Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– .....Examen, ouvert à la presse, et vote sur les projets de loi suivants :
- projet de loi autorisant l’approbation de la résolution n° F/BG/2023/04 relative aux amendements à l’accord portant création du Fonds africain de développement (n° 1434) (Mme Dieynaba Diop, rapporteure) 2
- projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d’évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d’une situation de crise (n° 1615) (M. Michel Herbillon, rapporteur). 15
Mercredi
26 novembre 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 18
session ordinaire 2025-2026
Présidence de Mme Constance Le Grip,
Vice-présidente
— 1 —
La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote de deux projets de loi.
La séance est ouverte à 9 h 35.
Présidence de Mme Constance Le Grip, vice-présidente.
Mme Constance Le Grip, présidente. Avant de commencer notre réunion, permettez-moi d’excuser l’absence du président Bruno Fuchs, qui accompagnait le chef de l’État dans sa visite officielle au Gabon.
Mme Constance Le Grip, présidente. Créée en 1964, la Banque africaine de développement (BAD) comprend trois organismes permettant aux États africains d’emprunter, en fonction du revenu par habitant et du niveau de soutenabilité de leur dette : la banque à proprement parler, dont le siège est situé à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le Fonds spécial du Nigeria, qui ne compte qu’un pays donateur, et le Fonds africain de développement (FAD), dont il est question aujourd’hui.
Depuis 1972, ce dernier octroie aux pays africains les plus pauvres des subventions et des financements concessionnels, accordés à des conditions plus favorables que celles du marché, c’est-à-dire avec un taux d’intérêt inférieur ou une maturité plus longue grâce à une période de grâce allongée. En cumulé, la France est le quatrième plus gros contributeur à ce fonds, dont trente-sept pays sont bénéficiaires.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. L’examen de ce texte intervient quelques semaines après notre débat sur le financement – ou plutôt le « définancement » – de l’aide publique au développement (APD) et quelques jours avant l’annonce, à Londres, des contributions des pays donateurs du Fonds africain de développement pour les années 2026 à 2028 ; un moment particulièrement bien choisi, donc.
Le projet de loi vise à ratifier la résolution du 23 mai 2023 modifiant l’accord portant création du Fonds africain de développement pour en élargir les sources de financement.
Guichet concessionnel de la Banque africaine de développement, le Fonds africain de développement en complète l’action en fournissant des subventions et des prêts très concessionnels, c’est-à-dire largement inférieurs au coût du marché. Cet instrument est principalement dédié à deux types de pays : d’une part, les vingt-quatre pays les plus pauvres du continent ; d’autre part, sept pays qui connaissent de lourdes difficultés de solvabilité et ne sont donc pas éligibles aux financements de la Banque africaine de développement. Six autres pays, dits mixtes, peuvent bénéficier à la fois du soutien du FAD et de la BAD, à l’instar du Cameroun, de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal. L’objectif est alors de les aider à réussir leur transition vers un financement de marché classique. L’activité du FAD est cruciale car les pays les plus pauvres font face à des besoins de financement immenses pour mener des projets leur assurant un développement durable, dans le but de remplacer les solutions humanitaires.
Le FAD vise cinq grands objectifs : éclairer l’Afrique et l’alimenter en énergie, nourrir l’Afrique, industrialiser l’Afrique, intégrer l’Afrique et améliorer la qualité de vie des populations africaines.
Depuis sa création, en 1972, le FAD a financé 2 968 projets – dont 436 en cours –, pour un total de 58 milliards de dollars : 90 % des financements sont attribués directement aux gouvernements, les 10 % restants étant accordés à des acteurs du secteur privé ou de la société civile. Les dons représentent 37,5 % des financements mais leur part tend à diminuer au profit des prêts concessionnels, qui offrent un effet de levier plus important et, surtout, permettent d’accompagner les pays bénéficiaires vers l’autonomie financière.
Le FAD obéit à un fonctionnement distinct de celui de la Banque africaine de développement en ceci qu’il doit être régulièrement reconstitué. Les banques de développement s’inscrivent dans une démarche commerciale : leurs dépenses sont couvertes par une activité financière s’appuyant sur les fonds fournis par les pays ayant fait le choix de participer à leur capital. Les fonds concessionnels fonctionnent différemment : ils attribuent des financements sous forme de dons ou de prêts à des taux très faibles. Tous les trois ans, les pays contributeurs du FAD négocient pour reconstituer ses ressources et lui fixer de nouveaux objectifs.
Les financements sont attribués selon un processus très exigeant, qui dépend avant tout de la capacité des pays à mener à bien leurs projets, puisque 50 % des aides sont accordées aux pays sur la base de leurs performances dans le cadre des projets précédents ; 25 % sont alloués aux projets continentaux et 25 % servent à soutenir la transition des pays vers le financement de marché. Cette action multilatérale, qui finance des projets de grande ampleur alignés avec nos priorités – notamment en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de soutien aux pays les moins avancés – complète utilement notre action bilatérale.
Avec une contribution cumulée d’environ 5 milliards d’euros depuis la création du Fonds – 369,5 millions d’euros pour les années 2017 à 2019 au titre de la quatorzième reconstitution, 460 millions pour les années 2020 à 2022 au titre du FAD-15 et 546 millions pour les années 2023 à 2025 au titre du FAD-16 –, la France est la quatrième plus importante contributrice du FAD derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Cette position lui assure l’un des sept postes au sein du conseil d’administration, ce qui lui permet de peser dans les choix de financement du Fonds.
Sous l’effet de la contrainte budgétaire, le gouvernement a choisi de diviser par deux la contribution de la France à la dix-septième reconstitution, qui s’établirait à 275 millions d’euros pour les années 2026 à 2028. Si elle devait se concrétiser, une baisse aussi brutale fragiliserait notre influence dans cette institution : ce serait une grave erreur car ses objectifs sont presque complètement alignés avec ceux de la France – l’Agence française de développement (AFD) réalise d’ailleurs de nombreux projets grâce à des cofinancements du FAD. En outre, la France bénéficie directement des retombées de ses contributions, puisque les entreprises françaises sont les cinquièmes bénéficiaires et titulaires des contrats passés lors des appels d’offres internationaux.
Dans un contexte de réduction globale des contributions, la modification de l’accord intervient opportunément : elle permet d’offrir de nouvelles ressources au Fonds en diversifiant ses financements et ses instruments. À contributions constantes, elle devrait permettre de dégager 22 milliards d’euros de financements supplémentaires au cours des quinze prochaines années. Ces moyens sont essentiels car, depuis la pandémie de Covid, la solvabilité des pays les plus pauvres s’est beaucoup dégradée, tandis que les besoins en financement sont toujours plus importants. Or, le FAD est aujourd’hui limité dans son action par l’accord de 1974, qui ne l’autorise qu’à accorder des dons et prêts concessionnels : il ne peut ni emprunter sur les marchés financiers, ni garantir des prêts, ni émettre des titres et obligations.
La résolution du 23 mai 2023 apporte donc une série de modifications visant à assouplir les modalités d’intervention du Fonds, tout en préservant son mandat. Premièrement, elle lui permet d’attribuer des financements à des conditions moins privilégiées, tant qu’ils poursuivent in fine les objectifs visés par le traité ; je les ai rappelés. Deuxièmement, elle lui offre la possibilité d’emprunter aux conditions du marché, soit de manière bilatérale, soit sur les marchés de capitaux. Troisièmement, elle l’autorise à mener sur les marchés financiers des activités « nécessaires ou souhaitables, accessoires à ses opérations, qui lui permettent d’atteindre son but », c’est-à-dire notamment à acheter, vendre, garantir ou souscrire des titres qu’il aura émis ou dans lesquels il aura investi, ou encore de placer les fonds non utilisés dans les obligations de son choix.
Je ne peux donc que vous encourager à soutenir ce projet de loi, qui offrira davantage de financements pour le développement des pays les plus pauvres, sans nécessiter de contributions supplémentaires. Cela ne signifie pas pour autant que la France doive poursuivre son désengagement de l’aide publique au développement : elle y perdrait son influence dans des institutions comme le FAD, des outils formidables, et même primordiaux, pour mettre nos contributions multilatérales au service de nos priorités stratégiques. Alors que notre influence sur le continent africain est concurrencée, voire supplantée, par d’autres pays, nous avons plus que jamais besoin de réaffirmer notre présence partout.
Mme Constance Le Grip, présidente. Je vous remercie pour cette présentation très complète des enjeux géostratégiques et géopolitiques, qui illustre toute l’importance de permettre au Fonds africain de développement de continuer à agir utilement.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.
