Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation internationale. 2
Mercredi
5 novembre 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 14
session ordinaire 2025-2026
Présidence
de M. Bruno Fuchs, Président
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La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean‑Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation internationale.
La séance est ouverte à 16 h 35.
Présidence de M. Bruno Fuchs, président.
M. le président Bruno Fuchs. Au moment de vous recevoir, monsieur le ministre, je me réjouis de la sortie de leur prison iranienne de Cécile Kohler et Jacques Paris, dont j’espère le retour prochain sur notre sol.
L’actualité mondiale a été très riche depuis que vous êtes venu traiter de la situation internationale devant notre commission en juillet. Des développements significatifs ont eu lieu aux Proche et Moyen-Orients depuis le déplacement du président de la République à l’Assemblée générale des Nations unies et la reconnaissance par la France de l’État de Palestine, décision immédiatement suivie par d’autres pays dans l’intention ou dans l’expression directe. Ce n’est pas un hasard si le président Trump a présenté un plan de paix pour Gaza en vingt points reprenant, pour une large part, la déclaration de New York adoptée par cent‑quarante‑deux pays sous l’impulsion de la France et de l’Arabie saoudite. Comment accompagner au mieux la suite de ce processus ?
En Iran, un autre otage, Lennart Monterlos, avait été libéré quelques semaines avant Cécile Kohler et Jacques Paris. Sur le dossier nucléaire, le Conseil de sécurité des Nations unies a, le 27 septembre, réactivé le snapback, c’est-à-dire les sanctions appliquées antérieurement à l’accord de Vienne de 2015. Faut-il comprendre cette évolution comme une complication du dialogue avec l’Iran ou comme une pression accrue pour obtenir des concessions de ce pays sur son programme nucléaire ? Pour l’heure, malheureusement, aucune proposition « sérieuse », pour reprendre le terme du président de la République, n’a été formulée par Téhéran. Nous espérons vous entendre faire le point sur ce dossier.
En Europe, le conflit ukrainien n’a, hélas, pas faibli en dépit de la rencontre entre les présidents Trump et Poutine à Anchorage le 15 août. L’intensification des frappes contre la population ukrainienne rappelle, si besoin était, le besoin impératif de renforcer le soutien à l’Ukraine. Ces dernières semaines, le président américain a certes annoncé des sanctions contre Rosneft et Lukoil mais d’autres formes d’expression contredisent cette volonté de faire pression sur la Russie. En Corée du Sud, il a même indiqué avoir évoqué le dossier avec son homologue chinois afin de voir comment avancer vers la paix. Que pouvons-nous en attendre ?
Par extension, comment interpréter la multiplication des incursions russes de missiles ou d’aéronefs militaires dans l’espace aérien de pays européens limitrophes alors que la Russie vient de procéder à des annonces inquiétantes sur des armes nouvelles, visiblement destinées à impressionner et menacer l’Europe ? Le président Trump a quant à lui réactivé l’idée de nouveaux essais nucléaires. Que pouvez-vous nous dire de ces nouvelles menaces ?
En Afrique, la guerre au Soudan connaît de très graves développements avec la prise de la ville d’El-Fasher au Darfour ; des centaines de milliers de civils connaissent des souffrances effroyables. Faut-il craindre la partition du pays et la déstabilisation de toute la région alors que se poursuit une guerre dans laquelle interviennent différentes puissances, telles que les Émirats arabes unis et l’Égypte ? Au Mali, où Bamako, encerclée par les forces djihadistes, pourrait tomber, une négociation est-elle possible ? Je me félicite pour ma part de la tenue de la Conférence de soutien à la paix et à la prospérité dans la région des Grands Lacs et je vous en remercie : elle a permis de lever 1,5 milliard d’euros de dons pour l’aide humanitaire, notamment pour l’Est du Congo. Enfin, à Madagascar, la contestation populaire a fait fuir le président Rajoelina et un comité militaire a pris la tête de l’Exécutif ; quelle est la position de la France face à cette transition ?
Pour clore ce rapide panorama, en Asie, le président Trump vient d’achever une tournée régionale, au cours de laquelle il a renforcé les liens de son pays avec le Japon, assisté à la signature, en Malaisie, d’un accord de paix entre la Thaïlande et le Cambodge et eu un entretien bilatéral avec le président chinois. Après des mois de tensions économiques et commerciales assez fortes avec la Chine, l’horizon semble se dégager quelque peu, en tout cas pour les droits de douane. Les restrictions chinoises sur les exportations de terres rares pourraient être assouplies pour un an : confirmez-vous que cela concernera aussi l’Europe ? Plus généralement, la République populaire de Chine assume sans complexe sa fermeté à l’égard des États-Unis et de l’Union européenne. Dans ce contexte, comment la France se positionne-t-elle vis-à-vis de ce pays, alors que le récent 25e sommet Chine-Union européenne n’a pas été un franc succès ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Les aléas politiques nous ont obligés à suspendre nos rencontres mensuelles après le 2 juillet ; je me réjouis que celles-ci reprennent. Je répondrai à vos questions liminaires et vous dirai quelques mots des initiatives que nous avons prises depuis notre dernière rencontre avant de mettre l’accent sur trois sujets particuliers sur lesquels portera l’action internationale de la France pour contribuer à la résolution des préoccupations de nos compatriotes.
Je me réjouis avec vous de la libération de Cécile Kohler et de Jacques Paris, désormais en sécurité à la résidence de France à Téhéran. Je me suis entretenu avec eux ce matin et les ai trouvés en bonne forme. Je leur ai dit le très important soutien dont ils ont bénéficié de la part des Françaises et des Français, de la représentation nationale en particulier. Ils ont remercié pour leur mobilisation les agents du ministère, qui veilleront sur eux pendant les semaines qui viennent. Leur sortie de prison est une bonne nouvelle mais c’est une étape et l’objectif de leur libération définitive continuera de nous mobiliser. Je salue, au-delà des agents du poste de Téhéran, les agents du centre de crise et de soutien, tous ceux qui se sont mobilisés depuis le début de l’année pour que nous obtenions la libération par l’Iran d’Olivier Grondeau, au mois de mars, puis de Lennart Monterlos, au mois d’octobre, et celle de Théo Clerc, il y a quelques mois par l’Azerbaïdjan.
En Ukraine, Vladimir Poutine est en échec militairement, politiquement et économiquement. Il n’a pas réussi à conquérir plus de 1 % du territoire ukrainien au cours des mille derniers jours. C’est sans doute pourquoi il continue de pilonner les villes de l’arrière et pourquoi il tente de nous intimider ou de détourner notre attention par des manœuvres hybrides et des incursions dans l’espace aérien de pays européens. Mais cela produit le résultat inverse et la détermination des Européens continue de croître pour soutenir l’Ukraine, dissuader la Russie de Vladimir Poutine et préparer la paix. Ainsi, le président de la République a annoncé récemment que les livraisons de missiles Aster et de Mirage à l’Ukraine se poursuivraient. Á l’échelle européenne, un prêt de réparation devrait permettre, lorsque les États se seront accordés sur ses termes, de prémunir l’Ukraine contre les difficultés financières pendant deux ou trois ans au moins. Nous espérons que l’Ukraine n’en aura pas besoin mais ce sera évidemment un point d’inflexion. Depuis le début du conflit, on avait le sentiment que, la Russie ayant plus de réserves que l’Ukraine, cette dernière était condamnée par avance à perdre la guerre. Avec le prêt de réparation, la situation sera inversée.
D’autre part, l’Union européenne a accru sa pression sur la Russie en adoptant un nouveau train de sanctions ; le Quai d’Orsay a très largement contribué à sa définition en désignant les principales entreprises russes concernées. Presque simultanément, des sanctions américaines ont été annoncées qui visent de grandes entreprises pétrolières russes : Rosneft, en particulier, mais aussi Lukoil, qui ne fait pas partie du 19ème régime de sanctions européen. Les entreprises pétrolières désormais ciblées par les sanctions couvrent l’immense majorité du pétrole russe mais les sanctions ne s’arrêtent évidemment pas là. Nous avons aussi renforcé la lutte contre la flotte fantôme des navires utilisés par la Russie pour contourner les sanctions et arraisonné dans les eaux françaises l’un des navires pétroliers de cette flotte. Désigner, c’est bien ; arraisonner avec l’appui de moyens militaires, c’est encore mieux si l’on veut dissuader ces comportements et préparer la paix.
À cet égard, la coalition des volontaires rassemblées par la France et le Royaume-Uni pour préparer les garanties de sécurité qui, le moment venu, assureront que l’Ukraine ne sera plus agressée, a trouvé une traduction concrète. Elle est désormais dotée d’un quartier général situé au Mont-Valérien, où siègent des représentants des pays concernés. Lorsque nous parviendrons au cessez-le-feu auquel nous voulons contraindre Vladimir Poutine, la coalition pourra se déployer dans le cadre d’un traité de paix pour assurer une paix durable.
À Gaza, l’initiative prise par la France et l’Arabie saoudite a ouvert la voie au plan de paix du président Trump. Si vous n’en êtes pas convaincus, je vous invite à lire ce document : vous y trouverez des références à l’initiative franco-saoudienne. Les États-Unis ont joint les actes à la parole et, au lendemain de la signature du plan de paix, plusieurs centaines d’officiers américains ont été déployés en Israël dans un bâtiment alloué au Centre militaire et civil de coordination. Trois officiers français s’y trouvent et d’autres les rejoindront prochainement. Chacun ici connaît les convictions de la France pour garantir la réussite de ce plan : nécessaire réforme de l’Autorité palestinienne, non-annexion de la Cisjordanie et de Gaza, désarmement et exclusion du Hamas de toute forme de gouvernance.
