Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Audition, ouverte à la presse, de l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine, sur le projet de loi de finances 2026 2
Jeudi
23 octobre 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 12
session ordinaire de 2025‑2026
Présidence
de M. Loïc Kervran,
Vice-président
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La séance est ouverte à onze heures.
M. Loïc Kervran, président. Nous avons le grand plaisir de terminer notre cycle budgétaire par l'audition de l'amiral Nicolas Vaujour, chef d'état-major de la Marine.
L'année 2025 a vu, pour la première fois depuis longtemps, un porte-avions français déployé en Asie Pacifique. Dans le cadre de la mission Clémenceau 2025, le Charles-de-Gaulle et son groupe aéronaval ont navigué jusqu'au large de Taïwan. Au cours de ce périple de cinq mois couvrant 40 000 milles nautiques, ils ont participé à plusieurs exercices majeurs avec notre allié américain et nos partenaires stratégiques indiens et indonésiens. Ils ont également contribué à défendre le droit international et la liberté de navigation dans des zones où ces principes sont particulièrement menacés.
Cette mission, que seules quelques rares marines au monde peuvent réaliser, fait notre fierté et démontre à nos alliés comme à nos compétiteurs l'étendue de nos capacités et notre détermination. Cette présence s'avère indispensable à l'heure où le réarmement naval se généralise, accompagné d'une montée des menaces maritimes, non seulement en Asie Pacifique, mais également plus près de nous, en mer Rouge ou en Atlantique Nord, voire jusqu'à nos propres côtes qu'approchent régulièrement sous-marins et navires russes. La Marine fait face quotidiennement à ces menaces, où qu'elles surviennent dans le monde.
Ces moyens ont été ou sont en cours de renouvellement. Le programme de sous‑marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) 3G, Barracuda, le porte-avions nouvelle génération (PANG), les patrouilleurs d'outre-mer, les bâtiments ravitailleurs et les bâtiments de guerre des mines constituent quelques-uns de nos programmes emblématiques.
L’ancien ministre des Armées, devenu Premier ministre, a lui-même reconnu leur caractère parfois insuffisant, soulignant notamment la nécessité de disposer de dix-huit frégates de premier rang. Alors que le projet de loi de finances (PLF) 2026 concrétise l'annonce du président de la République d'une surmarche budgétaire pour les crédits de la mission défense, votre analyse des menaces actuelles et des moyens dont dispose ou devrait disposer la Marine pour y faire face nous sera véritablement précieuse.
Enfin, l'aggravation des menaces soulève non seulement des enjeux capacitaires, mais également humains. Nos marins vont probablement connaître, pour reprendre l'expression de votre prédécesseur l'amiral Vandier, « le feu à la mer ». Cette réalité implique des adaptations en matière de recrutement, de formation et de préparation opérationnelle. Je vous cède donc la parole, Amiral, en vous remerciant de partager avec nous votre vision sur ces questions stratégiques et les défis humains et capacitaires auxquels vous faites face.
M. l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine. Je vous remercie de m'accueillir à nouveau. C'est toujours un honneur de m'exprimer devant la Commission de la Défense pour parler de la Marine, des défis que nous affrontons et de nos projets, grâce à votre soutien dans le cadre du PLF 2026.
La Marine est effectivement engagée sur tous les fronts. Nous comptons aujourd'hui plus de 27 bâtiments à la mer, répartis à travers le monde, ce qui représente entre deux mille et trois mille marins qui servent la France en ce moment même, comme chaque jour. Nous évoluons dans un contexte caractérisé par les rapports de force et, comme vous l'avez souligné, par une désinhibition de la violence rappelée également par le chef d’état-major des Armées (CEMA) et la ministre. Quotidiennement, nos marins prennent des risques pour accomplir leur mission. Mon prédécesseur l'avait anticipé, et les faits lui donnent raison : nos marins conduisent des actions de feu, comme cela s'est produit l'année dernière en mer Rouge. Le monde devient de plus en plus violent, vous en êtes parfaitement conscients. Nos marins s'exposent donc chaque jour pour protéger la France, les Français et leurs intérêts sur tous les océans.
Ce contexte s'avère particulièrement exigeant pour la Marine car nos capacités sont fortement sollicitées. Après deux années à sa tête, je m'efforce de tirer tous les enseignements des conflits auxquels nous faisons face, qu'il s'agisse de l'Ukraine, du Proche et Moyen-Orient ou de la mer Rouge, pour vous démontrer que ces leçons sont pleinement intégrées dans le PLF 2026, en parfaite conformité avec le plan stratégique que j'ai proposé dès ma prise de fonction.
Notre Marine est extrêmement sollicitée dans le Grand Nord, où nous observons un continuum de tension entre l'Arctique, l'Atlantique Nord et la Baltique. Nous y surveillons, aux côtés des forces de l'Otan et parfois de manière pleinement souveraine lorsque nous opérons à proximité de nos eaux, les unités russes déployées dans ces zones. Depuis 2022, le nombre d'unités affectées à ces missions augmente constamment. Nous nous coordonnons avec nos alliés, qu'il s'agisse des Américains et des Britanniques dans l'Atlantique Nord, des Britanniques dans la Manche, ou des Espagnols plus au sud, pour empêcher le développement d'actions hybrides comme nous l'observons régulièrement en Baltique. Cette vigilance nous permet également, au-delà des unités russes, de surveiller ce que nous appelons la dark fleet, dont l'interception récente du Boracay constitue un exemple significatif.
En Méditerranée, notre engagement est total, d'abord pour observer la recomposition des équilibres, que ce soit au large d'Israël ou de Gaza, en Syrie ou au Liban, mais aussi en mer Noire, où nous sommes déployés depuis la Roumanie. Nous y envoyons régulièrement nos avions de patrouille maritime et des unités de plongeurs démineurs pour aider les Roumains à faire face aux mines dérivantes issues du conflit russo-ukrainien.
En mer Rouge, nous poursuivons l'opération Aspides de protection du trafic commercial. Malgré les déclarations d'apaisement régulières des Houthis, nous constatons que les attaques reprennent périodiquement, ce qui explique la satisfaction particulière de nos armateurs quant à notre capacité à maintenir cette mission pour assurer leur protection et permettre au commerce de continuer à transiter par Bab-el-Mandeb, malgré une baisse de 50% du trafic depuis 2023.
Enfin, nous sommes présents dans tous les territoires d'outre-mer, aux Antilles, dans le Pacifique, dans l'océan Indien, pour lutter contre les trafics et les activités illicites, notamment les trafics de drogue. Nous avons désormais franchi le seuil des 63 tonnes de drogues interceptées depuis le début de l'année, un chiffre colossal qui démontre l'intensification de ce phénomène. Nous combattons également les activités illicites comme la pêche illégale en Guyane, où nous avons saisi plus de trois cents kilomètres de filets l'année dernière, ce qui représente un volume considérable.
Le constat global de cet engagement tous azimuts révèle que nous sommes collectivement mis à l'épreuve. Cela concerne l'ensemble des forces, pas uniquement la Marine, que ce soit à l'est de l'Europe avec les drones russes en Roumanie, ou au Danemark où des frictions ont été observées. La Marine fait directement l'objet de tests en Baltique,comme des « accrochages » ou des « incidents de conduite de tirs », manifestations d'une posture peu amicale de la Russie qui cherche à affirmer sa présence. Pour la Marine, cela implique de disposer de marins capables de réagir à toutes les situations : chasse aux sous-marins russes dans l'Atlantique Nord, protection réactive de nos navires en mer Rouge, et maîtrise absolue en Baltique pour éviter toute escalade. Ces exigences nécessitent des marins exceptionnellement formés et compétents, et je dois reconnaître que nous sommes particulièrement bien dotés à cet égard.
L'analyse des retours d'expérience des conflits actuels est fondamentale. Nous constatons d'abord que dans ce monde dominé par les rapports de force, la dissuasion conserve toute sa pertinence et démontre son efficacité. L'effort continu que notre Nation consacre à la dissuasion doit être maintenu, et le PLF le confirme, ce qui constitue une décision avisée.
L'Ukraine nous enseigne deux leçons majeures. Premièrement, en l'absence de supériorité aérienne, on assiste à un enlisement autour d'une ligne de front, phénomène particulièrement frappant, tant sur terre qu’en mer. Deuxièmement, face à une puissance établie, l'agilité devient une qualité essentielle pour contourner l’adversaire. L'Ukraine illustre parfaitement l'importance cruciale de cette agilité, qualité que nous développons intensivement au sein de la Marine. Nous devons impérativement cultiver cette capacité d'adaptation pour intégrer rapidement de nouveaux équipements en fonction des menaces émergentes.
Le dernier grand enseignement nous vient de la « guerre des douze jours » entre l'Iran d'une part, et Israël et les États-Unis d'autre part. Elle confirme l'importance décisive de la puissance aérienne pour garantir notre liberté d'action. Toutefois, cette puissance aérienne doit s'accompagner d'une capacité robuste d'autoprotection. Sans le système Iron Dome, Israël n'aurait probablement pas pu adopter une posture offensive.
Les États-Unis ne disposaient plus véritablement de l'accès nécessaire sur le théâtre pour réagir efficacement aux besoins opérationnels. Je rappelle qu'ils avaient évacué la base d'Al Udeid au Qatar et, en complément, avaient déployé deux porte-avions pour maîtriser l'escalade potentielle des Iraniens dans le golfe d'Oman, exercer une pression sur l'Iran et garantir que leur action demeure maîtrisée dans sa temporalité comme dans son intensité.
L'ensemble de ces retours d'expérience confirme que nous, Marine nationale, nous orientons dans la bonne direction, ce que je vais maintenant détailler concernant le PLF 2026.
