Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de finances pour 2026 (n° 1906)              2

– Information relative à la commission.......................28


Mardi
21 octobre 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 6

session ordinaire 2025-2026

Présidence
de M. Bruno Fuchs, Président


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La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de finances pour 2026 (n° 1906).

La séance est ouverte à 16 h 35.

Présidence de M. Bruno Fuchs, président.

M. le président Bruno Fuchs. Nous accueillons monsieur Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, que je félicite pour sa reconduction au gouvernement. Nous sommes heureux de poursuivre notre relation de travail avec vous, monsieur le ministre, car vous avez démontré un attachement permanent à associer autant que possible la représentation nationale à votre action, nouant ainsi un lien réel de débat, de dialogue et de confiance. Vous avez ainsi accepté de revenir devant cette commission le 5 novembre prochain, afin d’aborder plus spécifiquement les derniers développements de l’actualité internationale, notre réunion d’aujourd’hui étant consacrée, quant à elle, à la question du budget.

Après des lois de finances pour 2023 et 2024 plutôt satisfaisantes pour les affaires étrangères, celle pour 2025 a inversé la tendance et le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 s’inscrit visiblement dans un contexte de maîtrise des dépenses et de contraintes très fortes, avec des réductions budgétaires attendues. Dans cette épure, les crédits de la mission Action extérieure de l’État resteront toutefois stables, à 3,46 milliards d’euros. Les moyens de notre diplomatie devraient donc être préservés et le schéma des emplois semble plutôt épargné, avec 13 941 équivalents temps plein travaillés (ETPT).

Dans le détail, si le programme 105, Action de la France en Europe et dans le monde, paraît globalement conforté, avec des dotations en hausse de 1,8 %, il en va différemment des programmes 185, Diplomatie culturelle et d’influence, et 101, Français à l’étranger et affaires consulaires, soumis respectivement à des baisses de 7,03 % et 0,97 %. Les dotations inscrites dans le programme 209 de la mission Aide publique au développement se verront, quant à elles, amputées de 435 millions d’euros en crédits de paiement, soit une baisse de 22 %, pour un montant total s’établissant à 1,54 milliard d’euros. Il s’agit d’un effort substantiel, après une année déjà marquée par une forte contraction. Notre commission est attachée à ce que la France reste active dans ce domaine, qui participe de la capacité du pays à rayonner dans le monde et à nouer des interactions avec toutes sortes de publics.

J’ai enfin lu avec intérêt dans la documentation explicative du PLF que le gouvernement entendait expérimenter l’an prochain un dispositif de prêts de l’Agence française de développement (AFD) « bénéficiant directement aux entreprises françaises et reposant sur des procédures de mise en concurrence restreintes à ces entreprises », ce qui fait écho à une demande formulée de longue date par notre commission.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je suis très heureux de vous retrouver alors que s’amorce le dialogue budgétaire, exercice que j’apprécie tout particulièrement puisqu’il nous a permis, au moment où des économies nous ont été demandées par le premier ministre, de jeter ces derniers mois un regard nouveau sur les missions dont nous avons la responsabilité et sur la manière d’agir le plus efficacement possible au service de la France et des Français.

Le ministère fait beaucoup avec peu : le réseau diplomatique fonctionne en effet avec un budget équivalent à celui de l’Opéra de Paris, tandis que nos effectifs correspondent à ceux de la métropole de Toulouse. Le travail effectué par les quelque 14 000 agents du ministère de l’Europe et des affaires étrangères concourt pourtant à répondre aux attentes de nos compatriotes établis à l’étranger ou sur le territoire national.

En 2024, la cellule de crise du Centre de crise et de soutien a ainsi traité 7 000 appels. Le nombre atteint en 2025 sera très largement supérieur, puisque pendant la guerre des douze jours entre Israël et l’Iran, environ 12 000 appels ont été reçus et traités par le centre.

Nous avons mis en sécurité, en 2024, près de 1 000 de nos compatriotes et délivré 14 000 passeports d’urgence et laissez-passer, dans des circonstances tendues. Nous avons émis plus de 500 000 documents d’identité, ce qui fait du ministère de l’Europe et des affaires étrangères la première mairie de France. Lorsque la demande nous en est faite à l’étranger, nous délivrons les passeports en vingt-deux jours, ce qui nous vaut de la part des usagers du service public à l’étranger un taux de satisfaction particulièrement élevé.

La France s’est en outre distinguée en 2024, pour la sixième année consécutive, comme première destination européenne pour les investissements étrangers. La politique de diplomatie économique menée par le ministère n’y est pas pour rien.

L’année dernière, le ministère a aussi examiné 443 extraditions.

Grâce aux actions menées notamment avec l’aide publique au développement (APD), nous avons évité l’émission d’environ 10 millions de tonnes équivalent carbone.

S’agissant de sa mission d’information, le ministère a produit en 2024 quelque 30 000 notes diplomatiques permettant d’éclairer les autorités françaises. La rubrique « conseils aux voyageurs » du site France diplomatie a enregistré 22 millions de consultations.

Notez enfin que soixante-huit accords et traités ont été signés par la France, dont treize ayant fait l’objet de projets de loi.

Ces quelques éléments montrent l’impact et la diversité de l’action que nous menons avec des moyens somme toute assez restreints.

Le contexte international réclame que nous renforcions notre diplomatie, sur nos sites français comme à l’étranger. En effet, les trois missions dont nous avons la responsabilité – protéger nos compatriotes à l’étranger ; défendre les intérêts de la France et des Français dans toutes les enceintes internationales ; informer nos concitoyens de ce qu’il advient dans le reste du monde et le reste du monde des positions françaises – s’exercent dans un environnement qui évolue et devient plus brutal. Pour que notre diplomatie reste à la pointe, comme elle l’est depuis des décennies, nous devons donc nous transformer.

Concernant tout d’abord la protection de nos compatriotes à l’étranger, il faut que nous conservions les moyens de répondre à nos concitoyens lorsqu’ils ont besoin de notre aide, du fait des conséquences du dérèglement climatique ou de tensions géopolitiques. J’ai en cet instant une pensée pour nos compatriotes détenus arbitrairement ou retenus otages à l’étranger, dont les cas mobilisent nos équipes de manière constante. Nous avons accueilli en 2025 avec beaucoup de soulagement trois libérations qui sont le fruit de la mobilisation sans relâche du ministère.

La défense des intérêts de la France et des Français, tant dans le dialogue bilatéral que dans les enceintes européennes ou multilatérales, s’exerce dans un monde beaucoup plus transactionnel et plus dur qu’auparavant. Cela suppose que nous soyons, si je puis dire, sur tous les ballons, afin que les priorités des Français en matière d’emploi, d’immigration, de santé ou de transition écologique soient défendues dans ces différentes enceintes.

Pour ce qui est enfin de notre troisième mission, chacun voit à quel point le champ des perceptions s’est modifié, au fil des années, dans l’espace de l’information. Le Quai d’Orsay ne peut plus se contenter d’émettre de temps à autre des communiqués de presse en espérant que la voix de la France soit ainsi entendue : nous devons amplifier cette voix afin qu’elle soit entendue là où elle doit l’être et nous donner les moyens de riposter contre les attaques dirigées à l’étranger contre l’image de la France, dans le but de nuire à nos intérêts.

La force et le poids de notre diplomatie à l’extérieur dépendent sans aucun doute de notre force à l’intérieur : notre force militaire, économique, morale, mais aussi bien évidemment budgétaire. Selon les mots employés par le premier ministre dans sa déclaration de politique générale, « les seuls qui se réjouiraient d’une crise, d’une panne budgétaire en France, ne sont pas les amis de la France ». Dans un monde où les rivalités sont plus brutales et désinhibées que jamais, plus nous serons forts sur le plan budgétaire et financier, plus nous parviendrons à nous défendre.

Cela explique les économies demandées par le premier ministre à ce ministère. Je vais vous expliquer comment nous avons choisi de les réaliser à la suite des échanges que nous avons pu avoir avec vous et avec certains des rapporteurs spéciaux de la commission des finances.

La loi de finances pour 2025 fait apparaître pour ce ministère un budget de 5,4 milliards d’euros. Comme souvent lorsque des efforts sont nécessaires, l’économie demandée est considérable, puisqu’elle s’élève à 434 millions d’euros. Il m’est donc demandé de passer de 5,4 milliards d’euros à 4,9 milliards d’euros environ, charge à moi de répartir l’économie à réaliser, en dialogue avec les parlementaires.

J’ai commencé par décomposer le budget 2025 en dépenses pilotables et non pilotables. Il serait vain en effet de chercher à réaliser des économies sur des dépenses non pilotables, correspondant à des obligations prises vis-à-vis d’agents du ministère ou dans le cadre d’engagements internationaux de la France. J’ai rapidement constaté que mes marges de manœuvre étaient assez limitées, puisque sur les 5,4 milliards d’euros du budget du ministère, 4,1 milliards d’euros ne sont pas pilotables. Les économies demandées ne peuvent donc être effectuées que sur le 1,3 milliard d’euros de dépenses pilotables restant, seule part du budget sur laquelle j’ai la main. Les dépenses non pilotables étant amenées à progresser légèrement cette année, passant de 4,1 à 4,2 milliards d’euros, je ne dois, en réalité, pas trouver 434 millions d’euros à économiser mais plutôt 500 millions d’euros pour répondre à la commande du premier ministre. Il m’est donc demandé de baisser les dépenses pilotables de 40 %.

Au sein des dépenses pilotables, j’ai ensuite distingué les dépenses d’investissement et les dépenses de fonctionnement. Ma principale priorité étant de conserver un outil de travail en bonne et due forme, je souhaite, dans toute la mesure du possible, préserver les dépenses d’investissement. Ce ne sera pas très difficile : sur le 1,3 milliard d’euros de dépenses pilotables, les dépenses d’investissement ne représentent que 20 millions d’euros environ.

La préservation des dépenses d’investissement va nous permettre de nous réarmer dans la guerre informationnelle, puisque certains de nos adversaires investissent plus de 1 milliard d’euros par an dans les attaques informationnelles et les cyberattaques visant la France. Il nous faut investir dans des outils de veille afin d’anticiper et de comprendre ces attaques. Rien de tout cela n’est gratuit. Nous allons consacrer à cette fin 10 millions d’euros sur le programme 105 et autant sur le programme 209, sachant que nous resterons malgré cela dans un rapport de 1 à 100 avec des acteurs comme la Turquie ou Israël, qui ont fait de l’influence une priorité.

Les dépenses d’investissement permettent aussi de poursuivre le travail de transformation et de modernisation du ministère pour répondre toujours mieux aux préoccupations des Français. Chaque euro de budget que vous accordez doit en effet avoir un impact positif sur la vie quotidienne de nos compatriotes. Les crédits de modernisation seront préservés et renforcés. Il est question ici de quelques millions d’euros.