M. Stéphane Hablot (SOC). Ce projet de loi vise à renforcer le Fonds africain de développement, qui accorde des dons et prêts aux pays africains les plus vulnérables. Il a ainsi déjà financé près de 3 000 projets, pour un total de 58 milliards de dollars, dans des secteurs essentiels tels que l’énergie, l’agriculture, l’eau, la santé ou les transports. La France est le quatrième plus important des trente-quatre pays donateurs.
En dix ans, l’endettement des trente-sept pays bénéficiaires s’est brutalement dégradé. La résolution du 23 mai 2023 vise donc à élargir les ressources du Fonds. Si elle devrait permettre de dégager 22 milliards d’euros supplémentaires au cours des quinze prochaines années, elle diminue aussi la part des dons au profit des prêts, au risque évident d’accroître l’endettement de pays déjà en situation critique, alors que la création du Fonds visait précisément à les protéger. C’est contradictoire. Ces constats posent une question cruciale : au-delà des montants alloués, à quel point cette aide est-elle efficace pour les pays bénéficiaires ?
L’exigence d’efficacité et de résultats mesurables en matière de réduction des inégalités et de résilience climatique doit être au cœur de la réforme. Donnons-nous les moyens d’évaluer les actions menées et rendons les bénéficiaires acteurs de leur propre développement, sans quoi le projet sera stérile et inefficace. Il faut sauver et sécuriser cet outil central pour le développement africain mais aussi lui donner des moyens nouveaux, et surtout durables. Le groupe Socialistes et apparentés soutient le projet, sous réserve que ce Fonds reste avant tout un instrument de solidarité, de dons et de prêts pour – et avec – les peuples du continent africain.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je comprends votre préoccupation concernant les nouvelles modalités de fonctionnement du Fonds et le risque de surendettement. Le FAD a vocation à financer deux types de pays non solvables : les pays très pauvres et les pays très endettés, comme Djibouti. Dans 37 % des cas, l’aide prend la forme d’un don, et dans 63 %, celle d’un prêt à taux très concessionnel, justement pour éviter le surendettement. Il existe aussi un processus d’accompagnement progressif des pays fragiles vers le financement de marché. Le risque que vous pointez est donc bien pris en compte.
La réforme doit permettre au FAD de recourir à de nouveaux instruments pour équilibrer les financements à bas coût avec des financements plus proches du marché, par exemple lorsqu’il s’agit de financer le secteur privé qui intervient dans les pays bénéficiaires. Il me semble important d’accompagner autant que possible ces pays vers davantage d’autonomie, afin de limiter leur dépendance aux différents organismes de soutien. C’est d’ailleurs ce qu’ils réclament eux-mêmes.
Le FAD répond directement aux besoins des populations, puisqu’il est piloté à la fois par les pays donateurs et la Banque africaine de développement, qui dispose d’un maillage étroit sur le territoire africain et connaît très bien les enjeux économiques de la région. Les nombreux projets qu’il finance sont co-construits avec le continent africain, qui est représenté au conseil d’administration. Nous ne sommes pas dans une logique descendante : les problèmes et les besoins locaux sont bien pris en compte.
M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Le Fonds africain de développement est l’un des instruments du multilatéralisme les plus utiles. Il permet aux pays africains les plus vulnérables d’accéder à des dons ou des prêts concessionnels pour financer des projets de développement dans différents domaines – électricité, eau, infrastructures de base, santé, adaptation au changement climatique –, avec des résultats concrets : selon les estimations, 1 million de personnes ont été connectées à l’eau potable et plus de 500 000 raccordées à l’électricité en 2023. Mais ces succès sont menacés par la crise du multilatéralisme et les attaques portées à la solidarité internationale : les États-Unis, premier contributeur historique au FAD, ont annoncé le retrait intégral de leur contribution. Ce désengagement laisse un vide financier énorme et porte un coup à l’esprit même de la coopération internationale.
Le Fonds doit donc se réformer et élargir ses sources de financement : ce texte lui donne les moyens de le faire en l’autorisant à emprunter sur les marchés. Je voterai donc pour ce projet de loi, qui permettra de dégager plus de 20 milliards supplémentaires pour financer les pays africains en développement. Mais cette réforme ne suffira pas si les bailleurs ne jouent pas leur rôle. À la veille de la reconstitution du FAD, la France doit être au rendez-vous. Or notre contribution devrait être divisée par deux : c’est un très mauvais signal envoyé à l’Afrique et à la solidarité internationale. Défendre le multilatéralisme ne doit pas être une posture mais une responsabilité. D’autres pays européens l’ont bien compris, comme le Danemark, qui vient d’annoncer une augmentation de 40 % de sa contribution, affirmant par là une vision du monde bien différente de celle de Donald Trump.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je souscris entièrement à votre analyse. Le FAD, je l’ai dit, est un outil essentiel dans lequel nous avons une place de choix, puisque notre siège au conseil d’administration nous permet d’influer sur les décisions en matière de financement. Réduire aussi drastiquement notre contribution revient à fragiliser notre position. Le Danemark, qui augmente sa contribution de 40 %, a bien compris l’importance du FAD comme levier de soft power sur le continent africain. Nous devons nous montrer à la hauteur de nos engagements, notamment en matière de solidarité internationale. Or, proportionnellement, c’est l’aide publique au développement qui a subi la coupe la plus importante dans les budgets successifs. Nous ne pouvons pas laisser passer cette opportunité d’être présents sur le continent africain et de soutenir activement et efficacement les populations les plus pauvres : ce serait manquer à nos engagements. Je continuerai à plaider pour le maintien du niveau de notre contribution. J’espère que nous serons entendus.
M. Frédéric Petit (Dem). Madame la rapporteure, la lecture de votre rapport sur ce sujet que vous maîtrisez bien, et depuis longtemps, a été très agréable.
Pour compléter votre réponse à notre collègue socialiste, je précise que les dons ne diminuent pas en valeur ; seulement, l’augmentation envisagée de la part des prêts non concessionnels entraînera mécaniquement la baisse de celle des dons.
Je voudrais inscrire notre débat de ce matin dans un contexte plus large : on en parle peu mais c’est à l’initiative de la France qu’a été lancée une grande réflexion sur la réforme du financement mondial du développement – j’en suis fier –, qui s’est poursuivie à la conférence de Séville. Cette dernière illustre bien l’esprit de la résolution dont nous parlons, même si elle lui est postérieure : puisque nous manquons d’argent public, cherchons à attirer les financements du privé vers des projets éthiques, plutôt que de s’y opposer par pure idéologie.
Cette coordination entre financements privés et publics présente trois effets bénéfiques, à commencer par un évident effet de levier. Au XXIe siècle, les politiques publiques ne seront plus l’apanage de l’État : les banques, les entreprises, tous ceux qui gagnent leur vie doivent y contribuer. Cette approche permet aussi de lutter contre le fractionnement de l’aide : nous sommes tous fatigués de voir des aides en silos, éparpillées dans tous les coins, gérées par des gens qui ne se parlent pas. Enfin, en offrant davantage de moyens de contrôle et une meilleure coordination, elle permet de lutter contre la fraude.
Madame la rapporteure, pouvez-vous nous indiquer la part de notre contribution apportée respectivement en capital et en dons ? Il me semble que nous avons apporté du capital au départ, ce qui n’est évidemment pas perdu.
Notre contribution au FAD dépend-elle bien du programme budgétaire n° 384 ? Le cas échéant, nous avons un peu de marge : non seulement l’existence d’un plancher le préserve d’une éventuelle réduction mais, en plus, la dotation de 1,8 milliard d’euros dont il sera doté ne sont pas encore affectés. Le cas échéant, il y aurait probablement quelque chose à faire après le budget.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je connais votre expertise en la matière, et c’est agréable pour moi aussi d’échanger sur des éléments concrets avec des collègues qui maîtrisent bien le sujet.
Nous possédons bien des parts dans le capital de la BAD mais notre contribution au FAD prend la forme de contributions pluriannuelles, financées par le programme budgétaire n° 110.
En diversifiant les outils financiers à disposition du FAD, cette résolution permettra de dégager pas moins de 22 milliards d’euros supplémentaires en quinze ans malgré la baisse des contributions. C’est tout son intérêt.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Depuis plus de cinquante ans, le FAD constitue l’instrument central de la Banque africaine de développement pour soutenir les pays africains les plus vulnérables à travers des dons et prêts hautement concessionnels. Or, malgré les efforts des pays donateurs, ces États continuent de faire face à des besoins massifs de financement, aggravés par les conséquences durables de la pandémie de Covid-19 et l’impact économique de la guerre en Ukraine. Le ratio d’endettement des pays africains atteint désormais près de 60 % du produit intérieur brut (PIB), contre 50 % avant la crise.
