Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Table ronde, ouverte à la presse, sur les enjeux et la reconfiguration de l’aide au développement à l’échelle multilatérale, avec la participation de M. William Roos, directeur général de la stratégie d’entreprise de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), M. Philippe Marchesin, maître de conférences en sciences politiques et assistance aux pays en voie de développement à l’Université Panthéon-Sorbonne, et M. Kevin Goldberg, directeur général de Solidarités international 2
Mercredi
8 octobre 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 3
session ordinaire 2025-2026
Présidence
de M. Bruno Fuchs, Président
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La commission auditionne, dans le cadre d’une table ronde ouverte à la presse sur les enjeux et la reconfiguration de l’aide au développement à l’échelle multilatérale, M. William Roos, directeur général de la stratégie d’entreprise de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), M. Philippe Marchesin, maître de conférences en sciences politiques et assistance aux pays en voie de développement à l’Université Panthéon-Sorbonne, et M. Kevin Goldberg, directeur général de Solidarités international.
La séance est ouverte à 11 h 00.
Présidence de M. Bruno Fuchs, président.
M. le président Bruno Fuchs. À l’heure où le monde traverse une phase de régression et passe de la coopération à la coexistence, tout ce qui concerne l’aide aux autres suscite des interrogations. C’est pourquoi je suis particulièrement heureux d’accueillir nos trois intervenants, qui pourront nous faire part de leurs réflexions quant à l’organisation générale de l’aide au développement et des grands partenariats internationaux dans ce contexte difficile. Les dernières années se caractérisent en effet par une baisse des contributions à l’échelle mondiale – dont la décision du président Trump de dissoudre l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) constitue l’exemple le plus spectaculaire – et par les initiatives de certains partis politiques mettant en cause l’efficacité et même le bien-fondé de la façon dont l’aide au développement est organisée.
M. William Roos, directeur général de la stratégie d’entreprise de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD). Avant d’exercer mes fonctions actuelles à la BERD, j’ai travaillé, entre 2016 et 2019, à l’ambassade de France à Pretoria, où je couvrais les sujets économiques et financiers relatifs à l’Afrique australe. J’ai pu y constater comment s’organisent, sur le terrain, les relations entre le groupe de l’Agence française de développement (AFD), les institutions multilatérales et les entreprises françaises. J’ai ensuite été, pendant deux ans, administrateur à la BERD, où je représentais la France en sa qualité d’actionnaire. De 2021 à 2025, j’ai été chargé des affaires multilatérales et du développement au ministère de l’économie et des finances à Paris, ce qui m’a notamment conduit à siéger au conseil d’administration de l’AFD et à assurer le suivi des institutions multilatérales et des agendas du G20.
Mon propos sera structuré autour de trois points : les origines de la création des institutions multilatérales, leur pertinence au vu des nouveaux défis auxquels elles font face et le positionnement spécifique de la France dans ce domaine.
Pourquoi les institutions multilatérales ont-elles été créées ?
La démarche suppose d’abord, de façon assez évidente, que plusieurs pays partagent un objectif commun. Ainsi la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), composante historique de la Banque mondiale, a-t-elle été créée en 1944 pour reconstruire l’Europe après la guerre : plutôt que de laisser chaque institution nationale travailler de son côté, il s’agissait de se réunir pour être en mesure d’agir à la bonne échelle. En 1960, lorsqu’il est apparu que la lutte contre la pauvreté nécessitait d’accorder des financements plus concessionnels, l’Association internationale de développement (IDA) a été créée à son tour, également au sein de la Banque mondiale. Des pays peuvent aussi se réunir pour répondre à des enjeux plus régionaux. C’est le cas de la BERD, initiative européenne à laquelle la France a contribué de façon majeure, aux côtés des États-Unis, du Japon et de nombreux pays industrialisés et émergents, et dont l’objectif était d’accompagner les anciens pays communistes dans leur transition vers l’économie de marché. À sa création, cette banque avait un périmètre géographique défini et un mandat économique et politique clair : promouvoir le secteur privé tout en incitant les pays concernés à aller vers davantage de démocratie et de multipartisme. La Banque interaméricaine de développement, la Banque asiatique de développement ou encore la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, créée à l’initiative de la Chine et qui réunit de nombreux actionnaires dont la France, sont d’autres exemples d’institutions fondées par des pays souhaitant travailler ensemble sur un périmètre géographique ou des thèmes précis.
Ensuite, la gouvernance de ces institutions est par nature multilatérale. Au conseil d’administration siègent non seulement les pays ayant contribué au capital mais aussi les pays d’opération, c’est-à-dire les pays clients ou partenaires. Ces derniers sont ainsi associés à la fois à la conduite des projets sur le terrain et aux discussions et votes sur la stratégie de la banque. Cette gouvernance, qui diffère de celles d’institutions comme le groupe AFD en France, conduit à former des équipes multiculturelles : on s’enrichit en discutant, en croisant les approches des différents pays, chacun ayant sa culture et ses expériences propres.
L’existence des institutions multilatérales s’explique aussi par la volonté de créer un effet de levier entre l’argent collecté auprès des pays qui contribuent au capital et les flux financiers vers les pays d’opération : le capital, apporté une fois pour toutes, permet de lever des fonds qui seront mobilisés pour accorder à divers pays des prêts qui seront remboursés. L’AFD fonctionne de la même manière. Ces institutions multilatérales sont avant tout capables d’accorder des prêts et ont vocation à jouer un rôle contracyclique, c’est-à-dire à proposer des financements, donc à assurer des flux nets positifs, même quand la situation économique est difficile. Leur politique d’investissement doit rester soutenable afin de ne pas exposer les pays d’opération au surendettement, mais elles ont ainsi souvent un statut de créancier privilégié.
En parallèle de cette activité de prêt, des fonds concessionnels ont été développés pour réduire les taux d’intérêt et financer diverses actions – assistance technique, dialogue politique, etc. L’idée est, là encore, de faire des économies d’échelle : quand une expertise spécifique est requise, par exemple pour construire une infrastructure ou préparer une privatisation, il est plus efficace de s’appuyer sur une institution ayant déjà l’expérience de tels projets et sur des experts regroupés en un seul endroit, plutôt que de demander à chaque pays de former ses propres spécialistes sectoriels.
J’en viens à mon deuxième point : les institutions multilatérales sont-elles toujours pertinentes ? Peut-être suis-je un peu biaisé, mais je pense que oui, même si je comprends les défis auxquels elles font face.
Malgré le contexte difficile décrit par le président Fuchs, l’idée d’agir à la bonne échelle en regroupant les forces de plusieurs pays est d’autant plus pertinente que les pays émergents et en développement ont grossi et que leur poids relatif a beaucoup augmenté. Il devient donc plus difficile pour un pays comme la France d’atteindre à lui seul la bonne échelle d’action. Les défis mondiaux – climat, biodiversité, pandémies – poussent par ailleurs à se regrouper pour mieux apprécier les externalités associées. Enfin, à l’heure où des pays comme la France font face à des coûts de financement plus élevés, de telles institutions, capables de se financer au meilleur prix grâce à leur notation AAA, donc d’accorder des prêts à bas taux, sont particulièrement utiles.
Pour prendre plus spécifiquement l’exemple de la BERD, les circonstances actuelles n’ont pas empêché nos actionnaires de s’accorder pour augmenter le capital de la banque, en vue de maintenir l’activité dans tous les pays d’opération tout en l’augmentant très fortement en Ukraine et en l’étendant géographiquement à l’Afrique subsaharienne – car la BERD, originellement créée pour aider les pays d’Europe de l’Est, est désormais présente aussi en Asie et en Afrique. Même la nouvelle administration américaine, dont on pouvait craindre qu’elle retire les États-Unis des institutions multilatérales, a fait savoir en avril dernier, par la voix de son secrétaire au trésor, Scott Bessent, que tel n’était pas son agenda. Les États-Unis financeront probablement des fonds concessionnels de moindre ampleur et adopteront certainement une approche beaucoup plus transactionnelle – à l’instar des actionnaires européens, y compris français, d’ailleurs – mais, malgré cette exigence accrue, ils restent convaincus de l’utilité des institutions multilatérales.