Le budget de la direction du numérique va augmenter de 5 millions d’euros pour continuer à développer des outils d’intelligence artificielle et renforcer nos dispositifs de sécurité, sachant que nous sommes le ministère le plus attaqué.

L’essentiel des 500 millions d’euros d’économies seront donc à trouver dans les dépenses de fonctionnement. Dans ce cadre, il convient de distinguer les dépenses du ministère, celles des opérateurs et les contributions diverses – vous me pardonnerez de m’extraire de cette façon du cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

En 2025, sur le 1,3 milliard d’euros de dépenses pilotables à notre main, le ministère représente 410 millions d’euros, les opérateurs 360 millions d’euros et les contributions 500 millions d’euros. Mon choix, éclairé par les discussions que nous avons eues ensemble, consiste à solliciter les contributions et les opérateurs avant le ministère, afin de ne pas trop dégrader l’outil de travail. J’entends ainsi demander 16 millions d’euros d’économies au ministère, 136 millions d’euros aux opérateurs et 317 millions d’euros aux contributions. On aboutit ainsi à des dépenses de fonctionnement de 394 millions d’euros pour le ministère, 224 millions d’euros pour les opérateurs et 181 millions d’euros pour les contributions.

Revenons sur les 317 millions d’euros d’économies demandés aux contributions. De nombreux parlementaires nous ont indiqué avoir la désagréable impression que certaines contributions, notamment multilatérales, n’étaient pas assez « bleu, blanc, rouge ». Ils considèrent qu’il n’est pas normal, lorsque la France consacre des crédits à l’action internationale, que les bénéficiaires ne s’en aperçoivent pas. Nous avons donc mené des actions sur le plan de la communication. J’étais ainsi la semaine dernière, avec le président de votre commission, au Nigéria, à Lagos, où a été inauguré un projet de l’AFD qui va permettre de créer un réseau de transport fluvial. Nous avons pu vérifier à cette occasion que le drapeau français était désormais, comme nous en avions fait la demande, apposé en gros sur les projets que nous soutenons, ce qui est la moindre des choses.

En 2025, les contributions bilatérales représentaient 185 millions d’euros et les contributions multilatérales 313 millions d’euros. Ce déséquilibre attirait la critique de certains parlementaires, qui estimaient que le volet multilatéral était beaucoup trop important relativement à la dimension bilatérale. J’ai donc fait le choix, pour parvenir aux 317 millions d’euros d’économies sur les contributions, de rééquilibrer le dispositif en prenant 100 millions d’euros sur le volet bilatéral et 217 millions sur le volet multilatéral.

Voici comment les choix ont été faits. Vous comprendrez dès lors comment nous déterminerons les avis du gouvernement sur les amendements ou modifications proposés. De la même manière que nous nous sommes astreints à certains principes pour atteindre les 434 millions d’euros d’économies, nous donnerons à vos amendements, par cohérence, des avis relevant des mêmes principes : en matière de contributions, privilégier le bilatéral sur le multilatéral ; en matière de dépenses de fonctionnement, faire porter les économies sur les contributions, puis auprès des opérateurs et ensuite seulement sur le ministère ; concernant enfin l’équilibre entre investissement et fonctionnement, privilégier autant que possible l’investissement. Autrement dit, si des propositions d’amendements viennent limiter l’investissement au profit du fonctionnement, je donnerai plutôt un avis défavorable. Il en ira de même si elles viennent dépouiller le ministère au profit des contributions ou réduire le bilatéral au profit du multilatéral.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Il n’y a donc pas besoin de débat parlementaire dans ce cas.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Ce n’est même pas la peine de discuter dans ces conditions.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Est-ce un budget idéal ? Non. Il s’agit d’un budget d’efforts, de renforcement budgétaire national. Nous faisons déjà de grandes choses avec un tout petit budget. Si ce dernier était doublé ou triplé, nous ferions évidemment beaucoup plus. Ce n’est toutefois pas l’objectif premier : nous cherchons d’abord une forme de consolidation budgétaire, afin de retrouver du muscle, ce qui nous permettra je l’espère, dans les prochaines années, de reprendre un certain nombre de contributions ou d’investissements auprès des opérateurs.

M. le président Bruno Fuchs. On observe, dans le cadre de l’équilibre budgétaire proposé à la discussion en commission, une augmentation des crédits destinés à la défense de plus de 6 milliards d’euros, en même temps qu’une contraction très forte des crédits alloués au ministère des affaires étrangères. N’y a-t-il pas là une forme de contradiction ? Dans des contextes de guerre hybride, il semblerait en effet plus logique de privilégier les deux piliers et pas uniquement celui de la défense, puisque la résolution des crises est également une question de politique et de négociation.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous devrions en effet tous plaider spontanément pour le principe simple du « 1 % diplo » : lorsque les dépenses de défense augmentent, il faudrait assurer parallèlement un épaulement diplomatique.

Le champ informationnel, qui est désormais un lieu de conflictualité, suppose des investissements certes moins massifs que ceux envisagés en matière militaire mais dont il est néanmoins important de tenir compte. Lorsque l’on se réarme pour se défendre, c’est que le monde devient plus brutal : cela implique aussi de se préparer à défendre nos intérêts de manière plus agile, plus robuste, donc d’investir dans l’outil diplomatique.

Comme l’a indiqué le président de la République au sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) à La Haye, nous avons décidé de nous engager à ce que nos dépenses militaires atteignent 3,5 % de notre richesse nationale à l’horizon 2035. Mais l’objectif en 2035 ne sera pas de passer de 3,5 % à 7 % : il consistera à retrouver une architecture de sécurité et des logiques de désarmement permettant de stabiliser la situation, voire de l’améliorer, comme nous avons réussi à le faire voici soixante-quinze ans lorsque nous avons progressivement créé des protections, avec l’OTAN et l’Union européenne (UE). L’idée est de retrouver une architecture de sécurité susceptible de nous prémunir contre une augmentation à l’infini de nos dépenses militaires. Qui va s’occuper de cela, sinon les diplomates ? À mesure que nous nous réarmons, il faut réarmer la diplomatie. Telle est l’intention de l’agenda de transformation du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dans le cadre duquel nous sommes très attentifs à la préservation de ses crédits.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Eh bien c’est raté !

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Vous venez de nous expliquer avec talent la manière dont vous ventilerez les nouvelles coupes budgétaires subies par le ministère des affaires étrangères, qui constituent à mes yeux une erreur majeure, a fortiori s’agissant d’un ministère dont nous savons tous qu’il a connu une austérité drastique depuis les années 2000. Les effectifs ont diminué de 30 %, faisant passer le réseau diplomatique français de la deuxième à la cinquième place mondiale. Des zones entières, pourtant stratégiques pour la France, sont très mal couvertes. Nos diplomates ne peuvent pas agir partout : je pense en particulier au Sahel et à une grande partie de l’Afrique et de la zone asiatique. C’est d’autant plus une erreur que nous savons que ce ministère n’a pas besoin d’énormément d’argent pour produire un effet de levier d’influence.

J’avais corédigé un rapport contre la suppression des corps diplomatiques, énième erreur majeure de M. Macron, dans lequel je proposais une loi de programmation. Cela n’a pas été suivi d’effet.

Je souhaite pourtant vous interroger sur un autre point, puisque notre commission est directement concernée par un scandale d’État. Une question au gouvernement posée tout à l’heure à ce propos a reçu une réponse indigente : « Circulez, y’a rien à voir ». Mon collègue Carlos Bilongo s’est rendu en 2023 à la COP28 dans le cadre d’une mission parlementaire de cette commission. Nous savons depuis hier qu’à la demande d’une puissance étrangère, parce que le rapport ne plaisait pas aux Émirats arabes unis qui accueillaient cette COP, une cabale a été organisée contre lui depuis Tracfin. Ce représentant de la nation a été accusé de fraude fiscale, information immédiatement reprise par la presse. Deux ans plus tard, la justice l’a totalement blanchi, dans le silence le plus total. Cinq chaînes de validation existent au sein de Tracfin : il ne s’agit donc pas d’une erreur. Et l’on nous dit « Circulez, y’a rien à voir ».

Les preuves sont là. Les agents de Tracfin ont collaboré avec la journaliste et des personnes travaillant de façon plus ou moins éloignée avec l’ambassade des Émirats arabes unis ont témoigné. Et l’on nous dit « Circulez, y’a rien à voir ». Ce n’est pas acceptable. Notre commission et la représentation nationale sont directement concernées. Avez-vous une autre réponse à nous fournir ?

M. le président Bruno Fuchs. La parole est libre mais je rappelle que l’audition est consacrée à la question budgétaire. Même si je comprends l’interrogation, je souhaite que l’on respecte au maximum la thématique initiale.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Comme l’a indiqué ma collègue Amélie de Montchalin lors des questions au gouvernement, nous croyons à la séparation des pouvoirs. Il ne m’appartient pas d’entrer dans le détail de ce dossier dont l’autorité judiciaire est saisie et sur laquelle elle a conduit une enquête préliminaire durant deux ans.

Tracfin est une cellule de renseignement financier qui ne peut pas s’autosaisir ; elle travaille sur la base de déclarations de soupçons qui lui sont adressées par des entités économiques françaises assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Tracfin saisit l’autorité judiciaire quand l’enquête démontre des soupçons fondés et le parquet décide seul de l’opportunité des poursuites.

Ces principes ont été respectés dans le cas que vous soulevez. Tracfin n’a pas travaillé à la demande d’une autorité étrangère et l’identité de l’auteur de cette déclaration ne peut être révélée ; ce serait un délit. Soyez assuré que le traitement appliqué par Tracfin dans cette affaire est en tout point similaire à celui appliqué à d’autres signalements.

M. Pierre Pribetich (SOC). Alors que l’ordre international est en profonde mutation et que les crises humanitaires se multiplient, la diplomatie française est, hélas, encore fragilisée par le projet de loi de finances que vous nous présentez.

À rebours des engagements pris lors des états généraux de la diplomatie en mars 2023, le réarmement diplomatique reste uniquement un slogan, sans traduction budgétaire réelle. En effet, si les crédits alloués dans différentes enveloppes stagnent sur le papier, ils baissent en réalité en raison de l’inflation. Le président de la République, qui s’était engagé à créer 700 emplois sur quatre ans au ministère des affaires étrangères, n’en a finalement créé que très peu : en 2025, seuls 75 postes ont vu le jour sur les 150 prévus et 49 sont mentionnés dans le PLF 2026 au lieu des 200 annoncés.

La France recule dans le classement mondial des diplomaties : elle y occupait la cinquième place en 2024, après avoir été troisième en 2022, désormais devancée non seulement par les États-Unis et la Chine mais aussi par le Japon et la Turquie.

Parallèlement, l’aide publique au développement est lourdement amputée. Le PLF pour 2026 prévoit une nouvelle coupe budgétaire de 700 millions d’euros. En deux ans, l’APD aura ainsi perdu plus de la moitié de son budget et l’enveloppe relative à la coopération multilatérale aura baissé de 74 %. La suppression de l’affectation des recettes des taxes solidaires a privé l’aide publique au développement d’un financement stable, pérenne et utile à la mise en place de projets structurants.