Face à cette situation, l’Union africaine a appelé à une réforme structurelle du FAD, afin d’élargir ses sources de financement. Les amendements proposés permettront à celui-ci d’emprunter sur les marchés de capitaux internationaux et de mobiliser des financements non concessionnels en s’appuyant sur l’effet de levier de ses fonds propres, afin de mobiliser jusqu’à 20 milliards d’unités de compte supplémentaires sur quinze ans. Ces nouvelles ressources seront mises à disposition des pays bénéficiaires sous forme de prêts dits « modérément concessionnels » et permettront, grâce à un mécanisme de subventions croisées, de maintenir et d’accroître les capacités du Fonds à octroyer des dons et des prêts très concessionnels aux États les plus fragiles. Ce dispositif encadré et sélectif ne concernera que des pays dont la dette demeure soutenable.
Quatrième contributeur du FAD en cumulé, la France, qui détient 5,3 % des voix au sein de son conseil d’administration, a un rôle stratégique à jouer dans l’entrée en vigueur de cette réforme. Le modèle retenu ayant vocation à être autonome, sans appel à contribution supplémentaire auprès des États donateurs, les risques financiers pour notre pays sont maîtrisés. Le groupe Horizons & indépendants soutient donc pleinement ce projet de loi, qui s’inscrit dans une vision responsable et ambitieuse de la solidarité internationale et du développement du continent africain.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Depuis la crise du Covid, de nombreux pays ont vu leur situation financière se dégrader et leurs besoins augmenter. C’est en effet l’Union africaine elle-même qui nous a demandé de faire évoluer les modalités d’action du Fonds africain de développement et de diversifier ses outils afin de répondre pleinement aux besoins des populations : toutes les décisions sont prises en coopération directe avec les pays bénéficiaires.
Surtout, l’objectif est d’accompagner les pays en difficulté vers l’autonomie en leur accordant des prêts concessionnels qui leur permettront de devenir progressivement solvables sur les marchés de capitaux plutôt que de rester dépendants des dons.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Pour bien comprendre comment s’exerce la solidarité à l’égard du continent africain, il me semble nécessaire d’élargir la focale. Au-delà du FAD, dont votre rapport très précis explique clairement le fonctionnement, de quelles aides multilatérales les pays africains bénéficient-ils ? On dit souvent que la Chine joue auprès d’eux le rôle d’une banque. Comment s’y prend-elle ? Ses financements passent-ils par le FAD, ou par d’autres biais ?
Plusieurs des orateurs qui se sont exprimés jusqu’à présent, dont vous-même, estiment que l’élargissement des modes de financement du Fonds est une bonne chose. Personnellement, je n’ai jamais rencontré d’acteurs privés généreux au point de prêter de l’argent de façon purement altruiste, sans intérêts ; n’hésitez pas à nous les présenter s’ils existent. Or le remboursement desdits intérêts est l’un des maux des pays africains. Nous avons souvent répété dans cette commission que, pour sortir les pays les plus pauvres de leur situation et les accompagner sur un autre chemin, il fallait renoncer aux prêts et privilégier les dons. Même si les taux pratiqués dans le cadre du FAD sont très bas, on change ici de logique : on renoue tranquillement, discrètement, sans apporter d’argent public, avec une logique de prêts qui impliqueront des remboursements.
Vous indiquez par ailleurs que les financements seront plus facilement accordés aux pays qui auront réalisé les projets précédents. J’imagine que cette notion inclut la capacité à rembourser l’emprunt. Ce critère risque ainsi de contribuer à enfoncer encore un peu plus ceux qui rencontrent les difficultés les plus fortes. Pouvez-vous nous éclairer sur cette pratique ?
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Le FAD n’est effectivement pas le seul levier de financement des pays africains. Il présente toutefois l’intérêt d’être construit et piloté avec eux. Ce sont d’ailleurs eux qui ont demandé les évolutions qui vous sont soumises.
Je comprends votre réticence à alourdir encore les intérêts dont ils doivent s’acquitter. Les dons aux pays les plus précaires seront toutefois maintenus : le risque de chaque opération est mesuré et, si un pays est susceptible d’être mis en difficulté par un prêt, celui-ci est abandonné au profit du don. Les pays bénéficiaires eux-mêmes demandent à élargir les outils disponibles, afin de bénéficier de montants beaucoup plus élevés pour conduire les projets dont leurs populations ont besoin dans le domaine des infrastructures – routes, éclairage – ou de la santé. Il est important de leur permettre d’emprunter comme n’importe quel autre pays, afin qu’ils ne dépendent plus de la solidarité internationale ou de dons dits « humanitaires » : pour émerger, ils doivent pouvoir se développer en étant totalement libres de leurs actions.
Vous avez cependant raison de souligner qu’il ne faut pas aggraver leur dette. Nous y serons particulièrement attentifs. C’est pourquoi il est prévu d’accorder des prêts concessionnels à des taux très bas. Une partie des dons accordés dans le cadre du FAD est d’ailleurs dévolue à l’annulation de la dette des pays concernés. Le fonctionnement est donc bien différent de celui d’une banque classique : l’objectif est d’aider ces pays à effacer leur dette et de les accompagner progressivement sur le marché pour qu’ils puissent emprunter dans des conditions correctes.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Vous n’avez pas complètement répondu à mon interrogation. Je souhaitais avoir des précisions sur les procédés alternatifs à celui retenu dans le cas d’espèce. Comment un pays très actif en matière d’APD comme la Chine, par exemple, procède-t-il ?
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. La Chine a déjà abondé le FAD à hauteur de 768 millions d’euros depuis sa création mais elle agit surtout à travers des prêts directs.
M. Guillaume Bigot (RN). Je m’étonne que votre rapport, par ailleurs éclairant, évoque si peu l’étude d’impact jointe au projet de loi. Cette dernière contient pourtant des informations cruciales pour le contribuable français, puisqu’elle révèle que, si le texte n’engendrera aucun coût budgétaire immédiat, il exposera indirectement la France à des risques souverains et financiers très graves.
La réforme du FAD devrait entraîner un besoin supplémentaire estimé à 27 millions d’unités de compte par cycle de reconstitution de trois ans, répartis entre les donateurs. Elle crée un système de garantie implicite : en cas de difficulté sur les marchés, la France devra recapitaliser le FAD pour que celui-ci préserve sa notation AAA, ce qui est un peu ironique dès lors qu’elle n’en dispose plus elle-même. L’étude d’impact pointe donc une augmentation du risque de surendettement des pays africains, qui crée les conditions de défauts en chaîne.
Un stress test en cas de crise obligataire ou de défauts massifs a-t-il été effectué ? L’impact d’une recapitalisation d’urgence sur notre propre trajectoire budgétaire a-t-il été évalué, alors que la France est déjà placée sous procédure pour déficit excessif ?
Je ne m’attarderai pas sur les réserves bien connues de notre groupe : nous estimons qu’il faut conditionner les aides multilatérales à une meilleure gestion des flux migratoires par les pays bénéficiaires et les assortir de clauses relatives aux appels d’offres pour éviter qu’elles ne bénéficient à des entreprises chinoises. J’appelle en revanche votre attention sur le fait que la liste des bénéficiaires du FAD inclut des gouvernements putschistes, notamment le Niger – auquel 165,5 millions de dollars seront attribués en 2025 –, le Mali et le Burkina Faso, alors que ces pays nous ont mis dehors et que nos ambassades y sont fermées.
Pour toutes ces raisons, il me paraît nécessaire et prudent de baisser notre contribution et de refuser l’engagement qui nous est proposé.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je reconnais bien là vos habituelles lubies en matière d’aide publique au développement. Comme vous n’étiez pas là pour entendre mon propos liminaire – mais je suis certaine que vous l’avez suivi avec attention –, je me permets de répéter que le FAD fonctionne en co-construction avec le continent africain, que la répartition des engagements est très claire et que tous les risques sont parfaitement maîtrisés.
Les financements accordés au Sahel, en nette diminution, sont destinées à des projets qui profitent directement aux populations. Ce n’est pas parce que des gouvernements nous ont mis dehors à la suite d’un coup d’État que nous devons abandonner les populations à leur sort, au contraire. Le FAD nous permet de garder un lien avec ces pays, même si nous n’en entretenons plus avec leurs gouvernements. L’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) applique d’ailleurs la même logique. Il y a là une différence fondamentale entre nous : je ne crois pas qu’il faille punir les populations pour l’action de leurs gouvernants.
Les nouveaux instruments mis à disposition du FAD lui permettront de diversifier ses risques mais aussi de les réduire en accordant des prêts non concessionnels. S’agissant du risque soulevé dans l’étude d’impact, je fais confiance à nos services, qui le jugent mesuré. Je fournirai toutefois les chiffres relatifs à l’éventualité que vous évoquez même si, comme vous le savez, elle a très peu de chance de se réaliser.