En premier lieu, ces surmarches, inscrites tant dans le socle du PLF que dans les mesures complémentaires, portent un effort considérable sur les munitions, c'est une nécessité absolue. Nous avons impérativement besoin de cet investissement pour renforcer la cohérence et la résilience de notre dispositif. Le PLF intègre donc des actions de maintien en condition opérationnelle ainsi que d'augmentation des stocks, qu'elles proviennent de la LPM ou des surmarches. Une particularité mérite d'être soulignée : nous avons recherché un équilibre ‑ vous vous souvenez peut-être de mes premières interventions ici où je distinguais armes d'usure et armes de décision - avec une augmentation de nos armes complexes, complétée par l'acquisition substantielle d'armes d'usure et de munitions télé-opérées. Ces dernières amélioreront significativement ce que j'appelle le cost per kill, c'est-à-dire notre capacité à optimiser l'efficacité et l'efficience dans l'utilisation de nos munitions.
Le deuxième élément essentiel concerne le renforcement de nos unités face aux menaces actuelles, notamment la lutte anti-drones. Pour la Marine, comme pour l'armée de Terre et l'armée de l'Air et de l’espace, nous développons de nombreux modes d'action contre la menace aérienne : nouveaux brouilleurs intégrés, nouvelles conduites de tir, renforcement de l'arsenal de petits missiles pour éviter l'usage exclusif des missiles Aster. Nous adaptons également nos outils contre les menaces de surface pour accroître notre efficacité.
Nous intensifions également l'activité de préparation opérationnelle. Vous connaissez déjà, j'en ai fait état l'an dernier, les exercices Wildfire qui permettent d'entraîner nos unités, particulièrement au large de Toulon, face à ces menaces émergentes. Le dernier exercice, conduit récemment, consistait à confronter nos bâtiments à des essaims de drones. Au-delà de la neutralisation individuelle des drones, relativement simple en définitive, la lutte contre les essaims constitue un défi autrement plus complexe. C'est précisément sur cette problématique que nous concentrons nos efforts, avec des résultats très prometteurs. Lors du dernier Wildfire, des dizaines de drones aériens et de surface ont attaqué les bâtiments de la Marine. Pour y faire face, nous avons déployé tous les nouveaux équipements développés par des start-ups, des PME et de grandes entreprises, ce qui nous permet de sélectionner les solutions les plus performantes.
Nous avons considérablement renforcé notre capacité à protéger nos emprises. J'ai expressément demandé à la Marine d'évoluer de la lutte contre le terrorisme vers la protection contre la menace étatique, ce qui représente un changement fondamental de paradigme et de niveau de protection. Nous avons achevé le premier cycle d'exercices, inauguré par l'exercice Typhon à Toulon, suivi de Cyclone à Cherbourg et de Bourrasque à Brest. À chaque occasion, nous avons demandé à nos unités des forces spéciales d'adopter la perspective d'un adversaire russe et d'attaquer nos installations avec une totale liberté d'action. Cette démarche nous a véritablement mis à l'épreuve, révélant à la fois nos points forts et nos vulnérabilités. En définitive, elle nous permet de progresser significativement.
Tout cela relève de ce que j'appelle régulièrement « l'agilité du temps court » : notre capacité à renforcer rapidement nos stocks de munitions et notre cohérence opérationnelle. Parallèlement, nous poursuivons la « détermination du temps long » à travers les grands programmes en cours, inscrits tant dans le PLF 2025 que dans le PLF 2026. Fin 2025 marquera le lancement en réalisation du PANG ainsi lancement en réalisation de la deuxième phase des SNLE de troisième génération. En 2026, nous lancerons la réalisation du renouvellement de notre composante d'avions de patrouille maritime.
Ma responsabilité fondamentale en tant que chef militaire et chef de la Marine nationale consiste à garantir au président de la République que le renouvellement des capacités s'effectue sans aucune perte de compétences, ce qui implique un maintien rigoureux des biseaux capacitaires. Nous sommes actuellement en plein biseau des sous-marins nucléaires d'attaque, passant des Rubis aux Suffren. Cette transition se déroule bien mais nécessite des ajustements permanents pour garantir que les équipages maîtrisent les nouveaux équipements tout en assurant le transfert des savoir-faire. Nous conduisons une démarche similaire pour les frégates avec les frégates de défense et d'intervention (FDI), et nous aborderons prochainement le renouvellement des patrouilleurs hauturiers.
Dans cette détermination du temps long, au-delà de ces équipements majeurs, figure également le renforcement de nos infrastructures. Une puissance navale repose fondamentalement sur quatre piliers : des marins, des bâtiments, un tissu industriel et des infrastructures. Nous poursuivons donc, sur le temps long, le renouvellement et le renforcement de nos équipements dans nos bases navales. C'est ce que nous réalisons actuellement avec les bassins pour sous-marins à Toulon, ce que nous entreprendrons à l'Île Longue ainsi que pour le PANG.
Il est absolument crucial de maintenir cet écosystème et, grâce à la DGA que je tiens à remercier, d'identifier les entreprises détentrices des savoir-faire indispensables. Cette approche constitue un atout essentiel qui suscite l'admiration à l'international. Je reviens de Suède où mon homologue m'interrogeait précisément sur notre capacité à maintenir 80 % de disponibilité sur nos frégates, performance unique en Europe. Cette réussite résulte précisément de l'effort collectif entre industrie, Marine et DGA, ainsi que notre service de soutien de la flotte. Cette démarche s'inscrit parfaitement dans mon plan stratégique « Agilité du temps court, détermination du temps long ».
J'ai principalement abordé les aspects capacitaires et financiers, mais d'autres leviers d'agilité existent, dont un absolument fondamental : les ressources humaines. En matière de recrutement, nous faisons preuve d'une agilité constante pour adapter nos offres à l'évolution de la société. Le brevet de technicien supérieur (BTS) nucléaire, que j'avais déjà évoqué l'an dernier et qui s'est enrichi cette année d'un bachelor universitaire de technologie (BUT), connaît un succès remarquable. Nous venons de rouvrir l'école des apprentis à Toulon, qui entre désormais dans sa phase de maturité. Ces initiatives nous permettent d'avancer et de recruter conformément à nos objectifs, ce qui constitue un atout majeur.
Cette agilité se manifeste également dans les opérations. J'ai mentionné l'arraisonnement du pétrolier de la dark fleet russe. Notre capacité à établir un continuum entre l'action armée et l'action judiciaire représente un avantage déterminant. Ce dialogue particulièrement nourri, facilité par le Secrétariat général de la mer et notre organisation des préfets maritimes, nous confère cette capacité unique. Mes homologues étrangers apprécient cette compétence mais ne parviennent pas à la reproduire. Plus précisément, certains souhaitent l'acquérir sans y parvenir, tandis que d'autres pourraient la développer mais ne le désirent pas. En définitive, notre système politique et militaire nous permet d'accomplir ces missions avec excellence, ce qui positionne la Marine française comme un leader au sein de l'Union européenne et de l'Otan.
Je suis déterminé à maintenir cette position en « ligue 1 », objectif que j'ai clairement assigné à l'ensemble de la Marine. Je souhaite bâtir une marine forte de ses savoir-faire, rassembleuse, respectée par ses partenaires et redoutée par ses adversaires. Ce qui m'empêche de dormir quotidiennement, c'est de disposer de solutions sans pouvoir les déployer auprès de mes unités. Nous travaillons activement sur ce point avec la DGA. Nous disposons souvent d'options existantes sur étagères. Il nous faut développer une agilité et une réactivité exceptionnelles pour acquérir ces équipements et les intégrer rapidement sur nos unités. Il s'agit fondamentalement d'un état d'esprit qui nécessite une aptitude à prendre des risques. Je vous garantis que j'assume pleinement cette responsabilité et cette prise de risque. Nous nous efforçons de faire évoluer les mentalités dans tous les services pour obtenir cette même réactivité de l'ensemble des acteurs. Cet état d'esprit se diffuse progressivement, ce qui constitue une excellente avancée.
Plusieurs raisons nous permettent de demeurer optimistes malgré les défis. Notre jeunesse s'engage avec conviction et se montre prête à servir la France. J'en ai été témoin lors de la présentation au drapeau avec Madame la ministre des Armées samedi dernier. Observer ces jeunes s'engager pour une carrière longue dans la Marine était véritablement remarquable et me rend particulièrement confiant. Nous sommes également prêts à accueillir des volontaires dans le cadre d'un service national de plus courte durée si un tel dispositif venait à être instauré.
Je vous remercie pour votre soutien, indispensable à l'obtention d'un budget nous permettant de fonctionner efficacement et de continuer à protéger la France, les Français et leurs intérêts sur tous les océans du monde.
M. Loïc Kervran, président. Je vous remercie pour ce propos liminaire très éclairant. Agilité du temps court, détermination du temps long : nous nous inscrivons exactement dans la philosophie de la LPM et de la sur-marche cette année. Je cède maintenant la parole aux orateurs de groupe.
M. Frédéric Boccaletti (RN). Notre France n'est pas uniquement une puissance continentale, elle est également une puissance maritime. Nos marins sillonnent la France de Toulon à Nouméa, portant notre présence bien au-delà de nos frontières terrestres. Cette présence planétaire constitue un héritage séculaire qui nous impose de maintenir une Marine nationale forte, à la hauteur de nos ambitions stratégiques, alors que la compétition navale s'intensifie.
La Méditerranée redevient un espace de rivalité tandis que dans l'océan Indien et le Pacifique, certaines puissances accroissent considérablement leurs flottes.
Nous ne pouvons pas nous reposer sur les acquis du passé. Nos plateformes et nos technologies doivent impérativement suivre le rythme imposé tant par nos compétiteurs que par nos alliés. Le Rassemblement national exprime son inquiétude, partagée par de nombreux acteurs, face au manque de visibilité industrielle concernant le PANG et à l'incertitude entourant le maintien du Charles de Gaulle au-delà de 2038. À ce jour, le rapport détaillé prévu par la LPM n'a jamais été transmis au Parlement.
Pouvez-vous nous confirmer que la Marine nationale dispose d'une visibilité réelle sur le calendrier industriel, afin d'éviter toute rupture capacitaire entre le retrait du Charles de Gaulle, dont la date sera précisée après l'arrêt technique majeur de 2028, et l'entrée en service du PANG ?
Concernant le service national universel, si les objectifs affichés s'alignent avec les propositions que nous défendons de longue date, la spécificité de la Marine nationale appelle un modèle différent. Nous préconisons une approche sélective fondée sur le volontariat en raison du particularisme de votre armée. Quelle est votre position sur ce point ?