Ces coupes budgétaires successives – c’est ici la cinquième depuis 2024 – constituent un double renoncement, d’une part à nos engagements internationaux, d’autre part au soutien apporté au tissu humanitaire, dans un contexte caractérisé par une baisse de 83 % des moyens de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et par une diminution de l’aide fournie par l’Union européenne.

Alors que 66 % des Français soutiennent l’action de la France en faveur de la solidarité internationale, quelles sont selon vous les conséquences concrètes du décalage observé entre l’ambition et le discours, d’une part, et l’impact de la réalité budgétaire, d’autre part, sur l’influence de la France et sur son image dans le monde ?

Notre groupe entend proposer de réaffecter les recettes des taxes solidaires au financement de la solidarité internationale, afin de garantir des ressources stables, prévisibles et pérennes. Partagez-vous cette orientation ? Êtes-vous prêt à soutenir ce retour à un financement durable de notre aide au développement, indispensable à la crédibilité et à l’efficacité de notre politique étrangère ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je tiens à signaler que très peu de ministères ont vu leur plafond d’ETP progresser à la hausse en 2025. Nous étions donc plutôt satisfaits d’avoir réussi à éviter une stagnation ou une baisse des effectifs, comme cela a été le cas pour l’essentiel des ministères.

L’image de la France à l’étranger dépend évidemment de notre situation budgétaire, mais pas uniquement. Dix ans après l’accord de Paris et l’accord sur le nucléaire iranien, la France a montré qu’elle était encore capable de peser sur la scène internationale. Je pense par exemple à la Conférence des Nations unies sur l’océan, à Nice, qui a permis de faire aboutir l’accord sur la haute mer en un temps record. Je pense également, plus récemment, à l’initiative que nous avons développée avec l’Arabie saoudite pendant un an, qui a culminé à New York avec la déclaration qui a clairement servi d’appui au plan de paix du président Trump. En dépit d’un exercice budgétaire plus difficile que ceux de certaines années antérieures, nous conservons, grâce au talent de nos diplomates, une capacité à peser durablement sur la scène internationale.

Cette capacité dépend toutefois également de l’équilibre de nos finances publiques. Dans ce contexte, des choix doivent s’opérer. J’attends avec impatience d’entendre le responsable d’un parti politique français dire au premier ministre que sa priorité absolue serait qu’il relève l’APD. Je sais combien est vive dans cette enceinte la conscience de l’importance de disposer d’un réseau diplomatique robuste et d’instruments comme l’aide publique au développement pour tenir le rang de la France et servir ses intérêts. Ce n’est toutefois jamais le premier aspect mentionné lorsque, consultés par le premier ministre, les responsables des partis politiques français expriment leurs priorités.

M. Pierre Pribetich (SOC). Cela a été dit par notre groupe.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Pas toujours très clairement.

Quant à la réaffectation que vous évoquez, il reviendra au Parlement d’en débattre : le premier ministre l’a indiqué très clairement. Le gouvernement émettra sans doute un avis plutôt défavorable, puisqu’il est tenu par la loi organique qui rend désormais difficile, sauf exception, l’affectation des taxes à des usages spécifiques.

M. Michel Herbillon (DR). L’examen du projet de loi de finances pour 2026 se déroule dans un contexte budgétaire particulièrement dégradé, qui nous oblige à la responsabilité afin de garantir la stabilité financière de notre pays ainsi que notre souveraineté.

Dans une situation géopolitique internationale extrêmement tendue, je veux saluer la stabilité des crédits alloués à l’action extérieure de la France et à l’action consulaire. Ce choix responsable mérite d’être souligné. Nous avons en effet connu, ces dernières années, un début de réarmement de notre diplomatie et il aurait été extrêmement dangereux de renouer avec d’anciennes pratiques de suppression de moyens et de postes, alors même que notre sécurité collective est menacée. Je saisis l’occasion pour remercier les 14 000 agents du ministère ainsi que les agents des opérateurs, qui portent et défendent chaque jour la voix de la France partout dans le monde.

J’ai noté, au sein du programme 105, que le budget de la direction de la communication serait rehaussé de 10 millions d’euros afin de renforcer nos moyens dans le domaine de la lutte informationnelle. Face aux nombreuses attaques dont la France est l’objet, je salue cette orientation offensive. Pourriez-vous nous indiquer comment cette action résolue contre la désinformation et les ingérences ou influences étrangères va se traduire concrètement ?

Nous constatons par ailleurs dans le budget que vous présentez une baisse sensible des moyens alloués à la mission Aide publique au développement. Nous la déplorons et aurions tous souhaité que notre pays soit en mesure de maintenir son ambition en la matière, conformément à la loi votée sans opposition à l’Assemblée nationale en 2021. Le groupe Droite républicaine lance l’alerte depuis de très nombreuses années au sujet de la dégradation notoire de nos finances publiques. Nous en voyons les conséquences concrètes, qui nécessitent de diminuer ce budget afin de soutenir d’autres politiques publiques utiles à nos concitoyens, dans les domaines de la santé, de la sécurité ou de l’éducation.

Pour autant, cela ne doit pas conduire à relâcher l’attention portée au nécessaire contrôle de notre APD, dont nous avons vu qu’elle finançait parfois des projets dans des pays ouvertement hostiles à la France. Je vous demande par conséquent de remettre en ordre la conditionnalité de notre aide publique au développement, en fonction du taux de délivrance des laissez-passer consulaires, documents impératifs pour exécuter les obligations de quitter le territoire français (OQTF), mais aussi de la qualité de la relation diplomatique que nous entretenons avec les pays bénéficiaires. J’attends de vous une vraie réponse, au-delà des considérations techniques habituelles.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je vous remercie pour vos mots à l’attention des agents du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. On a parfois l’impression qu’ils ont la belle vie mais il arrive à beaucoup d’entre eux de se trouver dans des situations qu’aucun agent public ne devrait avoir à vivre. J’ai ainsi une pensée pour les agents qui ont dû, suite aux décisions brutales et infondées des autorités algériennes, quitter en quarante-huit heures l’Algérie où ils étaient en poste. Je songe aussi aux agents de nos postes à Tel-Aviv, à Jérusalem, au Caire, en Arménie, en Turquie, en Iran, qui se sont mobilisés pendant la guerre des douze jours pour tenter d’apporter des solutions à nos compatriotes qui, par milliers, cherchaient à rentrer en France. Je pense enfin à ceux qui, envoyés dans des postes sensibles, y vivent éloignés de leur famille pendant des mois car ils considèrent que cela relève de leur devoir et que, ce faisant, ils servent la France et les Français.

Vous m’interrogez sur la guerre informationnelle. Parmi les aspects non budgétaires de la question, nous allons, au ministère mais aussi dans l’ensemble du réseau, coordonner et synchroniser tous les éléments concourant à la fonction d’influence. Nous avons en effet besoin que nos messages soient entendus, donc distribués par tous les canaux par lesquels nous pouvons atteindre leurs destinataires. Cela concerne la direction de la communication et de la presse mais aussi notre formidable réseau culturel, qui peut contribuer à véhiculer valeurs et messages, ainsi que le centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS), centre de réflexion interne du ministère qui nous représente dans diverses enceintes. Nous allons veiller à ce que ces différents services se coordonnent.

Nous allons également faire en sorte qu’à l’échelle des ambassades, des « comités influence », sous l’autorité de l’ambassadeur, se réunissent fréquemment afin de mettre en commun les objectifs et les moyens de la politique d’influence. Cela concerne le chargé de communication, l’attaché de défense, l’attaché de sécurité intérieure ou encore le conseiller de coopération et d’action culturelle (Cocac) : tous contribuent d’une manière ou d’une autre à cette influence, qui doit désormais être mieux coordonnée et synchronisée.

Sur le plan budgétaire, nous devons améliorer notre capacité de détection lorsque des attaques nous visent. Cela suppose de disposer de personnels en mesure d’identifier les messages et de les qualifier. Il nous faut également des moyens de production et de diffusion des contenus de riposte. Il s’agit de moyens nouveaux, qui ont des implications budgétaires mais aussi humaines. Nous allons ainsi être particulièrement attentifs à cette dimension lors du recrutement de nouveaux profils au sein notamment de la direction de la communication et de la presse et privilégier des candidats présentant une expertise nous permettant de répondre à cette attente.

Nous aurons aussi besoin d’outils numériques nouveaux, afin notamment de décharger les personnes de tâches susceptibles d’être automatisées – comme la réalisation de la revue de presse par exemple –, et de leur permettre de dégager ainsi du temps pour la détection des attaques et éventuellement la production de ripostes. C’est là tout un art : il faut à la fois être suffisamment sérieux, puisque l’on porte la parole de la France, mais aussi savoir manier l’ironie pour que le contenu puisse être viral et surpasser la viralité de celui de l’agresseur.

Il faut enfin parvenir à distribuer ces ripostes, ce qui suppose d’identifier et de cultiver des relais permettant à ces messages d’être véhiculés dans le champ des perceptions et dans l’ensemble de l’espace informationnel.

Concernant l’APD, nous mettons en œuvre des moyens visant à ce que le contrôle parlementaire puisse être plus serré et veillerons à ce que les commissaires du gouvernement y prennent leur part.

Lors du conseil présidentiel pour les partenariats internationaux, le président de la République a arbitré et décidé que, dans le portefeuille de prêts de l’AFD, qui s’élève à quelque 7 milliards d’euros, 1 milliard serait consacré à de l’aide liée, ne répondant plus aux caractéristiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) mais venant soutenir des projets à condition qu’ils soient confiés à des entreprises françaises. Ainsi, 15 % du portefeuille de prêts de l’AFD vont devenir de l’aide liée, en particulier sur le sujet de la participation des entreprises françaises aux projets de développement.

M. Michel Herbillon (DR). Vous n’avez pas répondu à la deuxième partie de ma question.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je me tiens à votre disposition pour évoquer plus en détail les sujets migratoires. Je puis simplement vous dire que dans bien des pays avec lesquels nous sommes en lien, non seulement l’APD est naturellement incluse dans le dialogue bilatéral, au sein duquel j’ai veillé ces derniers mois à ce que le niveau de priorité des questions migratoires soit relevé, mais aussi que l’AFD contribue à financer des projets qui concourent directement à la maîtrise de l’immigration irrégulière. Peut-être faudra-t-il augmenter la proportion des projets de l’AFD consacrés directement à cette priorité. C’est dans le cadre du dialogue entre le gouvernement et les parlementaires, au conseil d’administration de l’AFD, que nous pourrons avancer dans cette direction.