M. Guillaume Bigot (RN). Il s’agit là d’un point de désaccord entre nous.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Voilà qui est plutôt rassurant.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Nous prenons des risques très mesurés pour conduire une action utile aux populations. À l’heure où notre place sur le continent est remise en cause par certains, nous avons tout intérêt à conserver un levier si important de diplomatie et d’influence.
M. Guillaume Bigot (RN). Nous avons effectivement là un véritable point de désaccord : après 58 morts français et des centaines de millions injectés dans ces pays, j’estime qu’on ne peut plus les aider, même indirectement. Il ne s’agit bien évidemment pas de prendre les populations en otage ni de les punir.
M. Vincent Ledoux (EPR). Nous ne pouvons pas nous désintéresser du continent africain, où se joue notre stabilité politique, la sécurité de la région, la transition énergétique, la sécurité alimentaire, ou encore la croissance démographique de demain : son avenir conditionne d’une certaine façon celui de la France et de l’Europe. Aider l’Afrique n’est pas une option mais un impératif stratégique : chaque euro investi là-bas est un investissement dans notre stabilité. Je salue d’ailleurs tous les Français qui, dans les pays du Sahel, entretiennent le lien avec les populations civiles. Ces dernières ont besoin de notre soutien : indépendamment des choix de leurs dirigeants, dont elles sont trop souvent les victimes, nous ne devons pas les abandonner.
Le FAD, qui est l’un des rares outils capables de financer les pays les plus fragiles à travers des dons et des prêts très concessionnels, joue un rôle central dans cet effort. Il a financé près de 3 000 projets dans trente-sept pays. La France, qui lui a versé 5 milliards d’euros au total et y dispose de 5 % des voix, y exerce une influence déterminante.
Votre travail montre clairement l’intérêt de la réforme qui nous est proposée. En autorisant le FAD à accéder aux marchés de capitaux et à accorder des prêts modérément concessionnels, elle permettrait de mobiliser 20 à 22 milliards d’euros supplémentaires sur quinze ans, sans charge immédiate pour la France. Alors que la dette moyenne des pays bénéficiaires a bondi de 50 % à 60 % du PIB entre 2019 et 2023, une telle évolution est indispensable.
Vous soulignez néanmoins deux risques : le surendettement des États les plus fragiles et le coût croissant du mécanisme de compensation des dons.
Quels nouveaux outils de suivi permettront de mesurer l’impact réel des prêts modérément concessionnels ? Vos auditions ont-elles permis d’identifier des mécanismes de nature à garantir qu’ils remplacent bien la dette privée, plus coûteuse ?
Quels engagements ont été pris pour garantir la complète transparence opérationnelle des nouvelles activités du FAD sur les marchés, ainsi qu’une information régulière et lisible des donateurs ?
Nous ne devons pas réduire notre aide aux populations mais continuer à soutenir activement le développement de nos deux continents. Nous soutenons donc ce texte.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. La BAD est dotée d’un département de l’évaluation indépendante du développement – l’Idev –, qui effectue des évaluations sur le terrain, auprès des populations aidées et produit un rapport annuel traitant de l’ensemble des projets conduits. C’est sur cette base que les attributions de financements tiennent compte pour 50 % de la capacité des bénéficiaires à mener à bien les projets précédents. Cet outil interne de suivi permet également d’apporter un soutien technique en cas de difficultés.
Dans un rapport de 2023, la direction générale du Trésor souligne que « le FAD apparaît convergent avec les priorités françaises et complémentaires d’autres instruments mobilisés par la France sur le continent africain. De surcroît, la contribution française permet d’influer sur le fonctionnement interne du Fonds et ses orientations stratégiques. ». Ainsi, non seulement l’impact des projets financés est évalué précisément mais ceux-ci sont pleinement alignés avec nos objectifs et profitent à notre économie, puisque les entreprises françaises sont les cinquièmes bénéficiaires et titulaires des contrats conclus dans le cadre d’appels d’offres internationaux.
Le processus est donc gagnant-gagnant : les projets sont conduits au plus proche des populations et construits soit avec les gouvernements concernés soit avec des acteurs de terrain – organisations non gouvernementales ou acteurs privés – afin de répondre aux besoins dans les secteurs de la santé ou de la lutte contre les effets du changement climatique.
Je vous transmettrai les références de ces documents.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Les amendements à l’accord qui nous sont soumis visent à permettre au FAD de lever de nouvelles ressources sur les marchés. Chacun comprend l’idée : de nouvelles capacités de financement sont nécessaires pour répondre à des besoins toujours plus grands.
Nous devrions cependant nous demander pourquoi les États concernés formulent une telle demande. Sans doute est-elle liée au fait que l’aide internationale souffre du très fort désengagement de nombreux pays, au premier rang desquels les États-Unis : l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) ne finance quasiment plus rien et la Croix-Rouge a annoncé la suppression de 3 000 postes et une réduction de 20 % de son budget pour 2026. Nous ne nous opposerons pas au texte mais je crains qu’il ne contribue à accentuer la tendance. Les États-Unis ont d’ailleurs annoncé leur intention de supprimer leur contribution de 550 millions de dollars au FAD.
Je suis profondément convaincu que les États n’ont pas tant besoin de nouveaux outils financiers que de dettes moins élevées. Or les mesures proposées ne vont pas en ce sens. Joseph Stiglitz, désormais rejoint par Thomas Piketty, le dit depuis au moins vingt ans : aucun pays ne peut se développer en étant si lourdement endetté. Le Sénégal en est une bonne illustration : alors qu’une dette de 7 milliards de dollars y a été dissimulée pendant des années par l’ancien président Macky Sall, le pays se trouve au bord de la faillite et 30 % des ressources de l’État devront être consacrées au service de la dette, au détriment de la santé, de l’éducation et de tous les besoins vitaux du pays. Cet exemple est loin d’être unique ; certains États se trouvent même dans une situation encore plus précaire.
Nous avions proposé, lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF), de créer un programme à travers lequel les Français, dans ce contexte d’attrition de la solidarité internationale, auraient montré l’exemple en enclenchant une dynamique d’annulation ou de réduction des dettes publiques qui étranglent les pays africains. La financiarisation accrue de la solidarité internationale et le recours systématique aux marchés risquent d’accentuer le problème. Nous nous abstiendrons donc sur ce texte.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. J’entends vos réserves, que je partage en partie. J’insiste cependant sur le fait qu’une partie des dons affectés au FAD sera toujours utilisée pour annuler la dette des pays les plus en difficulté.
Au-delà de la gestion de leur endettement par chaque pays – qu’il ne m’appartient pas, en tant que députée française, de commenter –, il n’est nullement question de renoncer aux dons ni aux annulations de dette. Il s’agit simplement de diversifier les outils à disposition des bénéficiaires et de leur permettre d’entrer sur le marché à moindre risque, avec le soutien du FAD et de ses prêts très concessionnels, pour qu’ils puissent répondre aux besoins croissants de leurs populations en matière de santé ou d’énergie.
Je vous rejoins sur un point : moins les pays seront endettés, mieux nous nous porterons tous. Il ne faut absolument pas aggraver la dette de pays déjà en difficulté. La réalité nous impose cependant de les accompagner au mieux, tout en maintenant notre influence sur le continent africain. Si nous ne voulons pas laisser la place à des acteurs beaucoup moins scrupuleux, comme la Chine, nous ne devons pas diminuer notre contribution. Nous aurions même dû prendre exemple sur le Danemark et l’augmenter.
Mme Constance Le Grip, présidente. Nous en venons à présent aux questions ou interventions formulées à titre individuel.
M. Michel Guiniot (RN). L’article 14(1) de l’accord porte sur l’utilisation des ressources du Fonds africain de développement. Il est proposé de l’amender pour préciser que le Fonds peut fournir des moyens de financement à tous les membres de la BAD, particulièrement à ceux dont la situation et les perspectives économiques exigent un tel financement à des conditions privilégiées.
D’après l’étude d’impact, la France est le troisième contributeur du Fonds en cumulé. Elle a contribué pour 560 millions d’euros à la dernière levée de fonds, somme à laquelle s’est ajoutée une compensation de dons évaluée à 22,6 millions. Le ratio de dette sur PIB des pays africains atteint par ailleurs 60 % en 2023, signe d’une capacité budgétaire réduite et d’une moindre viabilité de leur dette. Pourtant, si le Congo, le Gabon et le Togo sont considérés comme étant en difficulté avec respectivement 95,4 %, 73 % et 69 % d’endettement, que penser de la France, qui affiche un taux de 106 % ? Les pays bénéficiaires du FAD sont, selon le graphique qui figure en page 15 de votre rapport, dans une situation de plus en plus catastrophique : alors que seuls 5 % d’entre eux étaient surendettés en 2015, cette proportion atteint désormais 24 %.