L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien expirant le 18 octobre 2025, nous avons consacré beaucoup de temps à l’Iran cet été et proposé à la République islamique de consentir des mesures de confiance qui nous permettraient d’envisager le report de la réapplication des sanctions en vigueur avant 2015. N’étant pas parvenus à trouver un accord avec l’Iran à l’échéance dite, nous avons, avec nos alliés britanniques et allemands, décidé de réappliquer les embargos des Nations unies levés il y a dix ans sur les armes, les banques, les assurances et les équipements nucléaires iraniens.
La guerre qui ravage le Soudan depuis deux ans et demi entraîne des conséquences humanitaires gravissimes, encore empirées par la chute d’El-Fasher : 2 000 personnes auraient été froidement exécutées et 460 tuées au cours d’un assaut mené par les forces de soutien rapide (FSR) contre la maternité de l’hôpital saoudien de cette ville. Les FSR poursuivent leur offensive vers le Nord du Darfour, ce qui fait craindre l’extension de ces atrocités à caractère ethnique. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, nous ne sommes pas restés les bras ballants : le 15 avril 2024, lors du premier triste anniversaire du déclenchement de cette guerre, la France a organisé la première conférence humanitaire à ce sujet, puis co-organisé, à Londres, celle du 16 avril 2025. À cette occasion, la déclaration politique qui aurait dû accompagner la levée de fonds n’a pu être signée, faute d’accord entre les pays de la région qui soutiennent une partie ou l’autre dans le conflit. Toutefois, réunissant cet été les parties tierces au conflit, les États-Unis sont parvenus à faire s’accorder l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite sur une déclaration commune. Il existe donc désormais un point de départ politique au règlement de la guerre. Il faut accélérer ce travail politique pour ne plus laisser aucune justification ni aux belligérants ni aux parties tierces pour poursuivre ces exactions. Nous avons pris des sanctions par trois fois au niveau européen et nous avons soutenu les sanctions prises aux Nations unies contre certains officiers, notamment ceux des FSR qui ont mené l’assaut contre El-Fasher.
Au Sahel, la Russie, qui avait annoncé qu’elle ferait reculer le terrorisme, est en échec complet : le terrorisme n’y a jamais été aussi prospère, malgré l’investissement considérable de Moscou ou des forces de sécurité russes dans la région.
À Madagascar, le président de la refondation de la République a été investi le 17 octobre, un nouveau premier ministre nommé le 20 octobre, un nouveau gouvernement annoncé le 28 octobre. La transition se poursuit et la France en a pris acte en étant représentée par son ambassadeur lors de la prestation de serment du président de la refondation. L’association de civils issus de différentes mouvances politiques dans le gouvernement est un signal encourageant que le dialogue continuera de primer pour que la transition aboutisse à une solution durable et apaisée dans l’intérêt de la population. La sécurité de nos compatriotes, qui sont plusieurs dizaines de milliers à Madagascar, et la stabilité de la région demeurent nos priorités. Je remercie vivement les agents de notre ambassade et de notre consulat général pour leur mobilisation dans les temps récents, particulièrement exigeants pour certains d’entre eux.
J’en viens aux initiatives prises par la France depuis ma dernière audition. Celle-ci avait eu lieu juste après la tenue à Nice de la 3ème Conférence des Nations unies sur l’océan. Nous avions obtenu plus de cinquante ratifications de l’accord pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine ; d’autres ratifications sont intervenues depuis lors et la soixantième, celle du Maroc, ayant été officialisée lors de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre, l’accord entrera en vigueur le 17 janvier 2026.
Le 22 septembre dernier, lors de la même Assemblée générale, nous avons coprésidé avec l’Arabie saoudite une conférence sur la solution à deux États au Proche-Orient, qui a permis d’engager une dynamique inédite – la reconnaissance de l’État de Palestine, d’une part ; la dénonciation et la condamnation du Hamas par les pays arabes, d’autre part –, cet ensemble étant assorti de l’expression claire de l’aspiration des pays de la région à établir des relations normalisées avec l’État d’Israël et à s’insérer aux côtés d’Israël et du futur État de Palestine dans une organisation régionale commune, comme il en existe en Europe et en Asie. La déclaration de New York est le fruit d’un travail d’un an mené avec l’Arabie saoudite. Le noyau initial de pays intéressés s’est élargi, si bien que le texte, adopté à l’écrasante majorité – cent-quarante-deux voix – des pays membres des Nations unies, a pesé dans la conception du plan de paix américain, qui reprend certains des principes énoncés. Nous sommes très satisfaits que le président Trump ait extrait de cette déclaration matière à consolider le plan qui doit nous permettre d’œuvrer collectivement au retour de la paix et de la stabilité dans la région.
Au Nigéria, où j’étais avec le président de la République, nous avons organisé à Lagos le deuxième forum Création Africa, dont la première édition s’était déroulée à Paris il y a deux ans. Pour ce qui est le plus grand forum consacré aux industries culturelles et créatives d’Afrique, nous avons, avec le soutien de nos postes diplomatiques, permis à des talents de la bande dessinée numérique, des mini-séries, du design numérique et d’autres industries culturelles et créatives émergentes issues de quarante-deux pays africains de se retrouver dans la ville qui est sans doute la capitale des industries culturelles et créatives en Afrique pour rencontrer entreprises et créateurs français et collègues africains. Ce moment a incarné la transformation des relations entre la France et les pays africains, qui reposent sur la coopération et les intérêts mutuels des entreprises françaises et des créateurs africains. D’autre part, nous avons inauguré à Paris la maison des mondes africains, incubateur et accélérateur de talents, dans un partenariat d’égal à égal.
Je remercie à nouveau les parlementaires de leur participation à chacune de ces initiatives, auxquelles s’ajoute, les 22 et 23 octobre derniers, la 4ème Conférence sur les diplomaties féministes, à laquelle on a constaté la participation record de 500 invités de cinquante-cinq délégations dont vingt-sept représentants des pays en développement. La diplomatie féministe n’est pas une marotte des pays du Nord : autant de pays du Sud que de pays du Nord y travaillent ensemble et, pour la première fois, trente-et-un États participants ont endossé une déclaration commune assez ambitieuse, de nature à irriguer des textes de référence en matière de droits des femmes à un moment où la question du genre est l’objet d’offensives très fortes.
La 8ème édition du Forum de Paris sur la paix a eu lieu les 29 et 30 octobre ; ce forum qui attire des figures des pays du Sud s’intéresse aux crises « oubliées ». On y a notamment vu la présidence tripartite de Bosnie-Herzégovine siéger à Paris autour du président de la République. On y a vu aussi des leaders africains de la région des Grands Lacs, la Conférence de soutien à la paix et la prospérité dans la région, que nous avons coprésidée avec le Togo, se tenant en parallèle. Les soixante-dix pays représentés avaient trois objectifs : le premier était de faire entendre la voix des agences des Nations unies, des organisations non gouvernementales et des travailleurs humanitaires pour qu’ils décrivent leur perception de la situation ; le deuxième était de mobiliser des financements et plus de 1 milliard d’euros d’aide ont été réunis à cette occasion ; le troisième objectif était d’ouvrir les corridors humanitaires, en particulier de rouvrir à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) l’aéroport de Goma, dont la fermeture empêche la distribution de l’aide humanitaire. Des progrès ont été accomplis dans tous ces domaines. J’ai été sidéré, voire choqué par les critiques dont cette conférence a fait l’objet, comme si, face à l’une des crises majeures de l’époque, la France devait avoir honte de mobiliser la communauté internationale pour réunir des financements. Non seulement des gens meurent à l’Est de la RDC mais la situation sanitaire y est si fortement dégradée que resurgit le risque de dissémination des virus Ébola et de l’immunodéficience humaine (VIH). Vous pouvez considérer que ce n’est pas à la France d’agir mais, alors, il ne faudra pas vous étonner d’assister au déferlement d’immenses vagues migratoires parce que des populations entières fuiront les exactions et les persécutions et, surtout, parce que les virus n’ont pas besoin de visas et que les pandémies ne connaissent pas les frontières.
Si la France devait renoncer à exercer la responsabilité que lui a confiée la communauté internationale lors de la fondation des Nations unies vis-à-vis de la paix et de la sécurité du monde, non seulement trahirait-elle son engagement mais aussi ses propres intérêts, l’insécurité en Afrique finissant par se répercuter dans notre pays d’une manière ou d’une autre.
Au cours des semaines et des mois à venir, je mettrai l’accent sur trois sujets qui montrent l’impact de notre action internationale sur la vie quotidienne de nos compatriotes. Pour lutter contre le narcotrafic et la criminalité organisée, je présenterai dans les prochaines heures un plan d’action très ambitieux devant permettre au Quai d’Orsay, en première ligne en raison de la coopération que nous entretenons avec les pays de production et de transit, de contribuer à traiter ce fléau à la racine. Nous nous mobiliserons aussi dans la lutte contre l’immigration irrégulière en renforçant notre coordination avec le ministère de l’intérieur sur certains sujets perfectibles, dont la question des visas, objet d’une tutelle partagée entre nous. Enfin, je m’emploierai à renforcer notre sécurité économique, faisant ainsi écho à vos propos, monsieur le président, qui évoquiez les récentes décisions de la Chine relatives aux licences d’exportation de terres rares dont elle maîtrise non seulement une grande partie des réserves mais aussi 90 % des capacités de raffinage. Un réveil européen est nécessaire pour nous permettre de préserver nos intérêts, d’éviter ou de dissuader les tentatives de coercition et d’accompagner nos entreprises, comme nous le faisons depuis dix ans par la diplomatie économique, dans la conquête de nouveaux marchés mais aussi désormais d’approvisionnements plus sûrs. Pour la lutte contre le narcotrafic, pour la régulation de l’immigration en liaison avec le ministère de l’intérieur et pour la sécurité économique, nous serons force de propositions et d’action, parce que c’est en partie à l’international que se trouve la réponse à ces grands défis.