Enfin, même si le recrutement semble stabilisé, la fidélisation demeure un point de vigilance crucial. Dans les métiers techniques, la concurrence du secteur privé reste intense. Les indicateurs de fidélisation pour les années à venir apparaissent moins favorables que dans l'armée de Terre et l'armée de l'Air. Quelles mesures concrètes envisagez-vous pour inverser cette tendance ?
M. l’amiral Nicolas Vaujour. Vous soulevez plusieurs questions importantes concernant le porte-avions de nouvelle génération, la puissance maritime, le service militaire et la fidélisation des personnels.
Permettez-moi de commencer par la fidélisation. Je ne partage pas entièrement votre analyse sur ce point. Au contraire, la situation dans la Marine s'avère plutôt satisfaisante. En 2024, nous avons enregistré 1 000 départs en moins, ce qui constitue un indicateur très positif et démontre l'efficacité des outils de fidélisation mis en place. Le principal levier réside dans la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) que vous avez votée l'année dernière et qui a produit tous ses effets. L'attente des officiers concernant la grille spécifique cette année viendra compléter et parachever cette manœuvre de fidélisation. Sur ce plan, nous sommes relativement confiants. Le dispositif fonctionne efficacement. Nous anticipions une période d'ajustement six mois après l'introduction de la NPRM, mais celle-ci ne s'est pas manifestée. Cela indique que nous avons atteint un équilibre satisfaisant qui incite les personnels à poursuivre leur engagement. Vous avez néanmoins raison, la fidélisation demeure un enjeu quotidien qui ne se limite pas au seul levier de la rémunération. La gestion personnalisée de chaque marin, avec des parcours professionnels adaptés, constitue également un facteur déterminant de maintien dans l’institution.
Nous dialoguons par ailleurs avec les grands groupes industriels susceptibles de recruter nos personnels qualifiés. Nous avons établi plusieurs conventions avec ces acteurs pour éviter les départs non maîtrisés. Cela ne signifie pas que nous nous opposons aux départs, mais que nous entretenons un dialogue constructif avec ces entreprises afin que ces mouvements soient anticipés et gérés de part et d'autre. À titre d'exemple, nous avons développé une collaboration étroite avec les entreprises du secteur nucléaire pour créer des synergies plutôt que de nous livrer à une concurrence contreproductive. Cette approche porte ses fruits. Je demeure toutefois vigilant concernant la fidélisation, qui nécessite une attention constante.
Concernant le service national, qu'il soit militaire ou volontaire, les modalités précises seront définies et annoncées par le Président de la République. La Marine se tient prête à accueillir ces effectifs qui viendront compléter nos personnels d'active et nos réservistes. Mon souhait est de pouvoir les employer comme les autres marins, qu'ils servent sur nos bâtiments, sur nos bases, dans nos sémaphores ou sur l'ensemble de nos emprises. Cette intégration apportera un nouvel élan de jeunesse et renforcera considérablement le lien armée nation. Je considère comme essentiel que ce service soit utile, opérationnel et d'une durée suffisante, c’est-à-dire supérieure à un mois.
S'agissant de la puissance maritime et du PANG, vous avez raison de rappeler que nous sommes dépositaires de 400 ans d'histoire qui nous engagent. Nous célébrerons cet héritage l'année prochaine à travers diverses cérémonies. Pour le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et le PANG, ma responsabilité consiste à garantir que le biseau, prévu actuellement aux alentours de 2038 respecte bien ce calendrier. Notre objectif est de faire en sorte que la fin de vie du Charles de Gaulle s'articule parfaitement avec la montée en puissance du PANG. Nous travaillons d'arrache-pied avec l'industrie et la DGA, que je tiens à remercier pour leurs efforts considérables cette année afin de présenter une proposition solide d'ici fin 2025. Vous avez raison de souligner l'importance du jalon fixé pour 2029, qui correspond à la fin de l'arrêt technique du porte-avions. Ce jalon doit nous permettre de déterminer l'architecture du biseau capacitaire que nous devrons établir à l'issue de l'arrêt technique du Charles de Gaulle. La durée de vie résiduelle que nous pourrons attribuer au Charles de Gaulle sera déterminante dans notre planification. Notre priorité cette année est de lancer la réalisation effective du porte-avions, en poursuivant les anticipations initiées l'an dernier, afin d'engager la première tranche du contrat. Nous sommes actuellement à un point critique de décision. Vous avez entendu le CEMA et le DGA s'exprimer positivement sur ce sujet. Il reste évidemment une décision politique à prendre. Nous avons œuvré sans relâche pour que cette décision intervienne cette année et repose sur des bases solides.
M. Loïc Kervran, président. Je profite de ces questions relatives à la fidélisation pour saluer la présence de notre collègue Caroline Colombier, avec qui nous avons travaillé au nom de la Commission sur les aspects de fidélisation et de recrutement. Je donne maintenant la parole à Yannick Chenevard, rapporteur du budget Marine.
M. Yannick Chenevard (EPR). Avec ses 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, la France est présente dans tous les océans, son pavillon flotte partout. La France constitue véritablement une nation monde, dimension essentielle lorsque l'on aborde les questions relatives à notre Marine. Je ne reviendrai pas sur les propos tenus hier par le CEMA concernant le PANG, qui a affirmé : « Nous aurons un bon porte-avions ». Cette assurance mérite d'être soulignée.
Je souhaite en revanche évoquer un élément que nous avons collectivement adopté dans le cadre de la LPM : la nécessité d'examiner prochainement la question de la permanence de l'alerte concernant le ou les porte-avions. Cette réflexion revêt une importance capitale.
Nous procédons actuellement à un renouvellement capacitaire quasi intégral, phénomène sans précédent au cours des 40 dernières années. Ce point mérite d'être souligné, avec d'importantes livraisons de navires et de sous-marins de grande qualité. Le principe de l'augmentation de 15 à 18 frégates de premier rang a été acté par le ministre devenu Premier ministre. Dans quel délai envisagez-vous d'atteindre cet objectif ? Le concept des coques blanches vous semble-t-il pertinent sur le plan industriel et sur le plan de la capacité à disposer immédiatement de ces bâtiments, à l'instar de ce que pratiquent les Italiens ? Le programme des bâtiments de guerre des mines (BGDM) connaît des retards. Comment envisagez-vous d'assurer la transition, notamment avec la fin programmée des chasseurs de mines tripartites (CMT) ? Quelles options sont possibles pour remplacer les frégates de surveillance ? Le programme des european patrol corvettes (EPC) ne semble manifestement pas correspondre à nos besoins. Comment percevez-vous cette situation et quel type de bâtiment pourrait répondre à nos exigences ?
M. l’amiral Nicolas Vaujour. Votre remarque liminaire est absolument fondamentale. La Marine française se distingue par sa dimension mondiale, son caractère nucléaire et son efficacité opérationnelle. Je le répète souvent, ces caractéristiques peuvent sembler évidentes pour les observateurs attentifs en France, mais leur portée est considérable. Je reviens de Suède où la carte des opérations navales suédoises est nettement plus restreinte : un peu d'Arctique, la Baltique, une partie de la Manche, mais pas au-delà, ce qui est parfaitement compréhensible. L'Italie présente également un profil différent. La France a cette singularité d'être présente partout dans le monde, ce qui exige des moyens adaptés pour surveiller notre zone économique exclusive. Cette surveillance ne constitue pas une fin en soi, mais vise fondamentalement à protéger nos territoires ultramarins.
Concernant le porte-avions, vous avez parfaitement raison. Un amendement à la LPM demande au gouvernement de conduire une étude de coûts sur un second porte-avions et de la remettre au parlement en 2028. Nous avons initié cette réflexion en commençant par définir précisément ce que recouvre la notion de permanence.
Il convient de distinguer la permanence de l'alerte, la permanence en mer, ou encore la permanence en mer lointaine. Comme vous le savez, le raisonnement est similaire pour les SNLE : si vous souhaitez une permanence résiliente en mer lointaine, quatre unités sont nécessaires. Pour une permanence en mer proche, trois suffisent. Pour une permanence d'alerte, deux sont requises. Avec un seul bâtiment, vous couvrez environ 65 % du temps d'alerte. Voilà la réalité mathématique de la permanence.
La question suivante porte sur la manière de construire ce dispositif. Nous examinons actuellement tous ces paramètres. Au-delà de l'aspect budgétaire, la dimension industrielle est cruciale. À quel moment est-il plus opportun d'agir ? Est-il préférable de construire deux porte-avions similaires, donc deux porte-avions à propulsion nucléaire ? Ou vaut-il mieux, par la suite, opter pour des porte-avions différents, c’est-à-dire conventionnels ? Cette équation complexe, nous sommes en train de la poser méthodiquement pour répondre à cette question fondamentale. La décision n'est pas à prendre aujourd'hui. Notre priorité actuelle est de lancer le successeur du Charles de Gaulle, tout en envisageant d'autres configurations si nous parvenons à prolonger le programme tel qu'il est conçu et à étendre la durée de vie du porte‑avions actuel. L'horizon de décision se situe autour du jalon portant sur l'évaluation de l'état du Charles de Gaulle et de son potentiel, aux alentours de 2029.
Nous disposons donc d'un jalon qui concerne simultanément le programme de porte‑avions nouvelle génération et l'éventuelle permanence à la mer avec ses implications et son calendrier décisionnel. Cela nous accorde un certain délai pour explorer ces différentes options, ce qui constitue un avantage appréciable.
Concernant le renouvellement capacitaire, vous avez entièrement raison, nous sommes en pleine transformation. J'ai évoqué la transition des sous-marins Rubis vers les Barracuda. La bonne nouvelle est que nous disposons aujourd'hui de plus d'équipages formés pour les Barracuda que pour les Rubis, ce qui nous permet d'envisager d'accélérer cette transition. Nous renouvelons également nos frégates, nos patrouilleurs hauturiers, nos BGDM, nos avions de patrouille maritime, ainsi que nos aéronefs et nos effectifs. Nous bénéficions effectivement à un renouvellement quasiment complet.