Quel risque pèse sur les prêts consentis par le FAD ?
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Le FAD limite son exposition par pays et tient compte du niveau d’endettement de chaque emprunteur pour éviter le scénario catastrophe que vous et Guillaume Bigot avez évoqué. Il s’appuie sur les analyses approfondies du Fonds monétaire international (FMI) quant à la capacité de chaque pays à rembourser ses dettes. Les risques sont donc très faibles.
Je préfère que ces pays empruntent auprès du FAD plutôt qu’auprès de la Chine ou d’autres États qui en profiteraient pour s’installer chez eux et leur proposeraient des conditions beaucoup moins intéressantes, susceptibles de les fragiliser sur les marchés.
Le rapport auquel j’ai fait référence détaille les conséquences de tous les prêts consentis par le FAD.
M. Frédéric Petit (Dem). N’assimilons pas, chers collègues, l’entrée au capital d’une institution financière à une dépense. Les actifs de la France sont cinq fois supérieurs à sa dette.
Pour répondre à Jean-Paul Lecoq, il me semble qu’environ la moitié de l’aide publique au développement française, soit peu ou prou 7 milliards d’euros, est consacrée à l’Afrique : la solidarité envers l’Afrique est donc loin de se limiter au FAD.
Enfin, gardons à l’esprit qu’il existe dans le monde de très nombreux acteurs qui cherchent à investir leur argent, pour des montants sans doute cent fois supérieurs à ceux qui sont évoqués ici. Notre but est de les orienter vers des financements tels que ceux offerts par le FAD. Quant à la Chine, selon l’adage, elle ne se fait pas rembourser en argent mais en abandon de pouvoir, de terres ou de minerais.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. C’est vrai. La Chine n’investit pas au hasard et, le plus souvent, elle se rembourse au travers de concessions de pêche, de terres agricoles ou de minerais. Le fait que nous aidions des pays à ne pas dépendre de ce type de financements ne pourra être que bénéfique à tout le monde, en premier lieu aux populations elles-mêmes.
M. Guillaume Bigot (RN). Ne trouvez-vous pas surprenant que la France emprunte pour financer des fonds qui servent à désendetter des pays moins endettés qu’elle comme le Mali, le Niger ou le Burkina Faso ? Ces pays, en plus, achètent ensuite auprès de nos rivaux que sont la Russie et la Chine.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je reconnais là votre penchant pour le sophisme et votre capacité à faire des raccourcis.
M. Guillaume Bigot (RN). Ce sont des faits !
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Ce que vous dites n’a pas de sens car, s’ils sont moins endettés, ces pays ne disposent ni de la même capacité de remboursement ni des mêmes actifs que nous. Vous comparez des choux et des carottes, avec des allégations superfétatoires qui ne servent que votre idéologie. Nous aidons ces pays parce que nous en avons la capacité et pour respecter nos engagements en matière de solidarité internationale. Nos investissements sont sains et moraux ; ils aident les populations qui en ont le plus besoin.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Les propos de l’extrême droite m’incitent à réagir. Nous restons l’un des pays les plus riches du monde, en dépit de la baisse du pouvoir d’achat et de nos difficultés économiques et budgétaires. Il est important que nous soyons solidaires des populations les plus pauvres. Les conditions de vie dans la campagne africaine sont loin d’être celles que nous connaissons. J’ai du mal à comprendre que l’on salue les investissements des Américains en France ou ceux des Canadiens dans des mines à l’étranger mais que l’on trouve scandaleux ceux des Chinois dans les minerais africains !
M. Vincent Ledoux (EPR). Cessons d’imaginer l’Afrique comme un continent totalement sous-développé. Il faut soutenir les régions qui en ont besoin, comme nous le faisons et comme le font très bien les collectivités territoriales, mais aussi accompagner la partie du continent qui est en plein décollage économique.
M. Guillaume Bigot (RN). C’est tout à fait vrai.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je partage cet avis. Les pays émergents doivent être accompagnés, ce que le FAD fera très bien. Ceux qui sont en très grande difficulté ont besoin de la solidarité internationale à laquelle nous nous sommes engagés : je rappelle que nous avons voté à l’unanimité l’objectif de consacrer 0,7 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement. On en est loin, avec des coupes drastiques de plus de 3 milliards d’euros. Cela doit nous interroger sur le respect de nos engagements.
Je vous le répète, monsieur Bigot : il est nécessaire que nous continuions à agir sur le continent africain – y compris pour nous-mêmes, car cela nous permet d’y conserver une position prépondérante.
M. Guillaume Bigot (RN). On ne dit pas le contraire mais pas avec n’importe qui et pas n’importe comment.
M. Alain David (SOC). À l’heure où Bamako s’apprête vraisemblablement à tomber aux mains des terroristes, il serait regrettable que nous cessions d’aider les populations ; ce ne sont pas les gouvernements en place qu’il s’agit d’aider. Il ne faudrait pas que certains habitants soient tentés, pour une somme modique, de venir grossir les rangs terroristes. Nous devrions même accroître notre aide.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Certains de nos collègues viennent de réagir à vos propos en disant, au sujet des populations, « Encore faut-il qu’elles en soient bénéficiaires ». Je les invite à lire le rapport annuel de la Banque africaine de développement sur la performance et les résultats du FAD : les gouvernements et les acteurs de terrain sont autour de la table ; les projets profitent directement aux populations et la plupart d’entre eux, menés à l’échelle continentale ou régionale, n’auraient pas pu bénéficier d’autres financements.
Je reconnais qu’il faut peut-être réinterroger les modalités de notre aide publique au développement ; j’ai d’ailleurs des propositions à faire sur le sujet. Mais je vous demande de cesser de faire des raccourcis. Vous laissez entendre que nous agissons d’abord pour servir des causes qui ne seraient pas justes ou pour soutenir des terroristes et que notre aide ne bénéficierait pas directement aux populations. Or nous avons la preuve que c’est d’abord à elles que bénéficie le Fonds africain de développement.
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Article unique (autorisation de l’approbation de la résolution n° F/BG/2023/04 relative aux amendements à l’accord portant création du Fonds africain de développement, adoptée par le Conseil des gouverneurs du Fonds africain de développement à Charm el-Cheikh le 23 mai 2023)
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
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Mme Constance Le Grip, présidente. Dans le contexte d’instabilité chronique qui caractérise la région du Moyen-Orient depuis quelque temps, l’exposition de nos ressortissants et de ceux d’autres États européens à des situations de crise est réelle et peut nécessiter l’organisation d’opérations dites « RESEVAC » pour évacuation de ressortissants. Celles-ci doivent être menées de façon rapide, coordonnée et sécurisée. Le territoire chypriote n’étant qu’à une centaine de kilomètres des côtes syriennes, il peut constituer pour cela une base arrière stratégique.
Le souhait de conclure un accord avec la République de Chypre a été formulé par la France dès 2013 et, après de longues années de négociations, un tel accord a été signé le 9 septembre 2022.
M. Michel Herbillon, rapporteur. L’accord touche à l’une des responsabilités essentielles de notre politique étrangère : la capacité de protéger nos ressortissants à l’étranger. Depuis plusieurs années, la Méditerranée orientale est redevenue un espace d’incertitude exposé à des crises parfois soudaines, dans lequel une évacuation peut être rendue nécessaire en quelques heures. C’est à cette aune qu’il faut comprendre l’importance du partenariat noué avec Chypre.
Ce pays occupe une position singulière : membre de l’Union européenne, il est stable et fiable tout en étant situé à une centaine de kilomètres des côtes syriennes, libanaises et israéliennes. Au cours de plusieurs crises récentes – en 2006, en 2023 puis en 2024-2025 –, l’île a servi de point d’appui naturel à nos opérations d’évacuation. Depuis 1974, elle est divisée en deux parties séparées par une ligne de démarcation, la ligne verte. La République turque de Chypre du Nord, autoproclamée en 1983, n’est reconnue que par Ankara.
Lors de chaque crise, les autorités chypriotes ont démontré une remarquable volonté de soutenir nos opérations dans le cadre d’infrastructures calibrées pour un pays de 950 000 habitants.
À l’aéroport de Larnaka, la coexistence d’une zone militaire et d’un terminal très fréquenté par les touristes peut soulever, en cas d’urgence, des difficultés de circulation. La proximité du Levant – il y a moins de cinquante minutes de vol depuis Tel-Aviv, trente depuis Beyrouth – signifie que les mouvements de population peuvent être très rapidement amplifiés.
