéens, Réunionnais et Guyanais, nous pouvons vous dire qu’il serait terrible pour nos TPE et PME.
M. Thibault Bazin, rapporteur général. Comme le soulignait M. Mathiasin, nous devons en effet être attentifs à des territoires dont le taux de chômage s’élève à 18 % en moyenne et les considérer comme des zones d’emploi à dynamiser.
Notre collègue Frédéric Maillot a raison de nous alerter sur les questions de mobilité. Lorsque l’on habite sur une île, La Réunion en l’occurrence, l’on ne peut pas facilement changer de département.
Je rappellerai à M. Bentz que l’effort envisagé doit être mis en perspective avec ce qui était envisagé l’an dernier.
L’année dernière, le Gouvernement prévoyait dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de réduire les exonérations de cotisations patronales au niveau du Smic, ce qui entraînait une réduction équivalente de l’exonération Lodeom – le taux maximal devait baisser de 2 points, puis à nouveau de 2 points pour atteindre 4 points –, pour 1,5 milliard d’euros. J’avais moi-même déposé un amendement de suppression de cette mesure et je suis d’accord avec l’idée, soulignée ce matin par M. Vigier, qu’il faut faire preuve d’une très grande prudence. Yannick Neuder, mon prédécesseur, avait d’ailleurs rejeté cet article avec la commission et l’avait ensuite refusé lors de la commission mixte paritaire.
Le second élément qui posait alors problème était de faire passer cette réforme par ordonnance, comme le savent nombre d’entre vous déjà présents alors. Ce sujet est désormais évacué.
Voilà donc déjà deux victoires : pas de réduction d’exonérations au niveau du Smic pour 1,5 milliard d’euros, connaissant les enjeux de salaire en outre-mer, et pas de réforme par ordonnance. Il n’est pas question de supprimer la Lodeom, mais seulement de modifier le régime applicable.
Vous me demanderez pourquoi cela ne rapporte que 350 millions d’euros à l’État : c’est parce que, lorsque vous sortez de la Lodeom, vous entrez dans le dispositif des allégements généraux.
Christophe Bentz évoquait l’agriculture ou le bâtiment, mais l’effet de cet article concerne d’abord le barème d’innovation et de croissance, propre aux nouvelles technologies de l’information et de la communication et qu’il est prévu de supprimer. Son point de sortie était plus élevé que celui des autres barèmes : 3,5 fois le Smic. Sa mise en œuvre soulevait des difficultés opérationnelles, comme le soulignait le rapport des inspections générales des affaires sociales et des finances. La construction des critères d’éligibilité de ce barème semble complexe et fragile.
L’article propose aussi de réduire les seuils de dégressivité et de sortie des barèmes de compétitivité et de compétitivité renforcée.
Vous voulez supprimer totalement la réforme ; peut-être la commission, dans sa sagesse, vous suivra-t-elle. Pour ma part, je vous donne tous les éléments.
Mme Annie Vidal (EPR). Je souligne à mon tour les difficultés de déplacement dans les territoires d’outre-mer, à propos desquelles Olivier Serva et moi-même avons fait des propositions dans un rapport sur la continuité territoriale rendu la semaine dernière et que nous remettrons aux ministres concernés dans les jours qui viennent.
Le coût des compensations des exonérations créées par la Lodeom a augmenté de 33 % entre 2019 et 2023 pour atteindre 1 milliard et demi d’euros en 2024. C’est pourquoi il est proposé de supprimer le barème d’innovation et de croissance, qui présente des conditions d’éligibilité restrictives, et d’aligner les régimes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin sur ceux des autres territoires.
Mme Béatrice Bellay (SOC). Nous nous sommes exprimés sur le sujet et j’espère, monsieur le rapporteur général, que vous étiez en copie du courrier que nous avons reçu du ministre.
Si tous les groupes, en particulier de gauche, demandent le maintien d’un certain nombre d’exonérations, c’est que la situation économique de nos pays le justifie. Nous avons bien sûr mesuré la nécessité de certaines corrections et les effets de bord créés par certains aspects de ces dispositifs. C’est d’ailleurs pour cela et afin de poursuivre l’échange que nous, députés des pays des océans, avons rendez-vous demain, à seize heures trente, avec la ministre des outre-mer et celle des comptes publics. Mais il n’est pas question pour nous de discuter le bout de gras sur cette révision de la Lodeom tant que nous n’aurons pas la possibilité d’exposer nos réalités et de faire comprendre que nous ne pouvons pas contribuer de façon disproportionnée à la résolution des tracas budgétaires dans lesquels se trouve l’État.
M. Max Mathiasin (LIOT). « On n’est pas jaloux ici, quand c’est les autres on applaudit aussi. » Nous ne sommes pas jaloux de la continuité territoriale de la Corse, mais quand elle perçoit 416 euros par habitant à ce titre, nous en recevons 8.
Depuis le covid, des entreprises ont fermé et le taux de chômage a considérablement augmenté, tout comme le taux de criminalité ou les trafics de drogue, pas parce que les jeunes seraient criminels de naissance, mais parce qu’ils n’ont rien à faire, qu’ils ne trouvent pas de travail.
Nous demandons à nos collègues, dans cette instance démocratique, de comprendre. J’ai horreur qu’on me donne l’impression – comme lorsque j’ai été élu, en 2017, et que nous nous adressions à des députés qui ne connaissaient pas les outre-mer – de quémander quelque chose. Nous ne demandons pas un cadeau, mais simplement, par la voie démocratique du vote, la suppression de ces dispositions.
M. Philippe Vigier (Dem). Je soutiens mes collègues ultramarins. Des efforts importants pour ces territoires ont été faits depuis quelques années et leur budget a augmenté de 30 %, une hausse inédite.
Mais ils cumulent tous les handicaps : aléas climatiques, vie chère – qui n’est pas une vue de l’esprit, comme le prouvent nombre de rapports parlementaires –, problèmes de formation, retards terribles et taux de chômage explosif.
Si l’on met brutalement fin à ces exonérations, les efforts de redressement entrepris seront anéantis. Nous aurons alors gâché des centaines de millions d’euros et la situation sera encore plus catastrophique. Je plaide donc pour qu’on laisse du temps au temps et qu’on évalue le dispositif.
Lorsque j’étais aux responsabilités, j’ai demandé la diminution de certaines niches, mes collègues ultramarins le savent ; nous en avons débattu, cela n’a pas été simple. Mais cette fois, si l’on supprime les exonérations de charges sociales, nous irons assurément dans le mur.
M. le rapporteur général. Je suis très humble : je n’ai pas la connaissance des outre-mer qu’en ont ses élus. Le rapport des inspections générales sur la Lodeom montre la diversité de ces territoires. Si je m’en suis remis à votre sagesse, c’est parce que je pense qu’il faut réformer le dispositif, mais sans les fragiliser. Je répète que, l’année dernière, j’avais déposé des amendements pour supprimer la réforme.
Madame Bellay, vous évoquez un courrier ; je n’ai connaissance d’aucun échange avec le Gouvernement au sujet de la Lodeom.
Mme Béatrice Bellay (SOC). Souhaitez-vous que je vous le communique ?
M. le rapporteur général. Volontiers. Moi, je ne participe pas à des réunions sur les concessions du Gouvernement... Je le lirai avec attention.
Le dispositif de la Lodeom est très complexe. Le représentant de la Fédération des entreprises des outre-mer m’a sensibilisé au besoin de dispositifs spécifiques d’allégements de charges pour des questions de renforcement de la compétitivité. Je ne souhaite pas que l’on fragilise encore davantage votre tissu économique. Mais la complexité est telle qu’il y a des erreurs dans les déclarations, comme me le disent les entrepreneurs de vos territoires. Il faut donc réformer la Lodeom, sans pour autant leur porter atteinte.
Je n’ai pas été invité à la réunion que vous aurez demain – je penserai bien à vous pendant que nous poursuivrons ici l’examen du PLFSS. J’espère que le Gouvernement me tiendra informé des discussions et de son éventuelle intention de déposer des amendements sur le PLFSS – je l’ai interrogé à ce sujet dimanche, mais n’ai toujours pas de réponse ; je suis très transparent vis-à-vis de vous. J’ai besoin, en effet, de ses réponses sur certains articles, qui posent des problèmes juridiques ou économiques, parfois de fond. Je relaie aussi parfois vos propres questions.
N’ayant pas ces éléments, je m’en remets, je le répète, à la sagesse de la commission. Peut-être cela peut-il servir de signal avant votre réunion de demain ; peut-être pouvons-nous appuyer ainsi votre demande de prendre en compte la spécificité de vos territoires et de ne pas les fragiliser. Mais le dispositif, sur lequel j’ai travaillé avec les représentants des entreprises, mérite d’être corrigé et simplifié.
La commission adopte les amendements identiques.
En conséquence, les amendements AS196 de M. Jérôme Guedj, AS1718 de M. Frantz Gumbs, AS1687 et AS1688 de Mme Estelle Youssouffa, AS1675 de Mme Béatrice Bellay, AS821 de Mme Danielle Brulebois, AS990 de M. Max Mathiasin, AS1065 de Mme Nicole Le Peih, AS1356 de M. Philippe Naillet, AS1579 de M. Joseph Rivière, AS1261 de Mme Sandrine Rousseau, AS96 de M. Christian Baptiste, AS1740 de M. Thibault Bazin et AS97 de M. Christian Baptiste tombent.
Amendements identiques AS723 de M. Stéphane Lenormand et AS1032 de M. Jean‑Claude Raux ; amendements identiques AS91 de Mme Sylvie Bonnet, AS198 de M. Jérôme Guedj, AS204 de M. Gaëtan Dussausaye, AS642 de Mme Ségolène Amiot, AS649 de M. Hadrien Clouet, AS651 de Mme Élise Leboucher, AS657 de M. Damien Maudet, AS945 de M. Yannick Monnet et AS1111 de Mme Camille Galliard-Minier (discussion commune)
M. Max Mathiasin (LIOT). L’amendement AS723 vise à supprimer la disposition mettant fin à l’exonération de cotisations salariales dont bénéficient les apprentis pour les nouveaux contrats.
Cette mesure reviendrait en effet à réduire directement la rémunération nette des apprentis, déjà parmi les plus modestes du marché du travail. En supprimant cette exonération, on envoie un signal négatif à la jeunesse alors que l’insertion professionnelle des jeunes reste fragile et que les entreprises peinent à recruter dans de nombreux secteurs. L’apprentissage constitue un levier majeur d’accès à l’emploi et de montée en compétence. Le nombre d’apprentis a augmenté ces dernières années, en lien avec la politique du Gouvernement.
M. Jean-Claude Raux (EcoS). Avec la suppression totale de l’exonération de cotisations salariales pour les apprentis, l’on continue de faire peser l’effort sur celles et ceux qui ont moins, au lieu de taxer les plus riches.
L’on parle ici de la rémunération de jeunes en apprentissage, ayant pour 40 % d’entre eux une formation inférieure ou équivalente au bac, très majoritairement issus des classes populaires. Or les rémunérations en apprentissage représentent déjà un faible revenu, largement inférieur au Smic : 468 euros pour un jeune mineur en première année et 702 euros en deuxième année.
Le Gouvernement a déjà fortement abaissé cette année le plafond d’exonération, de 79 à 50 % du Smic, entraînant une baisse de 288 euros de la rémunération moyenne d’un apprenti.
Quel est le sens de tout cela ? Économiser quelques millions d’euros en échange de plus de jeunes dans la galère et la misère, continuer de vouloir exploiter la jeunesse avec des revenus toujours plus faibles, alors que d’autres s’enrichissent toujours plus.
En prenant cette mesure après avoir passé des années à promouvoir l’apprentissage comme une voie de réussite pour la jeunesse, le Gouvernement donne une magnifique illustration de son inconséquence. M. Bazin affirmait ce matin que l’on ne modifiait qu’un élément concernant l’apprentissage. Or à cette suppression de l’exonération de cotisations salariales s’ajoute celle de l’aide de 500 euros au financement du permis de conduire qui bénéficiait jusque-là aux jeunes apprentis.
Mme Sylvie Bonnet (DR). L’alinéa 17 de l’article 9 vise à abroger les exonérations de cotisations sociales, de contribution sociale généralisée (CSG) et de contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) dont bénéficient les apprentis.
L’adoption de cette mesure aurait un impact direct sur leur rémunération et un effet dissuasif sur les recrutements.
Au-delà de l’emploi des jeunes, cette disposition affaiblirait directement la compétitivité des entreprises formatrices, qui jouent un rôle central dans la montée en compétence des nouvelles générations. Elle risque de provoquer une forte contraction des embauches en contrat d’apprentissage, alors même que la France a su faire de ce levier un moteur puissant de développement économique et social.
Je propose donc de supprimer cet alinéa.