Pour revenir sur les frégates, le ministre avait effectivement établi que le format optimal de la Marine se situait plutôt autour de 18 frégates, alors que nous en comptons actuellement 15. Je vous avais expliqué l'an dernier que, pour optimiser nos capacités, nous avons d'abord atteint une disponibilité remarquable avec 80 % des frégates opérationnelles, et nous avons ensuite doublé les équipages sur certains bâtiments pour accroître leur temps de présence à la mer. Nous atteignons désormais les limites de ce que nous pouvons accomplir avec 15 unités. Si nous devions augmenter notre engagement opérationnel, un accroissement du nombre de frégates deviendrait nécessaire. C'est précisément ce qu'avait indiqué le ministre : assurer une présence permanente supplémentaire, que ce soit en mer Noire ou dans une autre zone géographique, requiert trois frégates additionnelles.
Nous maintenons aujourd'hui une permanence en Atlantique, une en Méditerranée et une en océan Indien. Cela représente déjà neuf frégates. Nous disposons également de deux frégates d'alerte à Brest et deux à Toulon, ce qui ajoute quatre bâtiments supplémentaires. En comptant deux navires en arrêt technique, nous atteignons ainsi notre flotte actuelle de quinze frégates. Cette arithmétique démontre clairement que nous atteignons une limite structurelle. Pour toute mission additionnelle, nous devons réorganiser l'ensemble de ces moyens et procéder à des arbitrages impliquant nécessairement des renoncements. Les trois frégates supplémentaires évoquées ne sont pas encore financées. Cette question relèvera probablement de la prochaine LPM. Le nombre de frégates est effectivement un facteur crucial et nous exploitons actuellement nos capacités au maximum.
Concernant votre question sur les « coques blanches », il s'agit d'optimiser notre production pour réduire le coût de fabrication de nos frégates. Les Italiens démontrent avec cette stratégie qu'une optimisation de l'outil industriel permet de produire davantage à coûts moindres, augmentant ainsi le nombre de bâtiments à budget constant. Le principe consiste à fabriquer des coques standardisées destinées soit à la France, soit à l'export. J'insiste sur le fait que le principal critère de décision pour l'achat de nos matériels est aujourd'hui le délai de livraison. Je reviens de Suède où cette question est centrale. Notre capacité à produire dans les délais impartis permet de remporter des contrats d'armement, comme les Italiens le démontrent avec Fincantieri. Naval Group travaille donc activement avec la DGA pour améliorer notre processus industriel et accroître notre efficacité.
Je plaide personnellement en faveur de cette approche, sans modifier pour autant les équilibres de la LPM. Il ne s'agit pas de bouleverser les flux financiers, mais d'accepter le risque calculé de fabriquer des coques standardisées par anticipation. Dans le pire des cas, nous recevrons nos bâtiments un peu plus tôt, ce qui n'est guère problématique. Dans le meilleur scénario, nous parviendrons à les vendre à l'export, maintenant ainsi notre outil industriel au niveau optimal de performance.
Concernant les bâtiments de guerre des mines, ou plus précisément la transition vers les nouveaux systèmes, nous gérons probablement l'un des passages les plus complexes de notre histoire navale. Nous évoluons d'un système habité traditionnel - le Chasseur de Mines tripartite CMT - vers un dispositif entièrement dronisé. Nous venons de réceptionner à Brest les premiers éléments de série de ce système de lutte anti-mines future à base de drones. Cette capacité représente vraisemblablement la première capacité militaire entièrement dronisée dans nos armées. Ce pari, initié il y a une dizaine d'années, illustre notre volonté d'innovation malgré les risques inhérents à cette transformation. Nous les avons rencontrés et les difficultés sont réelles, mais nous approchons de l'aboutissement.
Notre objectif est de démontrer, dès le début de l'année 2026, notre capacité à remplacer intégralement nos bâtiments habités en déployant uniquement des systèmes de drones dans la rade de Brest pour valider les capacités militaires. Nous progressons significativement, même si le succès n'est pas encore totalement acquis. Les discussions avec Thales sont parfois ardues, mais nous maintenons un dialogue vigilant. Il reste à développer la capacité de projection de ce système depuis la mer. Nous avons établi sa fonctionnalité depuis la terre, mais le déploiement maritime constitue encore un défi majeur, nécessitant probablement des solutions transitoires avant la mise en service de bâtiments de guerre des mines plus adaptés.
Cette question retient particulièrement notre attention car elle conditionne notre capacité de projection au-delà des zones couvertes par les drones à partir de la terre, notamment en haute mer, dans le Golfe ou dans nos territoires ultramarins. Nous y travaillons intensivement. Le programme des bâtiments de guerre des mines ayant été décalé, nous cherchons des solutions provisoires pour embarquer nos systèmes de drones existants sur des navires de type supply, en attendant de disposer de moyens capables d'opérer dans les outre‑mer.
Concernant les frégates de surveillance, nous bénéficions d'une évolution plutôt favorable puisque nos bâtiments actuels conservent encore une capacité opérationnelle satisfaisante, nous permettant de les prolonger. Dans le cadre habituel de nos actualisations de LPM, nous identifions ici une possible marge de manœuvre. Nous collaborons avec nos partenaires européens pour concevoir la corvette du futur. Bien que nos frégates de surveillance approchent progressivement de leur limite opérationnelle, elles conservent encore une certaine vitalité, nos besoins demeurent exigeants. La protection de nos 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive requiert des bâtiments dotés d'une endurance hauturière et d'une autonomie essentielles, mais également d'un armement renforcé, car nos frégates ont été conçues à l'époque des « dividendes de la paix », contexte désormais révolu. Cet investissement important s'inscrit dans le cadre d'un projet européen dont nous conserverons les meilleurs éléments, tout en acceptant un certain report du programme, que l'état de nos frégates de surveillance nous permet heureusement d'envisager.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Je tiens à remercier l'Amiral pour ses interventions toujours concises et exhaustives, ce qui est véritablement appréciable. J'aimerais vous poser plusieurs questions succinctes concernant des sujets que vous avez abordés dans votre intervention liminaire.
Tout d'abord, pourriez-vous préciser de ce qui relève dans le PLF de la marche normale et de la surmarche ? Je suis conscient que nous sommes en audition budgétaire et que ce sujet peut paraître technique, mais la question me semble pertinente.
Ma deuxième question concerne le retour d'expérience ukrainien que vous avez évoqué, notamment à travers l'exercice Wildfire. Nous avons déjà abordé le sujet du PANG, mais s'il s'agit d'être agile, constant et déterminé dans la durée, il convient néanmoins de s'interroger sur les implications du naufrage de la Moskva pour l'un des programmes les plus structurants de toutes nos armées. J'apprécierais d'entendre votre analyse plus détaillée sur ce point.
Ma troisième question porte sur l'ouverture de la route du Nord. Vous avez certainement observé, il y a quelques jours, une nouvelle « réussite » avec la traversée d'un bâtiment chinois dans des délais extrêmement courts. Les Américains ont commandé depuis longtemps des brise-glaces, une décision d'ailleurs confirmée en priorité par le président Trump. La France sera-t-elle capable de répondre aux besoins futurs dans cette zone stratégique ? Je vous laisse naturellement le soin de définir ce que seraient, de façon réaliste, ces besoins dans la région de la route du Nord.
Par ailleurs, en tant que membre du conseil des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), j'en profite pour vous interroger sur le successeur éventuel du Marion Dufresne. Je comprends que cette question ne relève pas exclusivement de votre responsabilité, mais des discussions ont-elles été engagées sur ce sujet ? Notre inquiétude commence en effet à croître.
M. l’amiral Nicolas Vaujour. Concernant les munitions, je tiens à préciser notre stratégie d'allocation budgétaire. Nous avons augmenté de 50 % les crédits via la LPM, auxquels s'ajoutent 50 % supplémentaires grâce à la sur-marche budgétaire, démontrant ainsi l'ampleur de notre effort. La répartition varie selon les types de munitions : certaines bénéficient d'une augmentation de 92 % dans la LPM avec un complément de 15 % en surcouche. Ces variations s'expliquent par nos objectifs prioritaires d'amélioration qualitative, de renforcement de notre résilience et de cohérence globale. Nous avons concentré nos efforts supplémentaires sur les domaines accusant un retard, tandis que les secteurs déjà bien dotés n'ont reçu que des compléments modestes. Cette approche nous permet d'atteindre un équilibre satisfaisant entre qualité et durcissement de nos capacités.
Pour illustrer cette démarche, prenons l'exemple des frégates. Nous avions fait le choix il y a quelques années de réduire la diversité des missiles embarqués au profit des seuls Aster. Les surcouches budgétaires nous permettront désormais de réintégrer des missiles de plus petit calibre, notamment le SATCP Mistral, bien plus efficace contre les drones que ne le sont les Aster. Nous améliorerons ainsi l'autodéfense de nos bâtiments.
La sur- marche nous permettra également d'acquérir ce que nous appelons les armes d'usure et les munitions télé-opérées (MTO). Nous mobilisons actuellement l'ensemble de notre écosystème industriel sur ces développements, des grandes entreprises comme MBDA aux start-ups et PME. La Marine elle-même contribue à cet effort d'innovation grâce à notre laboratoire de production qui conçoit les prototypes de ces équipements. Notre défi consiste maintenant à passer à l'échelle industrielle, soit en confiant la production à un industriel établi, soit en utilisant les capacités de notre service de maintenance qui dispose de petites unités de fabrication, soit en développant nous-mêmes ces solutions selon une approche que j'appellerais « à l'ukrainienne ». Si vous visitez le laboratoire de la Force d'action navale à Toulon, vous y découvrirez des volontaires et alternants qui ont développé un drone quadrirotor capable de neutraliser un drone de surface hostile en s'écrasant sur lui. Ce dispositif est opérationnel au stade de prototype, mais nécessite une industrialisation, processus dans lequel la DGA nous accompagne avec une agilité remarquable.
La sur-marche budgétaire couvre également le renforcement de nos capacités de dronisation, avec l'extension des dispositifs présents dans nos sémaphores, sur les porte‑hélicoptères et sur les frégates. Cela inclut des drones comme le S100 ou le Système de drone aérien pour la Marine (SDAM). Nous recherchons une plus grande cohérence, un durcissement de nos capacités et une amélioration qualitative de l'équipement de nos navires.