Ces réalités n’obèrent en rien la qualité de l’accueil chypriote mais rappellent l’importance pour nos deux pays d’anticiper ensemble les procédures, les parcours et les articulations entre les services civils et militaires. C’est précisément ce que permet l’accord : définir à l’avance ce qui relève des formalités, ce qui relève de la responsabilité opérationnelle et ce qui doit être activé sans délai en situation de crise.
Le texte présente aussi l’intérêt d’assurer une sécurité juridique à ces opérations. L’article 3 prévoit une activation du dispositif à la demande de la France exclusivement. Il garantit la maîtrise de la situation par nos autorités tout en respectant pleinement la souveraineté chypriote ; Chypre conserve en effet la faculté d’autoriser ou non la mise en œuvre du dispositif sur son territoire.
L’article 4 encadre l’accès aux infrastructures : il organise l’utilisation des ports, des aéroports, des zones de stationnement et des capacités d’accueil en précisant que celles-ci sont mises à disposition de manière immédiate, proportionnée aux besoins et sous contrôle permanent des autorités chypriotes.
Le texte prévoit également, en son article 7, une distinction claire entre les prestations fournies gratuitement – la mise à disposition des infrastructures essentielles, notamment – et celles qui doivent donner lieu à remboursement, comme certaines prestations d’escale, d’intendance ou de soutien logistique spécialisé. Cette transparence financière est déterminante car elle permet d’éviter les incertitudes et les négociations de dernière minute, au moment où chaque heure compte.
L’article 9 encadre la prise en charge médicale. Il permet, lorsque les capacités françaises sur place sont insuffisantes, le recours immédiat aux établissements de santé chypriotes, publics ou privés, dans un cadre financier qui aura été clarifié.
Enfin, le texte prévoit en son article 2 une durée maximale de transit des évacués de 48 heures, sauf accord spécifique, afin d’éviter toute ambiguïté quant à la vocation exclusivement temporaire du dispositif. Un accord de statut des forces, actuellement en négociation, renforcera ultérieurement cet édifice.
L’accord entre nos deux pays doit être replacé dans le cadre géopolitique que j’ai rappelé mais aussi dans celui d’une relation bilatérale intense et fructueuse. Il doit également être envisagé à la lumière de la prochaine présidence chypriote de l’Union européenne : Chypre assumera cette présidence, au premier semestre 2026, avec l’ambition de mettre en avant les enjeux méditerranéens, la gestion des crises, la solidarité européenne et le renforcement des capacités de protection civile. L’installation prochaine dans l’île d’un centre européen de lutte contre les incendies illustre la volonté de Chypre de jouer un rôle actif dans les mécanismes européens de sécurité collective. Vous savez que les mégafeux font, hélas, l’actualité dans les pays méditerranéens, y compris en France.
La France et Chypre ont des visions profondément convergentes de ce que doit être l’Europe : une Europe capable de protéger, de se doter des moyens d’agir face aux crises et de renforcer sa souveraineté stratégique. Nos échanges en matière de défense, de renseignement, d’éducation et de culture se sont intensifiés ces dernières années ; ils témoignent de la densité d’un partenariat fondé sur la confiance et la continuité. Rappelons que Chypre fait partie de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et qu’elle a fait le choix en 2022 d’introduire l’enseignement obligatoire du français dans son système scolaire public secondaire, ce qui est peu fréquent. Comme ce fut le cas en Espagne il y a quelques années, cette décision conduira à un accroissement du nombre de locuteurs français, qui représentent actuellement 7 % de la population.
L’accord renforce la sécurité de nos compatriotes en cas de crise, consolide notre présence dans une région hautement stratégique et s’appuie sur une relation bilatérale d’une grande qualité : je vous invite à l’approuver.
Mme Constance Le Grip, présidente. Je précise que la commission de la défense, saisie pour avis, a émis, à l’unanimité, un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.
Mme Alix Fruchon (DR). Notre groupe soutiendra ce texte.
M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Le renforcement des moyens logistiques et du cadre juridique des opérations d’évacuation de nos ressortissants constitue pour la France un enjeu stratégique majeur. Du fait de sa proximité immédiate avec la côte syrienne, le territoire chypriote offre une plateforme incontournable pour conduire ces opérations dans des conditions optimales.
L’importance stratégique de Chypre est ancienne : l’île a toujours été un relais important pour la marine française, comme lors de la crise du canal de Suez en 1956. Même si le contexte géopolitique a profondément évolué, elle demeure un acteur clé dans la zone orientale de la Méditerranée. Elle fournit un appui précieux aux États membres de l’Union européenne et sert de lieu de repli en cas de crise régionale, notamment pour les populations du Liban.
Cet accord tient compte d’expériences antérieures d’évacuation menées depuis le Liban en 2006 et depuis Israël en 2003 puis en juin dernier, lorsque plus de 100 citoyens français ont été évacués vers Chypre après le déclenchement de la guerre avec l’Iran.
J’aimerais savoir s’il permet à la France d’organiser l’évacuation de ressortissants d’autres nationalités cherchant refuge sur son territoire : je pense aux Palestiniens qui sont sous les bombes à Gaza, aux femmes afghanes ou encore aux opposants aux régimes du Golfe, en Arabie saoudite par exemple.
Le groupe Écologiste et social considère que cet accord est un outil utile et nécessaire pour renforcer la coopération opérationnelle en situation de crise et améliorer la sécurité des évacuations de nos ressortissants : il le votera.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Mon rapport insiste particulièrement sur l’importance géostratégique de Chypre, que vous avez soulignée, ainsi que sur la relation bilatérale de longue date entre nos deux pays. Chypre a souhaité souligner le caractère pionnier de l’accord, qui pourrait servir de référence. Ce sera probablement le cas car un certain nombre de pays s’y intéressent.
Pour répondre à votre question, nous évacuons en priorité nos ressortissants mais il est évidemment prévu que nous puissions évacuer, à titre humanitaire, ceux d’autres pays.
M. Frédéric Petit (Dem). En tant que député des Français de l’étranger, je peux témoigner que depuis quelques années, en particulier depuis la création du Centre de crise et de soutien (CDCS), la France est reconnue – y compris par les étrangers – comme un pays qui protège bien ses ressortissants. Elle l’a prouvé lors de l’épidémie de Covid et des dernières crises géopolitiques. J’ajoute qu’à l’étranger, la France met systématiquement ses moyens à la disposition des ressortissants de l’Union européenne ; elle l’a par exemple fait à de nombreuses reprises en Amérique du Sud, en coordination avec l’Allemagne, pendant la crise du Covid.
Si le Centre de crise et de soutien, qui n’a pas un statut juridique d’opérateur, effectue un travail aussi efficace, c’est parce que sa mission est clairement définie et circonscrite. Cela m’amène à suggérer que nous engagions une réflexion sur la nature, le rôle des opérateurs et la pertinence d’y recourir.
Enfin, nous aurions tout intérêt à adopter une approche géopolitique régionale dans laquelle les ambassadeurs ne travailleraient plus en silos, en particulier dans les champs qui ne relèvent pas de la stricte diplomatie gouvernementale : sécurité de nos ressortissants, culture – vous avez rappelé l’importance du français à Chypre –, etc. Notre vision doit dépasser les frontières des postes diplomatiques et de la relation bilatérale avec le pays d’accueil. À cet égard, l’accord avec Chypre est remarquable et pionnier. Le groupe Les Démocrates votera en sa faveur.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Je tiens à saluer le rôle éminent que joue le Centre de crise et de soutien, grâce à son directeur Philippe Lalliot et son équipe. Il constitue un instrument remarquable en cas de crise et il est reconnu pour cela ; c’est à l’honneur du Quai d’Orsay et de notre pays. Ainsi que vous l’avez souligné, il procède à l’évacuation de ressortissants d’autres pays que la France, comme récemment lors des frappes entre l’Iran et Israël.
Comme vous, j’appelle à adopter une vision géostratégique large. Chypre s’engage d’ailleurs sur cette voie, puisqu’elle a inscrit parmi les priorités de sa présidence de l’Union européenne, au premier semestre 2026, les questions de souveraineté européenne, de sécurité civile et de protection des ressortissants européens.
M. Bertrand Bouyx (HOR). La France et Chypre entretiennent depuis plusieurs années une coopération stratégique dense fondée sur un soutien constant à l’intégrité territoriale chypriote et sur une présence militaire française régulière en Méditerranée orientale. L’accord signé entre nos deux pays en septembre 2022 fournit un socle juridique robuste permettant à la France d’organiser, en cas de crise, des opérations d’évacuation depuis l’ensemble du Moyen-Orient via le territoire chypriote. Il prévoit un déclenchement rapide des opérations – 48 heures après la demande formelle –, une liberté de mouvement complète, la mise à disposition gratuite d’infrastructures, un cadre clair pour le port d’armes par nos militaires, un partage équilibré des compétences juridictionnelles, un dispositif de soutien médical encadré et la possibilité d’évacuer des citoyens de l’Union européenne.