Je reconnais toutefois que les défis sont nombreux. Les capacités budgétaires de grands pays comme la France sont réduites en raison de déficits publics élevés ou de nouvelles priorités comme la défense et la sécurité. Les États-Unis opèrent un retrait sur l’humanitaire, la santé ou encore l’éducation, autant de secteurs pour lesquels il y a besoin de dons. Tout cela met le système sous pression et nous oblige à utiliser nos fonds concessionnels de façon beaucoup plus optimisée. Les institutions ont en outre affaire à des pays fragiles, pour certains en conflit, ce qui complique leur tâche. Certains pays d’opération contestent également les conditions que nous posons et déplorent le manque de redevabilité et d’appropriation des actions conduites. Par ailleurs, les capitaux dont nous disposons ne suffisent plus pour agir à l’échelle nécessaire : nous devons faire appel à des acteurs privés pour mobiliser de nouveaux capitaux et développer de nouveaux outils de financement. Notre architecture financière, trop fractionnée, fait l’objet de critiques parfaitement valides et mérite d’être optimisée. Enfin, en matière d’appel d’offres, nous sommes confrontés à un environnement compliqué, certains pays comme la Chine usant de pratiques de distorsion qui peuvent nous conduire à nous interroger sur le résultat des procédures.
Pour évoquer d’un mot mon troisième point, la France, compte tenu de son histoire et de son poids économique, diplomatique et militaire, a tout intérêt au maintien d’une institution bilatérale forte telle que l’AFD. Un des défis qu’il vous revient de relever consiste donc à trouver le meilleur équilibre possible entre aide multilatérale et aide bilatérale.
M. Philippe Marchesin, maître de conférences en sciences politiques et assistance aux pays en voie de développement à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Bien que le débat concerne la politique mondiale d’aide au développement, mon propos concernera essentiellement la France. Pour avoir travaillé sur le sujet de nombreuses années, l’aide française me semble constituer, par son histoire comme par son contenu, un très bon exemple des politiques conduites en la matière. Tous les pays font, de toute façon, à peu près la même chose. En tout état de cause, je préfère parler de ce que je connais le mieux.
Je m’appuie sur un travail conduit pendant une dizaine d’années à l’université Paris 1. Malgré l’approche macro que j’ai choisi d’adopter, je ne crois pas être hors sujet car il faut poser les problèmes de manière très large pour bien comprendre de quoi il retourne. Retracer l’histoire de l’aide au développement, ce n’est certes pas parler de son actualité, mais tout est lié – d’autant qu’en la matière, la continuité est très frappante.
Dès 1970, Yvon Bourges estimait que 80 % des sommes affectées à l’aide retournaient dans l’économie française. Plus précisément, d’après une note du ministère des affaires étrangères publiée en 1983, le taux de retour s’établissait à 90 % pour le Fonds européen de développement (FED), à 144 % pour la Banque mondiale et à 153 % pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). À une époque, on évoquait même un taux de retour de 300 % pour des achats d’équipements ou des contrats de consultant financés par le PNUD. Les termes alors utilisés pour décrire cette notion de retour, tels que je les ai retrouvés dans les archives diplomatiques et nationales, sont tout à fait évocateurs : « notre part », « récupération de la mise », « ce que rapporte une contribution donnée », « part rapatriable », « juste retour ». Ils suggèrent le passage d’une logique d’aide publique au développement (APD) versée par la France – si tant est qu’elle ait jamais vraiment existé – à une logique d’aide publique contribuant au développement de la France. On est là pleinement dans le champ de la diplomatie économique, avec toute une série de déclinaisons dans différents secteurs.
Non seulement l’aide au développement se traduit par des taux de retour élevés mais elle permet même de réaliser de bonnes opérations, puisque les entreprises françaises peuvent accéder aux aides des autres donateurs. Vos collègues sénateurs Christian Cambon et André Vantomme soulignaient ainsi, dans leur rapport de 2011 consacré à l’AFD, que les aides déliées donnent accès à des marchés autrement plus importants que ceux financés par la seule aide française. Alain Joyandet, alors secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie, déclara quant à lui : « après étude, les sociétés tricolores profitent plus de l’argent des autres que les autres de l’aide française ».
L’utilisation de ce pot commun est très spécifique à la France. La part de l’aide multilatérale y a ainsi considérablement augmenté avec le temps, puisqu’elle représentait 3,3 % de l’aide totale versée par la France en 1963, 14 % en 1974, 22 % en 1990 et 43 % en 2015. Une telle proportion s’explique par des amitiés historiques qui avantagent la France dans certains appels d’offres. Alors que la part de l’aide multilatérale dans l’aide au développement ne dépasse pas les 20 % pour des donateurs aussi importants que les États-Unis, l’Allemagne et le Japon, elle atteint ainsi le double pour la France et le Royaume-Uni, certainement en lien avec l’histoire coloniale de ces deux pays.
Depuis 1923 et la parution du livre d’Albert Sarraut, alors ministre des colonies, l’aide se définit par le binôme solidarité-influence. Manifestement – c’est en tout cas notre conclusion, après dix années de travail, plus de 1 000 entretiens réalisés et de nombreuses archives consultées –, l’influence écrase la solidarité. On peut d’ailleurs s’étonner qu’au sein du programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, l’enveloppe allouée aux Jeunes experts associés contribue en réalité à priver de postes les ressortissants des pays concernés, en contradiction avec l’intitulé même du programme.
Si cette solidarité ne correspond pas à grand-chose – et ne l’a jamais fait –, elle se manifeste tout de même dans la part de l’aide qui reste dans le pays bénéficiaire. Je me réfère ici à un tableau conçu dans les années 1998-2000, à l’époque de la réforme de la coopération, par MM. Jacquemot et Hennekine, qui incarnaient respectivement la logique de développement et la logique de retour. La part relevant de la solidarité concernait toute la dimension réellement locale de l’aide, notamment la création d’emplois et de richesses sur place. On retrouve la même logique à l’article 1er de la loi de programmation du 4 août 2021, aux termes duquel le premier objectif de l’aide publique au développement est de lutter contre la pauvreté.
Il s’agit maintenant d’être plus précis et d’aller plus loin, aussi bien sur le plan bilatéral que sur le plan multilatéral – car le second reflète le premier : les travaux de Maurice Bertrand montrent clairement que ce sont les États qui mènent la danse dans les organisations interétatiques et chacun sait que le secrétaire général des Nations unies est davantage secrétaire que général. Cela suppose de séparer les notions de solidarité et d’influence et de s’efforcer, où que l’on soit, d’améliorer la qualité de l’aide – car c’est là que réside le problème, plus que dans la quantité.
Les enjeux sont énormes. Les questions de l’emploi et de la démographie en Afrique sont fondamentales. J’ai eu l’occasion de dialoguer avec un petit entrepreneur en Mauritanie, il y a deux ou trois mois. Il souhaitait agrandir son affaire et recruter quelques personnes. J’ai essayé de contacter l’AFD, j’ai frappé à plusieurs portes : je n’ai pas obtenu de réponse. C’est un vrai problème !
Nous sommes très en retard : l’appropriation figure dans la déclaration de Paris de 2005 et la localisation dans le Grand Bargain d’Istanbul de 2016. Nous sommes plutôt dans la politique de l’offre, dont on voit bien les conséquences.