M. Sacha Houlié (NI). Je défends l’amendement AS198.
Cet alinéa pose plusieurs problèmes. D’abord, il porte un coup à l’apprentissage, en incohérence avec ce qu’ont voulu faire une partie des gouvernements précédents, mais surtout avec les amendements que nous avons adoptés après l’article 8 : vous avez refusé d’assujettir à la CRDS et à la CSG nombre de revenus complémentaires – prévoyance complémentaire, participations, intéressements, titres-restaurant, mais aussi retraites chapeau et stock-options – et vous voulez y assujettir les revenus des apprentis. Ce n’est pas normal. Il faut supprimer cet alinéa ; je pense que la commission le souhaite à l’unanimité et j’espère que vous y serez favorable, monsieur le rapporteur général.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Je suis agréablement surpris par la liste des groupes ayant déposé des amendements pour revenir sur cette décision : LIOT, Écologiste, macroniste, LR, PS, LFI, GDR et évidemment Rassemblement National. Puisque tous les groupes veulent, à l’unanimité, revenir sur cette disposition, qui a eu l’idée de la mettre dans le PLFSS ? Surtout, qui n’a pas usé de son influence et de sa proximité avec le Gouvernement, en tant qu’allié actuel, passé ou un peu honteux – comme le Parti socialiste –, pour convaincre M. Lecornu de retirer ce dispositif qui vise à faire payer les apprentis, les jeunes ?
Peut-être cette unanimité aurait-elle aussi pu servir les aides à la création d’entreprise ou à la reprise d’entreprise, mais elle servira au moins pour les apprentis.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je défends l’amendement AS649.
Certains développent des arguments pour justifier cette augmentation des taxes sur les apprentis. Ils affirment que ce serait au nom de l’égalité, parce que d’autres doivent payer la CSG et autres impôts.
Avant de parler d’égalité, j’aimerais parler de justice. Quand on est jeune apprenti et que l’on a moins de 25 ans, il n’est pas possible de vivre au-dessus du seuil de pauvreté. Or on ne peut pas parler d’égalité tant que l’on n’est pas capable de permettre à ces jeunes de ne pas vivre dans la pauvreté. Voilà pourquoi cette mesure est ressentie comme une injustice : ces jeunes ne peuvent concrètement pas se permettre de payer ces taxes, ce n’est pas une question de morale.
En les surtaxant, on va donc taper des jeunes qu’on a enfermés dans une situation de précarité, car l’apprentissage fait travailler des jeunes qui sont en dessous du seuil de pauvreté. Pour ceux qui aimeraient utiliser l’argument de l’égalité, il ne tient pas : parlez d’abord de justice.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). C’est l’heure de l’impôt exceptionnel : pas sur les riches, pas sur les milliardaires, mais sur le million d’apprentis qui font tourner usines, ateliers et boutiques du pays. Avec cet article, vous allez faire payer 100 euros en moyenne aux apprentis.
Il faudrait savoir : soit ce ne sont pas des salariés ordinaires, et il n’y a dans ce cas aucune raison de leur infliger ce type de taxe, soit ce sont des salariés ordinaires, et il faut alors leur verser des salaires ordinaires. Mais il va falloir trancher, car ils finissent actuellement le mois à découvert et certains dorment dans leur voiture. Voilà la situation concrète.
Vous tapez les jeunes, déjà surexposés aux pires risques. Le mois dernier, un colloque s’est tenu à l’Assemblée sur les violences dans le secteur de la restauration. Des témoignages faisaient état d’injures, de maltraitances, de violences sexuelles ou sexistes, de coups, d’insultes racistes, de salaires minables. Tel est le quotidien dans plusieurs secteurs où travaillent des apprentis.
La moitié d’entre eux ne tiennent déjà pas jusqu’au bout du contrat d’apprentissage. Non seulement vous voulez une main-d’œuvre corvéable à merci, mais vous venez en plus la racketter. Voilà la vérité que doivent entendre les apprentis et leurs parents.
M. le rapporteur général disait ce matin qu’entre l’apprenti et le non-apprenti, à rémunération brute identique, il y a une différence de net. En effet, parce que l’apprenti est sous-payé : voilà la différence.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). L’alinéa 17 prévoit de soumettre à cotisations sociales l’intégralité du revenu des apprentis. Cette mesure risque évidemment de précariser ces derniers.
Par exemple, un apprenti de 16 ans, rémunéré entre 27 et 55 % du Smic, perdrait entre 55 et 100 euros par mois. Pour un apprenti de plus de 21 ans, la contribution monterait à 100 euros par mois. Cette perte de revenu s’appliquerait alors que plus de 75 % des apprentis vivent sous le seuil de pauvreté.
Il est inacceptable d’exiger qu’ils soient les premiers à payer des contributions lorsque l’on sait que le patronat est massivement subventionné pour les contrats d’apprentissage.
Nous défendons la revalorisation de la rémunération des apprentis avant toute hausse de contribution sur leurs revenus.
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Nous sommes au cœur de l’injustice. Au lieu de taxer les riches, le Gouvernement veut donc taxer les apprentis qui vivent sous le seuil de pauvreté.
Je crois à l’apprentissage. Pour beaucoup de jeunes, il s’agit d’un moment où l’on peut prendre confiance, se découvrir, apprendre avec ses pairs, souvent des métiers essentiels. Mais pour le Gouvernement, l’apprentissage n’est qu’une variable d’ajustement pour faire baisser le chômage.
On est passé de 200 000 à 1 million d’apprentis, avec jusqu’à 15 milliards d’euros d’aides. À qui ont-elles profité ? Deux apprentis sur trois étaient issus de l’enseignement supérieur. On imagine que les apprentis travaillent dans le secteur du bâtiment, sont coiffeurs ou boulangers. En réalité, le dispositif a surtout profité à l’enseignement supérieur, en particulier à l’enseignement supérieur privé, qui a touché les trois quarts des aides à l’apprentissage – les écoles de commerce en premier lieu.
Nous défendons une aide destinée à un apprenti dans une entreprise du bâtiment, vous visez l’apprenti qui fera son stage chez Apple, et vous demandez désormais à tous les apprentis de payer les aides à l’apprentissage, à hauteur de 100 euros chacun.
Il faudrait garder ces aides dans certains secteurs d’activité essentiels, comme le bâtiment, par exemple, pour la rénovation thermique, et les supprimer dans d’autres, ceux où elles profitent aux écoles de commerce ; et, surtout, ne pas taxer les apprentis à 100 euros alors qu’ils vivent déjà sous le seuil de pauvreté.
Mme Christine Le Nabour (EPR). Nous ne traitons pas des aides à l’apprentissage pour les entreprises, qui seront abordées dans la seconde partie du projet de loi de finances (PLF), mais les exonérations liées aux contrats des apprentis.
Je ne sais pas qui a eu cette idée folle, mais en tout cas, l’apprentissage est un marqueur pour notre groupe depuis 2018, comme tout ce qui concerne la politique d’entrée dans l’emploi, de formation et d’apprentissage. La semaine dernière, comme chaque année, j’étais aux WorldSkills, à Marseille, où l’on voit la fierté des jeunes en compétition, qui suivent des formations en alternance. Il est donc hors de question pour nous de mettre un coup d’arrêt à l’apprentissage.
Effectivement, même avec 1 000 euros, un apprenti ne vit pas, surtout quand il fait ses études à Paris. Ces aides sont un moyen d’ascension sociale pour des jeunes qui n’auraient pas pu faire d’études sans elles. Nous sommes donc favorables à leur maintien.
M. Yannick Monnet (GDR). Je rappellerai d’abord l’importance de l’apprentissage dans notre pays, notamment pour des métiers en tension, et l’importance de la pédagogie de l’alternance, qui convient à beaucoup de jeunes. De ce point de vue, on pourrait imaginer qu’il n’y ait pas de cotisations sociales sur ce type de dispositif, puisqu’un apprenti est avant tout un étudiant qui apprend, et non un salarié lambda. On ne devrait donc même pas avoir d’exonération, puisqu’il ne devrait pas y avoir de cotisations !
M. le rapporteur général. Il y a une grande confusion : on peut être pour ou contre ces dispositifs, mais il faut savoir de quoi on parle.
Monsieur Raux, la suppression de l’aide au permis de conduire, suppression à laquelle je suis opposé, ne figure pas dans cet article mais relève de la mission Travail, emploi et administration des ministères sociaux du PLF.
Messieurs Clouet, Maudet et Boyard, je suis très étonné : depuis deux jours, vous n’arrêtez pas de nous expliquer qu’il faut socialiser les revenus, que les cotisations ne sont pas des charges mais un salaire différé ; et voilà que vous qualifiez de « taxe » ou d’« impôt » les cotisations salariales.
Certains défendent aujourd’hui l’apprentissage alors que, ces dernières années, ils n’ont pas toujours soutenu les dispositifs d’aide à l’apprentissage, contrairement à moi. La question posée par cet alinéa est : est-ce qu’à salaire brut équivalent, un apprenti doit gagner plus qu’un salarié ?
Il est vrai que si le salaire est de 1 000 euros, en lui appliquant un prélèvement de 11 % au titre des cotisations, on arrive bien à votre chiffre de 100 euros par mois.
Selon Yannick Monnet, les apprentis ne devraient même pas cotiser ; pourquoi pas, mais allons au bout de ce raisonnement : dans ce cas, pas d’ouverture de droits, puisque les cotisations créent des droits. Je l’ai dit ce matin : je suis très favorable à la validation des trimestres pour la retraite, mais qui dit droit dit cotisation. D’ailleurs, tout le monde contribue pour alimenter ce droit. Est-on prêt à ce que les apprentis ne valident plus ces trimestres ?
Néanmoins, vous posez une question légitime, celle du juste niveau de rémunération des apprentis.
Il y a eu des évolutions ces dernières années ; elles ne vont pas assez loin pour certains, mais il existe une rémunération minimum qui augmente en fonction de l’année d’apprentissage, et il n’est pas question de supprimer les aides aux apprentis.
Les aides à l’embauche ne sont pas supprimées elles non plus. La mesure ne dissuadera pas les employeurs de recruter des apprentis, elle ne changera absolument rien pour eux.
En revanche, je le répète, l’apprenti qui, après trois années d’apprentissage, intégrera l’entreprise au même salaire brut verra son salaire diminuer, parfois de manière importante, dans les proportions que vous avez évoquées, et ne comprendra pas pourquoi. Certes, certains apprentis perçoivent une rémunération inférieure à 1 000 euros, mais certains salariés travaillent à temps partiel. À salaire brut équivalent, pourquoi un apprenti gagne-t-il plus qu’un salarié à temps partiel ?
Je n’ai pas écrit cet article – je n’aurais d’ailleurs pas pensé à l’inscrire dans le PLFSS. Mais je me dois de vous expliquer ce en quoi il consiste et ce qu’il ne traite pas – la rémunération, l’aide à l’embauche, l’aide au permis de conduire.
M. Nicolas Turquois (Dem). Les propos que j’ai entendus m’ont choqué. Certains s’opposent aux politiques en faveur de l’apprentissage. Or c’est un moyen formidable de faire découvrir le travail aux étudiants.
Je suis employeur d’apprentis. J’ai fait le calcul pour des apprentis qui gagnent autour de 1 000 euros : la mesure représente une baisse de 10 euros, loin des chiffres que j’ai entendus.
Par ailleurs, comme l’a très bien dit le rapporteur général, un salarié à mi-temps peut gagner moins qu’un apprenti du fait de la fiscalité et des cotisations.
Les apprentis valident désormais des trimestres de retraite. Or une ouverture de droits suppose une cotisation. Celle qui est proposée reste très faible. C’est normal de cotiser quand on travaille.
Enfin, votre image de l’apprenti, celle d’un enfant que l’on ferait travailler, est tout simplement insupportable.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Je ne suis pas une fan de l’apprentissage. Je suis très attachée à l’enseignement professionnel, que vous avez brisé. Maintenant que bon nombre de lycées professionnels sont à terre, beaucoup de jeunes n’ont plus d’autre choix de formation que l’apprentissage. En l’absence d’une allocation d’autonomie qui permettrait à chaque jeune de subvenir à ses besoins essentiels et d’être autonome, il faut garantir un niveau de rémunération correct. L’apprentissage ne le permet pas. Ne prenons pas en plus aux apprentis 100 euros par mois.
Bien entendu, le travail des apprentis ouvre des droits : les mois et les années d’apprentissage doivent être pris en compte pour la retraite.
En revanche, certains d’entre eux sont mineurs et ils peuvent être victimes d’accidents du travail – j’espère que vous êtes au courant des faits de ce type survenus ces dernières années.
Enfin, de nombreuses ruptures de contrats d’apprentissage sont le fait des employeurs et laissent les jeunes sans solution.
La réunion est suspendue de dix-sept heures quinze à dix-sept heures trente.