M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.
M. Michel Guiniot (RN). Nous saluons la libération des otages français en Iran et remercions à cet égard la diplomatie française.
Le 29 octobre, une attaque au couteau près de Londres a fait un mort et deux blessés ; le suspect, afghan, est inculpé le 30 octobre. En Allemagne, un Afghan ayant poignardé des enfants est interné en psychiatrie. Le 1er novembre, à Paris, un Afghan de 20 ans est écroué pour association de malfaiteurs terroristes. Voilà, somme toute, une semaine ordinaire en Europe.
Hier, j’ai participé à la très intéressante audition du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et, dans le prolongement de cette audition, je souhaite vous interroger sur la politique du gouvernement à l’encontre des Afghans. Le sujet est complexe car demander les visas consulaires pour envoyer des Afghans chez eux reviendrait à donner une légitimité étatique au régime des talibans. Mais les garder chez nous, c’est prendre le risque que même 1 % des 120 000 Afghans présents sur notre sol soient hors de contrôle et parfois dangereux. Dans le respect de la ligne diplomatique française, quel protocole peut-on définir pour procéder à des retours groupés avec nos partenaires européens, afin d’éloigner de notre société des individus radicalisés et dangereux ? De même, le régime taliban luttant activement contre l’État islamique en Afghanistan, une fraction des Afghans qui demandent l’asile en France sont issus des rangs de ces terroristes et viennent l’esprit plein de haine envers la civilisation chrétienne occidentale. De quels moyens dispose-t-on pour s’assurer que les demandeurs d’asile ne sont pas de dangereux fugitifs ou des radicaux sous couverture ? Par extension, avec quels pays des négociations actives sont engagées pour qu’ils reprennent ceux de leurs ressortissants dont la justice française a estimé qu’ils ne devaient pas rester sur notre sol, en particulier la Guinée, la République démocratique du Congo, l’Érythrée, l’Iran et, évidemment, l’Algérie ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. La réadmission des ressortissants afghans qui n’ont pas vocation à rester sur le territoire français est rendue difficile par l’absence de relations avec les talibans. Vous l’avez indiqué, entrer dans une coopération ouverte avec l’Afghanistan à ce sujet reviendrait à reconnaître le régime des talibans, ce qui n’est pas sans conséquences, d’autant que la situation faite aux femmes et aux filles dans ce pays nous indigne et mobilise des parlementaires et que nous la condamnons comme une politique de ségrégation fondée sur le genre, tout en poursuivant notre appui aux organisations non gouvernementales qui les soutiennent. C’est l’une des questions dont nous traiterons avec le ministère de l’intérieur au cours du comité stratégique des migrations, dont j’espère la tenue prochaine. Il portera sur l’Afghanistan et sur les autres pays avec lesquels nous gagnerions à renforcer notre coopération. Au cours des douze derniers mois, nous avons signé trois accords de réadmission avec le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Vietnam. Rapporté à des temps plus anciens, c’est un record de vitesse.
Au début de l’année dernière, ayant demandé au ministère de l’intérieur la liste des pays avec lesquels les difficultés de réadmission sont les plus grandes, nous avons retenu les vingt principaux et invité nos postes diplomatiques à cerner les moyens et les leviers de coopération que nous pourrions activer et nous allons faire le point. Dans certains cas, des accords de réadmission seront nécessaires ; dans d’autres cas, nous activerons d’autres moyens. Nous allons avancer en ce sens puis, à mesure que la coordination entre nos deux ministères se resserrera, j’espère que nous obtiendrons des résultats et que la liste des pays considérés évoluera.
Mme Marie-Ange Rousselot (EPR). Je salue l’excellente nouvelle de la libération de Cécile Kohler et Jacques Paris et le travail remarquable de tous les agents de la diplomatie française.
La guerre commerciale et, plus généralement, la crise profonde de la coopération internationale se mesurent particulièrement à Genève, berceau historique du multilatéralisme, qui se trouve dans ma circonscription. Ces tensions gagnent la coopération sanitaire mondiale, devenue un champ d’influence et de confrontation idéologique. Depuis deux ans, les États-Unis connaissent une dérive anti-scientifique sans précédent. Sous l’impulsion du président Trump et de son ministre de la santé, la désinformation est devenue un instrument de pouvoir utilisé à des fins politiques et idéologiques. En septembre dernier, Trump affirmait ainsi que la prise de paracétamol pendant la grossesse provoquerait l’autisme chez l’enfant, une déclaration sans fondement immédiatement réfutée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et par l’Agence européenne des médicaments mais constamment relayée sur les réseaux sociaux. Ce discours institutionnel répété joue sur la peur et la confusion et alimente la défiance envers les vaccins, la médecine et la science. Ce phénomène, dit « infodémie » par l’OMS, a des conséquences sanitaires graves aux États-Unis où la couverture vaccinale des plus jeunes est tombée en dessous du seuil nécessaire pour prévenir les pandémies. La rougeole y fait son grand retour, entraînant le décès d’enfants, comme d’autres maladies que l’on pensait disparues après des décennies de progrès médicaux et scientifiques.
La désinformation, comme les virus, circulant sans frontières, les mouvements antivax et obscurantistes inspirés du discours américain, dont l’emprise a explosé depuis la pandémie de Covid, ne cessent de fragiliser nos campagnes de prévention et la confiance des Français dans les pouvoirs publics. Cette dérive informationnelle s’accompagne d’un désengagement profond. En janvier 2025, les États-Unis ont annoncé quitter l’OMS. À cela s'ajoute le gel des financements de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et, de manière générale, une forte réduction des contributions américaines à plusieurs organisations de santé globales telles que l’Alliance du vaccin ou le Fonds mondial de lutte contre le syndrome d’immunodéficience active (SIDA), la tuberculose et le paludisme. Ces décisions fragilisent les systèmes de santé les plus vulnérables et affaiblissent la coopération scientifique mondiale. Partout, les conséquences de ces dérives se comptent en vies humaines. Comment la France défend-elle la vérité scientifique et la santé, bien commun de l’humanité ?
M. le président Bruno Fuchs. Bien commun de l’humanité, certes, et aussi capacité à vivre ici, puisque la France est directement menacée par les conséquences de ces phénomènes.
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Cette question de première importance figurera au nombre des priorités de la présidence française du G7, l’année prochaine. Le président de la République veut placer les grands déséquilibres au cœur des discussions, en y incluant les partenariats internationaux et la solidarité internationale, notamment en matière de santé. Après des décisions très brutales qui ont eu un fort impact sur le personnel de certaines agences, notamment à Genève et à Lyon, nous sentons de la part des États-Unis une ouverture ou, en tout cas, la compréhension que la santé mondiale ne peut être traitée que sous l’angle multilatéral. Nous avons donc bon espoir.
S’agissant de la désinformation, nous continuerons d’agir mais, en ce moment de raréfaction des moyens, la priorité du Quai d’Orsay sera, plus généralement, de développer une force de frappe dans le champ des perceptions informationnelles. Les choses commencent à se transformer au sein du ministère, après que nous nous sommes dotés de capacités de veille et d’analyse en temps réel des réseaux sociaux. En 2026, si nous disposons des crédits nécessaires, nous prévoyons d’équiper entre vingt et trente postes diplomatiques des outils leur permettant d’analyser leur environnement. Le plus rapidement on répond à une attaque visant à déstabiliser la France, le plus de chances on a de la contrer. En matière de riposte, nous avons changé de posture et nous utilisons le compte French Response pour répondre aux allégations étrangères fallacieuses. Ce compte affilié au ministère, encore géré manuellement – mais cela évoluera au fil des semaines –, a déjà produit des résultats. Quand une fausse nouvelle est propagée sur un réseau social et que French Response la décrédibilise, beaucoup moins de grands comptes la reprennent, considérant qu’elle est fausse ou que le risque est élevé qu’elle le soit.
Enfin, nous avons lancé en juillet une campagne sur la liberté d’expression telle que nous la concevons en Europe, adossée à la régulation des réseaux sociaux pour protéger le débat démocratique. Nous voulons que le Quai d’Orsay, chef de file de la politique d’influence et de communication et porteur de la voix de la France dans le monde, se donne les moyens de ses ambitions.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Le président de la commission l’a dit, le sommet Union européenne-Chine n’a rien donné, sans doute parce que Mme von der Leyen considère la relation avec la Chine comme une variable d’ajustement dans la relation de l’Union européenne avec les États-Unis. J’espère que ce n’est pas votre cas.
Lundi dernier se tenait un autre sommet, celui de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique, et le président chinois Xi Jinping a proposé la création d’une Organisation mondiale de coopération pour l’intelligence artificielle. Le savoir humain numérisé et son maniement intelligent sont le bien commun de l’humanité et doivent être préservés des monopoles privés nationaux. Les droits d’auteur sont déjà massivement violés par les géants du numérique, américains en particulier, et la législation européenne ne les protège en rien. Bientôt, toutes les activités culturelles et éducatives seront affectées par l’intelligence artificielle. Pourtant, on s’est gardés d’aborder cette question au cours du sommet de Paris pour l’action sur l’intelligence artificielle. Quelle est la position de la France sur la proposition chinoise ? Soutiendra-t-elle une gouvernance mondiale partagée ou s’inscrira-t-elle dans une stratégie exclusivement occidentale au bénéfice d’acteurs privés qui pillent déjà nos données ?