Enfin, je ferai référence à deux personnalités qui ont marqué l’aide au développement et qu’il conviendrait de relire : André Postel-Vinay, qui a été directeur de la Caisse centrale de coopération économique, et Jean Audibert, qui a été directeur de cabinet de Jean-Pierre Cot. Tout ce qu’ils ont écrit est très actuel.
M. le président Bruno Fuchs. Pourriez-vous nous préciser ce que signifie un taux de retour de 80 % ? Par ailleurs, sur quel sujet et par rapport à qui sommes-nous en retard ?
M. Philippe Marchesin. Le taux de retour est une expression que l’on entend relativement peu mais qui est fondamentale. Selon Yvon Bourges, ancien secrétaire d’État à la coopération, les études les plus sérieuses estiment que 80 % des sommes affectées à l’aide au tiers-monde reviennent dans le pays donateur sous forme de salaires, de commandes passées à ses entreprises, de réinvestissement d’économies personnelles et de bénéfices d’entreprises. Le retour dans l’économie française peut prendre la forme de contrats de consultants et d’achats d’équipements.
Le retard porte sur les concepts d’appropriation et de localisation. Pourtant, les anthropologues ont expliqué qu’on ne développe pas : on se développe. Selon l’universitaire suisse Gilbert Rist, le développement est un phénomène intransitif et non transitif : je me développe, on se développe. Depuis le point 4 de Truman, en 1949, on développe quelqu’un ou quelque chose, et ce n’est pas du tout la même chose.
L’autonomie et le local me semblent fondamentaux. Or la proportion de l’aide qui va dans ce sens est très faible.
M. Kevin Goldberg, directeur général de Solidarités international. Près de 400 millions d’enfants vivent dans des zones de conflit ou appartiennent à des familles ayant fui ces zones de conflit, soit à peu près un enfant sur cinq dans le monde. Fin 2024, on comptait 61 conflits, soit le niveau le plus haut depuis 1946, et quelque 240 000 morts de conflits violents et de violences politiques. Les membres de notre organisation affrontent cette réalité au quotidien dans des pays où l’instabilité est forte, voire extrême, où les crises s’enchaînent – épidémies, catastrophes climatiques, violences, effondrement économique – et où il est particulièrement difficile de redonner aux populations un semblant d’avenir.
Je vous parle en tant qu’acteur de bout de la chaîne. Solidarités international, fort de ses 2 600 salariés, intervient dans vingt-cinq pays avec un budget d’environ 170 millions d’euros, dont près d’un quart est issu de l’aide publique au développement française.
Je prendrai un exemple concret : le Liban, où nous intervenons depuis 2013 à la suite de l’exode massif des Syriens et où plus de 1,5 million de réfugiés manquent de tout. Ce pays a ensuite connu toute une série de catastrophes – crise économique, explosion du port de Beyrouth, affrontements à la frontière israélienne ayant entraîné plus de 900 000 déplacés. Notre organisation intervient pour assurer l’accès à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement, et apporte des moyens de subsistance. Nos financements sont en partie multilatéraux. Ainsi, nous agissons dans plusieurs camps de déplacés syriens grâce à des dotations du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF). Or ce financement s’arrête à la fin de l’année car l’UNICEF l’avait obtenu du bailleur américain, lequel a décidé d’y couper court. Je pourrais multiplier les exemples de lieux où nos financements sont en péril.
Il est intéressant de se concentrer sur la réalité concrète du patchwork de fonds que nous, opérateurs du dernier kilomètre, gérons au quotidien. Une dizaine d’acteurs financent nos opérations au Liban, dont l’UNICEF, le Centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui intervient de façon agile et rapide quand une nouvelle crise émerge, l’AFD pour des projets de réduction des risques de catastrophe et d’adaptation au changement climatique, le fonds commun libanais pour les réponses humanitaires, la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) allemande, Echo et quelques autres organisations européennes – et le Liban est loin d’être l’un de nos plus gros pays en volume d’activité. Notre rôle est de trouver une forme de complémentarité entre toutes ces sources de financement pour répondre à l’urgence et développer les zones les plus fragiles.
Le système multilatéral joue un rôle majeur car c’est grâce à lui que les acteurs humanitaires disposent de normes. Quand nous intervenons dans un camp de déplacés au Liban, nous appliquons les standards Sphère, qui sont l’équivalent des normes de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) dans le monde de l’entreprise. Nous savons combien de litres d’eau il faut donner à tel ménage, à quoi doit ressembler un campement, comment l’assainissement doit être géré, comment éviter les risques de maladie. Les organisations multilatérales ont également permis l’élaboration d’un langage commun avec la définition des objectifs de développement durable. Enfin, leur rôle diplomatique est fondamental car nous, acteurs de la société civile, n’avons pas la capacité de contraindre un État à ouvrir des voies d’accès pour permettre à nos équipes de délivrer l’aide humanitaire.
Toutefois, le monde du multilatéralisme fait face à une crise de financement profonde. La baisse des ressources de l’aide publique au développement est estimée à 20,7 % en un an. Cela représente 60 milliards d’euros : 40 milliards sont directement liés à la baisse du financement américain, 20 milliards au choix de grands pays donateurs, dont la France. Et, malgré tous les efforts de priorisation auxquels nous nous astreignons, il y a des limites que nous ne pourrons pas dépasser : on ne pourra pas faire plus avec moins.
Je voudrais illustrer de façon très concrète les conséquences de cette baisse de financement. Au Tchad, en raison de la guerre qui sévit au Soudan, près de 3,6 millions de personnes sont identifiées comme ayant besoin d’une aide vitale. Après les différentes coupes budgétaires, nous n’arriverons à toucher que 14 % d’entre elles, laissant de côté plusieurs millions de personnes qui n’auront pas accès à l’eau.
Dans ce contexte de grave crise du secteur de l’humanitaire et du développement, la reconfiguration des acteurs multilatéraux nécessite de trouver une véritable complémentarité. Chacun doit jouer pleinement son rôle. Pour les organisations non gouvernementales (ONG) internationales, il s’agit d’être présentes sur le dernier kilomètre et de travailler de façon étroite, au moyen de partenariats équitables, avec les acteurs locaux et nationaux capables de faire la différence à long terme. Pour les organismes internationaux tels que les grandes agences des Nations unies, il s’agit d’assumer pleinement leur rôle normatif et d’organisation logistique à grande échelle, sans chercher à remplacer les intervenants du dernier kilomètre.
Enfin, Coordination SUD – Solidarité Urgence Développement –, organisation qui rassemble une grande majorité des associations de solidarité internationale en France, a mené une étude, dont les résultats seront très prochainement publiés, sur l’impact des différentes coupes et de la baisse de l’APD sur les ONG françaises : 94 % d’entre elles indiquent que leur capacité d’action est fortement menacée ; 44 % sont dans l’incapacité de compenser la perte de financement auxquelles elles font face ; 5 000 postes vont être supprimés – l’ONG que je dirige est en plein plan de sauvegarde de l’emploi. Cette baisse affectera la stabilité, la paix, le développement et notre capacité à faire face aux défis mondiaux.
Pour conclure, une étude parue dans The Lancet estime à 14 millions le nombre de morts supplémentaires que la baisse de l’aide publique au développement américaine provoquera d’ici 2030 ; la même étude pourrait être faite sur la baisse des financements d’autres acteurs. Je vous invite donc tous et toutes, en votre qualité de législateurs, à envisager la suite de façon un peu différente. Il n’y a pas beaucoup de raisons pour que le budget de l’aide publique au développement française soit celui qui fasse le plus les frais des coupes liées au déficit budgétaire.
M. le président Bruno Fuchs. Je cède la parole aux orateurs des groupes politiques.
Mme Eléonore Caroit (EPR). Je remercie l’ensemble des intervenants pour cette table ronde consacrée à un enjeu aussi essentiel que stratégique, en particulier M. Goldberg, qui nous a accueillis, il y a quelques semaines, au siège de Solidarités international, à Clichy.