Concernant la vulnérabilité de nos bâtiments que vous avez évoquée avec l'exercice Wildfire, nous avons réalisé des progrès considérables au cours des trois dernières années, particulièrement dans la défense anti-drones, à la suite des enseignements tirés des opérations en Mer Noire avec les drones de surface ou à terre avec les drones aériens. Aujourd'hui, nous ne sommes plus pris au dépourvu face à ces menaces, que ce soit en matière de détection, de brouillage ou de neutralisation. Nous avons expérimenté diverses solutions, y compris des systèmes apparemment désuets comme les canons bi-tubes rappelant ceux de la Seconde guerre mondiale. Cette démarche nous a permis d'identifier précisément les systèmes les plus efficaces pour chaque type de menace. Le PLF 26 nous permettra d'acquérir ces équipements, qui ne sont d'ailleurs pas nécessairement les plus coûteux.
Nous poursuivons cette dialectique permanente entre le bouclier et la cuirasse. Si l'on m'avait dit il y a cinq ans que nous serions capables d'intercepter des missiles balistiques instantanément, j'aurais exprimé quelques réserves. Pourtant, en Mer rouge, nous avons démontré cette capacité, avec encore des marges de progression. Nous avons identifié ces marges avec nos industriels, notamment Thales, pour améliorer les performances de nos radars. Nous sommes donc confiants dans notre capacité à contrer les futures menaces, y compris les missiles hypersoniques russes qui ne fonctionnent pas encore de façon optimale au vu de leurs nombreux essais infructueux.
Quant à la route du Nord, vous avez parfaitement raison de souligner le passage récent d'un navire chinois. Nous observons une militarisation croissante de l'Arctique et une volonté d'appropriation territoriale de la part des grandes puissances. Les enjeux sont doubles : le contrôle des routes maritimes et l'exploitation des ressources sous-marines, qu'il s'agisse d'hydrocarbures ou de terres rares comme celles présentes au Groenland. Nous assistons à un véritable partage du monde arctique entre grandes puissances, auquel la France ne participe pas, d'abord parce que nous ne sommes pas un État riverain, mais aussi car elle ne s’inscrit pas dans cette dynamique géopolitique d’appropriation.
Le réchauffement climatique ouvrira certainement la route du Nord de façon plus pérène, mais cette perspective n'est pas immédiate. Actuellement, seuls des navires très spécifiques, comme les brise-glaces ou ceux dotés d'une classification glace élevée, peuvent y naviguer. L'absence d'infrastructures logistiques dans le Grand Nord rend cette route encore dangereuse et peu adaptée à un trafic intense. Concernant notre préparation et la question des brise-glaces, la Marine nationale n'en possède pas en propre. La France dispose d'un seul brise-glace, l'Astrolabe, acquis par les TAAF et opérant principalement dans l'hémisphère sud. Il est important de noter que la construction d'un brise-glace n'est pas particulièrement complexe et que nous maintenons les compétences nécessaires à leur utilisation. Nous avons formé des équipages, des commandants et des pilotes de glace capables d'opérer dans ces environnements extrêmes. Cette expertise, préservée grâce à l'Astrolabe, pourrait être déployée dans l'Arctique si nécessaire.
Mme Anna Pic (SOC). Je souhaite approfondir certains points que vous avez déjà partiellement abordés. Le projet de budget que nous examinons aujourd'hui prévoit une hausse globale de 13 % par rapport à 2025, représentant 6,7 milliards d'euros supplémentaires, avec l'objectif déclaré d'adapter nos armées à la situation internationale. Si cet effort est remarquable dans notre contexte budgétaire actuel, cette augmentation financera principalement le report de paiement, autrement dit les impayés de matériels déjà livrés.
La Marine nationale ne bénéficiera qu'à la marge de cette augmentation, les crédits alloués à la préparation des forces navales connaissant une légère hausse en crédits de paiement mais une baisse en autorisations d'engagement. Le déficit chronique de frégates, que vous signalez à juste titre depuis plusieurs années, va donc perdurer, et l'engagement de sa résorption devra encore attendre. Vous avez souligné à plusieurs reprises votre ingéniosité pour accomplir vos missions malgré ces contraintes. La revue nationale stratégique nous rappelle d'ailleurs combien nos départements et régions d'outre-mer (DROM) et nos collectivités d’outre-mer (COM) sont au cœur des enjeux de recomposition des équilibres mondiaux et du rôle essentiel de la Marine nationale.
Ma première question, simple dans sa formulation mais complexe dans sa réponse : avec un budget en stagnation, comment envisagez-vous d'élargir vos marges de manœuvre pour assurer des missions qui vont, elles aussi, s'étendre ?
Concernant les enjeux de préparation opérationnelle, vos forces sont déployées de manière permanente à travers le monde et confrontées à des menaces extrêmement variées. Comment garantir la montée en puissance nécessaire face à l'intensité et à la fréquence de vos déploiements ? Quels sont les principaux freins à cette montée en puissance ?
Enfin, il semblerait que le retour de la guerre des mines puisse engendrer une rupture capacitaire à court et moyen terme. Quel est votre avis sur ce sujet ?
M. l’amiral Nicolas Vaujour. Je n'établirai pas de comparaison avec mes homologues. Le PLF ou l'actualisation de la LPM présente une copie équilibrée, décidée avec le CEMA. Nous disposons peut-être de moins de ressources pour les marches ou sur-marches, mais potentiellement davantage pour le socle. L'équilibre entre les trois armées est fondamental pour qu'elles puissent assumer l'ensemble de leurs missions.
L'enjeu essentiel concerne nos marges de manœuvre et notre capacité à faire face au choc que le CEMA vous a présenté, un choc attendu ou du moins envisagé dans trois à cinq ans. J'articule actuellement notre action autour de trois lignes d'opération : les savoir-faire, les partenaires et les adversaires.
Concernant les adversaires, l'enjeu est la létalité, bien prise en compte par le PLF. Il s'agit de la capacité de nos armes et de nos munitions à opérer efficacement. J'ai fixé comme axe prioritaire à la Marine la létalité au premier coup depuis un an et demi. Nous devons être performants et l'être dès le premier tir.
L'axe partenarial est essentiel. Avec qui opérons-nous ? En mer Rouge, nous assurons une permanence de frégate, mais pas nécessairement une présence constante au même endroit. Cette frégate doit accomplir plusieurs missions différentes : lutte contre la piraterie, protection du commerce maritime, coopération avec nos partenaires, lutte contre le trafic d'armes, etc. Nous avons besoin d'être plusieurs, donc de nous appuyer sur nos partenaires. Sans eux, nous sommes incapables d'assumer l'ensemble des missions que nous nous fixons, qu'elles relèvent de l'Otan, de l'Union européenne ou du cadre national.
Depuis ma prise de fonctions, j'ai mené plus de 200 réunions bilatérales avec des partenaires pour construire la confiance, développer l'interopérabilité et organiser les opérations conjointes. Mon homologue suédois m'a proposé d'agir ensemble pour être plus efficaces, chacun apportant des capacités complémentaires. Nous travaillons de même avec l'Italie, la Grèce, l'Allemagne sur les missions Irini, Atalanta, Aspides. Notre capacité opérationnelle repose largement sur ces partenariats, que je développe quotidiennement, non seulement en Europe mais aussi dans l'océan Indien avec l'Inde, l'Indonésie, les Philippines ou le Japon.
Dans le golfe de Guinée, nous avons développé le partenariat Siren avec plusieurs pays riverains. À l'image de ce que fait la Jeanne d'Arc, nous embarquons sur un porte‑hélicoptères amphibie (PHA), pendant un mois, des officiers de différentes nations du golfe de Guinée – trente-six cette année, dont des instructeurs étrangers. Nous travaillons ensemble à la lutte contre la pêche illicite et nous nous entraînons aux opérations de réponse aux catastrophes climatiques. Cette démarche rassemble tous les acteurs régionaux, et lorsque j'affirme vouloir une marine rassembleuse de ses partenaires, c'est précisément cela que je vise, avec des résultats très positifs.
Quant à la montée en puissance pour la haute intensité, nous avons modifié notre philosophie d'entraînement. Il y a cinq ans, nous privilégiions les exercices très séquencés : une heure consacrée au tir, puis un exercice de manœuvre, et ainsi de suite. Nous avons instauré l'exercice en free play – sans règles prédéfinies, avec des adversaires et des alliés qui s'affrontent, et où seul le meilleur l'emporte. La Marine avait initié cette approche avec l'amiral Vandier. Je l'ai poursuivie, notamment avec les Italiens, en divisant la Méditerranée en deux zones, le porte-aéronefs Cavour d'un côté et le Charles de Gaulle de l'autre, chacun cherchant à prendre l'avantage.
Cette année, nous avons réalisé cet exercice en Atlantique, demandant aux forces de l'Otan de jouer le rôle d'adversaires tandis que nous tentions une opération de débarquement contre une force de l’Otan jouant en free play. C'est une première, une révolution pour l'Otan. Vous commencez avec vos stocks de munitions et vos marins. Si vous épuisez vos munitions, vous êtes éliminé. Si vous êtes touché durement, vous êtes hors-jeu. Cette approche vous oblige à penser comme l'adversaire, et c'est précisément ce que nous recherchons : développer une culture opérationnelle extrêmement avancée et réactive.
Vous avez raison concernant la Moskva qui a été touchée par deux missiles subsoniques. Il est inacceptable de se faire intercepter ainsi, cela révèle complète impréparation. Ce navire n'aurait jamais dû être coulé par deux missiles subsoniques. Dans la Marine française, l'interception de missiles subsoniques est considérée comme une opération standard, sans difficulté majeure. Cet incident montre aussi que les Russes ont privilégié la capacité offensive au détriment de la défensive. Ils ont développé de nombreuses armes dites « de supériorité » ou « de décision », mais ont négligé leurs capacités d'autodéfense. Cela constitue actuellement un avantage tactique majeur en mer Noire, permettant aux Ukrainiens de contourner efficacement la puissance navale russe.