Je vous interrogerai aussi sur les élections présidentielles qui viennent de se tenir dans deux pays d’Afrique. Au Cameroun, le fait que Maurice Kamto, seul opposant réel à Paul Biya, ait été écarté de l’élection du 12 octobre devait mécaniquement conduire à la réélection pour un huitième mandat du président sortant, âgé de 92 ans. Mais la candidature d’Issa Tchiroma Bakary, ancien pilier du régime, qui revendique la victoire, a constitué une première rupture et un signe évident d’effritement du régime. Des troubles ont éclaté depuis lors, provoquant une dizaine de morts et une centaine de blessés. Quelle est la position de la France ? Reconnaît-elle le résultat de ces élections ? Nous considérons que son devoir est d’exprimer sa solidarité envers le peuple camerounais et de faire tout ce qu’elle peut pour empêcher la répression.
En Côte d’Ivoire, la réélection, là encore gagnée d’avance, d’Alassane Ouattara, dont tous les principaux opposants avaient été écartés, fait craindre un cycle de violences. Alors que le Conseil constitutionnel ivoirien proclamait hier sa victoire et qu’Emmanuel Macron s’empressait de le féliciter, une vague de répression s’abattait déjà sur l’opposition. Tout l’état-major du PPA-CI, le parti de Laurent Gbagbo, a été convoqué par la police et on parle de centaines d’arrestations. La responsabilité de la France dans l’accession et le maintien au pouvoir d’Alassane Ouattara est énorme. Dois-je rappeler qu’en 2011 Nicolas Sarkozy a fait bombarder le palais présidentiel au prétexte d’exactions de Laurent Gbagbo, depuis lors innocenté par Cour pénale internationale ? Dois-je rappeler qu’après ce coup de force commis par l’ancien président de la République française pour porter Ouattara au pouvoir, Emmanuel Macron n’a pas eu un mot quand le président ivoirien a violé la Constitution pour s’octroyer un troisième mandat, puis un quatrième aujourd’hui ? Condamnez-vous ces agissements et cette répression ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Le sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle qui s’est tenu à Paris n’était pas un sommet occidental ; la Chine y était d’ailleurs invitée et elle a été représentée au plus haut niveau. Les participants à ce sommet venaient de toutes les régions du monde. C’est la manière dont la France entend agir en tout temps. Je vous l’ai dit au sujet du Forum de Paris sur la paix mais, de manière générale, les initiatives prises par la France consistent à faire levier en usant de sa capacité d’être à la jonction des pays du Nord et des pays du Sud. C’est dans cet esprit que nous préparons la présidence du G7. S’agissant de l’intelligence artificielle, nous avons d’abord porté le partenariat mondial sur l’intelligence artificielle, une initiative Nord-Sud, puis le sommet mondial sur l’intelligence artificielle, autre initiative Nord-Sud. Je m’étonne que vous présentiez l’initiative chinoise comme la solution la plus évidente et la plus naturelle alors même que la Chine a été invitée à participer à certaines des initiatives que nous avons portées et qui étaient évidemment sous-tendues par notre vision des choses.
Les règles des grandes plateformes de réseaux sociaux sont effectivement fixées par des milliardaires, américains, certes, mais aussi chinois et je rappelle le cas récent d’une élection présidentielle dans un pays de l’Union européenne qui a dû être annulée en raison d’une manipulation à grande échelle par des agents russes s’appuyant sur une plateforme de réseaux sociaux qui n’était pas américaine mais chinoise.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Donc, vous considérez l’idée d’une Organisation mondiale de coopération pour l’intelligence artificielle comme inintéressante ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Au Cameroun, la dernière élection présidentielle a vu s’opposer le président sortant Paul Biya et onze autres candidats. Les résultats officiels ont été proclamés le 27 octobre par le Conseil constitutionnel : le président sortant a été élu pour un huitième mandat avec 53,7 % des voix, devançant le principal opposant, Issa Tchiroma Bakary, qui a obtenu 35,2 % des voix. M. Bakary et ses soutiens continuent de revendiquer la victoire et dénoncent des fraudes électorales massives. Nous avons exprimé notre préoccupation au sujet des tensions post-électorales et de la répression létale des manifestations qui ont eu lieu ces derniers jours. Nous appelons les autorités camerounaises à garantir la sécurité et l’intégrité physique de tous les citoyens camerounais, ainsi que tous les acteurs à la retenue et à un dialogue constructif permettant de ramener paix, sécurité et sérénité. Il nous paraît essentiel que la démocratie, les libertés fondamentales et l’État de droit soient scrupuleusement respectés et que toute personne détenue arbitrairement depuis le début du processus électoral soit libérée. Enfin, comme toujours, la sécurité de nos compatriotes est au cœur de nos préoccupations. L’ambassade de France à Yaoundé et le consulat général à Douala suivent avec la plus grande attention la situation de nos concitoyens.
La France, qui entretient avec la Côte d’Ivoire une relation de qualité structurée autour d’une coopération dense, a suivi avec attention l’élection présidentielle et maintenu un dialogue régulier avec l’ensemble des forces politiques ivoiriennes et avec la société civile de ce pays ami. Elle a rappelé, sans ingérence ni indifférence, son attachement au principe d’élections libres, apaisées et inclusives. Nous attendons la publication des résultats définitifs par les institutions ivoiriennes compétentes. La France sera à l’écoute des priorités des autorités élues et travaillera à maintenir avec la Côte d’Ivoire un partenariat dynamique conforme aux intérêts des deux pays. Elle félicite le président Alassane Ouattara pour sa réélection et lui adresse ses meilleurs vœux de succès dans sa mission.
M. Stéphane Hablot (SOC). Au Soudan, 30 millions de personnes, soit les deux tiers de la population, ont besoin d’une aide d’urgence, 13 millions ont été déplacées de force en deux ans et le pays connaît une guerre fratricide. Pour faire respecter l’embargo sur les armes et pour tenir les engagements en matière d’aide humanitaire dont ce pays a réellement besoin – les organisations internationales parlent de 2 milliards d’euros, dont la moitié proviendrait des aides européennes –, quelle enveloppe prévoir aussi au niveau français pour aider les agences de l’Organisation des Nations unies (ONU) ou les organisations non gouvernementales (ONG), le budget de la France étant contraint ? L’amputation des crédits consacrés à l’aide internationale a été évoquée ici même ; comment nous rassurer ? Comment être efficaces et tenir les engagements pris ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. J’ai évoqué la chute d’El-Fasher et les atrocités à caractère ethnique constatées au Soudan. Depuis le début de cette guerre, la France a consacré à ce pays une part importante de ses crédits humanitaires : 200 millions d’euros en tout, dont 41 millions cette année. Nous l’avons fait pour les raisons que j’ai dites et pour mobiliser la communauté internationale. Mais les efforts budgétaires qui nous sont demandés contraindront évidemment notre capacité à déployer notre aide humanitaire dans les années qui viennent. Je vous appelle tous, lors de l’examen des crédits des missions Aide publique au développement et Action extérieure de l’État du projet de loi de finances, à tenir compte de ce que l’action humanitaire est un levier très important de l’action extérieure de la France.
Les crises allant crescendo, nous devons pouvoir disposer des moyens nécessaires pour continuer d’être à la hauteur au Proche-Orient, en Afrique ou ailleurs. Il nous faut aussi pouvoir rendre des comptes sur les engagements que nous prenons dans les conférences internationales que nous accueillons et dans celles auxquelles nous participons à l’étranger. Celle que nous avons organisée au sujet du Soudan nous a fait franchir une étape importante en matière de redevabilité et de traçabilité, avec la création d’un mécanisme de suivi du décaissement des sommes engagées ou promises par les pays concernés. Nous nous tenons désormais à cette discipline, en tout cas pour les conférences que nous organisons, pour nous assurer que l’on n’en reste pas à des mots et que les actes suivent.
M. Michel Barnier (DR). Ce tour du monde en quelques minutes me fait balancer entre admiration et frustration. Comme tous les groupes, nous sommes extrêmement reconnaissants au ministre et au président de la République des efforts qu’ils ont accomplis pour venir en aide aux deux otages emprisonnés en Iran. J’associe à ces remerciements tous les agents des services français qui ont, comme toujours, agi avec discrétion et professionnalisme, et j’appelle de mes vœux la libération complète prochaine de nos compatriotes. J’aimerais connaître votre appréciation personnelle, monsieur le ministre, sur cette première étape de leur libération : assiste-t-on à l’évolution du régime de Téhéran vers davantage d’ouverture ou s’agit-il plutôt d’un échange ? Quel est l’état d’esprit à Téhéran ? De même, quel est selon vous l’état d’esprit de M. Netanyahou quelques semaines après l’enclenchement du plan de paix auquel la France a contribué ? Qu’est-ce que le premier ministre israélien veut vraiment changer ? Au Sahel, où nous observons depuis quelques années un recul généralisé de la France, vous paraît-il réaliste d’intéresser nos partenaires européens au maintien de la stabilité et de la paix dans la région, tout ce qui s’y passe nous concernant directement ou indirectement ?
Enfin, nous étions nombreux à exprimer notre inquiétude au moment de la réforme de la haute fonction publique qui a touché les métiers et les missions d’ambassadeur et de diplomate. Avez-vous évalué cette réforme, qui continue de nous inquiéter quant au degré de professionnalisation des diplomates dont on a besoin pour faire face à toutes ces crises, aux côtés des ministres ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je vous remercie pour les mots aimables que vous avez eus à l’égard des agents du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Les ambassadeurs ont beaucoup de mérite mais ils ne sont pas les seuls impliqués, en effet, dans les opérations contribuant à la sécurité ou à la libération de nos compatriotes à l’étranger. De nombreuses compétences sont mobilisées : ainsi, l’équipe de renfort dépêchée à Téhéran comprend un médecin du centre de crise et de soutien du ministère. Les agents de ce centre sont au contact des familles pendant toute la période de détention, ce qui suppose quelques compétences particulières ; puis, au moment de la libération, un protocole d’accueil des personnes rentrant de captivité est nécessaire. Je vous ai dit ma joie que nos deux compatriotes ne m’aient pas semblé en mauvaise forme lorsque je me suis entretenu avec eux mais il m’est arrivé d’accueillir d’autres personnes de retour de captivité dont le moral était très bas et qui souhaitaient un accompagnement médical immédiat. Tous ces métiers font aussi la diversité du Quai d’Orsay.