Je voudrais lancer une alerte. Après cinq années consécutives de hausse et un engagement très fort de notre Assemblée, en particulier avec la loi du 4 août 2021, nous assistons à une baisse drastique de l’enveloppe dédiée à l’aide publique au développement. Cette division par trois en trois ans n’est pas un simple ajustement budgétaire : c’est une rupture dont les conséquences sur le terrain, sur nos partenariats, mais aussi sur l’influence de la France à l’international, sont très fortes.
Les ONG françaises subissent ces coupes de plein fouet. Pourtant, elles sont reconnues pour leur efficacité et, dans des zones où nos marges de manœuvre diplomatiques se réduisent, elles sont souvent les seules à pouvoir continuer à agir, à créer un lien humain et politique là où nos ambassades et nos coopérations ne peuvent parfois plus intervenir.
Réduire notre aide publique au développement, c’est affaiblir le réseau d’influence patient et discret qui fait la force de la France. C’est aussi et surtout courir le risque de laisser d’autres puissances imposer leur modèle. Dans ma circonscription, en Amérique latine, la présence de la Chine est visible et la coopération est en réalité son bras armé. La Russie renforce également sa présence dans des régions fragiles, avec des conséquences géopolitiques majeures. Sur le terrain du développement, la compétition est autant stratégique qu’économique. Un retrait de notre part enverrait un message désastreux, celui d’une France qui renoncerait à agir et se détournerait du monde au moment où celui-ci devient plus instable.
Il faut penser l’aide publique au développement comme un investissement parce qu’elle a un effet démultiplié : elle prévient des crises migratoires ; elle limite l’extrémisme ; elle soutient nos entreprises à l’international ; elle contribue à la stabilité des régions dont dépend notre sécurité. Préserver l’APD me semble donc une nécessité. Toutefois, elle est parfois mal comprise par l’opinion publique, qui la perçoit comme diffuse et pas assez efficace. Si vous deviez identifier des priorités, quel message enverriez-vous aux Français ? Quelles recommandations concrètes donneriez-vous aux législateurs que nous sommes pour réconcilier les Français avec l’APD ?
M. Kevin Goldberg. Les Français restent très attachés à l’action de la France à travers son aide publique au développement. Tous les sondages montrent qu’ils sont fiers de savoir que leur pays intervient dans les contextes de crise et dans les grands défis mondiaux.
Les différents gouvernements ont effectué le travail de définition des priorités. Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) a défini une stratégie en matière de développement et la loi de 2021 a rappelé que l’aide publique au développement avait pour objectifs la défense des biens publics mondiaux, la lutte contre l’extrême pauvreté et l’accès aux services essentiels des personnes en situation de crise. Il me semble que les Français se reconnaissent dans ces priorités.
M. Philippe Marchesin. Si 65 % des Français déclarent soutenir l’aide publique au développement, on découvre en lisant le même sondage que les deux-tiers ne savent pas ce que c’est ou en donnent une mauvaise définition. Mais peu importe : l’important est qu’ils expriment leur soutien.
Il faut véritablement séparer la solidarité et le commerce extérieur, en distinguant – ce n’est pas très compliqué – l’éducation de base, la santé primaire, la création d’emploi local, etc. Cela devient urgent parce que le défi est à nos portes. Ce n’est pas une question de quantité : la France a été numéro 1 mondial de l’aide publique au développement dans les années 1960. Elle versait alors 1 % de son produit national brut (PNB) à l’aide au développement mais il faut préciser que 50 % de cette aide partait alors dans les départements et territoires d’outre-mer (Dom-Tom).
M. William Roos. L’ensemble des actionnaires de la BERD sont en attente d’exemples précis pour montrer à leur population que l’argent, loin d’être gâché, permet de financer des projets de développement des pays, avec une présence locale forte de l’AFD, pour la France, et de la BERD. Il convient également de montrer que nous faisons tous beaucoup d’efforts pour optimiser l’usage des ressources budgétaires.
Par ailleurs, il est légitime qu’un actionnaire ou un donateur attende une forme d’influence. Tout comme la filiale de l’AFD Proparco, la BERD est à l’écoute des entreprises françaises et les accompagne dans les pays où elle opère ; je tiens à votre disposition des chiffres sur ce sujet. L’influence va même au-delà des impacts économiques : ainsi, en Côte d’Ivoire, la présence de l’AFD est reconnue sur place, non seulement par les ministères mais aussi par les populations.
La France exerce également une influence directe à la BERD et dans l’ensemble des institutions multilatérales. Alors que l’Ukraine représente un enjeu majeur de sécurité pour l’Europe, des actionnaires comme la France ont une véritable capacité de demander aux institutions multilatérales d’agir dans ce contexte fragile – la BERD en a fait la démonstration.
De même, il y a quelques années, la France a eu recours à la Banque mondiale pour bénéficier d’un effet levier sur le financement de projets dans le Sahel. Est-ce que cela a marché ? C’est un autre sujet. Mais la France a usé de sa réelle influence auprès de la Banque mondiale pour accroître son action dans les pays sahéliens.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Le contexte international de l’aide au développement est très préoccupant, comme le montrent le retrait des États-Unis et les coupes considérables auxquelles ils ont procédé dans leur programme de développement international USAID. Ces suppressions vous ont fait dire, monsieur Goldberg, que cet arrêt brutal allait causer des morts dans de très nombreux pays : vous en aviez cité six au lendemain de l’annonce. En juillet, une étude de la revue médicale The Lancet a lancé l’alerte : 14 millions de personnes supplémentaires risquent de mourir d’ici 2030 si l’on ne fait rien pour compenser le retrait des États-Unis et si l’on n’agit pas au niveau international pour reconstruire une solidarité internationale.
Vos différentes interventions prouvent qu’il y a un problème. Monsieur Roos parle business et développement des entreprises. C’est certes très important mais ce n’est pas la même chose que la solidarité et l’aide au développement. Cette confusion nuit sérieusement à notre politique extérieure. Il serait temps, en tant que parlementaires et responsables politiques, de séparer ces deux actions qui n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est de perpétuer une vision colonialiste des pays qui ont besoin de notre solidarité.
Le seul chiffre que nous devons retenir ici, car il est le plus important, c’est celui du taux de retour : tout ce que nous donnons, nous le récupérons à hauteur de 80 %. Tout ce que nous prétendons donner en solidarité à travers les mécanismes d’aide au développement nous revient directement via les entreprises françaises et les salaires de Français ou d’Européens qui vont travailler dans les pays qui en ont besoin. Cela nous rappelle un peu le Kosovo, qui était une caricature du pire de ce que l’on est capable de faire dans ce domaine, avec des salaires exorbitants pour les humanitaires tandis que les gens ne voyaient pas l’argent de la solidarité internationale arriver.
Dans mon rapport sur les relations entre la Chine et l’Union européenne, j’ai proposé la création d’un mécanisme pérenne, placé sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU). Il permettrait à une agence de mutualiser et de sanctuariser les financements, et de planifier leur utilisation avec des organisations comme celle que vous représentez, monsieur Goldberg. Alors qu’aucun pays ne peut se substituer aux États-Unis d’Amérique, ces organisations ont une expertise indispensable à la réussite de l’aide au développement et de la solidarité.
Quel regard portez-vous sur un tel projet de refondation, qui permettrait, sous l’égide de l’ONU, d’agir indépendamment de ces intérêts ? Cela n’empêcherait pas les pays de développer le business de leurs entreprises – le commerce extérieur est d’ailleurs un sujet qui m’intéresse beaucoup.
Quelles solutions proposez-vous dans l’immédiat pour remédier au désengagement américain, français et européen ? Les Français se sont en effet largement désengagés : c’est le poste budgétaire qui a subi la baisse la plus importante entre 2024 et 2025.