Nous poursuivons le développement de nos exercices free play sous l'appellation Polaris. L'année prochaine, nous intégrerons ce dispositif dans l'exercice interarmées Orion. Ces initiatives nous confèrent précisément cette marge de manœuvre opérationnelle que vous appelez de vos vœux. Notre objectif principal réside dans la réalisation de démonstrations stratégiques concrètes, destinées à prouver nos capacités réelles à nos adversaires potentiels. Ainsi, lorsque nous coulons la coque d'un ancien aviso au large de Brest, il s’agit d'une démonstration tangible de l'efficacité de nos torpilles F21 et de notre savoir-faire opérationnel. Je précise que la coque avait été préalablement dépolluée.
Nous avons également démontré notre maîtrise dans l'utilisation offensive des drones de surface. Ces démonstrations revêtent une double importance : elles transmettent un message stratégique clair à l'adversaire tout en renforçant la confiance de nos équipages dans leurs systèmes d'armes. Comme vous avez pu le constater dans les séquences vidéo que je poste régulièrement sur internet, nous avons testé avec succès nos missiles Aster contre des missiles Mica Air-Air ainsi que contre une bombe A2SM. Ces opérations, loin d'être simples, impliquent des interceptions de menaces supersoniques. Leur réussite atteste de l'excellence de nos équipages, de la fiabilité de nos matériels et de notre capacité à maintenir un écosystème opérationnel performant.
M. Jean-Louis Thiériot (DR). Vous écouter nous fait prendre conscience, bien que nous le sachions tous ici, que la menace se présente désormais à 360°. Nous pensons tous naturellement à la menace russe, vitale pour l'Europe, mais cette réalité s'étend à l'échelle mondiale. Vos propos me rappellent la célèbre phrase de Richelieu rappelant que « les larmes de nos souverains ont souvent le goût salé de la mer qu'ils ont ignorée ».
Notre excellent collègue Yannick Chenevard ayant déjà formulé la plupart des questions que je souhaitais vous adresser, je me concentrerai sur la nécessité de disposer de 18 frégates. Voilà maintenant une décennie que nous entendons cette requête. Le ministre l'a affirmé, il est temps désormais de concrétiser cet engagement. Indépendamment des considérations budgétaires, quelle serait la capacité réelle de Naval Group à produire ces trois frégates supplémentaires, et selon quel calendrier, sachant que des FDI sont déjà commandées ? Si cette mesure ne figure pas dans le PLF 2026, sachant que la ministre a annoncé un vote sur une forme de LPM rectificative avant la fin de l'année, fixons-nous au minimum cet objectif pour 2035, ce qui me paraît fondamental ?
Ma seconde question porte sur la célébration cette année de votre 400e anniversaire. Pourriez-vous nous détailler davantage le programme prévu ? Comment pouvons-nous le faire rayonner dans nos territoires, notamment dans un département comme le mien, la Seine-et-Marne, où le lien avec la mer n'est pas évident ? Quelles initiatives pourrions-nous développer, particulièrement avec les correspondants défense que nous pourrions, à mon sens, pleinement mobiliser ?
M. l’amiral Nicolas Vaujour. Votre observation concernant la menace à 360° est parfaitement fondée. Je vous livre un exemple récent : samedi dernier, lors de la visite de la ministre des Armées et des Anciens combattants, nous lui avons fait découvrir successivement une frégate multimissions (Fremm) en mer, puis un SNLE. Elle a également pu observer le passage d'un drone du système de guerre des mines, avant d'assister à la présentation aux drapeaux à l'Ecole navale. Sur la frégate, programmée pour partir en patrouille l'après-midi même après la visite ministérielle, nous avons identifié sur l'écran tactique une frégate russe se dirigeant vers la Manche. La mission de notre bâtiment, sitôt la visite achevée, a donc consisté à surveiller ce navire russe transitant par la Manche. Je tiens à souligner que chaque semaine, un bâtiment russe passe en Manche Mer du Nord, et chaque semaine, nous déployons un navire pour assurer sa surveillance, en coopération permanente avec nos alliés britanniques et espagnols.
Cette menace existe réellement, non seulement le long de nos approches maritimes, mais également à l'autre extrémité du monde. En parlant de partenaires, je peux évoquer les Australiens qui ont été particulièrement perturbés par la manœuvre chinoise consistant à mener des opérations dans leurs eaux territoriales, tout autour de leur pays, ce qui a suscité une vive irritation de leur part.
Concernant l'objectif des 18 frégates, aborder ce sujet sans évoquer l'aspect budgétaire reste délicat. Les capacités de production de Naval Group sont bien réelles : l'entreprise dispose d'une capacité maximale de deux frégates par an sur le site de Lorient. Ils l'ont démontré pour les frégates grecques qui nécessitaient une livraison accélérée. Néanmoins, leur organisation actuelle est calibrée pour une production optimale d'une frégate par an, ce qui représente leur optimum industriel. Les contrats de coques blanches, mentionnés par le député Chenevard, permettent, avec ce rythme d'une frégate par an, de maintenir notre outil de production à son meilleur niveau d'efficience économique. Naval Group peut certainement passer à une cadence de deux unités annuelles, mais cela nécessite évidemment des commandes supplémentaires. J'estime que si nous prenions cette décision aujourd'hui, ils seraient probablement en mesure d'augmenter leur production dans un délai de deux à trois ans, accélérant ainsi considérablement nos livraisons.
Le calendrier actuel prévoit la livraison de la deuxième frégate française en 2027, la troisième en 2029-2030, entre-temps les quatre frégates grecques, puis potentiellement d'autres commandes à l'export, suivies des livraisons en 2031-2032. En résumé, avec le rythme actuel d'une unité annuelle, notre programme s'étend jusqu'en 2032. Doubler la cadence compresserait naturellement ce calendrier, sauf en cas de commandes additionnelles. Nous constatons clairement que ces considérations dépassent l'horizon de la LPM actuelle.
Quant aux célébrations du 400ᵉ anniversaire, nous avons conçu un programme ambitieux articulé autour de deux axes majeurs : la jeunesse et les territoires, ce qui rejoint directement votre préoccupation. Nous souhaitons également démontrer notre puissance navale et mettre en valeur le combat naval. Concernant le volet jeunesse et territoires, nous organiserons fin mai-début juin, sur une semaine entière, des manifestations dans 46 villes non portuaires, souvent dotées de préparations militaires marines. Dans chacune d'elles, nous prévoyons une cérémonie, suivie d'une présentation pédagogique de la Marine. Nous inviterons ensuite les jeunes à découvrir le film spécialement réalisé pour ce 400ᵉ anniversaire, qui sera projeté en plein air afin d'accueillir un maximum de participants dans chacune de ces 46 villes.
Ces initiatives s'inscrivent en complément d'un partenariat substantiel que nous avons établi avec l'Éducation nationale. Ce ministère a non seulement validé mais s'est engagé à mettre en œuvre un programme pédagogique ciblant trois niveaux scolaires : CM2, et les deux cycles d’enseignement du collège et du lycée. Nous fournirons des supports pédagogiques permettant aux enseignants d'aborder l'histoire de la Marine et ses missions actuelles, et l’histoire maritime de la France, ans. Ces ressources comprendront des présentations, des courts-métrages et divers documents visuels. Les professeurs d'histoire-géographie intégreront ainsi l'histoire navale française dans leur enseignement pour ces cycles spécifiques. Cette démarche élargira considérablement le rayonnement de notre action, notamment lors de notre journée thématique « Jeunesse et Territoires » qui ciblera précisément ces classes d'âge du primaire et du secondaire. Nous établirons naturellement des contacts avec nos correspondants de défense et les municipalités pour coordonner ces manifestations.
Nous prévoyons une démonstration aéronavale le 8 mai, dépassant le cadre d'une simple revue navale, afin de mettre en valeur nos capacités opérationnelles, nos innovations et nos partenariats. Cet événement se déroulera principalement dans la région Sud. Par ailleurs, nous commémorerons la bataille de Chesapeake le 5 septembre à Paris. Après deux années de célébration au Jardin du Luxembourg, nous ambitionnons d'investir le Trocadéro cette année, dans l'optique d'accueillir un public plus nombreux. Notre volonté est de proposer un événement accessible et intégré dans l'espace urbain.
Concernant le financement, nous avons sollicité et obtenu le soutien de mécènes, ce qui nous permet de réaliser ces manifestations sans contribution budgétaire de l'État. Notre objectif fondamental est que la Marine nationale éprouve de la fierté à se présenter aux yeux de nos concitoyens, suscitant ainsi un sentiment d'appartenance collective. Nous souhaitons que ces célébrations revêtent un caractère véritablement populaire et rassembleur, particulièrement dans des lieux où notre présence est habituellement limitée.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Le cyclone Chido qui a frappé Mayotte a mis en évidence le rôle déterminant de la Marine nationale face aux conséquences du changement climatique. Cet événement a souligné l'importance des escouades côtières de réserve et la nécessaire montée en puissance des réservistes dont les compétences civiles sont susceptibles de renforcer la résilience nationale face aux crises climatiques. À ce sujet, comment envisagez-vous de consolider le rôle des escouades de réserve pour garantir une mobilisation rapide lors des événements climatiques ? Est-il prévu de coordonner nos efforts avec nos partenaires européens ? Par ailleurs, comment développer des partenariats civilo-militaires optimisant l'utilisation des capacités maritimes en intervention civile ?
Concernant les câbles sous-marins, qui assurent plus de 99 % des échanges numériques mondiaux, nous observons une menace croissante en Europe avec le sabotage de ces infrastructures critiques. La stratégie de maîtrise des fonds marins, fondée sur l'emploi de drones et robots sous-marins profonds, se déploie actuellement. Elle s'accompagne d'une coopération civile et militaire ainsi que de partenariats internationaux. L'objectif consiste à protéger ces installations, dissuader les potentiels agresseurs, tout en renforçant le cadre juridique européen. Existe-t-il un faisceau d'indices suggérant une stratégie systémique visant à tester la vulnérabilité de nos infrastructures ? Quels sont les moyens à notre disposition, particulièrement au niveau européen, pour répondre de façon coordonnée à ces provocations répétées émanant de puissances hostiles, en complément des éléments que vous nous avez déjà présentés ?