Mme Justine Gruet (DR). La Droite Républicaine encouragera toujours l’apprentissage. J’ai déposé une proposition de loi visant à abaisser à 16 ans l’âge du permis de conduire afin de décorréler l’âge du permis de celui du bac et d’encourager les voies professionnalisantes.
Évitons de tomber dans le registre émotionnel et soyons justes : pour ouvrir des droits, il est nécessaire de cotiser. L’apprentissage est un réel outil de formation : c’est une voie d’excellence qui allie les savoir-faire théorique et pratique. Ne cassons pas la dynamique de ces dernières années qui a favorisé la promotion de l’apprentissage. Continuons à encourager les entreprises à embaucher des apprentis. Cette démarche est gagnant-gagnant : les apprentis acquièrent un bagage considérable et les entreprises bénéficient d’une main-d’œuvre avec une valeur ajoutée.
Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Votons ces amendements pour refuser que le Gouvernement fasse payer aux apprentis le prix de sa politique d’austérité sociale. La suppression de l’exonération conduirait à ponctionner jusqu’à 100 euros sur le revenu mensuel de jeunes déjà sous le seuil de pauvreté.
Un chiffre pour éclairer ce débat : 75 % des apprentis gagnent moins de 1 200 euros. Ce sont des travailleurs pauvres et non des privilégiés. Pendant ce temps, on le dit et on le répète, les entreprises encaissent des milliards d’euros en exonérations et des primes à l’embauche d’alternants.
Voilà où est l’argent, pas dans la poche des jeunes qui bossent pour 600 ou 800 euros par mois. Ce n’est pas aux apprentis de combler les trous d’une sécurité sociale que le Gouvernement vide lui-même à coups de cadeaux patronaux. Nous demandons le maintien de l’exonération et la fin de cette hypocrisie sociale.
Mme Sandrine Runel (SOC). Je rappelle tout le bien que nous pensons de l’apprentissage et j’insiste sur la nécessité de supprimer cet alinéa. Quelqu’un s’est demandé qui avait eu l’idée de cette mesure. De mon côté, je me demande qui a eu l’idée de ce budget, dont personne n’a l’air ni solidaire ni coresponsable.
Le dépôt d’amendements de suppression par tous les groupes politiques – voire de plusieurs amendements par groupe – montre bien que nous sommes d’accord pour supprimer cette disposition.
Si nous voulons éviter de passer le week-end ensemble, le rapporteur général devrait abréger ses explications, aussi intéressantes et bienveillantes soient-elles. Quant à nous, nous devrions faire preuve de concision et respecter la minute de parole qui nous est impartie.
La commission adopte les amendements AS723 et AS1032.
En conséquence, les autres amendements en discussion commune tombent, ainsi que les amendements AS406 de Mme Ségolène Amiot, AS516 de Mme Christine Loir, AS206 et AS205 de M. Gaëtan Dussausaye et AS1676 de M. Olivier Serva.
Amendement AS1120 de M. Paul Midy
Mme Camille Galliard-Minier. Il vise à garantir que l’ensemble des entreprises innovantes continueront à bénéficier du dispositif d’exonération pour les jeunes entreprises innovantes (JEI). Pour être éligibles, les entreprises doivent réaliser des dépenses de recherche et développement (R&D) représentant au moins 20 % de leurs charges, seuil déjà difficile à atteindre.
Ne touchons pas à ce dispositif essentiel qui fonctionne : il soutient les JEI et les start‑up qui embauchent et sont l’avenir de notre pays.
M. le rapporteur général. Le dispositif JEI a fait l’objet de deux mesures importantes au cours des dernières années : d’une part, la loi de finances pour 2024 a créé la catégorie des jeunes entreprises de croissance (JEC), qui peuvent bénéficier du dispositif dès qu’elles atteignent le seuil de 5 % de dépenses de recherche et développement – très éloigné de celui de 20 % ; d’autre part, la même loi prévoit que la souscription au capital de ces entreprises ouvre droit à une réduction de l’impôt sur le revenu dans le cadre du dispositif dit « IR-PME ».
Par ailleurs, ces entreprises peuvent également bénéficier d’autres formes de soutien, telles que le crédit d’impôt pour l’innovation ou les aides distribuées par Bpifrance.
L’alinéa 18 ne porte que de 20 % à 25 % le seuil de dépenses de recherche et développement qui conditionne l’éligibilité au dispositif : ce n’est pas grand-chose. Et si une entreprise n’est plus éligible au JEI, elle peut bénéficier des allégements généraux de cotisations patronales, dont le point de sortie est fixé à trois fois le Smic.
Nous avons déjà supprimé plusieurs mesures de redressement des comptes sociaux. Cet alinéa ne remettra pas en cause le dispositif JEI.
Je vous invite à retirer cet amendement ; à défaut, avis défavorable.
Mme Camille Galliard-Minier. Je le maintiens. Certes, une augmentation de 5 points paraît faible, mais il n’est pas facile de faire ces dépenses en R&D, notamment pour les entreprises du secteur de l’innovation sociale. Par ailleurs, les entreprises qui sortiraient du dispositif subiraient une augmentation de 30 % de leurs charges sociales, ce qui n’inciterait pas à l’embauche.
M. Philippe Vigier (Dem). Je connais un peu le sujet : j’ai fondé un village de start‑up, dans lequel il y a des JEI. L’augmentation du seuil de dépenses de 20 % à 25 % n’entraînera pas 30 % de surcoût ; ce calcul n’est pas juste. Par ailleurs, les JEI peuvent bénéficier d’aides de la part de Bpifrance et des conseils régionaux. Ce dispositif ne les mettra pas à terre, bien au contraire.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS691 de M. Hadrien Clouet et AS693 de Mme Élise Leboucher (discussion commune)
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Les bilans disponibles sur l’effet des niches sociales pour les JEI, les jeunes entreprises universitaires (JEU) et les JEC ne montrent pas leur pertinence. Il s’agit en fait de transferts de charges de certaines entreprises privées vers la puissance publique. Nous sommes donc favorables au rétablissement du droit commun. Les politiques menées doivent reposer sur l’organisation d’écosystèmes de recherche, la mutualisation des fonctions et la capacité à déposer un brevet collectif, plutôt que sur du saupoudrage de fonds par l’outil fiscal.
Dans un souci d’efficacité de la R&D nationale, nous proposons d’abroger l’article 131 de la loi de finances pour 2004.
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). L’amendement AS693 est de repli. Dis-moi qui tu exonères, je te dirai pour qui tu gouvernes ! Le fait de réaliser 360 millions d’euros d’économies sur le dos des apprentis tout en maintenant 300 millions d’exonérations fiscales pour les start-up montre le lien entre un gouvernement et un groupe politique, d’une part, et, d’autre part, un groupe social bien identifié : la bourgeoisie, qui croit être le centre de l’univers et avoir toutes les bonnes idées pour demain. Pensons à nos finances publiques, soyons sérieux.
M. le rapporteur général. Pourrait-on échanger uniquement sur le fond ? Un rabot de 25 millions d’euros sur le dispositif JEI est prévu. J’ai compris que le groupe EPR y était défavorable. Le dispositif est recentré sur les entreprises qui investissent le plus en matière de recherche et développement. Il est plus attractif que les allégements généraux de cotisations, même si la différence n’est pas de 30 %.
Monsieur Clouet, en 2021, une étude économique réalisée par l’Insee avait conclu à un effet positif du dispositif JEI sur l’emploi salarié total et l’emploi salarié consacré à la R&D. Je ne suis pas sûr que tous ces salariés appartiennent à la grande bourgeoisie. Je m’inscris en faux contre cette remarque péjorative à l’endroit de ceux qui innovent et investissent. Par ailleurs, le rapport de 2023 de notre collègue Paul Midy, dont la publication avait été approuvée par la commission, a lui aussi montré tout l’intérêt de ce dispositif.
Avis défavorable.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je suis très content que le rapporteur général évoque cette étude de l’Insee, parue le 28 octobre 2021, qui s’intitule : « Dispositif “ jeune entreprise innovante” : un effet faible et incertain sur l’emploi des entreprises bénéficiaires ». Je vous invite à lire l’ensemble de l’étude, cela vous incitera à voter nos amendements. Votez insoumis ; vous verrez, ça vous fera du bien.
M. le rapporteur général. Il ne faut pas s’arrêter au titre ! Cette étude montre que ces dispositifs ont vraiment eu un effet.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS262 de M. Paul Midy
Mme Annie Vidal (EPR). L’amendement est défendu.
Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement.
Amendement AS1082 de M. Charles Fournier
M. Jean-Claude Raux (EcoS). Cet amendement vise à créer une nouvelle catégorie de JEI, les jeunes entreprises innovantes à impact (JEII), qui satisferait aux critères de l’économie sociale et solidaire et de l’agrément « Entreprise solidaire d’utilité sociale ».
Ces entreprises développent en France l’innovation écologique et sociale conforme aux dix-sept objectifs de développement durable. Cette nouvelle catégorie concernerait entre 500 et 800 entreprises, pour un coût estimé à 5 millions d’euros. Ce dispositif permettrait à l’État d’éviter des coûts majeurs puisque pour 1 euro de chiffre d’affaires réalisé par ces structures, 1,30 euro en moyenne serait économisé pour la société et les pouvoirs publics.
M. le rapporteur général. Cette nouvelle catégorie bénéficierait donc d’une exonération d’impôt, ce qui n’est pas cohérent avec votre opposition passée aux exonérations.
L’éligibilité à cette nouvelle catégorie reposerait sur des critères environnementaux et sociaux ; sur ce point, vous êtes cohérents ; mais le soutien aux JEC et aux JEI par l’intermédiaire de Bpifrance ou des collectivités dépend déjà de tels critères. Il est donc inutile de créer une catégorie dans un système déjà très complexe.
Avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 9 modifié.
Après l’article 9
Amendement AS1469 de M. Lionel Causse
Mme Camille Galliard-Minier. L’amendement vise à permettre aux employeurs de prendre en charge une partie des intérêts du prêt immobilier de leurs salariés.
La crise du logement atteint un niveau historique. L’application de ce dispositif reste marginale car il est peu incitatif du point de vue social et fiscal. Cet amendement vise à y remédier afin de permettre à de jeunes ménages d’accéder à un logement grâce au soutien de leur employeur.
M. le rapporteur général. Je connais bien cet amendement : j’avais déposé le même il y a un an. Nous devons encore le retravailler.
D’abord, ce dispositif soulève une difficulté s’agissant de la mobilité. Il ne faudrait pas que les salariés deviennent en quelque sorte captifs de l’entreprise qu’ils ne pourraient plus quitter faute de pouvoir s’acquitter seuls des intérêts de leur prêt.
Par ailleurs, certains employeurs prennent déjà en charge une partie des intérêts des prêts immobiliers contractés par leurs salariés. Il faudrait s’assurer que ces employeurs ne réduiraient pas le niveau de cette prise en charge pour bénéficier de l’exonération que vous proposez de créer.
À condition de résoudre ces deux problèmes, ce dispositif très intéressant, qui représenterait une aide d’une centaine d’euros pour les salariés voulant devenir propriétaires, peut avoir un effet de levier, notamment dans les zones tendues en métropole. Ce dispositif est une solution parmi d’autres pour résoudre la crise du logement. Je vous invite à le retirer pour le retravailler.
L’amendement est retiré.
Amendement AS1332 de Mme Annie Vidal
Mme Annie Vidal (EPR). L’amendement vise à lutter contre le gaspillage alimentaire dès la phase de production, en reconnaissant le rôle essentiel des exploitations agricoles dans cette démarche.
Ce sont 10 millions de tonnes de denrées alimentaires qui sont gaspillées du champ à l’assiette, soit 150 kilos par personne, pour une valeur de 16 milliards d’euros.
Le présent amendement vise donc à encourager et à valoriser les dons alimentaires consentis par les exploitations agricoles au profit d’associations caritatives, en proposant une réduction des cotisations sociales pour l’exploitation sur la base des dons réalisés.
M. le rapporteur général. Je ne peux que souscrire à votre superbe idée. En outre, je soutiens fermement les agriculteurs, comme en témoignent les amendements que j’ai défendus à ce sujet.
Néanmoins, il existe déjà une exonération de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés à hauteur de 60 % de la valeur des dons, dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires global de l’exploitation ou de 20 000 euros par an. Je ne pense pas qu’il faille aller plus loin.
Avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS1573 de M. Fabrice Brun
M. Fabrice Brun (DR). Cet amendement est relatif au dispositif travailleur occasionnel-demandeur d’emploi (TO‑DE), qui consiste en une exonération de charges sociales pour l’emploi de travailleurs saisonniers agricoles et concerne les activités à forte intensité de main-d’œuvre comme l’arboriculture, la viticulture, le maraîchage, la pépinière viticole.