M. William Roos. J’ai commencé par insister sur l’importance de l’impact que nos actions peuvent avoir dans les pays partenaires. Ils sont présents au conseil d’administration de la BERD. Les stratégies pays sont coconstruites entre les équipes de cette dernière et le pays concerné, puis discutées avec l’ensemble des actionnaires.
L’objectif des projets n’est pas le taux de retour – je voulais juste montrer ce que nous pouvons apporter aux actionnaires – mais bien l’impact dans les pays. Au Maroc ou ailleurs, quand nous soutenons des petites entreprises en investissant directement dans leur capital ou en leur faisant des prêts, nous ne poursuivons pas un objectif colonialiste : nous cherchons à développer le secteur privé pour créer de l’emploi et dynamiser l’économie. En Ukraine, nous soutenons les entreprises publiques pour reconstruire les infrastructures, pour leur fournir des liquidités, etc. Nous sommes véritablement tournés vers le pays d’opération.
Cela étant, je comprends cette demande de clarification. Il existe une tension chez les actionnaires entre, d’un côté, l’enjeu de la solidarité, avec des partenariats internationaux et, d’un autre côté, le souhait d’accompagner leurs entreprises. Cela ne concerne pas uniquement les entreprises des pays occidentaux : nous accompagnons des entreprises turques, marocaines et autres dans les autres pays. Il est assez naturel de poursuivre ces deux objectifs.
M. le président Bruno Fuchs. Il y a deux grandes approches : les dons et les prêts ; la France privilégie largement la seconde. Votre organisation, monsieur Goldberg, bénéficie plutôt de dons, j’imagine.
M. Kevin Goldberg. Absolument. Notre association se concentre sur les zones où les crises sont très sévères et sur celles qui sont particulièrement fragiles, qui sont recensées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) chaque année.
Si l’on adopte une approche commerciale, on se dit que le développement doit d’abord être économique. Mais la réalité des pays fragiles et très fragiles, c’est qu’ils ne reçoivent que 1 % de l’investissement direct étranger, alors que plus de 20 % de la population mondiale y réside. Le levier économique ne suffira donc pas à les faire sortir de la crise.
En tant qu’acteurs de l’urgence et du relèvement après les crises, nous intervenons via les dons : ce que nous faisons n’a pas de modèle économique. Quand on distribue de l’eau à des personnes qui ont tout perdu, qui ont parfois été blessées lorsqu’elles fuyaient un conflit, on ne peut que leur donner cette eau. Cela ne nous empêche pas d’entrer aussi vite que possible dans une logique de recouvrement des coûts : dès que la crise commence à se stabiliser, nous essayons d’aider nos partenaires locaux à recouvrer certains coûts.
Par ailleurs, nous sommes de plus en plus souvent amenés à mettre à disposition des moyens financiers, sous la forme soit de billets de banque, soit de moyens électroniques de paiement. C’est ce que fait beaucoup le Programme alimentaire mondial (PAM) à Gaza en ce moment, du fait des difficultés d’accès à ce territoire. Ce cash est un moyen de relancer l’activité économique locale, et donc de permettre à des commerçants locaux de retrouver un peu d’activité.
Il me semble essentiel que les grandes masses de l’aide publique au développement se concentrent sur les pays dits les moins avancés, c’est-à-dire les plus pauvres, la cible étant, je le rappelle, la moitié de l’aide.
M. Philippe Marchesin. Vous proposez d’impliquer les Nations unies. Je me souviens que Serge Michailof, expert reconnu, avait mis en cause l’ONU devant cette commission ; je connais même des gens très intéressants qui remettent en cause les ONG, car celles-ci ont tendance à faire du top down plutôt que du bottom up…
Votre idée est tout à fait pertinente mais c’est l’intention qui compte : on peut faire des choses intéressantes d’où que ce soit. Lisez André Postel-Vinay ou Jean Audibert, auxquels je faisais référence : cela va dans la bonne direction, et cela vient de l’administration française.
Mme Dieynaba Diop (SOC). Dans notre monde de crises et d’inégalités en hausse, l’aide publique au développement doit jouer un rôle fondamental : c’est un outil de paix, de stabilité mais aussi d’influence. J’étais sur le terrain avec Action contre la faim quand a été annoncé le démantèlement d’USAID, décidé unilatéralement par Donald Trump : nous avons mesuré la gravité de cette décision. Vous l’avez dit, ce sont 14 millions de personnes qui risquent de mourir si cette aide n’est pas remplacée. C’est bien de sauver des vies humaines que nous parlons.
La France a, vous l’avez aussi rappelé, sa part de responsabilité : le budget de l’APD est celui qui a subi les coupes les plus importantes, malgré l’engagement pris de consacrer 0,7 % de notre richesse nationale à la solidarité internationale. Depuis 2023, les coupes sont drastiques, malgré la belle majorité qui s’y est opposée au sein de cette commission. Quant à l’extrême droite, elle critique l’aide publique au développement et répand de fausses informations.
Comment pouvons-nous être à la hauteur de nos engagements ? Comment vous soutenir, vous qui agissez sur le terrain ? Qu’attendez-vous des bailleurs ?
M. Kevin Goldberg. Nous connaissons une forte restriction de nos moyens et, tant en raison de son histoire que de la trajectoire qu’elle s’est fixée, la France peut peser sur la façon dont l’aide est utilisée. Madame Chikirou évoquait les canaux multilatéraux et leur capacité à être dépolitisés : ils existent mais ils ne reçoivent pas assez de fonds, alors que leurs frais de gestion sont très faibles. A contrario, dans certains schémas, des cascades d’intermédiaires entraînent des frais de gestion très importants, donc un faible montant d’aide effectivement distribué.
La cible de 0,7 % est désormais lointaine mais reste un cap nécessaire à mon sens.
Enfin, il y a l’après-objectifs de développement durable (ODD) : ces objectifs de développement durable étaient fixés pour 2030 et nous y arrivons très vite ; ils ne seront pas atteints mais ils donnaient une cohérence à beaucoup de politiques et d’instruments financiers. Des questions se posent donc pour la suite et il me semble que la France a là un rôle à jouer.
M. Philippe Marchesin. Je pense avoir montré que l’APD était plutôt une bonne affaire pour la France. En ce qui concerne les critiques sur l’aide à l’Algérie, par exemple, on parle de 120 millions d’euros en bourses : cela renforce la francophonie, c’est donc bon pour la France. De même, les 192 millions d’euros alloués au Brésil reviennent beaucoup à la France, soit parce qu’il s’agit de prêts, soit parce qu’ils vont à la francophonie. Il n’y a pas grand-chose à enlever, je crois.
N’oublions pas que l’AFD réalise 260 millions d’euros de bénéfices : les critiques qui lui ont été adressées auront au moins permis qu’elle dise ces choses qu’elle ne dit pas habituellement.
Monsieur Goldberg évoquait le développement durable : les besoins sont importants dans les pays pauvres. Certes, comme le dit Rémy Rioux, « nous sommes tous des pays en développement durable », mais les pays riches ne doivent pas pour autant tirer la couverture à eux.
J’ai entendu quelqu’un à Noël, au Tchad, à qui l’on demandait quels étaient ses souhaits : il espérait, disait-il, revenir à la pauvreté car il était passé en dessous.
M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). L’aide au développement est en péril, cela a été dit. Bien sûr, il y a la suppression de l’USAID et une baisse globale de 60 milliards de dollars. Mais la France a sa part de responsabilité puisqu’elle a réduit son budget d’aide au développement de plus d’un tiers. Nous sommes loin de l’engagement des 0,7 % pourtant réitéré récemment à Séville.