Mme Dominique Voynet (EcoS). L’année 2026 sera à nouveau difficile pour notre aide au développement et notre diplomatie, donc pour l’influence de la France dans le monde. Les agents ne sont pas en cause : ils sont engagés mais aussi inquiets, et nous alertent car les baisses de crédits se répètent depuis plusieurs exercices.

Je pense notamment au programme 185, qui voit ses autorisations d’engagement baisser de 45 millions d’euros. La mise à zéro du budget consacré aux objectifs de développement durable hors APD constitue également un signal particulièrement inquiétant.

Dans les affaires consulaires, on observe une baisse de 41 % du budget alloué à l’instruction des demandes de visas. Faut-il y voir une chute de la demande ou un recours accru à des prestataires privés, comme c’est le cas pour certaines demandes particulièrement difficiles émanant notamment de femmes afghanes ?

S’agissant de l’APD, la baisse est brutale. Je n’insisterai pas sur ce point ; Pierre Pribetich a parfaitement décrit la situation. Contrairement à ce qu’annonçait le président de la République en 2021, l’aide au développement ne représentera en 2026 que 0,38 % du produit intérieur brut (PIB).

Le programme 110 voit quant à lui ses autorisations d’engagement baisser de 45 % du fait d’une forte réduction de la contribution française au fonds Vert pour le climat, qui constituait pourtant un engagement fort de la France.

On pourrait donner d’autres exemples.

Nous le savons : la situation budgétaire est contrainte. Mais la vraie question demeure : travailler avec moins, pourquoi pas mais pour faire quoi ? C’est bien là que réside le cœur du problème.

Comme l’a souligné la mission d’information commune sur les moyens consacrés au volet diplomatique de notre réorientation stratégique portée par notre groupe, notre politique étrangère souffre d’un manque de lisibilité et de cohérence. Nous n’avons plus de cadre clair pour notre action extérieure. Le dernier Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France date de 2008. Vous ne manquez jamais de nous répéter que « le président de la République a décidé ». Nos institutions lui donnent certes un rôle particulier sur les questions internationales mais ne lui permettent pas pour autant de décider de tout, en passant par-dessus le Parlement et nos engagements antérieurs.

Ne serait-il pas temps d’engager une révision stratégique concertée associant parlementaires, diplomates, experts et société civile pour redéfinir les objectifs de notre action extérieure à moyen et long termes ? Ce serait, selon moi, une manière efficace d’assurer la cohérence entre nos ambitions internationales, nos valeurs et les moyens budgétaires que nous y consacrons.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. La réponse est oui : je pense que le temps est venu pour cela et que le rapport de Sophie Mette et Karim Ben Cheikh constituera une bonne base de départ pour cette réflexion. Bien qu’il faille définir le contour de cette revue stratégique, elle me paraît pertinente car le monde a, disons, quelque peu évolué depuis 2008.

M. le président Bruno Fuchs. La commission élabore régulièrement des rapports sur certains éléments de la politique étrangère et poursuivra cette réflexion.

M. Frédéric Petit (Dem). Je ne reviendrai pas sur la déconnexion existant entre le réarmement militaire et celui de la diplomatie. Je suis très attaché à la diplomatie des sociétés civiles : se réarmer militairement suppose par ailleurs de réarmer notre société. L’État ne fera pas tout et ne doit pas tout faire. Il appartient également aux citoyens de se mobiliser.

Vous avez évoqué les priorités du premier ministre. Nous y souscrivons et le soutenons dans sa recherche de stabilité et de renforcement financiers mais c’est à la nation qu’il revient de donner l’objectif. Cela ne nous exonère donc pas de réfléchir sur ce point et nous sommes nombreux dans cette commission à juger insupportable le déséquilibre entre ce que représente notre diplomatie et les efforts démesurés qui lui sont demandés.

Les opérateurs sont très souvent considérés comme des boucs émissaires. Certains sont pourtant indispensables car ils ont la capacité à gérer des éléments que nous ne savons pas traiter en interne. Nous sommes favorables à la modernisation de leur gouvernance. De nombreuses actions ont déjà été engagées. Je suis pour ma part assez satisfait de ce qui se passe depuis plusieurs années au sein de votre ministère, où l’on observe une évolution profonde des comportements, allant vers une plus grande recherche de cohérence. Je place souvent comme point charnière le discours du chef de l’État aux ambassadeurs de 2019, dans lequel il leur avait été demandé de ne plus être des virtuoses mais des chefs d’orchestre. Je trouve cette image assez belle et pertinente et j’ai le sentiment que nous avançons dans cette direction, avec les comités influence dans chaque ambassade, les plans pays, les conseils consulaires de développement. Ces éléments témoignent d’une recherche de cohérence et de coordination à l’échelle du pays.

Notre commission a envie de vous aider à reconquérir des forces, y compris budgétaires, mais pas n’importe comment. Nous recherchons de la cohérence, de l’efficacité, de la redevabilité. J’ai formulé des propositions pré-budgétaires à ce propos et souhaiterais savoir ce qu’il en est. Cela concerne en particulier une mesure de synchronisation des contrats d’objectifs et de moyens (COM) de tous les opérateurs agissant dans le champ ou en appui de la politique extérieure de la France, mesure à laquelle je suis très attaché depuis huit ans et qui me semble répondre notamment à la demande de notre collègue Le Gall sur la planification.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je partage votre conviction que la diplomatie des sociétés civiles joue un rôle important. Je vous remercie à ce propos de l’accueil que vous avez réservé à la délégation de résistants biélorusses dans le cadre de la réunion de l’Alliance des groupes parlementaires en soutien à la démocratie en Biélorussie, organisée récemment à Paris. Cela a beaucoup de poids et de force et je ne peux qu’encourager les membres de cette commission à prendre toute leur part dans l’animation de la diplomatie des sociétés civiles.

Concernant la question des opérateurs, je tiens tout d’abord à souligner l’évolution interne au ministère des affaires étrangères, qui se montre de plus en plus attentif aux travaux des parlementaires et à leurs préconisations. Au moment où nous réfléchissons à l’avenir de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), vos propositions à ce sujet, tout comme celles formulées par la sénatrice Samantha Cazebonne ou d’autres par le passé, ont été prises très sérieusement en considération, à ma demande, par les directrices et directeurs chargés de cette réforme.

Quant à la synchronisation des contrats d’objectifs et de moyens de tous les opérateurs, j’y suis pour ma part favorable. Cela supposerait, à un moment donné, d’en décaler certains pour qu’ils puissent se synchroniser avec les autres. Il faudrait également que la commission s’y prépare.

M. le président Bruno Fuchs. Je pense que la commission n’en souffrirait pas, puisqu’elle est à chaque fois saisie à la dernière minute ! Cela apporterait au contraire davantage de lisibilité et permettrait un travail plus en profondeur sur cette question, qui viendrait enrichir encore la réflexion et l’efficacité des moyens des opérateurs de l’État.

M. Bertrand Bouyx (HOR). Ma question porte sur la diplomatie économique française à la lumière du contexte budgétaire. Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit une stabilisation des crédits du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dans une situation de redressement des comptes publics. Vous avez fait le choix de préserver les moyens de notre action diplomatique et d’investir dans le numérique, la sécurité et la préparation de la présidence française du G7. Notre groupe salue cet effort.

Nous constatons toutefois dans le même temps que notre environnement commercial s’est considérablement tendu. Depuis le début de l’année 2025, l’administration américaine a rétabli ou étendu plusieurs barrières douanières, avec des droits de 25 % sur les véhicules électriques et les pièces détachées, allant jusqu’à 50 % pour certains biens intermédiaires stratégiques. Ces décisions censées relocaliser la production sur le sol américain fragilisent directement plusieurs filières françaises et européennes comme l’automobile, l’aéronautique, la chimie et les biens de consommation.

Dans ce contexte, pouvez-vous nous dire comment la diplomatie économique française entend agir avec les moyens inscrits dans le budget ? Disposez-vous d’évaluations précises des impacts de ces nouvelles barrières douanières sur nos exportations vers les États-Unis ? Plus important encore, comment comptez-vous articuler les outils du ministère, notre réseau diplomatique, les services économiques et la présidence française du G7 pour défendre une proposition européenne coordonnée face au retour du protectionnisme américain ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Cette question est essentielle et le Quai d’Orsay va, sur ce sujet, faire son retour dans la partie. Il s’agit en effet d’une compétence que nous partageons, dans les moindres succès si j’ose dire, avec le ministère de l’économie et des finances. Face aux décisions récentes de l’administration américaine, il nous faut réagir avec beaucoup de vigueur.

C’est dans cet esprit que nous préparons, avec le ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l’attractivité, Nicolas Forissier, le conseil présidentiel du commerce extérieur qui devrait se tenir dans les prochaines semaines et qui va décliner notre stratégie face au regain de tensions et aux guerres commerciales, en étendant le champ de la diplomatie économique à la sécurisation de nos approvisionnements critiques. Traditionnellement, la diplomatie économique concerne essentiellement l’attractivité, c’est-à-dire les investissements étrangers en France, et l’accompagnement des entreprises françaises à l’exportation. Ces deux dimensions doivent évidemment être renforcées, afin de diversifier les marchés des entreprises qui pâtissent des augmentations des droits de douane américains sur des produits du haut de la gamme de valeur. Nous avons également besoin de nous protéger contre l’arsenalisation de certains intrants, c’est-à-dire la tentation – voire la volonté – de certains pays de concentrer des ressources rares pour pouvoir peser sur le destin des autres nations. Le spectre va donc s’élargir.

Les moyens à mettre en œuvre concernent en premier lieu notre organisation. Ces objectifs nouveaux vont nous amener à faire évoluer le dispositif de la direction de la diplomatie économique, afin d’être au plus près des besoins des entreprises. Nous allons également adapter nos instruments. Nous travaillons en lien étroit avec le ministère de l’économie et des finances pour développer de nouveaux outils financiers susceptibles de mieux accompagner les entreprises vers l’exportation. Cela est vrai des outils existants du Trésor ou de Bpifrance mais aussi des outils financiers de l’AFD, qui va libérer 1 milliard d’euros par an de prêts liés, donc contribuant à des partenariats internationaux, bénéficiant à des pays en développement tout en permettant à des entreprises françaises de porter les projets concernés.

Sur le plan européen, nous prônons la sortie de la naïveté. Je me félicite par conséquent avec vous de la proposition de la Commission européenne, que Stéphane Séjourné a présentée il y a quelques jours, pour protéger l’industrie sidérurgique européenne, avec des quotas qui, s’ils sont dépassés, nous permettront d’appliquer des droits de douane de 50 %. De façon plus générale, nous avons plaidé à de nombreuses reprises en faveur d’une mobilisation de l’instrument anticœrcition.

Sur le plan international, vous avez cité la présidence française du G7, que j’ai plutôt intégrée dans les dépenses pas totalement pilotables puisque je n’imagine pas en proposer la réduction. Peut-être certains amendements iront-ils en ce sens ; mon avis sera alors défavorable. Les nouveaux déséquilibres mondiaux et les questions commerciales se trouveront précisément au cœur de la présidence française du G7, avec pour objectif le désarmement tarifaire pour la France, l’Europe et leurs partenaires.