Pour rappel, le coût du travail est inférieur au nôtre de 37 % en Espagne et en Italie et de 22 % en Allemagne. Nous devons donc pérenniser le TO‑DE, qui sert la compétitivité de l’agriculture française.
Je propose ainsi d’exclure le TO‑DE de la réforme des allégements généraux de cotisations patronales réduisant le taux maximal d’exonération au niveau du Smic.
M. le rapporteur général. Chaque année, vous défendez cet amendement. Je le connais bien ; l’année dernière, j’avais présenté le même et nous l’avions fait adopter. Le dispositif proposé ne correspond plus à la situation actuelle et produirait l’effet inverse de celui que vous recherchez.
L’an dernier, nous avons évité que la réforme des allégements généraux prévue à l’article 6 du PLFSS 2025 entraîne une diminution du niveau maximal de l’exonération TO‑DE. Il n’y a donc rien à faire de plus. Adopter votre amendement serait même néfaste : prendre pour référence la date du 31 décembre 2025, comme vous le faites – au lieu de celle du 1er janvier 2024 –, revient à se régler sur celle du 31 décembre 2024, car rien n’a changé entre ces deux dates, contrairement à ce qui s’est passé entre le 1er janvier et le 31 décembre 2024. Vous en restez donc à l’ancien dispositif alors que nous avons amélioré les choses.
Comme vous ne souhaitez pas porter préjudice aux agriculteurs, je vous invite à retirer votre amendement et à ne surtout pas le redéposer en séance.
M. Fabrice Brun (DR). Je remercie le rapporteur général d’avoir souligné ma pugnacité quand il s’agit de défendre la compétitivité de notre agriculture. Je me range à vos raisons et je regarderai cela de plus près d’ici à la séance.
L’amendement est retiré.
Amendement AS1741 de M. Thibault Bazin
M. le rapporteur général. Je propose d’étendre le TO‑DE aux seules entreprises de travaux forestiers (ETF), ce qui représenterait une perte de recettes de 5 millions d’euros, plutôt qu’à toutes les entreprises de travaux agricoles, ruraux et forestiers (Etarf) – la perte de recettes s’élèverait alors entre 17 et 20 millions d’euros.
Lors du débat que nous avions eu l’an dernier sur ce sujet, nous étions convenus de définir un champ d’application pertinent. C’est le sens de cet amendement.
M. Michel Lauzzana (EPR). Il faut maintenir le TO‑DE, dispositif que nous défendons chaque année. L’an dernier, j’avais notamment déposé un amendement en ce sens avec Didier Le Gac, mais c’est l’amendement du rapporteur général que nous avions adopté, qui visait à prolonger le dispositif jusqu’en 2027.
M. le rapporteur général. Ce dispositif est désormais pérenne. Je vous propose de combler un trou dans la raquette en ciblant les entreprises de travaux forestiers. Parmi les 22 500 Etarf, on dénombre 6 700 ETF. Cet amendement coûte environ 5,3 millions d’euros ; il en coûterait près de 18 millions s’il visait l’ensemble des Etarf.
M. Nicolas Turquois (Dem). Je suis perplexe : certaines entreprises de travaux forestiers exercent à la fois des activités forestières et agricoles – du reste, je rappelle que les entreprises agricoles demandent à bénéficier de cette exonération. De même, certaines entreprises qui gèrent les espaces verts accomplissent des travaux forestiers. Ce dispositif pourrait entraîner des effets de bord dangereux du point de vue financier. Je comprends cet amendement, mais dans un contexte budgétaire difficile, je préfère m’abstenir.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Pourquoi cet amendement cible-t-il uniquement les entreprises de travaux forestiers ?
M. le rapporteur général. D’une part, les Etarf non forestières disposent généralement d’une clientèle diversifiée et sont moins soumises aux contraintes de la saisonnalité ; d’autre part, elles emploient des travailleurs permanents. Or, conformément à son objet, cette exonération doit bénéficier aux exploitations qui emploient des travailleurs saisonniers.
La commission adopte l’amendement.
Amendements AS654 de M. Damien Maudet et AS655 de Mme Ségolène Amiot (discussion commune)
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). L’amendement AS654 vise à conditionner les aides au travail occasionnel dans les exploitations agricoles au respect du minimum de décence humaine.
Jusque dans l’Assemblée, les hypocrites ont une morale à géométrie variable. Leur fonds de commerce est de stigmatiser la main-d’œuvre immigrée, mais puisqu’elle est là, autant l’exploiter et lui faire discrètement planter des hectares de vignes. Je pense à un ancien parlementaire du Médoc, qui fait honte à la profession, ainsi qu’aux agriculteurs et aux agricultrices. Je salue les viticulteurs et les viticultrices de mon département, mais aussi tous les travailleurs agricoles, qui méritent sécurité, dignité et fierté, quelle que soit leur nationalité.
Faute d’inspecteurs du travail, des scandales liés à la canicule, aux payes dérisoires ou aux amplitudes horaires indécentes éclatent chaque année. Récemment, de grands exploitants agricoles ont été condamnés pour traite d’êtres humains. Nous ne voulons plus jamais revivre les vendanges de la honte, quand cinquante-sept travailleurs étrangers avaient été découverts dans des conditions de vie et d’hébergement indignes.
Les aides TO‑DE représenteront 620 millions d’euros l’an prochain. Fidèles à notre ligne, nous exigeons des contreparties sociales minimales à l’octroi d’aides.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Dans la foulée du précédent, l’amendement AS655 vise à exclure les sociétés de prestations de services internationales du bénéfice du dispositif TO‑DE.
Les entreprises qui font de la sous-traitance en recourant à des prestataires étrangers manquent souvent à leurs obligations juridiques et de sécurité sur les sites. Elles bénéficient pourtant de différents aménagements fiscaux, alors que les taux d’accident et de mortalité du secteur agricole sont les plus élevés du pays. Les 9 et 23 octobre, deux hommes sont morts écrasés, l’un par un caisson de blé, l’autre par une benne.
Monsieur Fabrice Brun, j’espère que vous voterez en faveur de la conditionnalité des exonérations concernées, puisque la Confédération paysanne a gagné les élections de la chambre d’agriculture dans votre département et que c’est une de ses revendications ; cela me semble plus intéressant que de coécrire des amendements avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles.
M. le rapporteur général. Moi aussi, je suis pour des conditions de travail dignes ; c’est à l’inspection du travail de contrôler le respect de cette exigence. Je reconnais votre constance sur la conditionnalité des aides, mais l’amendement AS654 présente un risque d’alourdissement de la charge de la Mutualité sociale agricole (MSA).
Le coût du dispositif est plutôt de 590 millions d’euros.
Dans le second amendement, vous évoquez la prestation de services internationale ; celle-ci repose sur un contrat, par lequel une entreprise établie à l’étranger s’engage à effectuer une prestation pour le compte d’une entreprise située en France, au moyen de travailleurs qu’elle détache temporairement. Il est exact, monsieur Clouet, que le recours à ce mécanisme croît dans le monde agricole, mais vous évoquez des cas de maltraitance de saisonniers sans contrat ; or la prestation de services internationale est un contrat. D’ailleurs, le dispositif TO‑DE ne s’applique pas en l’absence de contrat. Je ne nie pas l’existence d’abus, mais il nous faut relayer à la MSA et à l’inspection du travail les alertes que nous recevons dans nos circonscriptions.
Avis défavorable aux deux amendements.
Mme Joëlle Mélin (RN). Il y a un an et demi, de grandes sociétés, notamment espagnoles, se sont comportées de manière indigne à l’égard des personnes qu’elles avaient recrutées. Nous allons soutenir cette proposition pour les personnes titulaires d’un contrat et du statut de travailleur détaché tel que défini par les lois européennes.
Les travailleurs détachés représentent un vrai problème – leur nombre est estimé à 500 000. Or, depuis le début de nos travaux, nous ne les avons pas évoqués une seule fois alors que nous débattons à n’en plus finir des moyens de raboter le capital, les employeurs et les grandes entreprises. Il convient pourtant d’examiner cette catégorie avec la plus grande attention compte tenu des problèmes de financement de la sécurité sociale.
La commission adopte l’amendement AS654.
En conséquence, l’amendement AS655 tombe.
Amendement AS1722 de M. Fabrice Brun
M. Fabrice Brun (DR). Cet amendement transpartisan, et même trans-syndical pour faire plaisir à mon collègue Clouet, touche à l’agriculture collective. Nous souhaitons que les coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma) qui emploient de la main-d’œuvre saisonnière puissent bénéficier, comme les groupements d’employeurs associatifs, du dispositif TO‑DE. Comme les Cuma sont le prolongement des exploitations agricoles, il nous paraît légitime que les quelques centaines d’emplois concernés bénéficient des exonérations de charges sociales.
M. le rapporteur général. Vous menez, cher Fabrice Brun, un combat constant pour les Cuma. J’avais déposé l’année dernière un amendement sur le sujet ; il avait été adopté, mais la navette parlementaire l’a modifié pour retenir une mesure différente de votre proposition. L’adoption de cette dernière se retournerait contre votre objectif car elle réduirait la portée du mécanisme actuel. Je vous invite donc à retirer votre amendement déjà satisfait et à ne pas le représenter en séance publique.
L’amendement est retiré.
Amendements AS197 de M. Jérôme Guedj et AS399 de Mme Élise Leboucher (discussion commune)
Mme Sandrine Runel (SOC). L’amendement AS197 est défendu.
M. Hadrien Clouet (LFI‑NFP). L’amendement AS399 est défendu.
M. le rapporteur général. Ces deux amendements me surprennent beaucoup : depuis deux jours, vous souhaitez limiter les exonérations de cotisations sociales ; or vous proposez là une exonération totale de contributions alors que nous avions maintenu l’exonération jusqu’à 50 % du Smic l’année dernière ; je ne vous comprends plus !
Avis défavorable.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Il faut un droit ordinaire de référence fixant un taux de cotisations sociales interprofessionnel, dont le produit abonde une caisse unique de socialisation des risques, pour parler comme en 1946. C’est par rapport à ce droit ordinaire que l’on peut créer des situations extraordinaires.
En l’espèce, la réduction du temps de travail de certains salariés à 32 heures par semaine créerait des emplois, lesquels seraient soumis aux cotisations sociales. La nature du dispositif est la même que pour les 35 heures.
La commission adopte l’amendement AS197.
En conséquence, l’amendement AS399 tombe.
La réunion est suspendue de dix-huit heures cinq à dix-huit heures vingt-cinq.
Amendement AS1742 de M. Thibault Bazin
M. le rapporteur général. Par souci de transparence, je signale que la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) m’a suggéré cet amendement au cours des auditions préparatoires que nous avons menées avec chaque caisse et organisme.
Les deux dernières lois de financement de la sécurité sociale ont révisé l’assiette sociale des indépendants, notamment celle des exploitants agricoles, pour mettre fin à la double circularité, contrainte qui oblige à calculer la CSG pour connaître les cotisations et inversement.
Je propose dans cet amendement que les abandons de comptes courants soient retirés de l’assiette sociale agricole. Il s’agit d’une renonciation par un associé à tout ou partie de sa créance sur la société, née de l’argent qu’il avait prêté, pour renforcer les fonds propres de l’exploitation agricole en difficulté. L’absence de remboursement de la mise de l’associé ne génère pas de revenu pour la société : ce produit comptable, qui est un apport, n’a pas à être assimilé à un produit assujetti aux prélèvements sociaux des agriculteurs.
M. François Gernigon (HOR). Pourquoi cette mesure ne concernerait-elle que le monde agricole ? Quel régime s’applique à ce type d’abandon de créance dans les activités commerciales et industrielles ?
M. le rapporteur général. J’ai trouvé cette idée de la CCMSA très pertinente, mais elle pourrait en effet s’appliquer à d’autres secteurs. Je n’ai pas entendu les acteurs du régime général et des autres branches avancer une revendication comparable. Je vous propose d’adopter mon amendement et de voir s’il suscite un intérêt plus large au cours de la navette parlementaire.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS1095 de M. François-Xavier Ceccoli et sous-amendement AS1751 de M. Thibault Bazin
M. François-Xavier Ceccoli (DR). Les territoires ruraux et de montagne subissent chaque jour les conséquences de leur manque d’attractivité aux yeux des soignants. Dans ces zones sous-dotées, les professionnels de santé – médecins, infirmiers, kinésithérapeutes ou soignants de premiers secours – exercent souvent dans des conditions difficiles : les trajets quotidiens sont longs et épuisants, la charge logistique est lourde, la patientèle perçoit des salaires modestes et les revenus nets sont inférieurs à la moyenne.
En février, nous avons débattu de la désertification médicale, laquelle représente une rupture majeure de l’égalité d’accès aux soins. Il vous est proposé de soutenir les soignants qui exercent dans ces zones. L’amendement vise à rendre ces territoires plus attractifs en instituant une exonération partielle de 50 % des cotisations sociales personnelles pour les praticiens qui s’y installent. Accordée pour une période de cinq ans renouvelable une fois, l’exonération serait strictement encadrée par les zonages établis par les agences régionales de santé (ARS).