Dans leur immense majorité, celles et ceux qui en avaient le choix ont décidé d’entrer dans le nouveau corps des administrateurs de l’État. Nous avons accompagné la réforme par des mesures internes destinées à mettre en valeur les métiers du ministère et créé l’Académie diplomatique et consulaire, qui disposera prochainement de ses propres locaux et qui accompagnera les agents tout au long de leur carrière. Ce que le corps diplomatique a peut-être ressenti, lors de cette réforme, c’est que l’on considérait que la diplomatie et le métier consulaire ne sont pas des métiers à part entière ; ils le sont pourtant bel et bien et ils supposent expérience et compétences.
Je ne pense pas qu’il faille interpréter la décision prise hier par les autorités iraniennes comme une évolution particulière. Nous avons obtenu d’autres libérations depuis le début de l’année sans toujours savoir pourquoi elles ont été consenties. Il y a une part d’arbitraire. Après la réapplication des sanctions de l’ONU à l’initiative de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, nous n’avons pas perçu de la part de l’Iran la volonté de sortir du traité de non-prolifération, ce que certains craignaient. Cela étant, la question du nucléaire iranien n’est pas traitée. Les menaces que cette capacité représente pour la région, pour Israël et pour nous doivent être encadrées strictement par une négociation dont nous souhaitons qu’elle s’engage. Nous nous y sommes déclarés disposés mais, jusqu’à présent, la main tendue n’a pas été saisie.
Le plan de paix des États-Unis a été ratifié par Israël. Il ne m’appartient pas de juger les intentions de M. Netanyahou mais on constate que, malgré quelques violations, le cessez-le-feu tient et que l’aide humanitaire entre à Gaza, quoi qu’en quantité insuffisante. Nous mesurerons les intentions du gouvernement israélien aux actes qui suivront. Après la signature du plan de paix, beaucoup craignaient que les États-Unis n’aillent pas au bout de l’effort et que le cessez-le-feu soit brutalement interrompu. Au contraire, les autorités américaines se sont succédé en Israël pour témoigner de leur volonté politique de voir la mise en œuvre du plan de paix progresser. La situation est complexe et il faudra juger chacun sur ses actes.
Au Sahel, vous avez raison, c’est sans doute avec nos partenaires européens qu’il nous faut travailler. Nous en avons appelé à leur soutien pour régler une situation inacceptable : depuis le mois d’août, l’un de nos compatriotes sous statut diplomatique est détenu arbitrairement par les autorités maliennes, en violation de la convention de Vienne, ce qui ne nous permet évidemment pas d’envisager une évolution positive de nos relations. Nous avons demandé à nos partenaires d’exiger des autorités maliennes qu’elles se conforment au droit international.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Je m’associe à la joie que provoque la première étape de la libération de Jacques Paris et Cécile Kohler. Je salue le travail de notre diplomatie et la dignité de leur famille.
Les perspectives internationales sont sombres et, alors que plusieurs pays s’enfoncent dans la famine et les crises humanitaires – le Soudan notamment –, la France réduit drastiquement les crédits de l’aide publique au développement : c’est la quatrième baisse la plus importante en volume de toutes les missions du budget 2026. Comment justifier une telle décision alors que toutes les ONG et nos partenaires humanitaires tirent la sonnette d’alarme et que leurs financements s’effondrent ?
En Israël, la résolution adoptée par la Knesset entérinant la perspective d’une annexion de la Cisjordanie est un défi majeur au droit international. Allons-nous, à nouveau, nous limiter à le déplorer ou enfin agir pour sanctionner le gouvernement de Netanyahou ?
Accaparement et domination sont les deux faces d’une même guerre dans les nouveaux rapports mondiaux, celle de l’extractivisme global. Derrière les conflits au Soudan, en RDC et ailleurs est à l’œuvre la convoitise des ressources. Les puissances, particulièrement occidentales, continuent d’alimenter un modèle de développement fondé sur la prédation. La France, engagée dans la transition écologique, ne peut prétendre défendre un modèle soutenable en restant associée à des projets miniers ou pétroliers qui détruisent les écosystèmes, exploitent les populations et consolident des régimes violents corrompus. Comment défendre la transition écologique tout en fermant les yeux sur l’origine des métaux, des énergies et des profits qui la financent ?
Il faut en finir avec la diplomatie du commentaire et les indignations sélectives et renouer avec la diplomatie de la cohérence et du droit international. Le 12 octobre dernier encore, le président André Rajoelina a quitté Madagascar à bord d’un avion militaire français ; quelques jours plus tard, votre ministère a affirmé soutenir les aspirations profondes du peuple malgache à une vie plus juste et plus digne. La France entend-elle faire toute la lumière sur son rôle à Madagascar au cours des dernières années, dont les conditions de l’exfiltration du président et le financement de projets contestés, tels que le téléphérique urbain d’Antananarivo, et ouvrir la voie à une relation bilatérale fondée sur la transparence et le respect des peuples ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. C’est vrai, en matière d’aide publique au développement, nous revenons à un niveau inférieur à celui qui me semble être nécessaire pour mener à bien notre action internationale et défendre les intérêts de la France et des Français. Lors de ma dernière audition sur les questions budgétaires, nous avons eu une discussion sur la mise en œuvre de la loi de programmation de 2021 ; je tâcherai d’y revenir si le temps nous le permet.
S’agissant des relations économiques avec les pays disposant de ressources naturelles, j’entends vos propos. On peut toujours mieux faire et ce que vous suggérez est le fondement philosophique du pacte de Paris pour les peuples et la planète, établi en 2023 lors du sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial. Ce pacte vise à résoudre le dilemme que connaissent certains pays, lutter contre le dérèglement climatique ou lutter contre la pauvreté, pour que les deux aillent de pair, en responsabilisant les pays les plus avancés et les grandes puissances émergentes. Mais si vous affirmez que la France a des comportements prédateurs en Afrique alors que nous sommes beaucoup plus respectueux de la souveraineté de nos partenaires africains que ne le sont nos grands rivaux, ne vous étonnez pas que ces derniers définissent partout en Afrique la France comme une puissance prédatrice et coloniale quand, en réalité, d’autres que nous adoptent des postures prédatrices et coloniales.
À Madagascar, la transition se poursuit et, je l’ai dit, la France en a pris acte en étant représentée par notre ambassadeur lors de la prestation de serment du président de la refondation. Nos échanges se poursuivront et nous proposerons de nouveaux projets aux autorités de la transition, dans une logique d’intérêt mutuel, en lien avec nos partenaires internationaux. L’ancien président a quitté le territoire ; une transition est engagée. La France se tient disponible pour faciliter la sortie de crise dans le respect des aspirations du peuple malgache, de l’État de droit et des libertés fondamentales. Nous prenons note de l’engagement des autorités sur l’organisation d’un référendum et d’élections. Nous continuons d’appeler à la tenue d’élections libres et transparentes et à la prise en compte des aspirations légitimes et démocratiques exprimées notamment par la jeunesse malgache ces dernières semaines.
Le texte proposant l’annexion de la Cisjordanie n’a pas été adopté dans la mesure où le plus grand parti de la coalition au pouvoir, c’est-à-dire le Likoud, ne l’a pas soutenu. D’autre part, le président et le vice-président américains ont fait savoir avec force que cette annexion est inacceptable pour les États-Unis.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). C’est une ligne rouge pour la France aussi ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Evidemment !
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). C’est bien de le dire expressément.
M. Jean-Noël Barrot, ministre. L’expression du point de vue des autorités américaines est, à mon avis, ce qui a permis que l’adoption du texte soit repoussée. Le vice-président américain, présent sur place quand le vote a été organisé, l’a dénoncé, en disant le tenir pour une insulte personnelle. Or, chacun sait que les États-Unis disposent de certains leviers d’influence sur le gouvernement israélien.
Mme Maud Petit (Dem). Je reviendrai brièvement sur trois points d’actualité et, pour commencer, sur la situation dramatique au Soudan, plongé depuis 2023 dans le chaos d’une guerre civile cruelle. Plus de 150 000 personnes ont été massacrées, plus de 13 millions de Soudanais ont été déplacés, la moitié de la population souffrirait de famine et les ONG alertent sur le risque de génocide au Darfour. La France et l’Union européenne ont condamné les exactions commises par les deux camps mais cela paraît dérisoire au regard de l’ampleur du drame. Comment notre pays s’implique-t-il pour trouver des solutions politiques et humanitaires ?
L’annonce de la libération de Cécile Kohler et de Jacques Paris est un immense soulagement et je salue, à travers vous, l’ensemble de la diplomatie française. Toutefois, deux de nos compatriotes restent incarcérés arbitrairement en Algérie : Boualem Sansal, âgé et malade, et Christophe Gleizes. Une issue positive à court terme est-elle envisageable ?
Enfin, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, vendredi dernier, une résolution parrainée par les États-Unis et soutenue par la France qui valide le plan d’autonomie de Rabat pour le Sahara occidental. Quelles sont les conséquences de ce vote localement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. J’ai mentionné les deux conférences humanitaires que nous avons organisées au sujet du Soudan aux tristes dates anniversaires du début de la guerre. Sur le plan politique, l’échec de la tentative de déclaration commune lors de la conférence de Londres a été surmonté et on a désormais un accord entre les pays de la région sur la définition de ce qui se passe au Soudan. Maintenant, les belligérants doivent accepter de cesser le feu et accepter aussi les compromis nécessaires pour éviter la division du pays.