L’enjeu est aussi qualitatif : l’aide au développement doit être repensée en profondeur. D’abord, elle comprend essentiellement des prêts, alors que les pays du Sud connaissent leur pire crise de la dette ; leur situation de dépendance est insoutenable : on parle d’États qui consacrent 40 % de leur budget national à la dette. Ensuite, quand les États s’entendent pour alléger des dettes, les créanciers privés n’assument pas leur part de responsabilité. Il faut aussi lier la question de la dette à celle de la justice fiscale internationale.
Notre responsabilité collective est de faire en sorte que l’aide publique au développement redevienne un levier d’émancipation. Comment en repenser la gouvernance et les instruments pour qu’ils cessent d’entretenir les logiques d’endettement et de dépendance ? Quel mécanisme pourrait contraindre les créanciers privés à jouer le jeu de la solidarité internationale ?
M. William Roos. Je partage le constat que de nombreux pays présentent des vulnérabilités importantes parce que leur dette est élevée et leurs coûts de financement importants. Il me paraît important, comme le disait monsieur Goldberg, de concentrer les dons sur les pays les plus pauvres. On comprend que la BERD arrive après.
Dans mon précédent poste, j’ai participé à des restructurations de dettes en Éthiopie, au Ghana, en Zambie et je peux vous dire que les créanciers privés – fonds d’investissement, banques commerciales… – doivent faire un effort au moins aussi important que ceux consentis par les créanciers souverains comme la France.
La réforme de la gouvernance est un débat présent dans toutes les institutions multilatérales. Les pays d’opération, les pays partenaires, sont présents au conseil d’administration. On peut légitimement se demander s’ils doivent occuper plus de place, par rapport à leur poids économique par exemple.
Dans les pays dont l’endettement souverain est élevé, il est essentiel d’agir directement auprès du secteur privé : c’est ce que font Proparco, pour la France, ou la BERD – 80 % de notre activité est tournée vers le secteur privé. C’est une manière d’éviter un excès d’endettement.
Les institutions multilatérales comme l’AFD ont des principes d’endettement responsables. Elles ne contribuent pas à l’excès d’endettement.
M. Philippe Marchesin. La dette est en partie comptée dans l’aide au développement alors que l’on peut trouver des textes d’anciens ministres du budget, comme Michel Charasse ou Henri Emmanuelli, qui disent clairement que certains montants de dette n’ont rien à faire dans l’aide publique au développement.
Concernant la gouvernance, je crois qu’il faut absolument donner la main au local. Je n’entends pas beaucoup parler des fameux conseils locaux de développement, pour lesquels vous avez légiféré en 2021. Le conseil présidentiel du développement reste très opaque également.
Donner la main au local, ce n’est pas facile : celui qui paye a le réflexe de vouloir commander. Un excellent livre de M. Naudet s’intitule Trouver des problèmes aux solutions. Vingt ans d’aide au Sahel. Les solutions, ce sont les budgets ; les problèmes, ce sont les projets qui leur correspondent. Mais ce sont les financeurs qui trouvent les projets, qui conçoivent, qui évaluent, bref qui font tout. Or le local doit être impliqué ; tant que l’on restera dans ce que l’on appelle dans ce domaine la « politique de l’offre » – c’est-à-dire tant que le donateur garde la main –, cela ne marchera pas. L’appropriation par les populations est un sujet fondamental.
M. Frédéric Petit (Dem). Je me réjouis de l’organisation de ce débat, dont j’espère qu’il sera le premier d’une série.
Je conteste que les conseils locaux de développement ne soient pas au travail : en tant qu’administrateur de l’AFD, je les vois : ils bossent ; ils réunissent beaucoup de gens.
Je voudrais pousser un coup de gueule : certains de nos collègues mentent, entretiennent la confusion pour remporter des petites victoires dans notre petit pays, se moquent de gens auxquels il faudrait au contraire rendre hommage. Vous êtes, vous, au front du combat mondial.
Vous avez parlé de « patchwork » ; les citoyens sont capables, je crois, de comprendre la complexité de l’aide publique au développement. Il ne faut pas avoir peur d’expliquer, même si cela ne passe pas sur certains plateaux télé. Et il ne faut pas tout confondre : nous ne récupérons pas 80 % de ce que nous donnons. Ce chiffre porte sur les montants prêtés. Quant à l’AFD, elle ne peut pas gâcher de l’argent public : elle n’en utilise que très peu, et seulement des montants fléchés. L’AFD fait son métier de banquier mais c’est en effet une banque vertueuse ! Et elle gagne de l’argent, qui revient in fine au budget.
Il ne faut pas confondre capital et dépense : quand nous sommes actionnaires de la BERD, nous ne dépensons pas d’argent. Le capital est une richesse, pas une dépense !
Il ne faut pas confondre crise et développement. Bien sûr, il faut être beaucoup plus agile. Mais on ne peut pas comparer 20 millions donnés à une ONG qui est au front des combats mondiaux et 20 millions qui ne sont pas donnés pour retaper un château en France ! C’est absurde et nos concitoyens sont capables de le comprendre.
J’en viens aux chiffres. L’aide au développement inscrite dans le budget, c’est 0,1 % ; ce ne sera jamais 0,7 %. Les programmes 209, Solidarité à l’égard des pays en développement, et 105, Action de la France en Europe et dans le monde, représentent entre 1 et 2 milliards d’euros. L’AFD mobilise, elle, 14 milliards, environ dix fois plus. L’aide publique au développement de la nation française s’élève au total à 18 ou 20 milliards d’euros, et elle n’est pas seulement budgétaire. Monsieur Roos, pourriez-vous confirmer ces chiffres ?
M. William Roos. Ma compétence vient ici plutôt de mes précédentes fonctions : je peux confirmer que l’effet de levier que vous évoquez est très important.
Pour constituer le capital de la BERD, les actionnaires, dont la France, ont versé 6 ou 7 milliards d’euros ; ce capital est aujourd’hui plutôt de 20 à 30 milliards. Les profits réalisés chaque année ont été réinvestis. Notre système est donc vertueux : nous levons des fonds sur les marchés internationaux, puis nous prêtons à des pays à des taux plus bas que s’ils se finançaient eux-mêmes, mais nous réalisons tout de même une marge que nous réinvestissons.
Il y a un deuxième effet de levier : nous pouvons mobiliser des capitaux privés, en cofinancement.
Enfin, l’AFD comme la BERD s’efforcent d’agir sur les institutions et pas uniquement projet par projet : il s’agit d’améliorer l’environnement des affaires, la gouvernance des entreprises publiques ou d’aider les petites et moyennes entreprises à accéder aux capitaux nationaux et régionaux. C’est un travail mené avec les pays concernés eux-mêmes : il n’y a là rien de colonial. C’est un troisième effet de levier.
Dans le budget français, les lignes budgétaires représentent soit des dons – en faveur de l’éducation, de la santé, etc. –, soit des bonifications, c’est-à-dire des réductions de taux d’intérêt. Mais les flux financiers mobilisés ensuite sont bien plus importants que les dotations budgétaires, grâce à ces effets multiplicatifs.
C’est d’ailleurs pour cette raison que les États-Unis continuent d’adhérer à notre action.
M. Kevin Goldberg. Même s’agissant des dons, il ne faut pas négliger un élément économique : le coût de la non-action. On ne dit pas assez ce qu’il en coûte de ne pas agir contre les pandémies et contre les conflits. On estime que le coût des crises, de la violence, des guerres représente entre 13 % et 15 % du produit intérieur brut (PIB) mondial.
M. le président Bruno Fuchs. Avant de vous donner la parole, monsieur Bigot, je signale que vous avez publié ce week-end une vidéo qui tourne en dérision certaines actions d’aide au développement : en tant que rapporteur pour avis sur les crédits de la mission Aide publique au développement, l’usage aurait voulu que vous présentiez d’abord vos conclusions à la commission.
M. Guillaume Bigot (RN). Non seulement cette vidéo n’a rien à voir avec mon avis budgétaire mais, en la publiant, je fais usage de ma liberté d’expression de citoyen et de parlementaire français.