M. le rapporteur général. Je ne suis pas opposé aux aides à l’installation et votre idée m’intéresse. Jean-François Rousset et Yannick Monnet ont rendu un rapport sur le sujet au printemps – j’ai pu participer à certaines des auditions qu’ils ont menées.
Le dispositif de votre amendement pâtit néanmoins de limites importantes. Vous évoquez les cotisations hors CSG, mais celle-ci n’est pas une cotisation, elle s’apparente davantage à un impôt. En outre, le périmètre des cotisations sociales personnelles des médecins est très réduit. En effet, de très nombreux médecins ne paient pas leurs cotisations, c’est l’assurance maladie qui s’en charge. Les cotisations maladie et famille sont exonérées de paiement car acquittées par une dépense de la branche maladie ; lorsque les médecins les paient, le taux applicable est très faible, de l’ordre de 0,1 %. Hors régime de base, ils ne cotisent pas non plus à l’assurance chômage. Seules les cotisations vieillesse subsistent, mais je ne souhaite pas déséquilibrer les comptes de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf) en ouvrant des droits sans cotisations pour les financer.
J’ai déposé un sous-amendement qui vise à éviter les écueils que je viens de pointer. Je souhaite supprimer du dispositif la mention à la CSG et exclure les cotisations abondant la Carmf. Pour être tout à fait honnête, l’adoption de mon sous-amendement viderait votre amendement de presque tout son contenu.
J’émets un avis favorable à l’adoption de l’amendement, sous réserve de celle du sous-amendement.
M. Yannick Monnet (GDR). Tant qu’à citer un rapport, autant évoquer ses conclusions. Nous avons démontré que l’installation des médecins ne dépendait pas de mesures financières, voilà pourquoi l’amendement n’aura aucune efficacité. Les médecins ne s’installent pas au gré des avantages et des aides, d’ailleurs ces dernières ne sont pas toutes consommées. Les déterminants de l’installation sont la présence d’une activité, de services publics et d’écoles. Un allégement de cotisations n’améliore pas l’attractivité des territoires aux yeux des médecins.
M. Jean-François Rousset (EPR). J’irai dans le même sens que Yannick Monnet, puisque nous avons rédigé le rapport ensemble. Ce sont les conditions d’exercice de la profession médicale qui définissent l’attractivité d’un territoire, y compris dans les communes les plus rurales.
Dans les déserts médicaux, il y a potentiellement beaucoup de malades à soigner pour un médecin qui s’installe, donc le problème n’est pas celui des revenus, lesquels sont assurés dès le premier mois d’activité. Les aides qui ont été déployées visaient à favoriser l’installation des jeunes à l’époque où ceux-ci étaient obligés d’acheter une clientèle. En tout état de cause, une multitude d’éléments peuvent favoriser l’installation des médecins.
M. Christophe Bentz (RN). Nous sommes plutôt favorables à l’amendement, car nous soutenons tous les modes d’aide à l’installation des praticiens, y compris ceux de nature fiscale. Nous rejetons en revanche toute mesure de coercition.
L’idée principale est la prise en compte des spécificités des territoires ruraux ou de montagne, lesquels souffrent de difficultés particulièrement fortes. Votre amendement présente deux écueils. Même si je n’aime pas l’expression « tourisme médical », on peut parfois constater des abus liés aux incitations fiscales : certains praticiens changent régulièrement de territoire, ce qui peut poser des problèmes. Le second défaut tient à la prérogative que donne l’amendement aux ARS, alors que ces structures ne constituent pas le bon échelon de décision et ne connaissent pas assez précisément la zone territoriale visée.
M. Jean-Claude Raux (EcoS). Je me demande parfois si les membres du Rassemblement national écoutent les médecins. Ce qu’ils appellent la coercition est en fait une forme très allégée de régulation, approche sans doute plus pertinente que l’élaboration d’un nouveau dispositif fiscal. L’ensemble des aides et des incitations fiscales n’ont pas réglé le problème de la désertification médicale et il ne sert à rien de s’obstiner dans cette voie.
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Comme vient de le dire M. Raux, pourquoi poursuivre une politique qui ne fonctionne pas ? Un rapport de la Cour des comptes a expliqué que les aides à l’installation n’avaient presque aucun effet. Nos collègues Monnet et Rousset ont remis un rapport dont les conclusions vont dans le même sens, à savoir que ces dispositifs sont totalement inefficaces et très onéreux pour la sécurité sociale. Des solutions existent, comme la régulation de l’installation des médecins, mesure adoptée malgré l’opposition du groupe Rassemblement National. Privilégions les dispositions qui ne dilapident pas les ressources de la sécurité sociale.
M. le rapporteur général. Les conclusions du rapport de nos collègues rejoignent les positions des représentants des médecins : ceux-ci, à ma grande surprise, affirment qu’une telle mesure ne représente pas un levier important pour l’installation des médecins. Néanmoins, son coût sera faible pour la sécurité sociale en raison de la faiblesse du taux applicable.
M. François-Xavier Ceccoli (DR). L’amendement touche l’ensemble des soignants de ces zones, population au sein de laquelle les médecins ne sont qu’une minorité. Il faut donc évaluer la totalité de l’effet de levier du dispositif.
La commission rejette successivement le sous-amendement et l’amendement.
Amendements AS54 et AS53 de M. Didier Le Gac et AS1198 de M. Jimmy Pahun (discussion commune)
M. Didier Le Gac (EPR). Le secteur de la marine marchande est soumis à une très forte concurrence internationale, sachant que 90 % à 95 % de nos échanges commerciaux s’effectuent par voie maritime. Le coût de travail d’un marin français est bien plus élevé que celui d’un marin étranger, surtout extra-européen. C’est pourquoi la loi de 2016 pour l’économie bleue avait instauré une exonération de charges. Cette mesure avait donné des résultats dès l’année suivante, puisque plus de 1 200 gens de mer ont embarqué sur des navires français depuis 2017 ; en outre, le nombre de navires enregistrés au registre international français a progressé de plus de 30 % depuis cette date.
Or la loi de financement pour 2025 a supprimé cette exonération ; c’est sur cette décision qu’entend revenir l’amendement. Il s’agit d’une disposition cruciale pour l’avenir de la marine marchande, essentiel pour la souveraineté maritime et nationale, mais également pour l’embauche des jeunes marins formés dans les écoles de marine marchande. Refuser de rétablir ce mécanisme condamnerait le secteur aux plus grandes difficultés.
L’amendement AS53 est de repli.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). L’amendement de mon collègue Jimmy Pahun repose sur deux piliers : une partie fiscale, adoptée en commission des finances lors de l’examen du PLF, et une partie sociale que nous vous soumettons.
Le transport maritime représente 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit près de 1 milliard de tonnes de dioxyde de carbone chaque année. Dans le cadre de l’Organisation maritime internationale, les États se sont fixé comme objectif la neutralité carbone en 2050. Nous souhaitons accélérer notre effort en rétablissant le régime d’exonération de charges sociales pour les navires à voile. L’adoption de l’amendement enverrait un signal fort. Comme les navires marchands à propulsion vélique sont malheureusement peu nombreux, le coût de la mesure est faible, de l’ordre de 300 000 euros.
M. le rapporteur général. Je salue le combat que vous menez depuis l’an dernier. Le premier amendement coûte 20 millions d’euros. Nous avons trouvé un compromis il y a un an en commission mixte paritaire : l’exonération est maintenue pour les navires câbliers et les navires de service consacrés aux énergies marines renouvelables compte tenu du caractère stratégique de leur activité. Nous n’avons pas supprimé l’exonération, nous l’avons recentrée, pour la marine marchande comme pour le transport de passagers.
Vous souhaitez rétablir l’exonération pour l’activité de fret de la marine. Les armateurs emploient, pour le transport de passagers, des marins souvent peu qualifiés et moins bien rémunérés que ceux travaillant sur les navires de fret et de service : le salaire y est compris entre 2,5 et 4 Smic, donc le coût de l’exonération est élevé.
Le recentrage de l’exonération l’année dernière me semble justifié : je ne souhaite pas revenir sur ce compromis, bien que je comprenne votre combat.
S’agissant du dernier amendement, je vous avoue avoir étudié le plus de sujets possible depuis le dépôt des 1 700 amendements vendredi à 17 heures, mais la propulsion vélique n’en fait hélas pas partie. Si vous le souhaitez, je m’en remets à la sagesse de la commission.
M. Michel Lauzzana (EPR). Quand j’étais à la commission des finances, j’avais rédigé un rapport sur l’environnement maritime. Je soutiens, au moins en partie, la démarche de notre collègue Didier Le Gac. La marine française occupait une position enviable : les Français étaient demandés dans le monde entier, car leurs compétences étaient reconnues à l’étranger. Cette situation contribuait à notre souveraineté et à notre compétitivité. Le premier amendement me semble trop large, mais je soutiendrai l’adoption du deuxième, l’AS53, car il faut aider ce secteur essentiel.
M. Yannick Monnet (GDR). Les exonérations sont un piège. Je ne sous‑estime pas les difficultés de certains secteurs économiques, mais l’exonération n’est pas le bon instrument. Il est préférable d’utiliser celui des aides directes. Ce n’est pas la vocation de la sécurité sociale d’aider les filières économiques. On a l’impression que les exonérations ne coûtent rien, un peu comme lorsque l’on paie avec une carte bleue : on ne voit pas les billets, donc on pense que c’est indolore. Je voterai contre l’adoption des amendements.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). En effet, il existe d’autres leviers. C’est notamment le rôle de la Banque publique d’investissement : elle peut aider des secteurs économiques pour empêcher des entreprises de délocaliser ou de fermer ; elle peut aussi soutenir les entreprises engagées dans la transition énergétique. Nous devrions d’ailleurs débattre de la manière d’aider ces dernières sous conditions, en fonction d’objectifs définis dans le cadre d’une planification au service de la transition énergétique. Mais ce n’est pas la fonction de la sécurité sociale. En l’étatisant, on en fait un outil au service des politiques publiques, alors qu’elle doit garantir tous les risques de la vie pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs. Nous devrions œuvrer à étendre son champ d’action, mais pas l’utiliser pour sauver des secteurs industriels.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Le fret recourt surtout à l’énergie fossile. La France est en avance dans le domaine du fret vélique, qui dégage de fortes économies de carbone : il faut favoriser ce secteur. Le coût du dispositif est modique.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur général, vous nous avez plusieurs fois opposé que nos amendements relevaient du PLF, mais c’est aussi le cas de ceux que nous examinons.
M. le rapporteur général. Puisqu’ils concernent les cotisations des salariés qui travaillent sur ces bateaux, ils relèvent bien du budget de la sécurité sociale.
J’émets un avis défavorable également sur l’amendement AS1198 parce que je ne dispose pas d’éléments suffisants pour me convaincre de sa pertinence.
M. Didier Le Gac (EPR). Comme vous, je préférerais ne pas avoir à discuter d’exonérations de charges. Mais pourquoi en sommes-nous là ? C’est à cause du coût du travail. Les officiers français sont beaucoup plus onéreux que leurs homologues : entre 15 et 50 % plus chers que les Européens, 156 % que les Philippins. Certains États européens, comme Chypre, l’Italie et le Danemark, exonèrent déjà les salaires de toute cotisation : c’est un avantage significatif. Nous ne sommes plus compétitifs ; la marine marchande française va disparaître, quand 90 à 95 % du transport de marchandises se font par voie maritime.
Vous avez dit, monsieur le rapporteur général, que le dispositif prévu à l’amendement AS54 coûterait 20 millions d’euros ; selon mon estimation, ce serait entre 7,5 et 10 millions. L’amendement AS53 vise une réintégration plus ciblée.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS958 de M. Jean Terlier
M. Jean Terlier (EPR). Les structures à but non lucratif peuvent instituer l’intéressement, dispositif de partage de la valeur. Pour rendre l’économie sociale et solidaire plus attractive, cet amendement vise à les y encourager en élargissant l’avantage à la taxe sur les salaires.
Cette mesure, qui ne coûte pas cher, rendrait service aux associations et à leurs salariés – ils en ont besoin.
M. le rapporteur général. L’amendement AS1749, sous-amendé, que nous avons adopté hier, tend déjà à faire bénéficier les organismes non lucratifs d’un taux réduit de taxe sur les salaires. Il faudrait envisager d’appliquer le taux non majoré aux versements effectués en vertu de l’intéressement.
Par ailleurs, le dispositif de votre amendement renvoie à l’article 1679 A du code général des impôts, qui ne s’applique pas seulement, loin de là, aux organismes à but non lucratif. Il concerne par exemple des fondations et des mutuelles, qui se portent très bien. Il faut mieux cibler la mesure.