M. Laurent Mazaury (LIOT). La semaine dernière, lors d’une réunion conjointe avec la commission des finances, nous avons déjà pu faire un point sur les moyens consacrés à notre diplomatie et en constater la baisse, ce qui dans le contexte géopolitique actuel n’est pas une bonne nouvelle. Nous devons tous accomplir des efforts responsables face à notre dette publique mais sacrifier la diplomatie quand la guerre se poursuit en Europe et que d’autres pays, dont la Chine, continuent à financer ardemment leurs moyens d’influence mondiale ne pourra que nous conduire à un isolement que nous paierons cher plus tard, notamment dans le cadre de nos finances publiques, avec des conséquences sur les PLF du futur. Je ne reviendrai pas sur ce sujet dont nous partageons l’analyse et l’urgence et sur lequel je crois comprendre que nos amendements auront peu de chance d’aboutir.

Je souhaite vous interroger sur votre récente déclaration concernant la possible venue du président Poutine en Hongrie. Vous avez récemment affirmé que la présence du président russe sur le sol européen n’avait de sens que si elle permettait d’acter un cessez-le-feu immédiat et sans condition. Kaja Kallas, haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, a quant à elle déclaré que voir un président sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) dans un pays européen n’était pas une bonne chose. Votre homologue lituanien a été plus direct, considérant que la seule place pour Poutine en Europe était à La Haye, devant un tribunal.

L’Assemblée nationale a voté, voici quelques mois seulement, une proposition de résolution européenne, dont j’ai eu l’honneur d’être le premier signataire, visant à renforcer notre soutien à l’Ukraine et dans laquelle nous appelions à l’exécution des mandats d’arrêt émis par la CPI contre le président Poutine et la commissaire russe aux droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova. Je ne reviendrai pas sur les enlèvements d’enfants perpétrés en Ukraine et fomentés par la Russie. S’il faut une nouvelle fois accepter de voir violer le droit international, bafouer nos alliés européens qui sont en première ligne face à la Russie et ne pas respecter les textes votés, j’aimerais savoir si nous avons au moins une sorte de garantie que cette rencontre va permettre un réel changement en faveur de l’Ukraine. Je crains malheureusement de connaître la réponse à cette question, qui s’annonce similaire à celle obtenue lors du sommet organisé en Alaska.

La France et l’Union européenne ont-elles demandé que la rencontre soit délocalisée dans un pays situé hors de l’UE, afin de respecter nos principes fondamentaux ? Peut-être serait-il choquant de relier factuellement dans mon intervention ces éléments de droit international à nos finances publiques. Le lien n’en est pourtant pas moins évident. Cette guerre aux portes de l’Europe nous coûte cher ; nous le voyons dans le PLF. Elle pourra nous coûter plus cher encore si elle continue à se rapprocher de nous, au-delà bien évidemment des vies humaines perdues.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Vous auriez pu citer également votre proposition de loi traitant du coût de cette guerre pour les finances publiques européennes et ukrainiennes, qui est en train de trouver une issue favorable à travers les réflexions en cours au niveau européen sur une mobilisation des avoirs russes gelés.

La Commission européenne a en effet, au retour de l’été, présenté une proposition à ce sujet, qui pourrait la conduire – si toutefois le texte est adopté – à lever un emprunt placé auprès des actifs russes ou de leurs détenteurs au sein d’Euroclear pour, à son tour, prêter les sommes à l’Ukraine, lesquelles seront remboursées par cette dernière lorsqu’elle aura reçu des réparations de la Russie. Nous soutenons cette idée dans la mesure où elle ne contrevient pas au droit international puisque la Commission européenne ne procèdera pas elle-même à la saisie des actifs. Il faudra en outre que l’usage qui sera fait par l’Ukraine des montants qui lui seront alloués contribue à renforcer l’autonomie stratégique européenne au sens large. En matière d’armement, il faudra par exemple que ces sommes soient utilisées pour acheter en priorité du matériel européen. Il serait difficile pour nous d’accepter que ces sommes soient employées en priorité pour acheter des armements américains.

Je tiens à vous féliciter pour vos initiatives convergentes avec ces démarches.

Il est important de rappeler en toutes circonstances qu’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale a été émis à l’encontre de Vladimir Poutine, sur le fondement de son rôle présumé dans les déportations de centaines d’enfants ukrainiens. La France soutient la CPI, y compris lorsque celle-ci est prise à partie ou que certains de ses juges sont placés sous sanctions. Elle soutient son travail indépendant et respecte ses obligations aux termes de son appartenance au statut de la Cour pénale internationale.

Même s’il s’agit, en l’occurrence, d’une éventuelle rencontre bilatérale, il me semble que cela n’a effectivement de sens de l’organiser en Europe que si Vladimir Poutine vient y acter un cessez-le-feu immédiat et sans condition. Je considère que c’est dans son intérêt, puisque le temps commence à jouer contre lui. Le nouveau prêt, qui ne sollicitera pas les finances publiques européennes, nous donnera en effet les moyens de soutenir l’Ukraine pendant trois années supplémentaires. Je rappelle que Vladimir Poutine n’a pas progressé sur le terrain de 1 % depuis les 1 000 derniers jours. Nous allons en outre continuer, grâce à la politique de sanctions, à assécher les ressources de la Russie, que Vladimir Poutine entraîne dans sa guerre coloniale.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Je m’interroge sur le principe des lois de programmation. J’observe à la lecture du budget que les objectifs de la loi de programmation militaire sont quasiment totalement respectés, voire dépassés. En revanche, la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales n’a pas le même effet. Elle nous avait pourtant été présentée comme la sanctuarisation de l’action du gouvernement sur ces sujets. Cela signifie-t-il que l’un des deux ministres fait respecter sa loi de programmation, contrairement à l’autre, vous en l’occurrence ?

Comment les priorités sont-elles déterminées ? J’ai été élu, responsable de budget : j’examinais alors les priorités pour savoir si elles étaient incompressibles. Celles-ci sont essentielles à la paix. J’observe que le mot « paix » n’a pas été utilisé une seule fois, alors que nous sommes dans une audition du ministre des affaires étrangères. La diplomatie française, ses agents et vous-mêmes avez pourtant pour mission de faire en sorte que la paix revienne ou soit préservée.

Vous avez par exemple décliné dans la présentation du budget cinq priorités, dont la première est relative à la sécurité, à la stabilité et à la préservation de la paix. Comment le ministère peut-il procéder alors qu’il baisse les contributions internationales et les budgets alloués aux programmes de la mission Aide publique au développement ?

La deuxième priorité concerne « la poursuite des intérêts économiques, technologiques et stratégiques d’une Europe plus intégrée, unie et indépendante » : indépendante vis-à-vis de qui ?

Il est également question d’un « rôle de puissance d’équilibre établissant des partenariats de confiance au service d’un multilatéralisme », etc. Je ne prétendrai pas que l’on défende la démocratie en acceptant d’exfiltrer un président. Ce n’est pas le bon jour pour cela, paraît-il : nous en reparlerons la semaine prochaine.

Vous souhaitez par ailleurs « une diplomatie économique mobilisée pour l’attractivité, la réindustrialisation et la création d’emplois en France » : de quelle réindustrialisation parle-t-on ? On ne la voit pas.

Vous évoquez enfin une « diplomatie de rayonnement en investissant dans tous les domaines de l’influence au service de l’intérêt géopolitique, économique et stratégique ». Comment faire pour investir « dans tous les domaines de l’influence » en baissant nos contributions financières à la paix, parmi lesquelles l’aide publique au développement et les contributions internationales aux Nations unies ? On nous explique que nous régressons au sein des Nations unies alors que la Chine progresse mais certains pays, dont la Chine et la Turquie, augmentent les budgets qu’ils allouent aux instances internationales multilatérales et prennent ainsi davantage de place. Pourquoi la France abandonne-t-elle la sienne ?

M. le président Bruno Fuchs. La France est aussi, selon l’expression, « le chantre du multilatéralisme » et fait partie des pays qui défendent le mieux cette valeur. Il est donc important d’observer la mise en œuvre concrète de ce grand principe de plus en plus menacé.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Vous voyez bien comment les choses se sont passées. Le réarmement s’est amorcé au ministère avec les états généraux de la diplomatie, mais aussi au niveau de l’aide publique au développement par la volonté politique. Puis, confrontée au Covid et à la guerre en Ukraine, la France a conservé certains dispositifs de protection beaucoup plus longtemps que les pays comparables. Dans ce contexte, il a fallu procéder à des ajustements, notamment sur les crédits d’intervention du ministère, dont l’aide publique au développement.

J’ai demandé aux directeurs, directrices, ambassadeurs et ambassadrices de mieux faire connaître les missions du ministère, pour que nous soyons plus soutenus dans l’opinion publique et perçus, à l’image d’autres ministères régaliens, comme un ministère qu’il faut renforcer, et non comme une variable d’ajustement. Nous commençons à voir la situation évoluer. Sans doute avez-vous entendu parler de l’événement intitulé « La fabrique de la diplomatie », que nous avons organisé en septembre 2025 à l’université Sorbonne-Nouvelle et qui a attiré quelque 20 000 personnes. Les Françaises et les Français ont envie, dans la période que nous vivons, non seulement de mieux connaître mais aussi de défendre leur diplomatie et leurs diplomates. Je vous invite à rejoindre cet effort.

Le fait que les budgets ne soient pas à la hauteur de ce que vous souhaiteriez ou de ce que je pourrais vouloir ne doit pas conduire à considérer que la France s’efface. Qui a animé la semaine de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations unies ? C’est la France.

Concernant la paix et la sécurité, première des trois grandes missions des Nations unies, la France présidait, avec l’Arabie saoudite, la session consacrée, en ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies, à la solution à deux États et à la Palestine.

En matière de développement durable, l’événement marquant de cette semaine de haut niveau a été la soixantième ratification de l’accord international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (BBNJ), qui lui permet d’entrer en vigueur et à la première conférence des parties à se dérouler en 2026.

Pour ce qui est des droits de l’homme, nous aurions voulu que se tienne au niveau des chefs d’États et de gouvernements l’initiative que nous avons contribué à porter avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur la défense du droit international humanitaire. Cela n’a finalement pas été possible et cette initiative se concrétisera lors du Forum de Paris pour la paix, qui va rassembler dans quelques jours tous les partisans du multilatéralisme à l’échelle mondiale. Nous accueillons enfin cette semaine la Conférence ministérielle des diplomaties féministes, qui constitue une contribution à la troisième mission des Nations unies.

L’objectif premier est bien évidemment de retrouver du muscle budgétaire en général, pour que la France soit plus forte et que sa voix porte davantage à l’extérieur. Sans doute faudra-t-il ensuite réarmer notre politique de développement. Mais que l’on ne dise pas que la France s’efface : ce n’est pas vrai. Je suis certain que vous constatez comme moi, lorsque vous vous déplacez à l’étranger, que la France compte et continue de peser.