Je ne vais pas me lancer dans une harangue, ni d’ailleurs traiter en général de l’aide publique au développement. Nous parlons ce matin de la partie multilatérale de l’aide au développement et je m’en tiendrai à ce sujet.
Le groupe que je représente n’est pas le porte-parole de Donald Trump et nous ne souhaitons pas geler mais au contraire sanctuariser ce qui relève de l’aide d’urgence, de l’aide humanitaire, de l’aide alimentaire.
L’aide multilatérale au développement, vous le savez bien, c’est beaucoup plus large que cela. Nombre d’acteurs, à commencer d’ailleurs par M. Rioux, nous expliquent à longueur de temps que l’AFD n’a pas vocation à mener l’action humanitaire française.
L’aide multilatérale de la France, directe et indirecte, n’a jamais fait l’objet d’une véritable procédure de consentement à l’impôt au sens de l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. La loi de 2021, votée à l’unanimité, exigeait que l’APD française multilatérale ne dépasse pas 35 % du total de l’APD pour la période allant de 2022 à 2025. Or le projet de loi de finances pour 2024 montre que l’aide multilatérale pèse plus de 40 %.
Depuis 2017, en particulier sous l’effet d’initiatives personnelles du président de la République, les versements de la France à plus de 271 organisations et fonds multilatéraux – notamment des contributions volontaires – ont explosé pour représenter plus de 25 milliards d’euros, soit presque 6 milliards par an, dans le contexte budgétaire que nous connaissons tous.
Au-delà de ce problème grave de consentement à l’impôt, cette générosité multilatérale me semble un échec. Il faut lire les rapports accablants de la Cour des comptes européenne, qui donnent des exemples de gabegies stupéfiants ; vous les considérez peut-être comme des caricatures mais je fais, moi, confiance aux rapporteurs. Les rapports des Nations unies eux-mêmes montrent qu’à peine 30 % de ce qui est versé arrive réellement aux bénéficiaires. Gabegie et épaisseur technocratique sont insupportables !
L’inefficacité de cette aide multilatérale peut être mesurée sur trois exemples saisissants. En Afghanistan, l’Union européenne a versé par les canaux de l’aide multilatérale plus de 5,1 milliards d’euros depuis 2002, et la France plus de 1,6 milliard, notamment pour favoriser le développement de la société civile et l’égalité entre hommes et femmes. On connaît le résultat. Dans les territoires palestiniens, depuis 2010, on a versé 22,6 milliards de dollars, soit 10 % du PIB de ces territoires, où prospèrent pourtant la corruption, le fanatisme, la violence. Au Soudan du Sud, depuis 2012, on a versé 33 milliards de dollars, soit 20 % du PIB. De l’avis de notre ancien ambassadeur, M. Bader, des régions qui étaient des régions productives d’agriculture et d’élevage sont maintenant clochardisées par les aides du PAM. La Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS) est dépouillée de ses armes et multiplie les catastrophes sanglantes.
Alors qu’on ferme des lits d’hôpitaux dans ma circonscription du Territoire de Belfort et qu’on emprunte pour payer nos fonctionnaires, comment justifier ces dépenses non consenties et terriblement peu efficaces ? N’est-il pas temps de repolitiser l’aide au développement, notamment multilatérale ?
M. le président Bruno Fuchs. En Afghanistan, c’est l’instabilité politique qui a rendu l’aide publique au développement inopérante.
M. Guillaume Bigot (RN). Lorsque cette aide finance la promotion des femmes ou de la société civile et que, au bout du compte, le régime des Talibans s’impose, force est de constater qu’elle a échoué.
M. le président Bruno Fuchs. Ce n’est pas lié.
M. Guillaume Bigot (RN). Quand des fonds publics financent des programmes qui ont pour objectif de démocratiser un pays et que l’on aboutit à un tel résultat, l’échec est patent.
M. le président Bruno Fuchs. Lorsqu’un coup d’État intervient au Mali, c’est un échec politique, ce n’est pas celui de l’aide au développement.
M. Guillaume Bigot (RN). Si l’on parle de l’aide médicale, par exemple, c’est vrai. En revanche, le lien est évident s’agissant de l’aide en faveur de la bonne gouvernance ou de l’égalité hommes-femmes.
M. Frédéric Petit (Dem). En Palestine, l’argent qui a permis d’éduquer trois générations de femmes en quinze ans n’est pas perdu. Ces femmes sont écrasées par des dingues, certes, mais elles existent ! Considérez-vous que le travail effectué pendant des décennies par l’Institut français de Gaza a échoué ?
Mme Dieynaba Diop (SOC). Vos propos sont ahurissants, monsieur Bigot. Comment pouvez-vous affirmer que notre travail d’éducation et de prévention est inutile au motif qu’il peut être anéanti par une crise politique ? Est-ce à dire que les politiques menées en France n’auraient servi à rien si, par malheur, un régime politique devait un jour les remettre en cause ? En fait, vous ne partagez pas les valeurs humanistes du pays des Lumières !
M. Guillaume Bigot (RN). Nous avons aidé des individus, je n’en disconviens pas, et nous avons bien fait. Si je suis favorable à une repolitisation, c’est précisément parce que les structures culturelles, économiques et sociales de ces pays n’ont pas permis que cet effort porte ses fruits sur le long terme. Or on juge un arbre à ses fruits. C’est du bon sens ; cela n’a rien à voir avec les principes universalistes.
M. Philippe Marchesin. La question de la repolitisation peut être posée mais, plutôt que de diminuer l’aide, il s’agit de l’orienter vers ceux qui en ont véritablement besoin. L’enjeu est très important, compte tenu des problèmes démographiques et migratoires notamment. Il faut agir de manière urgente.
M. Kevin Goldberg. Du point de vue de ses coûts d’intermédiation, il est vrai que certaines des composantes du système multilatéral peuvent encore gagner en efficience.
Vous faites, dites-vous, la part des choses entre l’aide humanitaire et les autres types d’aides. Or, au Soudan du Sud, qui est le pays est le plus pauvre au monde, les actions du Programme alimentaire mondial ou de notre organisation visent à assurer la survie de populations affectées par la guerre. L’enjeu est donc bien humanitaire : il s’agit d’aider des individus très vulnérables qui seraient condamnés si nous n’agissions pas.
M. le président Bruno Fuchs. Monsieur Roos, vous avez indiqué que les États-Unis privilégiaient désormais une logique plus transactionnelle que multilatérale. De fait, mon homologue du Congrès m’a confié lorsque je l’ai rencontré à Washington en mars dernier qu’ils fourniraient des vaccins contre le syndrome d’immunodéficience immunitaire (Sida) aux pays avec lesquels ils auraient conclu une transaction commerciale ou qui adopteraient une position claire contre la Chine. En l’espèce, la repolitisation se fait dans l’intérêt non pas des populations mais du pays donateur.
M. William Roos. Au niveau national, il est normal que le Parlement, qui dispose de tous les éléments de l’aide multilatérale et bilatérale, débatte de leurs avantages respectifs. Du reste, les conseils d’administration des institutions multilatérales eux-mêmes discutent de l’efficacité de leurs actions, qui fait l’objet, en tout cas à la BERD, d’une évaluation ex post indépendante.
Il est compréhensible qu’un pays donateur souhaite que les actions soient menées en coordination avec ses ambassades ou permettent à ses entreprises de s’ouvrir à des marchés à l’international mais les institutions multilatérales n’ont pas pour rôle de réaliser des transactions bilatérales. Nous avons la chance, en France, d’avoir une institution comme l’AFD, qui est la plus à même de lier les aspects diplomatiques et les projets de développement français.