Je vous invite donc à retirer votre amendement et à le retravailler en vue de l’examen en séance.
M. Jean Terlier (EPR). Je vais réduire le périmètre.
L’amendement est retiré.
Amendements AS828 et AS827 de Mme Christelle Minard (discussion commune)
Mme Christelle Minard (DR). L’amendement AS827 vise à prévoir une aide exceptionnelle, gérée par la MSA, pour prendre en charge tout ou partie des cotisations sociales des exploitants céréaliers dont le revenu fiscal a chuté de plus de 25 % par rapport à la moyenne des trois dernières années.
Le secteur traverse une crise historique. Entre 2022 et 2025, le prix du blé tendre a diminué de 45 %, passant de 320 à 160 euros la tonne, mais les charges de production ont augmenté de près de 30 %. Selon la MSA, quatre exploitants céréaliers sur dix présentent désormais un résultat courant négatif. Les demandes d’étalement des cotisations ont augmenté de 60 % depuis le début de l’année.
La mesure que je propose est temporaire ; la MSA pourra intervenir directement pour soutenir ceux dont la trésorerie est la plus fragile et éviter les cessations d’activité. Nous avons déjà recouru à ce système en 2022 pour les éleveurs et en 2023 pour les viticulteurs.
L’amendement AS828 tend à permettre à la MSA, en cas de baisse significative des revenus liés à une crise, de moduler ou de reporter les cotisations sociales de l’année en cours sans attendre les bilans comptables établis l’année suivante.
M. le rapporteur général. La MSA peut recourir à des outils classiques, comme les plans d’étalement. Lorsqu’il est nécessaire d’aller plus loin, le ministère de l’agriculture intervient, comme ce fut le cas lors de l’épidémie de fièvre catarrhale ovine de 2024 et 2025, à l’occasion du PLF.
Je vous invite à retirer l’amendement AS828 et à le retravailler pour l’examen du projet de loi de fin de gestion.
S’agissant de la contemporanéité, nous avons adopté hier l’amendement AS679, sous-amendé, qui vise à expérimenter à partir du 1er janvier 2027 une option de calcul des cotisations sur les revenus de l’année en cours. Je vous invite à retirer votre amendement AS827 et à vous associer au travail de coconstruction de ce dispositif en vue de l’examen du texte en séance.
Les amendements sont retirés.
Amendement AS1412 de Mme Anne-Sophie Ronceret
Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR). L’amendement vise à exonérer des cotisations MSA sur les revenus de 2025 les betteraviers touchés par la jaunisse virale, afin de les soutenir et d’assurer la pérennité de leurs exploitations. Il s’agit d’une aide temporaire, ciblée et contrôlée.
Moins d’agriculteurs betteraviers, c’est moins de betteraves récoltées, des sucreries fragilisées, des emplois menacés et, demain, plus de sucre importé qui ne respecte pas nos normes.
M. le rapporteur général. Je suis sensible à la situation des exploitants. Cependant, les aides aux secteurs en difficulté relèvent du PLF de fin de gestion. Je vous invite à déposer un amendement aux crédits de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales visant à créer une enveloppe spécifique. Cette manière de procéder a par ailleurs l’avantage de débloquer les crédits avant la fin de l’année.
Avis défavorable.
M. Nicolas Turquois (Dem). Nous avons adopté hier l’amendement AS679 de M. de Courson, visant à calculer les cotisations sur les revenus de l’année n, et le sous‑amendement AS1753, qui tend à expérimenter la mesure avant de la généraliser. Si les revenus sont nuls en raison d’une crise, il n’y aura donc pas de cotisations. Il y a des crises tous les ans : il faut un dispositif pérenne, non des mesures spécifiques par filière.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). On ne peut gérer les crises agricoles sectorielles par des exonérations de cotisations sociales, en particulier dans le PLFSS. Il faut recourir à d’autres outils, comme un fonds de solidarité, un revenu minimum ou un rachat de la dette agricole. Nous voterons contre cet amendement.
Mme Annie Vidal (EPR). J’entends les arguments, mais si cet amendement et les précédents n’avaient rien à voir avec le PLFSS, ils auraient été déclarés irrecevables.
En Seine-Maritime, les betteraviers sont en grande difficulté. Or cela se répercute sur l’ensemble de l’industrie agroalimentaire. Je soutiens donc l’amendement.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS67 de Mme Marie-Charlotte Garin et AS639 de Mme Élise Leboucher (discussion commune)
Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). Réduire le temps de travail permet de mieux répartir l’emploi, de diminuer le chômage, d’améliorer la qualité de vie des salariés, donc de lutter contre le burn-out, de mieux respecter les limites planétaires et de favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes grâce à une meilleure répartition des charges domestiques, parentales en particulier.
Au cours des dernières décennies, la productivité a fortement augmenté : deux salariés aujourd’hui produisent plus en moyenne que trois salariés dans les années 1980. Il est donc normal de redistribuer le temps de travail.
Nous aimons le travail, mais nous pensons qu’il faut travailler mieux. Mon amendement vise à expérimenter une exonération de cotisations pour les entreprises qui embauchent des salariés à 32 heures rémunérées 35. Cela contribuera à objectiver les bienfaits de la réduction du temps de travail, donc à éclairer nos débats en vue d’élaborer de meilleures politiques publiques.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Mon amendement tend à expérimenter un dispositif d’exonérations de cotisations sur les salaires lorsque le contrat prévoit 32 heures payées 35.
Le partage du temps de travail est un moyen d’élargir l’accès à l’emploi – nous proposons de travailler moins pour travailler tous.
Cela soulève la question de la place du travail dans la vie des individus. Le travail salarié n’est pas une fin en soi : c’est un moyen pour vivre dignement. L’augmentation de la productivité doit permettre de dégager du temps en plus, par exemple pour être présent auprès de ses proches ou pour s’engager dans des activités bénévoles, ce qui participerait à améliorer le bien-être de la société.
Cette expérimentation apportera des réponses aux questions relatives à la productivité de l’entreprise, aux besoins de recrutement et à la santé des salariés ; elle encouragera une organisation du travail cohérente avec les limites planétaires.
M. le rapporteur général. Les dispositifs des deux amendements renvoient beaucoup à des décrets. Or, pour modifier les prélèvements obligatoires, il faut prévoir le maximum de paramètres dans la loi.
Tout le monde veut travailler mieux, mais vous proposez surtout de travailler moins. La France peut-elle se le permettre ? Pour redresser le pays, il faudrait plutôt travailler davantage – collectivement. Trois heures de travail en moins par semaine, pour l’ensemble de la population, signifierait moins de richesses produites, donc une moindre capacité à financer les services publics pour relever les défis qui nous attendent et à développer le pays.
Non seulement ce n’est pas la bonne recette, mais cela nous entraînerait sur une pente dangereuse. L’équation à résoudre pour établir un budget est déjà complexe ; elle le serait davantage encore si nous adoptions ces amendements.
Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). On nourrit plein de fantasmes sur la réduction du temps de travail, qui serait destructrice. Pourtant, des expérimentations ont été menées, notamment pendant que Lionel Jospin était Premier ministre, qui prouvent que les effets sont bénéfiques : baisse significative du chômage, passé de 12 à 8 % ; équilibre des comptes sociaux ; balance commerciale positive ; répartition des tâches domestiques légèrement plus favorable aux femmes, notamment chez les parents de jeunes enfants.
Cette diminution est nécessaire, notamment pour prendre en compte les limites planétaires. En outre, elle comblerait l’aspiration d’une génération à mieux répartir les tâches. Le monde du travail a été conçu par les hommes à l’époque où les femmes restaient au foyer s’occuper du travail domestique. La société a évolué : notre rapport au travail doit évoluer.
M. Philippe Vigier (Dem). On peut toujours souhaiter travailler moins pour la même rémunération. L’Organisation de coopération et de développement économiques a publié un rapport comparant les situations des différents pays de l’Union européenne. Lisez-le : vous comprendrez que, malheureusement, nous ne pourrons échapper à la nécessité de travailler plus pour gagner plus d’argent.
Par ailleurs, vous voulez 32 heures payées 35. Qui va payer la différence ? L’État ? Avec quels crédits ? Il est déjà assez fragilisé. Mme Rousseau vient de s’opposer aux exonérations pour les agriculteurs frappés par la jaunisse de la betterave parce qu’on a interdit les néonicotinoïdes.
Mme Prisca Thevenot (EPR). En résumé, vous proposez de financer une réduction du temps de travail par l’endettement collectif. Derrière la dimension sociale affichée, cette mesure alourdirait la charge financière de l’État et fragiliserait notre système de protection sociale. Vous qui criez en permanence contre les allégements de charges visant à rendre les entreprises plus compétitives, vous voulez les subventionner pour réduire le temps de travail. Cela créerait un effet d’aubaine sans garantir la création d’emplois ni le gain de productivité.
Il faut plutôt miser sur la formation, l’innovation et la valorisation du travail. En effet, le progrès social, ce n’est pas travailler moins aux frais des autres, c’est permettre à chacun de mieux vivre de son travail.
Mme Justine Gruet (DR). Pour nous, « travail » n’est pas un vilain mot ; le travail est une source d’épanouissement – nous le défendons et nous croyons qu’il faut le valoriser.
Vous avez vanté les effets de l’instauration des 35 heures ; selon moi, nous en payons les conséquences dans le rapport au travail de nos concitoyens, comme nous payons celles de la retraite à 60 ans.
Vous restez fidèles à votre vision de la société : vous défendez le droit à la paresse et à taxer les riches. Pourtant, travailler permet de se sentir utile et de trouver sa place dans la société. Je suis kinésithérapeute ; je ne comptais pas mes heures, mais ça ne m’empêchait pas d’avoir une vie équilibrée.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur général, vous appelez à travailler davantage collectivement. Ce pourrait être un effet du dispositif : réduire le temps de travail, ce n’est pas réduire le travail, mais cela permet d’offrir plus d’emplois. C’est ce qui s’est passé lorsque les 35 heures ont été adoptées. La Suède a institué les 32 heures : le taux de chômage a diminué, la population vit mieux le travail, et la terre ne s’est pas arrêtée de tourner.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). La question du temps de travail et celle de l’innovation sont liées, madame Thevenot. L’intelligence artificielle supprimera des emplois, mais rien n’est anticipé pour les secteurs concernés – ni formation, ni partage du temps de travail. La situation n’est pas meilleure dans les secteurs impactés par le changement climatique.
L’enjeu est écologique, mais il y va aussi de la dignité au travail. Le monde du travail est divisé en deux : d’un côté, ceux qui ont des carrières, des progressions salariales, des contrat à durée indéterminée, des heures supplémentaires ; de l’autre, des personnes en situation de précarité avec un travail en miettes, des troubles musculo-squelettiques et aucune progression.
Quelle société voulons-nous ?
La commission rejette successivement les amendements.
Article 10 : Simplifier la régulation du secteur des médicaments
Amendements AS241 de Mme Josiane Corneloup et AS1399 de M. Philippe Vigier (discussion commune)
M. Philippe Vigier (Dem). Il s’agit d’un sujet essentiel : la clause de sauvegarde, chaque année âprement discutée et qui monte en puissance. Depuis trente ans, on fait chaque année un petit rabot avant de pousser des cris d’orfraie parce que les médicaments sont produits hors d’Europe – notamment en Asie, à 85 %. On ne peut pas s’en plaindre tout en terrassant notre industrie pharmaceutique.
Nous en avons stabilisé le montant à 1,6 milliard d’euros. Que chacun se rende compte de ce que cela signifie : connaissez-vous une seule entreprise à laquelle on demande en milieu d’année un chèque de remboursement alors même qu’elle ignore son niveau d’activité et n’est pas prescriptrice ? C’est assez étonnant.
Cette année, l’intelligence collective du ministère de la santé augmente le montant M de la clause de sauvegarde d’une somme complémentaire qui le porte à près de 2 milliards d’euros. S’il est adopté, c’est l’affaissement généralisé de la filière. Je me permets de vous mettre en garde. On ne peut pas à la fois déplorer qu’il y ait des manques dans les pharmacies et externaliser tout cela.
M. le rapporteur général. L’article 10 est le plus technique du projet de loi. J’ai interrogé les membres du Gouvernement à ce sujet lors de leur audition ; nous n’avons pas vraiment eu de réponse. J’ai aussi interrogé le Gouvernement sur la base de vos amendements, qui soulèvent des questions techniques et budgétaires ; je n’ai pas eu, à cette heure, de réponse.
Nous légiférons donc un peu à l’aveugle et je donnerai des avis à l’aveugle, ce qui m’ennuie profondément. L’étude d’impact se contente de mentionner d’éventuelles conséquences sur la répartition individuelle de la contribution.