M. le président Bruno Fuchs. Jean-Paul Lecoq évoquait le respect des engagements liés à la loi de programmation en matière d’aide publique au développement.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous allons nous appuyer sur les travaux de la mission d’information évoquée par madame Voynet, sur ceux que nous avons pu conduire en interne, ainsi que sur la revue nationale stratégique qui vient d’être actualisée. Dès que nous aurons une vision claire, consensuelle et partagée des objectifs de notre diplomatie, nous pourrons bâtir un cadre programmatique.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). C’est un nouvel enfumage !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. J’essaie de faire preuve de bonne volonté, monsieur Lecoq.

M. Sébastien Chenu (RN). Vous êtes évidemment comptable de la situation budgétaire et financière globale de votre ministère.

Je souhaite attirer votre attention sur un sujet que vous n’avez pas abordé, à savoir les incidences budgétaires de l’accord qui nous lie à l’Algérie depuis 1968, au-delà de celles que nous pourrons étudier lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Cet accord migratoire est totalement dérogatoire, au bénéfice des ressortissants algériens. Il leur permet d’obtenir un titre de séjour, un regroupement familial ou l’accès à certaines aides dans des conditions plus favorables que pour toute autre nationalité. Douze mois de présence suffisent, par exemple, pour demander un regroupement familial au lieu de dix-huit mois dans le droit commun.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). C’est obsessionnel chez vous !

M. Sébastien Chenu (RN). Les regroupements familiaux concernant les Algériens représentent un quart de l’ensemble de ceux-ci, avec des conséquences budgétaires réelles. Ce régime spécial est ainsi évalué à environ 2 milliards d’euros par an, incluant 300 millions d’euros de surcoûts administratifs relatifs aux contentieux, aux procédures d’éloignement qui n’aboutissent pas.

Sur le plan diplomatique, la situation est non seulement coûteuse mais aussi insatisfaisante. Les laissez-passer consulaires ne sont presque jamais délivrés et la dette hospitalière de l’Algérie vis-à-vis de la France a explosé. Alors que nous sommes partout à la recherche d’économies, ce sujet, tel un éléphant au milieu du salon, n’est pas évoqué.

Je souhaite par ailleurs souligner l’augmentation des visas accordés aux ressortissants algériens par l’intermédiaire de Campus France, organisme placé sous votre co-tutelle, qui a validé la délivrance de 1 000 visas étudiants supplémentaires en 2025.

Incluez-vous ces dépenses, dont vous voudrez bien nous communiquer le montant exact, dans le champ des dépenses non pilotables de votre ministère ? La France dispose-t-elle d’une stratégie diplomatique prenant en compte le coût financier très élevé de cet accord ou cela procède-t-il simplement d’une sorte d’habitude, entre soumission, laxisme et clientélisme, qui coûte cher aux Français et que vous n’osez pas remettre en cause ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je ne suis pas seul comptable du budget de ce ministère ! L’année dernière au Sénat, par exemple, la commission des finances voulait réaliser des économies particulièrement importantes sur ce ministère, avec un amendement qui réduisait de 50 millions d’euros les fonds alloués à notre outil de travail. Nous avions alors proposé un compromis, sous la forme d’un amendement – adopté – de 25 millions d’euros d’économies, montant déjà très important. Or en commission mixte paritaire, les 50 millions d’euros ont été ajoutés, alors que nous avions déjà encaissé les 25 millions d’euros d’économies demandés sur l’outil de travail. Il arrive ainsi que la copie du gouvernement soit dégradée par le Parlement, à la hausse ou à la baisse selon le point de vue. Nous faisons avec.

Ma responsabilité est de proposer au nom du gouvernement une copie des arbitrages. Je vous ai expliqué comment nous avions décomposé les 434 millions d’euros d’économies qu’il m’a été demandé de réaliser. C’est ensuite à vous que la décision appartiendra. Mon rôle sera alors d’exécuter vos décisions et d’en tirer le meilleur parti.

Concernant l’accord avec l’Algérie, le coût de 2 milliards d’euros a été repris dans certains médias. Permettez-moi de citer le titre de la dernière partie du rapport procédant à ce chiffrage : « Un surcoût budgétaire impossible à fiabiliser rigoureusement en l’état des données transmises mais qui peut être estimé à environ 2 milliards d’euros par an ».

Les accords de 1968 comportent-ils des éléments avantageux pour les bénéficiaires, c’est-à-dire pour les ressortissants algériens, par rapport au droit commun ? Oui. D’autres éléments en revanche le sont moins. Si cet accord était remplacé par un autre, cela ne conduirait sans doute pas à une baisse du nombre de ressortissants algériens en France mais à une modification des profils concernés. Il est par exemple probable que l’on compterait un peu moins d’immigration familiale et un peu plus d’immigration économique et étudiante, auxquelles les accords de 1968 sont moins favorables. C’est la raison pour laquelle, lorsque le président de la République s’est rendu en Algérie en 2022 et a endossé la déclaration d’Alger avec le président algérien, tous deux avaient convenu d’engager un travail conduisant à la révision de l’accord de 1968, afin de l’adapter aux réalités du temps. Plusieurs forces politiques en France demandent depuis un certain temps que cet accord soit revu ou abrogé. Les Algériens seraient eux aussi en droit de souhaiter que des évolutions soient envisagées.

Concernant les visas, vous faites référence à un message de Campus France, organisme ayant la responsabilité de mettre en relation des étudiants étrangers avec nos établissements d’enseignement supérieur, qui fait état d’une augmentation du nombre de visas étudiants délivrés d’un millier en 2025 par rapport à 2024, passant de 8 000 à 9 000. Il me semble important de replacer dans son contexte cette information dont je comprends qu’elle ait pu être mal comprise à un moment où les relations entre la France et l’Algérie sont gelées. Il faut tout d’abord savoir que les visas étudiants représentent une part minime des visas émis chaque année au bénéfice de ressortissants algériens : ce nombre fluctue ; il est passé de 10 000, il y a deux ans, à 8 000 puis à 9 000. Cela dépend du nombre de demandeurs et des places offertes par les établissements d’enseignement supérieur. Dans toutes les autres catégories de visas, le nombre de titres émis a baissé. Je m’attends sur une année complète à une baisse encore plus marquée, à la suite des mesures restrictives très fermes que nous avons prises à l’encontre des dignitaires algériens. Je précise que nous n’avons pris aucune mesure touchant la population générale.

Au cours des neuf premiers mois de 2025, le nombre de visas accordés par la France à des ressortissants algériens a baissé de 14,5 % par rapport à la même période de l’année précédente. Le taux de refus par nos services consulaires a atteint 31 % en Algérie, soit le double de la moyenne mondiale, qui est de 16 %. Cette tendance concerne l’ensemble des catégories de visas, qu’ils soient touristiques, en baisse de 21 %, économiques, de 12,6 %, ou pour motif familial, de 7,4 %. Il est vrai que le nombre de bourses étudiantes augmente mais elles suivent une logique un peu différente.

Nous avons pris le parti de ne pas prendre de mesures visant les Algériens ordinaires, en considérant que la population n’était pas responsable des décisions brutales, absurdes et infondées des autorités algériennes. Si l’on constate une baisse des visas, c’est tout d’abord parce que les autorités algériennes ont réduit notre dispositif consulaire et diplomatique sur place, ce qui limite la capacité à traiter le flux entrant. En outre, le nombre de demandes de visas formulées par des ressortissants algériens a baissé cette année, peut-être parce qu’ils ont considéré qu’un déplacement n’était pas opportun au moment où les tensions entre les deux pays atteignent un tel niveau.

C’est donc la combinaison d’une baisse de la demande et de la capacité à les accorder qui explique la diminution très marquée du nombre de visas. Elle est largement supérieure à l’augmentation de celui des bourses étudiantes, qui a fait l’objet d’une communication dont, encore une fois, je comprends qu’elle ait été incomprise. Mais cela ne doit pas masquer la réalité de l’évolution des mobilités entre nos deux pays.

M. Sébastien Chenu (RN). Vous nous dites que vous n’êtes pas responsable ; j’entends.

Vous contestez que l’accord de 1968 coûte 2 milliards d’euros. Dans ce cas, sait-on quel est vraiment son coût ? Si l’on est incapable de l’estimer, c’est grave.

Vous avez dit que l’accord comprenait des clauses qui sont moins avantageuses pour les ressortissants algériens. Je suis curieux de savoir lesquelles. Quel est leur impact financier ?

Enfin, vous n’avez pas répondu à ma question sur Campus France. Quel est le coût pour les finances publiques des bourses étudiantes accordées à des Algériens ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Comme je vous l’ai dit, environ 8 000 visas sont accordés à des étudiants algériens. Ils ne sont évidemment pas tous boursiers de Campus France. Je vous fournirai plus tard des éléments précis sur le coût des bourses accordées aux étudiants algériens.

S’agissant du surcoût de l’accord franco-algérien, je n’ai pas remis en cause l’évaluation figurant dans le rapport de la commission des finances : au contraire, j’ai mis en valeur ce document, qui établit que le surcoût budgétaire est « impossible à fiabiliser rigoureusement en l’état des données transmises ». Sans doute faut-il approfondir la réflexion.

L’accord de 1968 comprend des clauses qui sont moins favorables aux Algériens notamment en matière d’entrepreunariat et de statut des étudiants. Je vous fournirai des précisions complémentaires ultérieurement.

M. Sébastien Chenu (RN). Quelles sont les conséquences financières de ces clauses moins favorables ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Elles sont moins favorables que le droit commun pour le demandeur du visa. Si l’on revient au droit commun pour les Algériens, comme le propose le rapport, leur situation deviendrait moins favorable en ce qui concerne l’immigration familiale mais plus favorable s’agissant de l’immigration économique.

C’est la raison pour laquelle la révision de l’accord de 1968 a été abordée par les deux chefs d’Etat lorsque nous avons repris le dialogue en 2022. Il y a sans doute des ajustements à faire, même si la position de votre groupe est plutôt l’abrogation, je crois.

M. Hervé Berville (EPR). Comme le premier ministre et vous-même l’avez dit, nous sommes à un moment particulier, marqué par une volonté de partage du pouvoir entre le Parlement et l’Exécutif.

On doit aussi respecter les lois de programmation. On respecte la loi de programmation militaire ainsi que les lois d’orientation et de programmation du ministère de la justice et pour la sécurité intérieure ; c’est une bonne chose. Je ne vois pas pourquoi on ne respecterait pas la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, sachant que nous nous sommes battus pour l’obtenir précisément parce que le gouvernement considérait qu’il serait évidemment tenu de suivre le texte voté. Je ne remets pas en cause votre travail car vous avez respecté un certain nombre de dispositions de la loi, notamment en créant cette année la commission d’évaluation de l’APD. Elle nous permettra de mieux mesurer l’impact de cette dernière. Mais force est de constater que les lois de programmation sont traitées différemment, ce qui n’est pas normal.