Pour nos deux compatriotes retenus en Algérie, nous appelons les autorités algériennes à trouver une issue humanitaire rapide et digne à leur situation, compte tenu de l’état de santé de Boualem Sansal, d’une part, et des motifs invoqués pour la condamnation très lourde dont Christophe Gleizes a fait l’objet, d’autre part. Nous avons transmis ce message plusieurs fois, y compris par le biais de nos partenaires européens et internationaux. Sur un plan plus personnel, leurs familles, qui ont pu leur rendre visite ces dernières semaines à tous deux, ont mentionné la stabilité de leur état. C’est un réconfort mais cela ne doit pas nous amener à relâcher nos efforts pour obtenir leur libération inconditionnelle et immédiate.
La résolution relative au Sahara occidental reconduit le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), qui expirait le 31 octobre, et appelle le Maroc à présenter et négocier son plan d’autonomie en vue d’un règlement négocié du conflit dans la région.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Au nom du groupe Horizons et indépendants, je salue l’action déterminante du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et celle de nos services diplomatiques et de renseignement, qui ont permis la libération de Cécile Kohler et de Jacques Paris, à l’issue d’un travail de l’ombre conduit avec constance et sang-froid. Cet épisode heureux se produit au moment où nous célébrons le 75ème anniversaire de la convention européenne des droits de l’homme, texte fondateur dont la France fut l’un des premiers signataires et qui demeure au cœur de notre identité diplomatique grâce au Conseil de l’Europe. Par cette convention, notre continent a affirmé la primauté du droit, de la dignité de la personne et de la liberté individuelle face à l’arbitraire.
Ces principes ont une résonance particulière dans un monde traversé par tant de tensions et de violations du droit international, de l’État de droit et des droits de l’homme à l’Est de notre continent. L’agression russe contre l’Ukraine continue, des civils sont visés, des frappes massives ont lieu contre les infrastructures énergétiques et les zones habitées. Une proposition portée par notre collègue Frédéric Petit et de nombreux députés au niveau européen tend à la création d’une zone de protection aérienne intégrée en Ukraine. Ce dispositif jouerait un rôle déterminant dans la protection de l’espace aérien ukrainien face aux missiles et aux drones russes. Notre groupe souhaite connaître la position de la France à ce sujet. Notre pays envisage-t-il de s’associer à cette initiative ou de la compléter par d’autres dispositifs dans le cadre du soutien militaire et diplomatique que nous apportons à l’Ukraine pour assurer la défense de son ciel et de sa population ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Vous soulignez la gravité des frappes incessantes de la Russie sur les zones résidentielles et les infrastructures civiles ukrainiennes et la nécessité de protéger le ciel ukrainien. La France condamne vivement ces frappes qui, chaque jour ciblent délibérément et indistinctement militaires et civils. Je condamne spécifiquement la frappe d’un drone russe qui, le 3 octobre dernier, a tué à l’Est de l’Ukraine Antoni Lallican, journaliste français qui portait un gilet marqué « PRESSE ». J’ai reçu sa compagne, à qui j’ai exprimé tout notre soutien. Je lui ai redit que la France condamne ces frappes en général et plus particulièrement celles qui ont ciblé des journalistes dans l’exercice de leur mission.
Nous sommes, avec nos partenaires de la coalition des volontaires, déterminés à continuer d’apporter dans la durée un appui sans faille à l’armée ukrainienne par un soutien à la formation, des cessions de matériels ou encore le maintien en condition opérationnelle pour renforcer les capacités des forces armées de Kiev sur le long terme, une armée forte étant la première des garanties de sécurité de l’Ukraine. Le président de la République a annoncé le 24 octobre dernier de nouvelles livraisons à l’Ukraine de missiles Aster et de chasseurs Mirage, qui concourront à la défense antiaérienne du pays. Je salue l’initiative portée par Frédéric Petit, qui a rassemblé de nombreux soutiens, avec une pétition qui a recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures, dont celles de responsables politiques français, et qui a donné lieu à un événement lundi à la Salle Gaveau, à Paris. Le projet est de protéger l’Ouest de l’Ukraine, une idée que le président Zelensky a appelé ses partenaires européens à s’approprier et à laquelle les travaux menés par Frédéric Petit et toutes celles et tous ceux qui contribuent à cette initiative apporteront un éclairage particulier. Nous avons observé avec beaucoup d’attention les travaux menés dans ce cadre.
M. Laurent Mazaury (LIOT). Je joins mes félicitations à celles qui vous ont été adressées, monsieur le ministre, ainsi qu’à l’ensemble du personnel diplomatique qui a permis la libération, pour l’instant, sur le territoire iranien de nos compatriotes.
L’unification de Taïwan à la Chine est l’un des grands projets de Xi Jinping. La menace est continue, la Chine accroît toujours sa pression militaire et le soutien américain à l’île est à géométrie variable. Le soutien du président américain à Taïwan en cas d’invasion de l’île n’a pas été clairement réaffirmé, c’est le moins que l’on puisse dire, et la livraison de 70 avions de chasse F-16 américains initialement prévue pour 2024 mais plusieurs fois reportée ne devrait commencer qu’en 2027. Dans ce contexte incertain, Taïwan a besoin d’appui et, surtout, de moderniser son armée. La France doit la soutenir pleinement. Pouvons-nous entretenir nos relations de coopération avec Taïwan plus que nous ne le faisons ?
La Chine continue de mener une guerre d’influence autour d’elle et au niveau mondial et elle n’est pas la seule à procéder de la sorte. La France doit donc continuer de mener ses missions dans le monde. Le budget restreint alloué à votre ministère en 2026 ne nous permettra pas de rivaliser avec les politiques ambitieuses et très largement financées d’autres pays, vous l’avez mentionné. Au Groenland, sur lequel Donald Trump a fait fortement pression dès le début de son deuxième mandat, la France a annoncé ouvrir un consulat, à juste titre, mais il semble qu’il soit difficile de trouver ne serait-ce que le budget nécessaire pour financer un équivalent temps plein (ETP). Vous avez une nouvelle fois appelé notre attention sur la nécessité d’une meilleure prise en compte budgétaire de notre diplomatie, essentielle pour tous les Français. Comment votre ministère pourra-t-il défendre nos valeurs, nos concitoyens et nos intérêts dans le monde, bafoués et agressés tous les jours, avec le projet de loi de finances pour 2026 ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Pour répondre à votre seconde question, il faut tout faire – a minima – pour ne pas dégrader la copie plus encore. Nous en avons discuté lors de ma précédente audition, consacrée au projet de loi de finances. Nous rendons 434 millions des 5,9 milliards d’euros prévus en loi de finances initiale pour 2025 pour aboutir aux crédits prévus dans le projet de loi de finances pour 2026. Cela nous a demandé des efforts importants. J’entends ici et là s’exprimer l’intention de solliciter de notre part plus d’économies encore. Il va de soi que nous devrions alors renoncer à des projets tels que l’ouverture d’un consulat au Groenland, qui ne représente pas une somme très significative mais qui a une vocation majeure d’influence, et à d’autres projets qui touchent à la sécurité de nos compatriotes. Je le redis : la priorité absolue est ne pas dégrader la copie.
La France s’en tient à sa politique constante : une seule Chine. Nous n’avons pas de relations diplomatiques avec Taïwan et nous sommes opposés à toute modification unilatérale du statu quo dans le détroit de Taïwan par l’usage de la force ou par la coercition. Cette position est compatible avec le développement d’un dialogue régulier avec l’île et d’une coopération riche et diversifiée dans des secteurs clés – énergie, batteries, semi-conducteurs, intelligence artificielle – dans le cadre de notre stratégie de réindustrialisation au service de notre compétitivité et de notre souveraineté. C’est le cas du projet d’investissement de 250 millions d’euros dans le domaine des semi-conducteurs entre Foxconn, groupe industriel taïwanais de l’électronique, Thalès et Radiall, annoncé lors du dernier sommet Choose France.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Vous avez été interrogé plusieurs fois à propos du Soudan. L’élément sous-jacent à ces questions est que des pays alliés aux FSR achètent des armes à la France et je serai direct : des armes françaises ont-elles contribué à assassiner des Soudanais au cours de cette guerre ? Si c’est le cas – cela peut l’être et l’on n’en fera pas porter la responsabilité à la France qui a vendu des armes aux alliés des FSR –, est-il envisagé d’interpeller sur un usage de ces armes qui rend la France complice de crimes contre l’humanité, aux termes du droit international ?
Ma deuxième question concerne le coup d’État civil en Côte d’Ivoire. En annonçant que la France reconnaît le résultat des élections, vous annoncez reconnaître que le processus électoral dans son entier a été démocratique. Vous analysez le changement de Constitution, les modalités de dépôt des candidatures, la manière de faire campagne, en bref l’ensemble du dispositif que les observateurs internationaux sont chargés de surveiller, comme des éléments permettant de valider une élection libre et impartiale, et c’est pourquoi vous reconnaissez l’élection d’Alassane Ouattara ; ou bien est-ce par « amitié » avec l’ancien président devenu le nouveau président contesté de Côte d’Ivoire que la France a pris cette position ?