Voter ce projet de loi, c’est doter la France d’un outil de protection indispensable pour ses ressortissants dans une région exposée à des crises politiques, sécuritaires, humanitaires et sanitaires. C’est consolider un partenariat stratégique européen avec un État membre engagé dans la politique de défense et de sécurité commune, situé en première ligne face aux tensions du Moyen-Orient et de la Méditerranée orientale. Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur du projet de loi.
M. Laurent Mazaury (LIOT). Alors que le Moyen-Orient s’embrase et que les crises s’y succèdent, la France doit se tenir prête pour agir à tout moment, protéger et évacuer ses compatriotes et d’autres ressortissants européens. C’est l’objet de l’accord signé par la France et Chypre en 2022 : il encadre les opérations dites « RESEVAC », dans lesquelles notre pays et ses alliés déploient des moyens militaires pour rapatrier leurs ressortissants depuis des zones de crise.
Ce texte s’inscrit dans une coopération de défense engagée de longue date entre Paris et Nicosie. Il ne s’agit donc pas d’un simple accord technique mais d’un outil de sécurité et de solidarité.
Chypre n’est pas un partenaire anodin : île européenne située aux portes du Moyen-Orient, confrontée à une militarisation croissante de la zone tampon qu’elle « partage » avec les forces armées turques du Nord, exposée à des pressions migratoires, elle est un point d’ancrage stratégique pour la sécurité européenne.
À son égard, la France reste fidèle à ses principes : soutien à l’intégrité territoriale de la République de Chypre, engagement pour sa sécurité, coopération militaire constante. La relation que nous avons construite avec ce pays depuis 1974 est renforcée par ce nouvel accord. Grâce à lui, nos forces disposeront d’un cadre juridique clair sur le territoire chypriote : liberté de mouvement et de circulation, accès aux infrastructures nécessaires, port d’armes, protection du statut des personnels engagés dans ces missions sensibles : autrement dit, tout ce qui garantit la rapidité et l’efficacité dans des moments de crise où chaque minute peut sauver une vie.
Depuis la signature de l’accord en 2022, la situation géopolitique au Moyen-Orient s’est aggravée : massacres perpétrés le 7 octobre 2023 par le Hamas en Israël, guerre à Gaza, tensions au Liban, menaces en mer Rouge, flux migratoires… L’équilibre régional est sans cesse fragilisé. Dans un tel environnement, il est indispensable d’anticiper les crises et de réunir les conditions juridiques et opérationnelles pour mener des évacuations d’urgence ; l’accord s’y emploie. Nos services diplomatiques sont toujours prêts à organiser des évacuations, y compris par voie maritime en cas de blocage de l’espace aérien, et nos forces s’y entraînent très régulièrement.
Le groupe LIOT votera pour ce texte, qui consolide la relation franco-chypriote et renforce notre capacité à protéger nos concitoyens où qu’ils se trouvent, en toutes circonstances.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Les tensions en Méditerranée orientale étant de plus en plus fréquentes, il est effectivement nécessaire qu’un cadre juridique et financier clair prévoie l’ensemble des situations pouvant nécessiter une évacuation via Chypre. Tout ceci doit être anticipé car les évacuations sont soudaines et doivent être menées rapidement, sous 48 heures ; passé ce délai, il faut obtenir d’autres autorisations de la part des autorités chypriotes.
Mme Alexandra Masson (RN). Chypre, membre de l’Union européenne le plus proche du Moyen-Orient, a permis à la France d’évacuer ses ressortissants à cinq reprises depuis vingt ans lors des crises qui ont touché le Proche et le Moyen-Orient : en juillet 2006, en août 2019, en octobre 2023, en août 2024 et en juin 2025. Des centaines de Français ont ainsi été mis en sécurité lors des conflits qui ont opposé Israël et le Liban ou lorsqu’Israël a été attaqué par le Hamas et, plus récemment, par l’Iran. Par air ou par mer, les ressortissants français et les membres de leur famille ont pu être évacués et conduits aux ports chypriotes de Larnaca et Paphos.
L’accord signé entre la France et la République de Chypre le 9 septembre 2022 offre aux armées françaises un cadre juridique pour mener des évacuations via le territoire chypriote – conditions de lancement des opérations, responsabilités des parties, etc. –, assure le déploiement rapide et efficace des moyens nécessaires et garantit la sécurité des personnes évacuées.
La République de Chypre fait face à une situation sécuritaire délicate du fait de l’occupation du Nord de l’île par l’armée turque. Dans ce contexte, cet accord confirme le soutien que la France apporte à Chypre, à sa stabilité et à sa souveraineté, éléments essentiels à l’équilibre de la région. Au-delà d’une simple assistance technique, il consolide notre lien de confiance avec Chypre et prépare les conditions d’une réponse coordonnée aux crises à venir. Nous voterons pour son adoption.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Les crises imposant des évacuations peuvent être de natures très différentes. C’est ainsi que, en août 2019, quand la Grèce a subi des incendies majeurs, des citoyens grecs et français ont été évacués sur l’île de Chypre, qui compte deux ports importants.
M. Vincent Ledoux (EPR). Je tiens à saluer le travail très complet du rapporteur, qui éclaire avec précision les enjeux géostratégiques, juridiques et opérationnels de cet accord, et contribue à la compréhension d’un contexte régional d’une extrême sensibilité.
La Méditerranée orientale est redevenue un arc de crise majeur – Liban, Syrie, Israël, Gaza... – où les dégradations peuvent être brutales et rapides. Dans cet environnement, la France doit disposer de dispositifs d’évacuation fiables ; c’est un impératif de souveraineté et de protection de nos ressortissants. De ce point de vue, Chypre est un point d’appui exceptionnel : membre stable de l’Union européenne, disposant d’infrastructures portuaires et aéroportuaires éprouvées, le pays a démontré sa solidité et sa disponibilité lors de différentes crises.
L’accord de 2022 met fin aux mécanismes improvisés et établit un cadre clair, opérationnel et prévisible. Il s’inscrit dans une coopération déjà riche : exercices conjoints Eunomia et Argonaut, utilisation régulière des ports et des aéroports chypriotes, coopération dans la politique de sécurité et de défense commune, présence militaire française active en Méditerranée orientale, etc. À quelques mois de la présidence chypriote de l’Union européenne, il renforce la capacité d’action européenne dans une région stratégique. Le groupe EPR votera donc en faveur du projet de loi.
Je souhaite toutefois vous soumettre deux questions. Les crises récentes ont révélé certaines limites de la coordination civilo-militaire et du partage d’informations. Cet accord permet-il d’y répondre ou faudra-t-il le compléter par un accord de statut des forces à l’étranger (SOFA) plus ambitieux ? Par ailleurs, la clause de transit de 48 heures, indispensable à la fluidité des opérations, vous paraît-elle réaliste en cas d’afflux massif, ou faudra-t-il prévoir un mécanisme européen de débordement ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. Les SOFA ne concernent que le statut des troupes, tandis que l’accord dont nous débattons répond à toutes les questions pouvant se poser : logistique, sécurité, conditions sanitaires, hébergement, intendance, etc. Il tire les enseignements des crises passées durant lesquelles Chypre a servi de terrain d’évacuation.
Par ailleurs, le délai de 48 heures peut être étendu en cas de situation exceptionnelle, avec l’accord des autorités chypriotes.
Chypre n’est certes pas l’État membre de l’Union européenne le plus peuplé mais le fait qu’il joue un rôle essentiel dans l’évacuation des ressortissants français et européens en cas de crise constitue un motif de fierté auquel les Chypriotes sont très attachés. C’est la raison pour laquelle Chypre mettra les questions de sécurité civile et de souveraineté européenne à l’agenda de sa présidence de l’Union au premier semestre 2026.
M. Pierre Pribetich (SOC). La République de Chypre est un allié historique stratégique et fiable de notre pays, marqué par une stabilité politique. Nous menons régulièrement des exercices conjoints et des opérations militaires aux côtés de ses forces. Plusieurs interventions au Moyen-Orient ont été rendues possibles par l’utilisation d’infrastructures chypriotes dans les années 1980 mais aussi au Liban en 2006 ou en Israël en 2023, sans s’inscrire dans un cadre juridique formalisé. Ce contexte fait de Chypre un territoire pertinent pour évacuer des ressortissants par des moyens militaires. L’accord offrira un cadre juridique solide et clair à ces opérations, renforçant par là même l’autonomie opérationnelle et stratégique de la France. Le groupe Socialistes et apparentés le soutient, tout comme il soutient la relation franco-chypriote.