Pour la troisième année consécutive, le budget de l’APD diminue. Sa baisse a atteint 39 % en 2025. En 2024 et 2025, les crédits de la mission Aide publique au développement ont été amputés respectivement dix fois et quatre fois plus que la moyenne des autres missions budgétaires, participant ainsi de manière disproportionnée à l’effort budgétaire. Je rappelle que la loi de programmation fixe un objectif de 0,7 % du revenu national brut consacré à l’APD en 2025. On en est très loin. En 2026, la mission figure dans la liste de celles qui sont les plus mises à contribution : elle est la quatrième si l’on raisonne en volume et la deuxième en proportion.

Un point m’a vraiment surpris : l’article 2 de la loi de programmation prévoit que les taxes affectées au Fonds de solidarité pour le développement (FSD) ne peuvent pas être inférieures à 528 millions d’euros ; or je vois dans le PLF pour 2026 que ce plancher a été transformé en plafond, soit l’inverse de ce qui est prévu par la loi de programmation. Comment va-t-on faire pour respecter la loi de programmation d’ici à 2027 ? La confusion entre plancher et plafond est-elle une coquille ? C’est un point important car cela ne signifie pas du tout la même chose s’agissant de la trajectoire financière.

Il faut se préparer à faire la guerre mais aussi à faire la paix, et pour cela nous avons besoin d’un appareil de défense et de la diplomatie, ainsi que d’une politique de développement car celle-ci améliore notre influence et notre crédibilité tout en contribuant à résoudre les grands problèmes contemporains, tels que la santé, l’éducation ou le dérèglement climatique. Ce n’est pas parce que l’on assiste à des baisses de l’APD partout dans le monde que nous devons être des suiveurs.

Vous l’avez montré avec la décision reconnaissant l’existence de la Palestine dans le cadre de la solution des deux États ou avec l’adoption de l’accord sur la haute mer : quand elle prend des initiatives, la France est suivie, crédible et fidèle à sa vocation.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. L’aide publique au développement est confrontée à une double contrainte, je le disais.

Une contrainte budgétaire, tout d’abord : les mesures en faveur de nos concitoyens destinées à faire face aux conséquences très lourdes de la Covid-19 et de la guerre en Ukraine sur le pouvoir d’achat ont conduit, après une période de forte hausse de l’APD, à des ajustements. Cela contrevient à la loi de programmation.

Une contrainte politique, ensuite : d’une part, un certain nombre de forces politiques soutiennent davantage la loi de programmation militaire ou les lois de programmation qui concernent d’autres ministères régaliens que celle relative à l’APD ; d’autre part, des forces politiques assument de demander une baisse de l’APD, alors qu’aucune ne demande une diminution du budget des armées.

Je peux vous assurer que les couloirs de Bercy retentissent encore des hurlements que nous avons poussés la première fois que l’on nous a dit qu’il allait falloir renoncer à 434 millions sur un budget de 5,4 milliards d’euros. Mais il a fallu faire des choix et je vous ai indiqué quelles étaient les priorités que nous nous sommes fixées.

Vous posez une question très importante sur les crédits du programme 384, Fonds de solidarité pour le développement, qui prend le relais des taxes affectées. Je vous donnerai la réponse à la question de savoir s’il s’agit d’un plafond ou d’un plancher bien avant que ne démarrent les discussions sur ce programme.

M. Hervé Berville (EPR). Vous n’avez pas répondu à ma question sur la manière de respecter la trajectoire de la programmation. Pouvez-vous tracer des perspectives qui nous mettent un peu de baume au cœur, alors que nous entrons dans un hiver budgétaire ?

J’en profite pour saluer tous les agents du ministère qui travaillent sur ces questions passionnantes et qui tiennent bon, malgré les baisses de crédits des différentes agences, ainsi que les organisations non gouvernementales (ONG) et la société civile, qui continuent à soutenir cette belle politique.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Il y a toujours des perspectives. Tout est question de volonté…

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Chiche ! C’est la première fois que vous le dites.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. …et d’organisation des priorités. On ne peut pas tout faire en même temps et avoir l’APD la plus généreuse du monde.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux interventions et questions formulées à titre individuel.

M. Michel Guiniot (RN). Le tableau figurant en annexe du PLF et présentant la répartition des crédits par ministère indique que ceux affectés au ministère des affaires étrangères baisseront de 700 millions d’euros en 2026. Quelques programmes connaissent une légère hausse, dont le programme Action de la France en Europe et dans le monde, avec + 0,1 %, et le programme Français à l’étranger et affaires consulaires, avec + 0,2 %. Celui consacré à la diplomatie culturelle et à l’influence n’augmente pas. En parallèle, la contribution de la France à l’Union européenne passe de 23,3 milliards à 28,7 milliards d’euros en un an, alors que nous étions déjà contributeurs nets pour plus de 7 milliards l’an dernier.

Comment réagissez-vous face à ce PLF qui diminue de manière drastique les fonds alloués au fonctionnement de votre ministère – donc au service des Français à l’étranger et des intérêts de la France dans le monde – alors que, dans le même temps, les fonds alloués au fonctionnement de l’UE sont augmentés de près d’un quart, soit 5,4 milliards d’euros ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Le prélèvement sur recettes retrace notre contribution annuelle au budget de l’Union européenne. Chaque année votre groupe l’estime supérieur à ce que nous retirons de notre appartenance à l’Union. C’est une appréciation extrêmement partielle des bénéfices que les Français tirent de leur appartenance à l’Union européenne.

Comment mesurer ces bénéfices ? Il y a une manière assez simple qui consiste à examiner l’expérience grandeur nature d’un pays qui est sorti de l’Union européenne. Que s’est-il passé au Royaume-Uni ? Avant qu’il quitte l’UE, la richesse par habitant était de 3 000 euros supérieure à la moyenne européenne, ce qui n’est pas surprenant puisqu’il faisait partie des pays les plus avancés, comme la France et l’Allemagne. Depuis sa sortie, cette richesse se situe dans la moyenne européenne. C’était il y a dix ans et je ne tiens pas compte de l’inflation. Si l’on multiplie cette perte de richesse par les 70 millions d’habitants, on peut considérer que le Royaume-Uni a perdu 210 milliards d’euros par an.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Ce n’est pas la bonne manière de calculer ! Il faut être sérieux. Cela dépend aussi de la politique que l’on poursuit.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. C’est au contraire la meilleure manière de calculer. Le prélèvement sur recettes représente de l’ordre de 20 milliards d’euros mais nous retirons dix fois plus de notre appartenance, comme le démontre ce qui s’est passé pour l’économie britannique après le Brexit.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). C’est ridicule.

M. Michel Guiniot (RN). Je ne doutais pas que vous présenteriez votre point de vue avec une certaine habileté.

Mme Christine Engrand (NI). Le budget qui nous est présenté donne le sentiment d’une diplomatie française sous contrainte, trop souvent dépendante de logiques extérieures à nos priorités nationales.

Le PLF pour 2026 prévoit une légère baisse des crédits mais cette évolution ne doit pas masquer une réalité : le niveau global de l’aide française au développement reste disproportionné au regard de nos moyens et des urgences qui concernent directement nos concitoyens. La France continue d’engager des montants considérables dans des programmes dont la lisibilité, l’efficacité et parfois même la pertinence interrogent. Une part importante de ces financements transite par des dispositifs multilatéraux ou européens, échappant largement à notre pilotage, alors que l’aide bilatérale – qui est la seule à garantir notre influence – s’amenuise.

Comment s’assurer que cette politique ne devienne pas une simple mécanique budgétaire, déconnectée des réalités locales et nationales, et qu’elle demeure au service d’une véritable diplomatie d’influence, au bénéfice de la France comme de ses partenaires ? Notre influence recule dans plusieurs régions du monde au profit d’autres puissances. Comment entendez-vous restaurer une diplomatie française capable d’exister pleinement face à cette concurrence et avec ce budget ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Vous devez être satisfaite puisque, comme je l’ai déjà expliqué, nous avons cherché à faire des économies sur les dépenses pilotables, dont prioritairement celles de fonctionnement, et au sein de ces dernières particulièrement sur les contributions.

Parmi celles-ci, nous avons porté l’effort d’économies sur les contributions multilatérales plutôt que sur les contributions bilatérales. L’an dernier, les crédits relatifs aux contributions étaient répartis à hauteur des deux tiers pour les contributions multilatérales et d’un tiers pour les contributions bilatérales. En 2026, les réductions de crédits s’élèvent à 217 millions d’euros pour les premières et à 100 millions d’euros pour les secondes. De ce fait, les deux types de contributions auront désormais le même poids. J’ai donc rééquilibré au profit du bilatéral.

M. Kévin Pfeffer (RN). Dans votre introduction, vous êtes passé un peu vite sur les dépenses que vous considérez non pilotables. On pourrait certainement y trouver des économies et nous en proposerons.

Je souhaite vous interroger une nouvelle fois sur la réforme du corps diplomatique de 2022, qui a organisé l’extinction de deux corps du ministère des affaires étrangères. Le Rassemblement national s’était fermement opposé à cette réforme, qui a détruit ces corps d’excellence aux compétences si particulières, exigeant notamment des connaissances en langues et civilisations étrangères, ainsi que des savoir-faire acquis grâce à l’expérience et aux affectations successives.

Ces compétences, un élu battu aux élections ne les a pas nécessairement. Les inquiétudes que nous avions exprimées quant à une possible politisation des nominations semblent malheureusement confirmées au vu du profil du nouvel ambassadeur de France nommé cet été au Soudan du Sud. Cet ancien député macroniste avait été défait aux élections municipales et législatives dans le Var face à des candidats du Rassemblement national. Je doute sincèrement que des personnes nommées par complaisance puissent fournir le même service que nos diplomates chevronnés.

J’ai également pris connaissance d’un rapport du Sénat qui indique que cette extinction a eu, de surcroît, un coût non négligeable de plusieurs millions par an, en raison du droit d’option. Confirmez-vous que cette mauvaise réforme a coûté 3,6 millions d’euros par an ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je ne peux pas vous répondre tout de suite sur ce dernier point et je vous fournirai la réponse ultérieurement.

La réforme s’est traduite par des avancées pour la carrière des cadres du ministère. Les conseillers des affaires étrangères et les ministres-plénipotentiaires ont opté à 88 % pour leur intégration dans le nouveau corps des administrateurs de l’État, soit près de 700 agents au total.