La résolution du Conseil de sécurité des Nations unies relative au Sahara occidental prévoit que l’on mette sur la table le plan de paix marocain. La France a toujours souhaité respecter le droit international en matière de colonisation et de décolonisation. Ce droit prévoit l’autodétermination du peuple sahraoui, non l’autodétermination des habitants du Sahara occidental. Est-ce toujours la position de la France ? Porterez-vous le processus onusien à son terme, puisqu’un plan de paix a été signé sous l’égide de l’ONU, et qu’à ce texte s’ajoute la proposition d’autonomie marocaine, mais dans le cadre des résolutions des Nations unies ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous avons toujours dit que le règlement de la situation du Sahara occidental serait un processus onusien. Nous avons participé à la négociation du projet de résolution. Il comporte les mentions suivantes :
« Le Conseil de sécurité (…)
« Appuie pleinement les efforts que font le secrétaire général et son envoyé personnel pour faciliter et conduire les négociations en se fondant sur le plan d’autonomie proposé par le Maroc pour parvenir à un règlement juste, durable et mutuellement acceptable du différend, conformément à la Charte des Nations unies, et attend avec intérêt de recevoir les propositions constructives que lui feront les parties au regard du plan d’autonomie ;
« Demande aux parties de participer aux discussions sans conditions préalables et sur la base du plan d’autonomie proposé par le Maroc afin de parvenir à une solution politique définitive et mutuellement acceptable qui assure l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, considère qu’une autonomie véritable pourrait représenter une solution des plus réalistes et encourage les parties à faire part de leurs idées à l’appui d’une solution définitive mutuellement acceptable ; (…) ».
Je pense que l’on a trouvé un bon équilibre. Il permettra aux négociations qui vont s’engager sur le fondement du plan d’autonomie que le Maroc va présenter de partir sur de bonnes bases.
S’agissant du Soudan, la France respecte scrupuleusement l’embargo sur les ventes d’armes de l’Union européenne et des Nations unies et nous ne délivrons aucune licence d’exportation vers le Soudan.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Ça n’était pas ma question. Vous ne répondez pas !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. S’agissant de la Côte d’Ivoire, je vous ai rappelé notre principe : ni ingérence ni indifférence.
M. Lionel Vuibert (NI). Nos entreprises industrielles, aux savoir-faire très variés, participent activement à la réindustrialisation. Ces petites et moyennes entreprises exportent une part importante de leur production ou cherchent à le faire mais elles n’ont pas toujours les moyens d’accéder à de nouveaux marchés ni de bénéficier pleinement de l’accompagnement public à l’export. La diplomatie économique est pourtant un levier essentiel pour elles. Or, les chefs d’entreprise expriment souvent le besoin d’une coordination plus étroite entre Business France, les chambres consulaires, les collectivités régionales et le réseau diplomatique français pour parvenir à un accompagnement plus lisible et plus réactif. Comment le Quai d’Orsay compte-t-il renforcer cette coordination pour que la diplomatie économique contribue pleinement à la compétitivité, à l’emploi et à la vitalité économique de nos territoires ? Il en va de notre souveraineté.
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous ne sommes pas devenus par hasard le pays le plus attractif en Europe pour les investissements étrangers : c’est le résultat d’une mobilisation collective à laquelle le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et son opérateur, Business France, ont pris toute leur part. La mission traditionnelle du Quai d'Orsay est l’accompagnement des entreprises vers l’export et l’attraction des investisseurs étrangers en France pour qu’ils y bâtissent des usines. Cette politique a bénéficié en premier lieu aux territoires qui avaient été laminés par la désindustrialisation : les deux tiers sinon les trois quarts des investissements industriels dont la France a bénéficié au cours des sept ou huit dernières années ont ciblé les villes de moins de 20 000 habitants.
Nous devrons désormais tenir compte aussi de la sécurité des approvisionnements pour certaines de nos filières. Par exemple, les restrictions d’exportation de terres rares ou de produits industriels comportant des terres rares exposent une partie importante de l’industrie et des emplois français à des ruptures d’approvisionnement, et donc à des ruptures de cycles de production. Pour répondre à ces nouveaux défis alors que les guerres commerciales se multiplient, Nicolas Forissier et moi-même avons engagé la réforme de la direction de la diplomatie économique. Elle contribuera à la coordination plus étroite à laquelle vous appelez entre Business France et les autres acteurs de la Team France Export, pour une plus grande efficacité au service de nos entreprises, de nos territoires et donc de nos concitoyens.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à présent aux interventions et questions formulées à titre individuel, qui s’effectueront de manière groupée en plusieurs fois.
M. Pierre Pribetich (SOC). Mille deux cent soixante-dix-sept jours passés dans des conditions inhumaines en Iran pour expier un seul crime : être Français, porteurs de nos valeurs. Comme souvent, un régime dictatorial a instrumentalisé des vies, utilisées comme monnaie d’échange dans des négociations diplomatiques. Nous saluons votre détermination, celle du président de la République et celle de toute la société mais quel est le prix réel de cette libération attendue et nécessaire ? On ne peut s’empêcher de rapprocher cette mise en liberté conditionnelle de la libération, à laquelle le procureur s’était pourtant rigoureusement opposé en évoquant un risque de fuite, d’une ressortissante iranienne, Mahdieh Esfandiari, placée en détention provisoire pour avoir fait l’apologie du terrorisme sur les réseaux sociaux. L’Exécutif n’a-t-il pas, malgré lui, bafoué le principe de la séparation des pouvoirs en suggérant cette libération pour marchander avec une dictature ? Comment réclamer le respect du droit international si nous ne respectons pas la séparation des pouvoirs et nos droits constitutionnels ?
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Comme l’a souligné notre collègue Jean‑Paul Lecoq, les multiples questions qui vous ont été posées au sujet de l’embargo sur les armes au Soudan ne portent pas sur des armes qui seraient livrées directement par la France mais sur des armes livrées par la France aux Émirats arabes unis, ce pays les livrant ensuite à une milice qui commet des crimes contre l’humanité, des violences sexuelles en masse, des tueries et des exactions. Ma deuxième question porte sur Haïti, un pays dont on parle très rarement. Un terrible ouragan vient de frapper plusieurs pays des Caraïbes et la diplomatie française a annoncé le déblocage d’une aide de la France à la Jamaïque mais je n’ai lu aucun communiqué prévoyant une aide pour Haïti, où l’on a pourtant dénombré des dizaines de morts et de disparus. Comment la France aidera-t-elle Haïti, République sœur de la République française ?
M. Stéphane Hablot (SOC). Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre grand investissement personnel dans vos fonctions, avec des résultats souvent positifs. Cela étant, nous avons aussi des dossiers difficiles dans nos circonscriptions. Vous connaissez le cas de la petite Liya Lider, retenue à Djibouti par sa mère. Une décision a été rendue par la justice djiboutienne, son père l’attend en France mais il est sans nouvelles d’elle depuis que les opérations de rapatriement ont échoué. Que pouvez-vous dire à ce père ? Sur un plan général, comment fait-on respecter les décisions de justice en pareils cas ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Monsieur le député Pierre Pribetich, si vous pensez vraiment qu’en 2025 on peut infléchir la décision d’un juge d’instruction, vous ne connaissez pas bien la justice. Elle est indépendante et elle le reste.
S’agissant des questions sur l’embargo, je vous ai répondu, madame Cathala. Je n’ai pas la réponse sur le surcroît éventuel d’aide humanitaire apporté à Haïti qui, contrairement à la Jamaïque, bénéficiait déjà d’une aide de la France. Cela peut expliquer la différence mais nous reviendrons vers vous à ce sujet.
Enfin, la justice française, indépendante, a confié à M. Lider l’exercice exclusif de l’autorité parentale sur sa fille et la garde de l’enfant. Cette décision a été reconnue par la justice djiboutienne en 2024 et, en vertu du principe de souveraineté des États, il appartient exclusivement aux autorités djiboutiennes d’en assurer l’exécution. Les autorités françaises à tous niveaux leur rappellent régulièrement l’importance du respect de cette décision dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et nos services à Paris et à Djibouti accompagnent M. Lider en lien avec ses avocats dans le respect du cadre juridique applicable. Vous avez raison de le souligner, de telles situations déchirent les familles. Nous essayons de nous mobiliser autant que nous le pouvons. Parfois, nous nous heurtons des obstacles, parfois nous obtenons des solutions. C’est ce que nous visons dans cette affaire.
M. Kévin Pfeffer (RN). En cette période de débat budgétaire, l’utilisation de l’argent public, particulièrement à l’étranger, est un sujet de préoccupation pour les Français. Or, il arrive que la France, par votre voix ou par celle du président de la République, annonce des versements, parfois très importants, souvent dans le cadre de programmes pluriannuels, à des fonds multilatéraux sans que le Parlement ait été informé du détail de l’affectation de ces sommes et sans qu’il ait donné l’autorisation de ces engagements souvent annoncés hors des débats budgétaires. Je pense à l’annonce faite par le président Macron, le 30 octobre dernier, d’une aide internationale de 1,5 milliard d’euros pour la région des Grands Lacs, à laquelle la France va prendre part. Même si nous avons parfois des informations a posteriori sur l’utilisation de ces fonds, cela semble contraire aux termes de l’article 53 de la Constitution. Ne pensez-vous pas, comme nous, que le Parlement devrait être mieux informé, mieux consulté, mieux impliqué au sujet de nos engagements internationaux ? Cette question, qui n’est pas partisane, intéresse tous les parlementaires. Quels mécanismes pourrions-nous adopter pour éviter, ensemble, que nous soyons engagés avant que le Parlement ait dit son mot ?
Mme Christine Engrand (NI). La guerre en Ukraine s’éternise sans perspective claire, le Proche-Orient s’enfonce dans une spirale de violence et la marge de manœuvre diplomatique se réduit. En mer Rouge et dans le golfe d’Aden, les attaques des Houthis sur les navires marchands liées aux tensions régionales et au conflit à Gaza ont provoqué un redéploiement naval international. Les coûts logistiques augmentent fortement et les compagnies évitent désormais la route du canal de Suez. Cela entraîne des répercussions économiques directes pour l’Europe. Quelle est la stratégie de la France à ce sujet ?