C’est une énième réforme de la clause de sauvegarde, dont nous parlons chaque année. Nous avons déjà harmonisé les règles applicables aux contributions M et Z. Il y a des choses à changer dans cette nouvelle réforme, qui vaudra jusqu’en 2027, mais il y a aussi des éléments intéressants, notamment l’application d’un taux réduit aux médicaments génériques, biosimilaires et substituables.
Il y a surtout un élément dont on ne parle quasiment pas et que j’appelais de mes vœux il y a un an : les industriels versent les acomptes plus tôt, comme ils le demandaient, ce qui n’est pas sans effet sur la trésorerie de la sécurité sociale. À ce propos, je vous remercie de ne pas avoir déposé d’amendement visant à supprimer l’article alors même que nous naviguons à vue.
Les rédactions de l’article proposées par les amendements en discussion, qui ne sont pas sans intérêt, me posent problème dans la mesure où elles suppriment la possibilité de verser les acomptes plus tôt, ce qui représente une perte de trésorerie de 9 milliards d’euros pour la sécurité sociale. Il faudrait augmenter d’autant le plafond d’endettement de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale pour 2026, qui doit déjà passer de 65 à 83 milliards d’euros.
Nous ne pouvons pas nous priver de cet acompte, qui représente 95 % de la clause de sauvegarde. Si l’étude d’impact est muette sur ce point, j’en ai fait une expertise. Au demeurant, c’est le seul sur lequel la réponse des ministres, lors de leur audition, était explicite.
M. Michel Lauzzana (EPR). Les chiffres dont je dispose indiquent un rendement de 16 milliards d’euros par an. En voulant simplifier, le Gouvernement a compliqué le dispositif, qui associe désormais une contribution supplémentaire à la clause de sauvegarde.
L’article 10, très technique, sanctuarise un prélèvement dont nous ne pouvons pas nous passer et qui est plus ou moins accepté. Toutefois, je défendrai des amendements visant à assurer la fabrication en France des médicaments afin d’assurer notre souveraineté en la matière. Je voterai contre les amendements en discussion.
M. Paul Christophe (HOR). Si je me suis abstenu, cette année, de déposer des amendements visant à modifier la clause de sauvegarde, ce n’est pas par bienveillance envers le rapporteur général, qui sait ce que j’en pense. Je soutiens l’amendement de Philippe Vigier.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’on nuit à la prévisibilité de l’activité des entreprises. Aucun secteur industriel ne peut survivre à ce genre de chose. Il est d’ailleurs stupéfiant que nul ne soit capable de vous en détailler le fondement, monsieur le rapporteur général.
J’appelle l’attention sur la chute libre du nombre d’essais cliniques, qui restreint l’accès précoce aux médicaments. Je ne pense pas que nos patients y soient gagnants. La clause de sauvegarde met à mal la capacité du monde industriel à répondre présent sur nos territoires. Le caractère lacunaire de la réponse que vous avez obtenue ne laisse pas de m’inquiéter. La prévisibilité et la lisibilité sont essentielles pour les entreprises.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss), nous avons mené plusieurs auditions pour mieux comprendre l’industrie du médicament. Je trouve l’article 10 plutôt bien fait. Il précise la notion de remise en vue de l’appliquer aux contributions dues au titre de 2025 et des années précédentes, ce qui permet de récupérer 9 milliards d’euros. Il stabilise les montants M et Z, dont il limite les augmentations, ce qui est une amélioration. Quant aux essais cliniques, ce qui importe, c’est l’autorisation d’accès précoce aux médicaments, davantage que les montants M et Z. Je suis favorable à l’adoption de l’article 10 aussi peu modifié que possible.
M. le rapporteur général. Monsieur Lauzzana, le montant de 9 milliards d’euros correspond à la clause de sauvegarde, à hauteur de 1,6 milliard, ainsi qu’aux remises dues au titre de 2025 et des années précédentes, à hauteur d’environ 8 milliards.
Je fais miennes les préoccupations de Philippe Vigier et de Paul Christophe en matière de souveraineté et d’innovation. Comme vous, chers collègues, je considère que la clause de sauvegarde doit être un filet de sécurité dont le déclenchement doit être contrôlé.
Je défendrai à cette fin l’amendement AS1743, qui se fonde sur notre expertise de l’erreur de 1,2 milliard d’euros commise l’an dernier par la direction de la sécurité sociale (DSS) et relève les montants M et Z en proportion. Par ailleurs, je continuerai, d’ici à l’examen du texte en séance publique, à interroger la DSS et le Gouvernement – s’ils suivent nos débats, ils n’apprécient sans doute pas tout ce que je dis, mais j’exprime, je crois, notre position à tous.
Je souscris à l’intention de stimuler les médicaments génériques et biosimilaires, mais plafonner la contribution afférente pénalise les médicaments innovants. La maîtrise des coûts est en jeu, mais aussi l’innovation. Compte tenu du caractère composite de la clause de sauvegarde, en réduire l’assiette pénalise les médicaments qui y restent. La plus grande prudence s’impose. Il convient de vérifier que sa réforme n’est pas contraire aux objectifs que nous nous donnons.
M. Philippe Vigier (Dem). Le PLFSS, tel qu’il a été préparé par le Gouvernement, notamment par le ministère de la santé et, en son sein, par la direction générale de l’offre de soins, continue la même spirale qu’auparavant. Il faut marquer un coup d’arrêt à trente années de rabot aveugle qui ont tué l’industrie du médicament.
Votre amendement est très bien, mais votons le nôtre et voyons, d’ici l’examen du texte en séance publique, quelle est vraiment la volonté du Gouvernement en la matière. Il ne faut pas baisser la garde. Sinon, nous pouvons être sûrs que les médicaments biosimilaires et innovants seront pénalisés. Chacun le sait – Frédéric Valletoux, qui a été ministre de la santé, mieux que quiconque. Nous devons adresser ce signal à la profession dans son ensemble et aux industriels en particulier.
Mme Joëlle Mélin (RN). Sur la forme comme sur le fond, notre manière de gérer tout cela est très mauvaise. Quelle entreprise, quelle filière peut supporter un coup de rabot qui survient avant, pendant et après les processus industriels, et jusqu’à la vente ? Le comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie indiquait dans son avis du mois de juin qu’il faudra une somme supérieure au milliard habituel pour faire des économies dans ce domaine.
Nous ne pouvons plus continuer comme ça. Cette façon de faire est contraire au bon sens commercial et nuit au service rendu aux Français. On ne peut pas dire aux entreprises « on rabote, on rend, peut-être pas, on verra en cours d’année ». Nous soutenons la réécriture de l’article.
M. le rapporteur général. Je suis sensible aux propos de Philippe Vigier selon lesquels il faut envoyer un signal, mais je ne puis, en tant que rapporteur général, avaliser un choc de trésorerie de 9 milliards d’euros. La situation dans laquelle nous sommes l’interdit. Je confirme mon avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques AS173 de M. Jérôme Guedj et AS1380 de M. Éric Michoux, amendement AS850 de M. Thierry Frappé (discussion commune)
Mme Sandrine Runel (SOC). Par l’amendement AS173, il s’agit d’exonérer de la clause de sauvegarde les médicaments génériques et biosimilaires. Il me semble essentiel de maintenir cette exonération.
M. Thierry Frappé (RN). Les médicaments génériques, hybrides et biosimilaires, par définition porteurs d’économies pour les comptes publics, à hauteur de 2 milliards d’euros, ne sont pas les spécialités qui contribuent à la croissance du marché pharmaceutique. La clause de sauvegarde fait peser sur ces médicaments un poids déraisonnable et menace la pérennité d’approvisionnement pour les patients français.
L’exemption de la clause de sauvegarde constitue une urgence économique, fiscale et industrielle pour les laboratoires qui commercialisent les médicaments matures. Notre indépendance sanitaire est en jeu.
M. le rapporteur général. Les amendements ne modifient en rien le montant de 1,6 milliard d’euros. Je suis favorable à la hausse de la part des médicaments génériques parce qu’elle améliore la maîtrise des remboursements. Toutefois, si l’idée peut sembler judicieuse, elle a pour effet de renchérir le coût des spécialités innovantes déjà produites mais pas encore rentables et de décourager l’élaboration des autres.
Par ailleurs, l’article 10 introduit un taux réduit applicable aux médicaments génériques et biosimilaires entrant en vigueur en 2027, ce qui constitue une amélioration de leur situation si la clause devait être déclenchée. Tous les dispositifs ne sont pas clairs, mais celui‑ci est incontestable. Les exclure de la clause de sauvegarde pénaliserait l’innovation, ce dont nous n’avons pas besoin.
Demande de retrait ou avis défavorable.
M. Michel Lauzzana (EPR). Sur les génériques, il ne faut pas aller plus loin, compte tenu de l’exigence de souveraineté et de production de médicaments en France. La plupart des génériques ne sont pas produits en France. Certains n’y sont qu’ensachés.
Nous avons un vrai problème de souveraineté en matière de fabrication par des industries pharmaceutiques sur le sol français. Ce tissu industriel s’est appauvri, comme nous l’avons constaté pendant la crise sanitaire. Je suis surpris que nous ayons oublié cette leçon pourtant cuisante.
La commission adopte les amendements identiques AS173 et AS1380.
En conséquence, l’amendement AS850 tombe.
Amendements identiques AS592 de Mme Élise Leboucher et AS596 de Mme Ségolène Amiot
Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Il s’agit de supprimer le plafonnement à 10 % du chiffre d’affaires de la contribution des laboratoires pharmaceutiques au titre de la clause de sauvegarde. Instauré par 49.3, il constitue un véritable cadeau fiscal à des multinationales déjà florissantes.
Ces entreprises font des profits records et versent chaque année des milliards en dividendes tout en profitant de niches fiscales et du crédit d’impôt recherche financés par nos impôts. Et pendant ce temps, on nous explique qu’il faut augmenter les franchises médicales et faire payer 2 euros de plus sur chaque boîte de médicaments. On marche sur la tête : les patients paient plus, les labos paient moins !
Nous proposons de mettre fin à cette logique d’injustice. Quand Sanofi verse 4,9 milliards d’euros de dividendes et prévoit 5 milliards de rachats d’actions, il n’y a aucune raison de limiter sa contribution. Cet amendement dit une chose claire : la santé avant les dividendes. Si les laboratoires font fortune grâce à la sécurité sociale, alors ils doivent la financer à hauteur de leurs profits.
M. le rapporteur général. 10 % du chiffre d’affaires, ce n’est pas rien. Ce plafond doit être conservé, car il offre une sécurité individuelle et collective en prémunissant les uns et les autres d’énormes effets de bord au sein de l’assiette fiscale.
Vous dites qu’il y a eu des abus ; je ne peux que constater que la clause de sauvegarde, qui n’est ni plus ni moins qu’une taxe sur les laboratoires, était de 76 millions d’euros en 2015, de 1,2 milliard en 2022 et de 1,6 milliard cette année, soit le montant auquel nous nous sommes engagés en 2022 et qui demeurera inchangé jusqu’en 2027. Ce que vous proposez n’est pas raisonnable.
Avis défavorable.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Idéalement et à long terme, nous souhaitons créer un pôle public du médicament. Il est totalement inacceptable que des entreprises privées fassent des bénéfices exorbitants sur des médicaments qu’elles vendent pour faire du profit. Il s’agit de notre santé à toutes et à tous. Les cotisations des travailleurs et des travailleuses de ce pays servent à financer les profits d’entreprises qui ont par ailleurs bénéficié de la recherche publique.
Tout cela est totalement inacceptable. Je rappelle que le plafonnement de leur contribution à 10 % du chiffre d’affaires a été adopté par 49.3 : outre qu’il n’a pas toujours existé, il n’a pas fait l’objet d’un véritable débat démocratique.
M. Michel Lauzzana (EPR). Ces amendements procèdent d’une image répandue de l’industrie pharmaceutique. Certes, il y a des industriels qui font des gros bénéfices ; malheureusement, ils sont rarement français. Supprimer le plafonnement à 10 % du chiffre d’affaires, c’est prendre le risque de fragiliser les petits industriels sur notre sol. Or, dans le secteur du médicament, la désindustrialisation est très profonde en France.
Que l’on mette à contribution les grands groupes qui font énormément de bénéfices ne me pose aucun problème, mais ne fragilisons pas ces petites entreprises, qui se sont rassemblées dans des structures telles que le G5 Santé pour défendre les intérêts de l’industrie pharmaceutique française.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). La vision qu’ont les autrices des amendements du médicament et des acteurs de la santé n’est pas la mienne. Ils sont là pour faire en sorte que nous soyons en meilleure santé. Grâce aux laboratoires pharmaceutiques, nous guérissons de maladies dont on mourait il y a dix ou quinze ans. Chacun peut le constater.