Parallèlement, des dispositifs d’accompagnement permettant de conserver un outil diplomatique performant sont mis en œuvre : préservation du concours d’Orient, qui restera une voie d’accès directe et spécifique au Quai d’Orsay et qui va de pair avec une réforme des concours ; revalorisation des parcours et des carrières des secrétaires des affaires étrangères ; garantie pour les agents qui n’ont pas opté pour le corps des administrateurs de l’État d’avoir un déroulement de carrière au moins équivalent à celui qui prévaut actuellement, et en réalité substantiellement amélioré ; possibilité pour le ministère de proposer à tous ses agents, y compris aux administrateurs de l’État, d’y faire leur carrière.

Enfin, le ministère s’est saisi de cette réforme pour transformer sa culture managériale à travers une meilleure évaluation de la performance, afin de tirer des conséquences plus opérationnelles en matière de bonnes pratiques. Un accompagnement des encadrants a été mis en place grâce à la nouvelle délégation à l’encadrement supérieur. De même, un effort sans précédent a été fait pour féminiser.

En résumé, la réforme de l’encadrement supérieur a été l’occasion d’améliorer la situation de nos agents et de continuer à valoriser l’idée d’une diplomatie de métier, de compétences et de talents.

Un élément méritait d’être réaffirmé, et je l’ai fait avec force en soutenant le développement de l’académie diplomatique et consulaire : même s’il arrive que des mobilités aient lieu entre différents secteurs de la fonction publique – et nous les promouvons –, la diplomatie et les métiers du consulaire sont des métiers à part entière. Cela ne s’improvise pas. C’est la raison pour laquelle cette académie permet de former les personnes qui ont vocation à exercer des responsabilités dans le ministère.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Je voudrais revenir sur les contributions aux politiques de coopération bilatérales et multilatérales. Nous sommes totalement opposés aux coupes budgétaires parce que la construction de la paix et la résolution des crises ou des conflits nécessitent des moyens – même s’ils ne sont pas forcément très élevés –, en particulier dans la période actuelle. Le niveau de conflictualité atteint dans le monde est inédit depuis 1945, sans même parler du génocide en Palestine, qui va avoir pour conséquence d’entreprendre un travail de reconstruction. Il faut résoudre un certain nombre de crises. Lors de son audition, une fonctionnaire suivant plus particulièrement l’Organisation des Nations unies (ONU) nous a parlé d’un programme en faveur des populations auquel la France contribue à hauteur de 600 000 euros. Où va-t-on prendre les crédits ? Va-t-on ponctionner la contribution à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), alors que le choléra est réapparu au Soudan ? Va-t-on réduire celle destinée à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), alors que la France est supposée être chef de file du plan de paix en Palestine – qui, entre parenthèses, est selon nous un plan de colonisation ?

Un certain nombre de politiques vont en tout état de cause devoir être menées et le signal donné par ce budget est très mauvais. Par-delà les populations à qui les aides vont manquer, il est également question du rang de la France. On a du mal à comprendre pourquoi les coupes budgétaires se focalisent sur les actions bilatérales et multilatérales.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Aider est aussi un devoir moral.

Nous allons accueillir la semaine prochaine une conférence consacrée à la situation humanitaire dans la région des Grands Lacs. Nous allons appeler la communauté internationale à se mobiliser car les besoins humanitaires ne sont pas du tout satisfaits dans cette zone, très loin de là. Nous apporterons notre contribution à cette occasion.

S’agissant de Gaza, nous co-organiserons, avec l’Égypte, les États-Unis et d’autres pays, la conférence pour la reconstruction qui aura lieu dans les prochaines semaines. Le président de la République m’a demandé de travailler à la contribution française qui sera annoncée lors de cette conférence. Cette contribution concernera les besoins urgents de la population – notamment en matière de santé et d’éducation des enfants – qui se manifesteront jusqu’au début de la reconstruction. C’est ce sur quoi nous allons nous focaliser dans les semaines à venir.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). J’ai découvert que les écoles nationales à vocation régionale (ENVR) relevaient de votre ministère. J’ai pu mesurer leur pertinence et leur qualité, ainsi que le rôle qu’elles jouent pour restaurer l’image de la France dans des pays où c’est nécessaire, notamment en Afrique. Envisagez-vous de leur accorder plus de moyens, tant pour aider au développement que pour améliorer la perception du rôle de la France ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je suis bien d’accord avec vous : cette très belle action menée par la direction de la coopération de sécurité et de défense figure dans le programme 105. Les crédits de celle-ci sont stables, avec 35,6 millions d’euros.

Les ENVR relèvent de cette direction, qui est confiée à un officier général. Elles permettent de développer des compétences en fonction des besoins des pays ou des régions concernées, notamment en matière de lutte contre le narcotrafic ou de maîtrise des flux migratoires. C’est une mission dont nous sommes fiers. Certains se demandent parfois pourquoi elle n’est pas assurée par le ministère des armées mais elle fait partie de la palette des outils dont nous disposons pour exercer une influence, au même titre que l’APD.

Je vous remercie d’avoir salué cette action du ministère, qui n’est pas toujours très connue mais qui est très appréciée là où elle se déploie.

M. Stéphane Rambaud (RN). Les crédits consacrés à l’action extérieure de l’État atteignent cette année 3,45 milliards d’euros, dont 2,69 milliards pour l’action de la France en Europe et dans le monde et 605 millions pour la diplomatie culturelle. Pourtant, jamais la voix de la France n’a semblé aussi faible sur la scène internationale. Nos ambassades ferment ou manquent de moyens, par exemple au Niger ou au Soudan. Nos alliances historiques se distendent et notre diplomatie culturelle, autrefois pilier de notre influence, est réduite désormais à peau de chagrin. Dans le même temps nos diplomates sont de plus en plus contraints d’appliquer des orientations décidées à Bruxelles ou à Washington, plutôt que de défendre une ligne française indépendante et claire.

Nous avons besoin d’une diplomatie pleinement française, recentrée sur la défense de nos intérêts, de notre langue, de nos entreprises et de nos compatriotes à l’étranger, et non d’une diplomatie supplétive de l’Union européenne. Comment justifier un budget aussi important quand il ne permet plus à la France d’être souveraine, entendue et respectée dans le monde ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je trouve au contraire que ce budget est très modeste puisqu’il équivaut, pour ce qui concerne le réseau, au budget de fonctionnement de l’Opéra de Paris. Cela nous permet malgré tout d’avoir une présence dans quasiment tous les pays du monde, d’y protéger nos ressortissants et d’y défendre nos intérêts – qu’ils soient économiques ou sécuritaires –, mais aussi d’être en première ligne pour faire face aux atteintes portées à l’image de la France.

C’est le minimum minimorum. Je considère en tout cas qu’il est difficile d’imaginer pouvoir faire des économies supplémentaires sur l’action extérieure de l’État sans dégrader un outil de travail dont vous avez dit combien il est important pour que la France soit entendue.

En revanche, je suis en désaccord avec ce qui sous-tend votre discours sur l’Union européenne. Une formation du Conseil réunit les ministres des affaires européennes, qui tentent de se mettre d’accord sur un certain nombre de points mais notre politique étrangère nous appartient. Il est vrai que, lorsque nous parvenons à faire converger les positions au sein de l’Union européenne, l’effet multiplicateur européen donne plus de force à notre voix, sachant que nous sommes un grand pays européen et l’un des fondateurs. Mais nous ne sommes pas des supplétifs. Dans les États où la France est représentée, l’ambassadeur exerce sa mission singulière de défense de l’intérêt national. Il ne s’agit pas de l’intérêt du Quai d’Orsay mais de celui de notre pays, dans toutes ses dimensions.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). La semaine dernière, après plusieurs semaines de révolte du peuple malagasy, et notamment de la jeunesse, celui qui était alors le président de Madagascar a été exfiltré par l’armée française, ce qui revient à le soustraire à la justice de son pays alors que la répression qu’il a ordonnée a fait plusieurs dizaines de morts. Une fois de plus, l’image de la France est ternie auprès d’un peuple qui a le sentiment qu’elle se met du mauvais côté. On l’a déjà vu dans de nombreux pays africains, et c’est l’une des raisons du désaveu de la France en Afrique.

Pourquoi l’avoir exfiltré ? On nous dit que c’est parce qu’il est franco-malgache et qu’il fallait donc l’aider mais on connaît de nombreux exemples de binationaux, notamment à Gaza, qui n’ont pas été exfiltrés dans un avion de l’armée française alors qu’ils étaient en danger, y compris lorsqu’ils sont députés. Certains, qui participaient à la flottille pour Gaza, se sont débrouillés tout seuls pour revenir, alors que les Colombiens, par exemple, ont envoyé l’avion présidentiel pour ramener leurs ressortissants. À Madagascar, des rumeurs se répandent selon lesquelles l’ancien président avait des dossiers, notamment sur des affaires de corruption. Il faudrait donner des explications car, une fois de plus, l’image de la France est ternie.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Ternie par qui ?

M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Par le choix de l’avoir soustrait à la justice de son pays !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je ne voudrais pas ajouter de la polémique à la polémique mais je pense que cela nous ferait beaucoup de bien si ceux qui ont participé aux flottilles, et qui savent parfaitement à quel point les agents du ministère se sont démenés pour qu’ils puissent rentrer le plus rapidement et dans les meilleures conditions possibles, pouvaient les remercier et saluer leur action.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Vous faites diversion. Qu’une propagande existe pour nuire à l’image de la France ne signifie pas pour autant que les décisions du président de la République n’ont pas, elles aussi, un impact sur cette image. Le peuple malgache n’a pas inventé que son ancien président, qui a des dizaines de morts sur la conscience, a été exfiltré par l’armée française. Pourquoi a-t-on fait cela ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Le président de la République a été très clair et je l’ai été moi-même lorsque je me suis exprimé.

La présence de l’ambassadeur de France lors de l’investiture du nouveau président témoigne de notre soutien à une transition qui doit permettre de tenir compte de l’aspiration à la démocratie ainsi qu’à l’accès à un certain nombre de services et de biens de première nécessité, exprimée avec beaucoup de force par la jeunesse malgache. Cette transition doit conduire au retour à la légalité constitutionnelle et nous sommes prêts à la soutenir.

 

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Informations relatives à la commission

En conclusion de sa réunion, la commission désigne :

  M. Michel Herbillon, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission Action extérieure de l’État : Action de la France en Europe et dans le monde ; Français à l’étranger et affaires consulaires dans le projet de loi de finances pour 2026 (n° 1906).

 

 

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La séance est levée à 18 h 35.

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Michel Barnier, M. Hervé Berville, M. Bertrand Bouyx, M. Sébastien Chenu, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Christine Engrand, M. Bruno Fuchs, M. Julien Gokel, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. François Hollande, M. Arnaud Le Gall, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Gisèle Lelouis, M. Laurent Mazaury, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, M. JeanLouis Roumégas, Mme Dominique Voynet.

 

Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Eléonore Caroit, Mme Christelle D'Intorni, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, Mme Clémence Guetté, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Mathilde Panot, M. Davy Rimane, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Lionel Vuibert, M. Laurent Wauquiez, Mme Caroline Yadan, Mme Estelle Youssouffa