Enfin, la Marine intervient contre les trafics illicites et les activités clandestines en mer, comme l'illustre le cas de la flotte fantôme russe. La Marine dispose-t-elle d'un plan d'engagement conjoint avec nos alliés européens pour intercepter des navires suspects opérant depuis les ports tiers ou sous pavillon de complaisance ?
M. l’amiral Nicolas Vaujour. Concernant le changement climatique et le cyclone Chido, nous constatons effectivement une multiplication de ces phénomènes. La Marine observe directement ces évolutions climatiques et je tiens à souligner qu'en Europe, nous n'avons pas pleinement conscience de la réalité vécue par les pays directement affectés. Je cite régulièrement les propos tenus par mon homologue du Bangladesh à la Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC) à Nice : une élévation du niveau de la mer d'un mètre entraînerait le déplacement de 20 millions de personnes au Bangladesh, soit l'équivalent d'un tiers de la population française. Ce seraient les premiers réfugiés climatiques. Pour lui, il ne s'agit pas d'une hypothèse, mais d'une réalité à laquelle il doit se préparer. Dans nos territoires d'outre-mer particulièrement, ces changements s'opèrent plus rapidement qu'en Europe. La Marine témoigne nécessairement de ces phénomènes, notamment de tempêtes d'intensité croissante. La tempête Benjamin qui a touché nos côtes hier reste mineure comparée aux événements météorologiques extrêmes observés ailleurs dans le monde.
Quant à l'apport des escouades côtières face à ces défis, la réponse est affirmative. Ces unités ont précisément été créées pour compléter l'action des forces de la Marine, de la gendarmerie maritime et des forces de sécurité en général, afin d'intervenir sur notre territoire où les réductions d'effectifs avaient diminué notre empreinte territoriale. La possibilité d'engager des réservistes nous permet désormais de renforcer notre présence dans ces zones, ce que nous accueillons très favorablement. Nous avons initialement déployé ce dispositif à La Rochelle et à Bayonne. En 2025, nous avons ouvert Sète et Cannes en Méditerranée, ainsi que Piriac-Saint-Nazaire, Concarneau et Saint-Malo dans l'Atlantique, sans oublier Pointe‑à‑Pitre et Nouméa dans nos territoires ultramarins. D'autres implantations sont prévues en 2026, notamment dans la Manche et en Mer du Nord.
L'objectif consiste à réunir environ 70 marins réservistes dans chaque zone, parfaitement intégrés à leur territoire, capables d'intervenir rapidement en complément des forces régulières sous l'autorité du préfet maritime. Face à une pollution côtière par exemple, les navires de la Marine interviendront bien entendu, mais ces escouades offriront une capacité d'action supplémentaire, plus rapide et en liaison immédiate avec les collectivités territoriales. L'aspect particulièrement intéressant de ce concept réside dans l'intégration complète des escouades côtières au sein de leur environnement local. J'ai demandé au responsable de ce projet de veiller à ce que ces unités incluent le responsable du port, le réparateur d'embarcations pneumatiques, le boulanger, le médecin - des acteurs formant un ensemble cohérent et efficace. C'est précisément ce qui se réalise actuellement. Nous sommes donc extrêmement satisfaits des premiers résultats, et le dispositif se développe remarquablement bien. Nous avons inauguré l'escouade de Piriac-Saint-Nazaire la semaine dernière, renforçant ainsi l'efficacité de notre chaîne d'action de l'État en mer, dispositif unique qui me permet d'aborder la question de la flotte fantôme.
Notre spécificité en Europe tient au fait que le commandant en chef d’une zone maritime, par exemple l'amiral Quérat pour l’Atlantique, cumule les fonctions de commandant militaire des opérations et de préfet maritime. Il est donc habilité à coordonner l'action de l'État en mer en qualité de préfet, dirigeant ainsi les affaires maritimes, les douanes, la gendarmerie, la Marine et d'autres services pour garantir une action cohérente face aux défis rencontrés.
L'affaire du Boracay a débuté au Danemark où les autorités ont suspecté plusieurs navires d'avoir lancé des drones au-dessus de leur territoire, identifiant. Ces navires ont ensuite traversé la Manche et la Mer du Nord, où nous leur avons demandé leurs documents d'identification. Nous avons constaté que le Boracay présentait des documents d'immatriculation peu fiables, notamment concernant son pavillon déclaré. Après vérification auprès du pays concerné, celui-ci a indiqué que le navire n'était pas enregistré sous son autorité. Nous ignorons l'identité précise de ce navire, mais avons établi qu'il falsifiait son pavillon, contrevenant ainsi aux règlements internationaux. Notre avantage réside dans l'intégration du droit international dans notre législation nationale, permettant ainsi à la Marine nationale et aux commandants de navires d'agir directement en droit national pour prévenir les infractions aux conventions internationales, qu'il s'agisse de la convention de Montego Bay pour la sécurité maritime ou de la convention de Vienne concernant le trafic de stupéfiants.
Dans ce cadre, le CEMA a proposé au Président de la République d'intercepter ce navire pour vérifier la présence éventuelle de drones. Nous sommes montés à bord en raison de l'infraction au droit du pavillon. Nous avons constaté deux éléments : premièrement, la confirmation de l'infraction au droit du pavillon, et deuxièmement, que le navire avait refusé d'obtempérer et s’était opposé à notre montée à bord. Nous l'avons donc dérouté et signalé au procureur de la République, prérogative relevant du préfet maritime lorsqu'un navire enfreint le droit international. Le procureur s'est saisi de l'affaire, convoquant le commandant et son second pour comparaître devant le tribunal afin de répondre de ces actes.
Nous disposons effectivement de cette capacité d'intervention. Concernant nos partenaires européens – et nous déployons actuellement d'importants efforts pour renforcer leur coopération – j'ai récemment organisé un briefing à l'intention de mes homologues européens sur ce sujet. Ils ont tous exprimé leur satisfaction quant à notre action, mais comme je l'évoquais précédemment, certains peuvent agir mais ne le souhaitent pas, d'autres le souhaitent mais n'en ont pas les moyens. En réalité, peu de pays possèdent véritablement la capacité de mener de bout en bout l'opération que nous avons exécutée. Nous appelons de nos vœux l'extension de cette capacité et encourageons nos partenaires à obtenir les autorisations politiques nécessaires.
Nous disposons également d'une autre capacité majeure : le partage d'informations, notamment via le MICA Center à Brest, qui maintient des liens avec l'ensemble des armateurs et facilite ces opérations. La lutte contre la flotte fantôme revêt une importance capitale car elle contourne les sanctions de l'Union européenne, ce qui est inacceptable. Nous estimons que cette flotte représente actuellement 40 % de l'effort de guerre de Vladimir Poutine en Ukraine. Par ailleurs, 80 % du pétrole exporté transitent par la mer Baltique, principalement via cette flotte fantôme. Agir sur ce levier constitue donc un moyen de pression économique direct et significatif. Cette démarche est essentielle et requiert une action collective, à laquelle nous nous employons activement.
M. Christophe Blanchet (Dem). Je tiens à saluer l'engagement de tous nos marins qui assurent quotidiennement notre protection à travers les différentes missions que vous avez évoquées. J'aimerais souligner qu'ils sauvent également des vies, particulièrement en Manche. J'en suis personnellement témoin avec le port de Ouistreham, où ils portent secours à de nombreux migrants désespérés tentant la traversée. Il est essentiel de rappeler cette dimension de sauvetage dans leurs missions.
Je souhaite revenir sur vos propos, Amiral, lorsque vous avez déclaré : « Nous sommes prêts à accueillir des volontaires si un jour un service est instauré ». Sans vous demander de préciser la nature de ce service, qui dépasse votre champ de compétence, je fais un parallèle avec votre récente visite en Suède. Ce pays a rétabli un service militaire obligatoire d'une durée de 9 à 15 mois, mais selon un modèle sélectif où l'armée choisit les profils correspondant à ses besoins, ce qui représente environ 8 % d'une classe d'âge. Cette sélection s'opère en fonction des capacités d'hébergement, d'incorporation et des nécessités opérationnelles.
Ayant eu l'honneur de rédiger un rapport sur cette question l'année dernière avec ma collègue Martine Étienne, j'ai proposé le rétablissement en France d'un service militaire obligatoire suivant ce même principe. En appliquant ce ratio de 8 %, nous pourrions incorporer environ 51 000 jeunes par an. Ma proposition de loi prévoit une durée de 6 mois. Quelle serait la capacité d'incorporation de la Marine nationale dans l'hypothèse d'un service de 6 mois ?
M. l’amiral Nicolas Vaujour. Concernant le sauvetage en mer, vous avez parfaitement raison. La Marine sauve chaque année environ 6 000 vies en mer, principalement aujourd'hui en Manche Mer du Nord, face à ce drame humain que constituent les traversées de migrants de la France vers la Grande-Bretagne. Ces opérations s'effectuent dans des conditions extrêmement difficiles, et je tiens à saluer l'engagement remarquable de nos marins dans ces missions particulièrement éprouvantes.
Nous constatons une diminution de la mortalité ces dernières années, mais les situations demeurent extrêmement complexes. Les embarcations récemment interceptées transportaient jusqu'à plus de cent personnes. Il faut comprendre que les conditions à bord sont dramatiques, avec des relations extrêmement tendues entre les passagers. Les décès surviennent souvent par étouffement à bord même des embarcations, faute d'espace suffisant, sans oublier les actes de violence entre migrants. Cet engagement dans le sauvetage en mer mobilise en permanence près de six navires en Manche Mer du Nord : deux affrétés, deux de la Marine nationale et deux relevant d'autres administrations, représentant un effort considérable.