En avez-vous conscience, madame Simonnet ? Avez-vous conscience que, grâce aux laboratoires, nous faisons d’immenses progrès thérapeutiques et nous sauvons des vies ? Pour mettre au point des thérapeutiques, ils prennent des risques. En cas de succès, ils dégagent une plus-value ; en cas d’échec, ils subissent une moins-value. Vous devriez changer de regard sur les laboratoires pharmaceutiques, qui, chaque année, sauvent des milliers de nos compatriotes.
Mme Justine Gruet (DR). Le marché du médicament est mondialisé. Nous avons l’impérieuse obligation de maintenir la compétitivité des entreprises françaises. Nous tombons tous d’accord que la souveraineté industrielle, en matière de médicament, est importante, notamment en cas de crise sanitaire. Dans ce domaine tout particulièrement, la recherche et l’innovation sont essentielles. Les bénéfices y sont pour partie réinjectés pour conserver un temps d’avance dans la recherche.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). M. Isaac-Sibille a raison de dire que notre vision de la santé n’est pas la sienne. Il est primordial d’avoir la maîtrise des médicaments auxquels nous avons accès. Pour cela, je vous invite à financer la recherche publique, que nous pouvons piloter et orienter, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026.
Je vous invite aussi à soutenir la création d’un pôle public du médicament et la nationalisation des entreprises qui élaborent et vendent des médicaments stratégiques pour notre pays, tels que le Doliprane, que nous avons gentiment perdu au profit des Américains. Il faut aller vers des solutions pérennes et ne pas nous contenter d’engraisser Big Pharma.
Mme Sandrine Runel (SOC). La question n’est pas le médicament mais la vision que nous avons les uns et les autres de leurs fabricants. Monsieur Isaac-Sibille, vous avez une vision un peu minimaliste des bénéfices que font les laboratoires pharmaceutiques. À vous entendre, il faudrait les aider et les soutenir. C’est assez insupportable quand on voit l’état des caisses de la sécurité sociale.
La véritable difficulté ne concerne pas les laboratoires, au contraire, mais la recherche. Il faut y investir et s’abstenir d’accorder des exonérations et des cadeaux à l’industrie pharmaceutique. Par ailleurs, j’indique à M. Lauzzana que, d’après l’association GÉnérique Même Médicament (Gemme), 95 % des médicaments dispensés en France sont fabriqués en Europe et 55 % en France. Nous voterons les amendements.
La commission rejette les amendements.
Amendement AS947 de M. Michel Lauzzana
M. Michel Lauzzana (EPR). Cet amendement vise à introduire un critère de territorialité dans le calcul de la clause de sauvegarde, afin de valoriser la production de médicaments en France et en Europe et de garantir notre souveraineté dans ce domaine, dont la crise sanitaire a révélé la vulnérabilité. Il s’inscrit dans la continuité de la politique menée par la France, qui s’efforce de faire fabriquer de plus en plus de médicaments sur son sol, comme dans la vallée du Rhône s’agissant du paracétamol.
M. le rapporteur général. Je suis très sensible à l’idée de prendre en compte le lieu de production des médicaments. Nous avions noté une évolution en ce sens dans la LFSS 2022, puis dans celle pour 2025. Toutefois, le Comité économique des produits de santé (Ceps) a du mal à l’appliquer.
Vous proposez d’introduire dans le montant de la contribution individuelle une part dépendant du lieu de production et déterminée par un barème à coefficients. C’est une piste très intéressante, sur laquelle j’ai interrogé le Ceps, chargé de fixer les prix ; pour l’heure, je n’ai pas reçu de réponse officielle de sa part.
En ce qui me concerne, j’appelle plutôt cette différenciation de mes vœux. Néanmoins, je ne suis pas suffisamment éclairé sur le plan de la faisabilité technique ni sur les effets financiers qui en résulteraient. Or mon rôle, en tant que rapporteur général, est bien de mesurer ces deux éléments. J’espère être en mesure d’émettre un avis favorable d’ici à la séance ou de sous-amender votre amendement. En tout cas, je préfère celui-ci à votre amendement AS844, que nous examinerons ultérieurement.
Je me demande néanmoins si votre barème n’est pas de nature à défavoriser les génériqueurs, caractérisés par une production en chaînes de valeurs délocalisées. Il faut donc bien évaluer ses effets avant de prendre une décision.
C’est pourquoi je vous invite plutôt à retirer votre amendement.
M. Nicolas Turquois (Dem). Notre rôle est d’émettre de nouvelles idées et je suis très sensible au concept de territorialité défendu par notre collègue. Nous devons atteindre une certaine autonomie en matière de production médicamenteuse, comme sur le plan alimentaire. Or le rapporteur général lui-même a du mal à comprendre. Tous les ans, nous reparlons des fameux montants M et Z, mais nous ne sommes pas capables d’évaluer le dispositif. C’est une privation de démocratie. Nous devrions engager un rapport de force avec le Gouvernement à ce sujet. Sur le principe, je suis favorable à l’amendement, mais je n’en mesure pas tous les effets.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). En matière de souveraineté sanitaire, deux aspects sont à prendre en considération : le lieu de production – le critère de territorialité ne doit pas se résumer à la France ; il faut penser européen – et le prix des médicaments. En France, celui‑ci est l’un des plus bas d’Europe. Pourquoi un industriel nous vendrait-il ses médicaments s’il peut les vendre deux fois plus cher ailleurs ? C’est un vrai sujet.
J’ai du mal à comprendre le mécanisme de la clause de sauvegarde et de cette nouvelle contribution individuelle : est-on certain qu’il ne donnera pas lieu à une double taxation des fabricants ?
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS594 de M. Hadrien Clouet
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Pour que tout le monde comprenne bien : la clause de sauvegarde est une disposition fiscale spécifique au secteur pharmaceutique ; lorsqu’une entreprise réalise un chiffre d’affaires très élevé, elle doit s’acquitter d’une contribution. La notion de sauvegarde concerne la sécurité sociale : il s’agit d’éviter une inflation des prix de vente qui lui coûterait trop cher.
Le débat est de savoir à quel niveau nous voulons fixer le filet de sécurité. Pendant longtemps, le plafond était de 10 % du chiffre d’affaires – à l’époque déjà, c’étaient des râles d’agonie à droite, « c’est terrible », « ils vont mourir », on pleurait des larmes de sang parce qu’on s’imaginait que les superprofits allaient être répartis. Puis le plafond est passé à 12 %, et tout va bien – comme quoi les limitations de la capacité contributive des laboratoires pharmaceutiques ne cessent de s’accroître avec le rapport de force.
C’est pourquoi nous proposons de supprimer la limite, la démonstration ayant été faite que nous pouvions aller au-delà.
M. le rapporteur général. J’ai le même avis, défavorable, que lorsque le plafond était fixé à 10 %.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques AS599 de M. Damien Maudet et AS601 de Mme Élise Leboucher
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Ces amendements concernent eux aussi nos amies les industries pharmaceutiques et leur concentration capitaliste. Lorsqu’une entreprise ne respecte pas ses obligations déclaratives, elle doit s’acquitter d’une majoration forfaitaire – il s’agit d’une sanction, qui vise à s’assurer qu’elle respecte le cadre légal et réglementaire en vigueur.
Or le présent PLFSS prévoit de supprimer cette majoration, alors qu’il serait d’intérêt général, à la fois pour les usagers, la sécurité sociale et les salariés des industries pharmaceutiques eux-mêmes, de conserver cette contribution majorée s’appliquant aux entreprises qui ne respectent pas le droit.
M. le rapporteur général. Vous souhaitez conserver le dispositif actuel. J’y suis défavorable : je préfère un circuit déclaratif sans erreur, avec un appel sur des sommes claires, plutôt que des pénalités qui tiennent à des retards eux-mêmes liés à la complexité du système. J’admets que la rédaction proposée par le Gouvernement peut parfois paraître obscure, mais ce texte apporte aussi quelques avancées, dont celle-ci. Elle est attendue et il ne faut pas la supprimer.
La commission rejette les amendements.
Amendement AS826 de M. Michel Lauzzana
M. Michel Lauzzana (EPR). Par cet amendement, nous proposons d’asseoir la contribution des entreprises du médicament non plus sur le chiffre d’affaires brut déclaré, mais sur le montant effectivement remboursé par l’assurance maladie sur le prix du médicament. Cette modification peut s’avérer complexe à appliquer et nous pourrions la différer d’un an ou deux pour laisser à l’administration le temps de s’y préparer. Néanmoins, ce serait une taxation plus juste.
M. le rapporteur général. Je comprends l’objectif mais, tel qu’il est rédigé, votre amendement n’atteint pas sa cible. Pour donner une image, c’est comme si vous me disiez que votre impôt sur le revenu devait être assis sur le total des indemnités de tous les députés. Ce serait injuste ! Il faut distinguer l’assiette du fait générateur de l’impôt. Vous visez le fait générateur, mais votre amendement modifie les alinéas qui concernent l’assiette de la contribution, à travers ses trois parts, de base, additionnelle et supplémentaire. Or l’assiette, c’est la base d’imposition. C’est pourquoi je vous invite à retirer votre amendement et à le retravailler.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). La proposition de notre collègue Lauzzana est intéressante. En travaillant dans le cadre de la Mecss sur le dépassement de 1,2 milliard d’euros des dépenses de médicaments, nous avons constaté que les laboratoires connaissent précisément leur chiffre d’affaires mois par mois, ce qui n’est pas le cas de l’assurance maladie. Auparavant, ils se réunissaient une fois par an pour comparer leurs chiffres ; ils le font désormais deux fois par an, pour s’assurer qu’il n’y a pas de dérives dans les calculs. Mais il serait préférable que l’assurance maladie connaisse, mois par mois, le montant des remboursements qu’elle effectue pour les médicaments.
M. Michel Lauzzana (EPR). J’accepte de retirer mon amendement afin de travailler à une nouvelle rédaction dans laquelle je préciserai que l’assiette doit être individualisée. C’était bien l’esprit de mon amendement, puisque la clause de sauvegarde, elle, est individualisée.
L’amendement est retiré.
Amendement AS307 de M. Hadrien Clouet
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Il s’agit de mettre en conformité le macronisme avec le monde réel. Depuis quelques jours, nous entendons dire qu’il faut faire des économies. Nous proposons donc de remplir les caisses en portant de 0,2 % à 0,5 % le taux de la contribution de base des laboratoires pharmaceutiques – un tel rehaussement ne devrait pas constituer un obstacle insurmontable pour un secteur aussi concentré, qui réalise des profits importants.
L’objectif n’est pas de lever de l’argent pour lever de l’argent, mais bien de dégager les moyens suffisants pour financer un pôle public du médicament, rendu nécessaire par les pratiques de désengagement de certains grands groupes – je pense notamment à Sanofi qui, après avoir vendu sa filiale Opella au groupe Clayton, est en train de vendre sa marque Aspegic à Substipharm, etc. Nous pouvons discuter des stratégies du privé, mais l’enjeu est d’avoir les moyens de créer un pôle public du médicament, lequel ne sera d’ailleurs pas soumis à cette contribution de base s’il crée des génériques.
M. le rapporteur général. Vous proposez de relever le taux de la part de base – sur les trois parts – de 0,2 % à 0,5 % : mathématiquement, cela correspond à une hausse de 150 % ! Je ne suis pas sûr qu’il faille renchérir à ce point.
Avis défavorable.
M. Michel Lauzzana (EPR). Nous avons travaillé sur la raréfaction des médicaments et la disparition de certains d’entre eux dans les pharmacies. Faisons très attention. Je veux bien qu’on taxe l’industrie pharmaceutique, mais il y a des limites !
La commission rejette l’amendement.
La réunion s’achève à dix-neuf heures cinquante-cinq.
Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Béatrice Bellay, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Louis Boyard, M. Pierre-Yves Cadalen, M. Elie Califer, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, Mme Sandra Delannoy, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Fayssat, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Martine Froger, Mme Camille Galliard-Minier, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, M. Sacha Houlié, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac, Mme Constance Le Grip, Mme Christine Le Nabour, Mme Élise Leboucher, M. René Lioret, Mme Christine Loir, M. Damien Maudet, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, M. Éric Michoux, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, Mme Angélique Ranc, M. Jean-Claude Raux, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, Mme Sandrine Runel, M. Arnaud Simion, Mme Danielle Simonnet, M. Emmanuel Taché, Mme Sophie Taillé-Polian, Mme Prisca Thevenot, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier
Excusés. – Mme Anchya Bamana, Mme Sylvie Dezarnaud, Mme Stella Dupont, Mme Karine Lebon, M. Laurent Panifous
Assistaient également à la réunion. – M. Fabrice Brun, M. François-Xavier Ceccoli, M. Frantz Gumbs, M. Frédéric Maillot, M. Max Mathiasin, Mme Christelle Minard, Mme Anne-Sophie Ronceret, M. Jean Terlier