Mme Marine Hamelet (RN). Depuis huit ans, le président Macron intervient au sujet de chaque crise humanitaire avec la même mise en scène. La conférence de Paris sur la situation au Congo n’a pas dérogé à cette règle, avec envolées spectaculaires et aide de milliards d’euros annoncée alors que le moral et la confiance des citoyens et des entreprises françaises sont au plus bas. Le président Macron a mentalement déserté la France, abandonnant les Français qui, après huit ans à devoir supporter l’ego et le dogmatisme présidentiels, ne sont désormais plus que 11 % à lui accorder leur confiance – un record absolu de défiance envers un président de la République. Si Emmanuel Macron s’obstine à s’accrocher à sa fonction, il en est démissionnaire de fait, son rôle étant réduit à celui d’un diplomate sans influence mais malheureusement dépensier, très dépensier, alors que l’on demande aux Français des milliards d’euros d’efforts. Quelle sera la part supportée par le contribuable français du 1,5 milliard d’euros annoncé par Emmanuel Macron pour l’aide humanitaire à la région du Congo ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Madame Engrand, le premier élément de notre action en riposte aux attaques des Houthis est évidemment notre participation à l’opération Aspides de l’Union européenne, qui vise à assurer ou à protéger la liberté de navigation en mer Rouge. Si ces perturbations se poursuivent, peut-être devrons-nous franchir un nouveau seuil dans la dissuasion. Je n’exclus pas, même si je ne l’ai pas fait à ce stade, de soutenir une proposition des Pays-Bas consistant à créer un régime de sanctions européen à l’encontre des Houthis.
Monsieur Pfeiffer et madame Hamelet, vous reprenez les arguments de Mme Knafo, qui confond les montants. Peu d’États peuvent rassembler soixante-dix autres pays pour apporter une réponse humanitaire à la deuxième crise humanitaire la plus grave du monde, celle qui se déroule dans l’Est de la RDC et la région des Grands Lacs. Il va de soi que cette enveloppe de 1,5 milliard d’euros n’est pas constituée des crédits du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. La part de la France dans ce total est de moins de 5 % ; c’est ce que nous pouvons mobiliser pour attirer ou emmener nos partenaires – les autres pays du monde – pour répondre à la crise. J’y insiste encore : si nous détournons le regard, si nous restons les bras ballants quand des crises de cette ampleur déchirent l’Afrique, alors ne nous étonnons pas qu’un jour ou l’autre de grandes vagues migratoires déferlent sur l’Europe ou que des épidémies, voire des pandémies, arrivent jusqu’à nos frontières, que les virus ne connaissent pas.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Les relations entre la France et Madagascar posent question. Cela a commencé avec la réception officielle de Rajoelina comme chef d’État par Nicolas Sarkozy dès 2011, alors qu’il n’avait aucune reconnaissance internationale officielle. Cela continue aujourd’hui, étant donné le rôle qu’a eu la France à Madagascar, tel que des manifestants malgaches défilent en brandissant des pancartes où se lit : « Macron Rajoelina dégagez ! » ou « Dégage, la France ! ». Quel rôle la France a-t-elle eu dans l’exfiltration du président Rajoelina ? Pourquoi s’est-elle faite dans un avion français arrivé d’abord à l’île de Sainte-Marie avant de se poser à La Réunion, territoire français ? Enfin, des armes françaises ont-elles, oui ou non, été utilisées pour tuer des civils au Soudan ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Il me semble avoir déjà répondu aux questions de madame Sebaihi. S’agissant de Madagascar, le président a quitté le territoire, une transition est engagée, la France se tient disponible pour faciliter la sortie de crise dans le respect des aspirations du peuple malgache, de l’État de droit et des libertés fondamentales. Pour ce qui concerne le Soudan, je vous réponds pour ce qui relève de ma compétence : la France respecte scrupuleusement les embargos de l’Union européenne et des Nations unies et n’a délivré aucune licence d’exportation pour le Soudan.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Que peuvent en dire les services secrets ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Convoquez-les. Si vous leur posez des questions, ils vous répondront.
Monsieur Rambaud, la situation en Arménie se caractérise par la dynamique impulsée par l’accord trouvé à Washington le 8 août dernier et les paraphes apposés par les deux parties au traité de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ainsi que par le projet de développement de connectivité régionale, de réouverture des frontières dans le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des États. Tout cela doit permettre au Sud-Caucase de devenir un espace de paix et de prospérité au bénéfice des populations de la région. Nous voulons que la France contribue à ces efforts aux côtés de ses partenaires européens. C’est en ce sens qu’ont été orientés les échanges entre le président de la République et le premier ministre Nikol Pachinian, ainsi que ceux que j’ai eus avec mon homologue, présent lors de la 4ème conférence ministérielle des diplomaties féministe et lors du Forum de Paris sur la paix.
M. Frédéric Petit (Dem). Je voulais vous interroger sur la coopération des sociétés civiles en Ukraine mais je m’abstiendrai car vous avez été très complet. Je rappellerai seulement qu’à Madagascar, des élus locaux français ont manifesté un certain engagement et été d’une certaine utilité. D’autre part, notre commission, par mon intermédiaire, a fait des propositions relatives aux visas d’influence que je vous inviterai à bien vouloir discuter avec nous avant de prendre des décisions. Je vous remercie.
Mme Liliana Tanguy (EPR). Lors du Forum de Paris sur la paix, vous avez rappelé que la démocratie est en danger de mort. Ses ennemis la minent de l’intérieur en propageant une désinformation massive qui affaiblit nos sociétés. Le président de la République a dénoncé ce qu’il qualifie de « processus de dégénérescence démocratique ». Dans le cadre de ce forum, des échanges ont eu lieu avec les dirigeants de Bosnie-Herzégovine. C’est une rencontre importante pour ce pays mais aussi pour les États des Balkans occidentaux engagés sur la voie de l’intégration européenne mais particulièrement exposés à ces campagnes de manipulation de l’information visant à détourner leurs citoyens du projet européen et à fragiliser les institutions démocratiques. La propagation de la désinformation est massive dans cette région, en Roumanie et en Moldavie. Comment la France peut-elle soutenir ces pays dans la lutte contre les ingérences ? Comment interdire les faux comptes en ligne, qui affaiblissent la démocratie ?
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je vous remercie pour votre réponse sur Haïti. Ouragan ou non, l’aide française à Haïti est insuffisante eu égard au cataclysme humanitaire que vit le pays : les gangs contrôlent 90 % de la capitale Port-au-Prince et Haïti vit l’une des pires crises humanitaires du monde. Je prends aussi acte que vous nous dites qu’il n’y a pas d’arme française utilisée pour massacrer des civils au Soudan.
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je n’ai pas dit cela.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Donc, vous reconnaissez qu’il est possible que des armes françaises soient utilisées au Soudan pour massacrer des civils. Je reviens aussi sur l’aide humanitaire à ce pays. Hier, vous avez répondu à une question de ma collègue Nadège Abomangoli, lors de la séance de questions d’actualité, que 2 milliards d’euros avaient été décaissés pour le Soudan mais, avant-hier, un rapport de l’ONU nous indiquait que 28 % seulement de l’aide ont été effectivement décaissés, soit 1,17 milliard de dollars sur les 4 milliards nécessaires.
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Pour l’aide humanitaire au Soudan, il existe le mécanisme de traçabilité que j’ai mentionné et l’ensemble de cette aide a été décaissé. S’agit-il de l’aide au développement ? J’avais gardé à l’esprit ce que l’on m’a dit lorsque je me suis rendu à Adré, à la frontière entre le Tchad et Soudan : que les engagements pris à Paris avaient été décaissés à 95 %. Peut-être m’a-t-on dit que tout était décaissé alors que seule la partie humanitaire l’était ? Je vérifierai mais, pour ce qui nous concerne, cela avait bien été fait.
Sur Haïti, je vous ai entendue, d’autant que sur les 76 victimes de la tempête Mélissa dans les Caraïbes, 43 viennent de Haïti. Je peux confirmer que la France renforcera son aide humanitaire sur place et que, lors de la réunion Union européenne-Communauté des États latino-européens qui aura lieu en Colombie, tout comme lors de la réunion du G7 qui se tiendra mardi et mercredi prochains au Canada, je veillerai à ce que la mobilisation humanitaire pour Haïti soit abordée, notamment avec le Canada et les États-Unis, qui sont concernés par cette crise.
Madame Tanguy, dans la lutte contre les ingérences numériques étrangères, la Moldavie et la Roumanie ont bénéficié de l’expertise de Viginum. Ce service interministériel dispose maintenant d’une expertise certaine, notamment pour protéger l’intégrité des scrutins électoraux. Nous avons aussi créé, avec la Slovénie et le Monténégro, un Centre de développement des capacités cyber qui équipera les pays des Balkans occidentaux contre ces attaques.
Frédéric Petit rappelle l’importance des élus des Français de l’étranger dans notre appréhension de ce qui s’est passé à Madagascar ces dernières semaines. Je l’ai chargé de les remercier pour leur mobilisation et pour la qualité de l’information qu’ils ont relayée. Enfin, nous allons soumettre l’idée des visas d’influence au Comité stratégique des migrations que nous tiendrons avant la fin de l’année, je l’espère, avec le ministère de l’intérieur.
M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie d’avoir une nouvelle fois répondu à toutes nos questions sur un grand nombre de sujets d’actualité.
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La séance est levée à 18 h 35.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Michel Barnier, M. Bertrand Bouyx, M. Alain David, Mme Christine Engrand, M. Bruno Fuchs, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Marine Hamelet, Mme Brigitte Klinkert, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, M. Laurent Mazaury, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Stéphane Rambaud, Mme Marie-Ange Rousselot, Mme Sabrina Sebaihi, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Lionel Vuibert
Excusés. - M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, Mme Clémence Guetté, M. Alexis Jolly, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Marine Le Pen, M. Christophe Naegelen, Mme Mathilde Panot, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez, Mme Caroline Yadan, Mme Estelle Youssouffa
Assistait également à la réunion. - Mme Gabrielle Cathala