Sur le service militaire, j'ai effectivement échangé avec mon homologue suédois sur ce sujet. Le modèle suédois combine une inscription obligatoire avec une sélection des profils retenus. Je ne peux préjuger du modèle qui serait retenu pour la France, mais cette approche me semble intéressante. Actuellement, nous disposons déjà d'un dispositif obligatoire avec la journée défense et citoyenneté (JDC). Cette base existante pourrait évoluer vers un service national ou militaire, selon la forme qui sera déterminée. L'essentiel, à mon sens, est que ce dispositif soit véritablement utile tant aux forces armées qu'à la Nation.
Pour être utile à la Marine, le service national doit être véritablement opérationnel, en permettant aux jeunes de travailler et de compléter effectivement nos ressources humaines. L'efficacité exige une durée suffisante. Le modèle d'une formation pour un mois ne répond pas à nos besoins. Une formation de dix mois s'avère nettement préférable. Vous avez évoqué deux périodes de 6 mois. Former un marin pour 6 mois sur un navire présente de réelles complications. Notre modèle actuel pour les volontaires officiers d'active (VOA) prévoit une période d'un an, ce qui permet une formation complète, un embarquement efficace et une réelle opérationnalité à bord.
A mon entrée dans la Marine, notre structure d'effectifs formait une véritable pyramide. Nous sommes passés de cette pyramide équilibrée à ce que j'appelle une « bouteille d'Orangina ». Nous avons beaucoup moins de matelots sur nos bâtiments, et beaucoup plus de cadres. Si le service national nous permet de retrouver une vraie pyramide des âges avec une base étalée, il renforcera considérablement la résilience de notre système.
Concernant les effectifs, la marine recrute déjà 4 000 personnes chaque année, ce qui représente un effort substantiel. Notre limitation provient d'abord de nos capacités de recrutement et d'emploi. Si je peux employer ces jeunes partout, le problème se limite au recrutement supplémentaire. Toutefois, recruter 1 000 personnes supplémentaires équivaut à une augmentation de 25 % de notre effort actuel, 2 000 représenteraient 50 % de plus. Si nous devions intégrer davantage, par exemple 10 000 personnes selon le ratio Marine pour un service national de 50 000 jeunes par an, nous ne pourrions actuellement ni les nourrir, ni les habiller, ni les loger convenablement.
En résumé, nous pouvons intégrer 1 000 jeunes annuellement. Au-delà, tout dépend des investissements consentis pour l'infrastructure, l'habillement et l'accompagnement de cette montée en puissance. Je soutiens cette démarche, à condition qu'elle s'accompagne d'un pleinemploi dans la Marine. Si je ne peux pas les affecter efficacement, cela limitera nécessairement le nombre de postes disponibles. Retrouver une structure pyramidale plus résiliente constituerait pour moi une avancée significative. Par ailleurs, nous devons impérativement développer l'infrastructure nécessaire pour les accueillir dignement. Des conditions de logement indécentes réduiraient rapidement le volontariat. Le système fonctionne bien avec des jeunes motivés. La sélection par tirage au sort, comme pratiquée dans d’autres pays, ne me semble pas générer beaucoup d'adhésion.
M. Loïc Kervran, président. Pour clôturer cette audition, Monsieur Julien Limongi souhaite poser une question individuelle.
M. Julien Limongi (RN). Dans le cadre de la LPM, le programme des frégates de taille intermédiaire prévoit la livraison progressive des frégates de défense et d'intervention. Ces bâtiments beaucoup plus technologiquement avancés que les frégates qu'ils remplacent – radar Sea Fire, système numérique intégré, maintenance logicielle, capacité cyber – requièrent des compétences nouvelles et hautement spécialisées. Dès lors, on ne peut pas simplement transférer les équipages des frégates de type Lafayette vers ces nouveaux bâtiments, sans un effort de formation et de recrutement adapté. Comment la Marine nationale entend-elle préparer et accompagner cette transition en termes de compétences ?
Nous savons que ces spécialités, notamment dans le domaine cyber et la maintenance logicielle, comptent déjà parmi les métiers en tension au sein des armées. Plus précisément, quelle stratégie est mise en œuvre pour former, attirer et fidéliser les personnels capables de maîtriser ces systèmes de nouvelle génération ? Des personnels issus, je l'espère, de mon département de Seine-et-Marne, de ma ville de Provins, bien entendu, mais aussi, bien évidemment, de toute la France.
M. l’amiral Nicolas Vaujour. Le programme frégates de taille intermédiaire (FTI) a évolué vers le programme FDI et nous disposons désormais d'un navire intégrant de nombreuses innovations, conçu pour évoluer. Nous avons délibérément développé une architecture aussi ouverte que possible, bien que nous aspirions à l'améliorer encore davantage, afin de permettre l'évolution du système dans la durée. Vous soulevez un point pertinent concernant l'émergence de nouveaux métiers à bord. La question stratégique fondamentale que je me pose est celle des métiers de la Marine à l'horizon 2030, 2040, 2050. Dois-je créer une filière de data scientists sur nos bâtiments pour 2035 ? Cette réflexion est en cours. Concernant le domaine cyber, la décision est déjà prise : nous devons absolument disposer de spécialistes cyber embarqués.
Nous avons considérablement renforcé la protection cyber de nos navires, qui intègrent de nombreux systèmes électroniques et numériques. Une surveillance permanente et en temps réel de la situation cyber de nos bâtiments est désormais opérationnelle. Dans ce domaine, notre niveau est satisfaisant. En matière d'intelligence artificielle, lors de la dernière mission Clémenceau, nous avons embarqué des data hubs, c'est-à-dire des serveurs puissants qui collectent l'ensemble des données d'un navire et, grâce à des algorithmes avancés, les présentent de manière optimisée. Cette approche permet d'augmenter significativement les capacités opérationnelles sans modification structurelle du bâtiment.
Cette initiative a été développée grâce à une entité innovante au sein de la Marine, le Centre de support de la donnée et de l'intelligence artificielle de la Marine (CSDIAM), qui emploie de véritables data scientists. Nous avons fait embarquer ces experts, y compris comme réservistes opérationnels. Durant la mission Clémenceau 25, 18 réservistes opérationnels ont accompagné nos marins pour développer des algorithmes, du codage Python et optimiser l'organisation des données à bord. L'intelligence artificielle n'est pas une simple perspective théorique ou un projet futur, mais une réalité que nous déployons activement.
Aujourd'hui, les navires équipés d'un data hub disposent d'un équivalent de ChatGPT de niveau secret, fonctionnant sans connexion internet mais intégrant toutes nos notes de renseignement et documentations. Cet outil accélère considérablement la recherche d'informations et l'intégration des données. Pour développer ces capacités, nous devons attirer des data scientists, malgré leur coût élevé et leur mobilité professionnelle. Nous devons nous adapter à ce mode de fonctionnement : les retenir deux ou trois ans constitue déjà un objectif raisonnable. Ces professionnels valorisent cette expérience sur leur CV.
Parallèlement, nous développons notre propre filière, notamment la spécialité cybersécurité, informatique et réseaux électroniques (CIEL), qui regroupe l'ensemble des métiers du numérique. Cette approche nous permet, tant au niveau BTS qu'au niveau apprentissage, de recruter des talents là où ils se trouvent et de les intégrer dans un parcours structuré.
La fidélisation de ces profils représente un défi majeur que nous devons relever. Toutefois, nous proposons des expériences uniques qu'aucune autre organisation ne peut offrir. Pour ceux qui ont vu le film « Le Chant du Loup », nous formons notamment les « oreilles d'or ». Les « oreilles d'or » s'appuient sur un centre d'interprétation du renseignement acoustique situé à Toulon, qui constitue la première unité de la Marine ayant intégralement adopté l'intelligence artificielle. Nous avons sollicité l'expertise d'une start-up pour accompagner cette transformation complète. Nous avons maintenu les effectifs de marins tout en augmentant la productivité de cet organisme d'un facteur de 40 à 50 par rapport à nos capacités antérieures, grâce à l'intelligence artificielle. Il n'est évidemment pas question de remplacer le marin oreille d'or, capable d'analyser certains signaux bien mieux qu'un algorithme, et cela ne sera probablement pas possible avant longtemps. En revanche, l'algorithme prend désormais en charge toutes les tâches simples, tandis que l'expertise humaine reste indispensable pour les analyses complexes. Cette répartition des tâches génère une réelle satisfaction chez nos marins qui interviennent désormais uniquement lorsque leur expertise est nécessaire, sans devoir consacrer des heures à des travaux sans réelle valeur ajoutée, et que l'algorithmie traite efficacement. Sur les aspects cruciaux, ce sont eux seuls qui peuvent identifier avec précision des actions spécifiques comme l'ouverture d'un sas , ou le démarrage d'un équipement d'un sous-marin russe. Ces compétences restent l'apanage exclusif de l'humain aujourd'hui. Cette unité, pionnière dans l'adoption intégrale de l'intelligence artificielle, présente des résultats absolument remarquables.
M. Loïc Kervran, président. Je vous remercie Amiral d’avoir porté la voix de notre Marine nationale qui assume des missions essentielles telles que la protection du territoire, la dissuasion nucléaire, le sauvetage en mer, la sécurisation du commerce mondial, la lutte contre le narcotrafic et la protection environnementale. Notre Marine mondiale constitue une véritable fierté pour notre commission ainsi que pour notre pays. Soyez assuré que notre commission demeure pleinement déterminée à la doter de tous les moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions.
M. l’amiral Nicolas Vaujour. Nous comptons sur votre soutien !
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La séance est levée à douze heures trente.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, Mme Sophie Errante, M. Frank Giletti, Mme Florence Goulet, M. Daniel Grenon, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, M. Laurent Jacobelli, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Abdelkader Lahmar, Mme Nadine Lechon, M. Julien Limongi, Mme Michèle Martinez, M. Thibaut Monnier, Mme Anna Pic, Mme Isabelle Santiago, M. Jean-Louis Thiériot, M. Romain Tonussi, Mme Corinne Vignon
Excusés. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Christophe Bex, M. Manuel Bompard, M. Hubert Brigand, M. Bernard Chaix, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Favennec‑Bécot, M. Moerani Frébault, M. Thomas Gassilloud, Mme Emmanuelle Hoffman, Mme Alexandra Martin, Mme Marie Récalde, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Catherine Rimbert, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Aurélien Rousseau, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud, M. Éric Woerth