Mme Justine Gruet (DR). Quel est le montant des dépenses de l’Agence française de développement affectées, d’une part, à son fonctionnement, d’autre part, à l’investissement dans des projets concrets ? S’agissant de ses recettes, est-on en mesure d’évaluer les retours sur investissement ?
À l’heure où notre pays traverse une crise budgétaire majeure, je m’interroge sur la pertinence de certaines aides au développement. Ainsi, comment justifier les millions d’euros que la France verse à la Chine pour financer des projets de transition écologique ou de développement urbain alors que ce pays fragilise notre souveraineté dans divers secteurs ? Le financement de projets d’inclusion des personnes lesbiennes, homosexuelles, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTQI) en Albanie est-il véritablement une priorité stratégique ? J’entends que ces actions servent nos intérêts à long terme mais leur impact a-t-il été évalué ?
Comment pouvons-nous mieux orienter les aides versées à des pays qui ne sont manifestement plus en développement ? Les projets de plus de 10 millions d’euros pourraient-ils être publiés avec des indicateurs d’impact clairs et accessibles ?
L’aide au développement doit être juste, ciblée, responsable et, surtout, compatible avec nos finances publiques. Il est urgent de redonner du sens à nos dépenses. Gouverner, c’est choisir, parfois renoncer, mais aussi rationaliser notre engagement international.
M. Philippe Marchesin. Je ne dispose pas de chiffres précis concernant l’AFD mais il me semble que, plutôt que les prêts, elle devrait privilégier les dons qui, parce qu’ils s’inscrivent dans le long terme, contribuent véritablement au développement. Je pense à l’éducation et à la santé, par exemple, cruciales dans la lutte contre la pauvreté. Enfin, il faudrait revenir au nouveau paradigme selon lequel il faut faire non plus « pour » mais « avec » l’Afrique.
M. le président Bruno Fuchs. Il est dans notre rôle de nous interroger sur la pertinence des différents programmes. S’agissant de l’Albanie, s’il existe un mandat, il est légitime de financer ce programme. Quant à la Chine, nous lui octroyons des prêts, non des dons. La véritable question qu’il faut se poser est celle de savoir si ces prêts sont pertinents s’agissant d’un pays où la réduction des émissions de gaz à effet de serre peut être très rapide.
M. Guillaume Bigot (RN). Pour la Chine, effectivement, il s’agit désormais de fonds d’origine privée mais il faut quand même rappeler qu’il y a eu des dons d’argent public par le passé.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à présent aux prises de parole et questions intervenant à titre personnel. Nous allons les regrouper et nos invités y répondront successivement et formuleront leur conclusion par la même occasion.
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Pourquoi le financement d’un programme en faveur des droits des personnes LGBT en Albanie ne serait-il pas une priorité ? Ces droits sont universels et la France les défend en tant que tels !
Quelle est la réalité de la politique d’Emmanuel Macron en matière de solidarité internationale ? Du fait des baisses successives de l’aide publique au développement, près de la moitié des ONG de solidarité abandonne des projets internationaux. La contribution à l’UNICEF a été divisée par dix. Quant aux 700 millions d’euros qu’il est prévu de supprimer en 2026, ils permettraient de financer le traitement contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) de 2,5 millions de personnes. La solidarité ne se nourrit pas de mots creux mais d’actes concrets. Que pensez-vous du rétablissement du fléchage de la taxe sur les transactions financières et de celle sur les billets d’avion vers l’aide publique au développement ?
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Dans quelle mesure l’aide au développement française consacrée à l’éducation, notamment dans les pays francophones, est-elle affectée par les coupes en cours ? Monsieur Goldberg, quelles mesures préconisez-vous pour associer les acteurs locaux sur le terrain ? Je ne crois pas que les conseils locaux de développement soient suffisants dans ce domaine.
M. Frédéric Petit (Dem). Madame Gruet, l’AFD est une banque au conseil d’administration de laquelle le Parlement est représenté. Tous les chiffres sont publics. J’ajoute qu’elle réalise des bénéfices ! Dans quelque pays que ce soit, elle finance des objectifs de développement durable. Si, grâce à ces financements, la Chine réduit ses émissions de carbone, nous en bénéficions tous. Enfin, monsieur Taché, c’est le Parlement qui décide de la politique menée en la matière, non le président de la République.
Pour ce qui est de mon ultime question à nos intervenants, qu’en est-il de la réorganisation de la finance mondiale ?
M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Comment faire évoluer la fiscalité internationale en lien avec l’aide au développement ?
Par ailleurs, il ne faut pas avoir peur de la politisation de l’aide mais, s’il s’agit de suivre le modèle trumpiste en croyant que la France redeviendra un petit empire, on se fourre le doigt dans l’œil. Si la France et l’Europe ont une capacité d’influence, c’est parce qu’elles poursuivent des objectifs multilatéraux d’intérêt général. Tout le reste relève d’un rabougrissement national.
M. William Roos. Les conseils d’administration d’instances multilatérales comme la BERD sont très attentifs à l’efficacité des actions menées, efficacité qui est mesurée à l’aide d’indicateurs précis. La pression exercée par les actionnaires dans ce domaine est légitime.
Des efforts importants sont consentis en faveur de la coconstruction avec les partenaires et les entreprises locales.
Enfin, beaucoup de partenaires de la France et de l’Europe attendent d’elles qu’elles restent présentes dans les actions multilatérales en faveur de la solidarité et du climat. La réforme de l’architecture financière internationale doit permettre que la place des grandes économies émergentes corresponde davantage à leur poids économique. Les fonds verticaux, il est vrai nombreux, doivent être rationalisés et doivent mieux travailler ensemble. La pression exercée par la France est utile à cet égard.
M. Philippe Marchesin. La francophonie est bien représentée, en témoigne l’intitulé du secrétariat d’État chargé désormais de la francophonie et des partenariats internationaux et non plus de la coopération et du développement.
Pour conclure, le fait que le Parlement ne discute que de 40 % du budget de l’aide – soit les crédits affectés à la mission Aide publique au développement – me semble une curiosité d’un point de vue démocratique.
M. Frédéric Petit (Dem). La compétence du Parlement est limitée aux programmes budgétaires de l’État. Nous n’avons pas à nous prononcer sur le projet qu’aurait une commune de creuser un puits en Afrique, même si ce projet est comptabilisé dans l’aide publique au développement de la France.
M. Kevin Goldberg. Pour coconstruire nos actions sur le terrain avec les partenaires locaux, nous tentons d’abord de comprendre les dynamiques en cours à partir des données transmises par les acteurs locaux puis nous leur apportons l’expertise technique dont ils ne disposent pas forcément.
En conclusion, je tiens à lancer une alerte. Les premières victimes des baisses de financement actuelles – qui s’élèvent à 600 millions d’euros pour les ONG françaises – risquent d’être les petits acteurs locaux, qui assurent la première solidarité de proximité, et les acteurs de second rang que sont les ONG internationales. Or ce sont ces organismes qui ont l’agilité nécessaire pour concrétiser les politiques menées.
Enfin, nous appelons évidemment au rétablissement des taxes affectées.
M. le président Bruno Fuchs. Merci à tous !
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La séance est levée à 13 h 00.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Michel Barnier, M. Guillaume Bigot, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, Mme Sophia Chikirou, M. Alain David, Mme Dieynaba Diop, M. Bruno Fuchs, M. Michel Guiniot, M. Michel Herbillon, M. Xavier Lacombe, M. Jean-Paul Lecoq, M. Christophe Naegelen, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Jean-François Portarrieu, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Lionel Vuibert
Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, Mme Clémentine Autain, M. Hervé Berville, Mme Christelle D'Intorni, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, Mme Clémence Guetté, Mme Marine Hamelet, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Mazaury, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, M. Davy Rimane, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez, Mme Caroline Yadan, Mme Estelle Youssouffa
Assistait également à la réunion. - Mme Justine Gruet