Notons toutefois que l’île est divisée depuis 1974 entre la partie Nord, reconnue uniquement par la Turquie, et la partie Sud reconnue par la communauté internationale. La militarisation organisée de chaque côté de la ligne verte – laquelle est sous surveillance de l’Organisation des Nations unies (ONU) – crée un contexte de tension persistante. La dernière élection présidentielle nord-chypriote a vu un partisan de la réunification de l’île, Tufan Erhürman, remporter une large victoire avec 62 % des voix : c’est un camouflet violent pour les nationalistes chypriotes turcs qui prônent l’indépendance et le renforcement des liens avec la Turquie ; c’est aussi un signal d’ouverture alors que les négociations de paix sont bloquées depuis plusieurs années.
Dans ce contexte, quelles garanties avons-nous que notre coopération avec Chypre ne sera pas fragilisée par des interférences turques ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. La Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre est présente dans le pays depuis 1964 et la partition de l’île est survenue en 1974. La République turque de Chypre du Nord, autoproclamée, n’est reconnue que par la Turquie. C’est une sorte de conflit gelé et la militarisation s’est accrue de chaque côté de la ligne verte.
Je ne saurais prédire les évolutions géopolitiques et géostratégiques du pays ni l’attitude de la Turquie, dont nous avons remarqué à d’autres occasions qu’elle pouvait être variable. Il me semble toutefois que la Turquie n’aurait pas d’intérêt stratégique à refuser ou à perturber des opérations d’évacuation de ressortissants européens, d’autant que l’accord ne concerne que le Sud de l’île, sur lequel les autorités turques n’exercent aucun contrôle.
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Cet accord de coopération est bienvenu et La France insoumise le soutient. Il sécurise des opérations qui ont déjà cours : en 2006 par exemple, la France a évacué des ressortissants via Chypre lors de la guerre d’Israël contre le Liban, de même qu’en juin dernier lors du conflit entre Israël et l’Iran. Le recours par la France à des infrastructures chypriotes est un signe d’amitié entre nos peuples, qui doit perdurer et que l’accord consolide.
Notons néanmoins trois éléments de contexte.
Chypre appartient à l’Union européenne mais pas à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), position strictement inverse à celle de son voisin turc. Cette situation ne manque pas de rappeler le caractère incertain, sur le plan stratégique, de l’Alliance atlantique. Le bilan de l’OTAN face aux crises imposant des opérations d’évacuation est d’ailleurs désastreux : que l’on pense à la Libye en 2011 ou à la guerre du Golfe en 2003, orchestrée par la première puissance militaire mondiale, fer de lance de l’Alliance atlantique, les États-Unis d’Amérique. Ces fiascos ont profondément et durablement déstabilisé l’ensemble de la région. Il est important de le rappeler pour envisager le futur de notre projection diplomatique et militaire sur des bases plus indépendantes.
Le dispositif prévu par l’accord est rendu nécessaire par la déstabilisation de la région, qui atteint un sommet avec la politique agressive à tous crins du gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou. La politique génocidaire conduite en Palestine, tout particulièrement à Gaza, multiplie les besoins d’évacuations, en application du droit international.
S’il est satisfaisant de conclure un accord avec Chypre, nous pouvons regretter le manque de volonté politique de la France lorsqu’il s’agit de conduire des évacuations à la hauteur des besoins. Un véritable couloir humanitaire est nécessaire alors que le cessez-le-feu n’est pas respecté. Comme le souligne l’organisation non gouvernementale Physicians for Human Rights Israël, nous n’accueillons pas assez de Palestiniens, en particulier dans un cadre médical. Médecins sans frontières insiste elle aussi sur la nécessité d’en faire plus et d’être à la hauteur de la situation humanitaire terrible à Gaza. La France a évacué 25 personnes depuis le 1er septembre ; à titre de comparaison, la Belgique en a évacué 400. Beaucoup attendent. Je pense notamment à la famille Al Rayyes, dont le père a été blessé lors d’une explosion à Gaza le 13 septembre dernier : le centre hospitalier universitaire de Brest s’est engagé à l’accueillir, puisque son fils vit déjà en France, dans le département. La France doit tout mettre en œuvre pour évacuer ceux auxquels elle se doit de porter secours. C’est un impératif ; encore faut-il en avoir la volonté politique.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Je vous remercie pour votre soutien. L’objet n’est pas, ici, d’engager un débat sur l’OTAN, le gouvernement de M. Netanyahou et les événements survenus depuis octobre 2023. Je n’en suis pas moins sensible, comme nous le sommes tous, à la situation humanitaire des populations à Gaza.
Mme Constance Le Grip, présidente. Nous en venons à présent aux questions et interventions formulées à titre individuel.
M. Michel Guiniot (RN). L’accord de 2022 comble une lacune juridique constatée dès 2006 et offre un cadre permanent à la France pour ses opérations de retrait de ressortissants via Chypre. Il permet d’anticiper les besoins logistiques, juridiques et médicaux liés à ces opérations. Le texte a été déposé une première fois au Sénat en 2023 puis a été retiré à la suite des attentats perpétrés par le Hamas à l’encontre d’Israël. À l’époque, ce dispositif aurait pu être capital pour les ressortissants français, même si Chypre n’a ratifié l’accord qu’en 2024.
Comme vous l’avez souligné, il est indispensable d’anticiper pour pouvoir agir le plus rapidement possible. L’accord nous permettra d’être réactifs si une crise survient au Moyen-Orient – cela peut malheureusement être le cas, même si le président de la République a l’air de considérer que la prochaine crise se déclenchera un peu plus au Nord. Comme les autres membres de la commission, je suis donc favorable à cet accord.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Si les événements d’octobre 2023 ont retardé l’approbation de l’accord, cela n’a pas empêché de procéder à des RESEVAC, dans les conditions que j’ai rappelées, en 2024 et en 2025.
Mme Alix Fruchon (DR). Chypre, qui aspire à jouer un rôle stratégique actif dans la région, constitue un point d’observation essentiel et une base arrière précieuse pour nos armées. L’évacuation de ressortissants en situation de crise a été réalisée à plusieurs reprises par la France via le territoire chypriote.
Il manquait à ces opérations un cadre juridique ; l’accord qui nous est soumis en prévoit un. Il mérite donc une attention particulière compte tenu de la situation de la région, qui traverse des bouleversements sans précédent depuis plusieurs années.
Sans être membre de l’OTAN, Nicosie manifeste sa volonté d’apporter son concours à l’Europe de la défense, à la hauteur de ses moyens. Compte tenu des rivalités et des intérêts croisés en Méditerranée orientale, Chypre compte sur l’appui politique de Paris. Comment l’accord tient-il compte de l’évolution récente des menaces dans la zone pour garantir la sécurité des RESEVAC ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. La coopération entre la France et Chypre est très active. Notre relation bilatérale se déploie dans de nombreux domaines, notamment celui de la défense. La marine nationale mène des opérations dans les eaux territoriales de Chypre et dans leur environnement. Cette relation bilatérale a vocation à s’approfondir.
M. Michel Barnier (DR). Je pense depuis longtemps que Chypre est une place stratégique, quand bien même ce pays n’est pas membre de l’OTAN. Membre de l’Union européenne, il constitue une base avancée de l’influence européenne dans cette zone très troublée.
Dans la mesure où Chypre est à la croisée de nombreuses influences, dont l’influence russe sur le plan financier, nous avons tout intérêt à entretenir de très bonnes relations avec elle. Je suis heureux que l’accord de coopération nous soit enfin soumis.
Les nombreux conflits environnants nous amènent à effectuer des RESEVAC et nous devrons en faire d’autres à l’avenir. Je salue le travail du Centre de crise et de soutien en la matière. Il m’est arrivé d’aller chercher des otages à Chypre, notamment Christian Chesnot et Georges Malbrunot en décembre 2004. Les opérations d’évacuation, qu’elles soient massives ou plus discrètes, exigent une bonne coopération avec Chypre.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Monsieur le premier ministre, cher Michel Barnier, je vous remercie de ces informations complémentaires. L’importance géostratégique de Chypre découle du fait que l’île est à la croisée de multiples influences.
Sorte d’avancée de l’Europe en Méditerranée orientale, elle est à proximité immédiate des côtes syriennes, libanaises, turques et israéliennes. L’accord qui nous est soumis n’en est que plus important.
Je salue le travail remarquable du Centre de crise et de soutien, qui assure une veille permanente et suit des crises de natures diverses, de plus en plus souvent climatiques. Son rôle dans l’évacuation non seulement de nos ressortissants mais aussi de ceux des autres États membres de l’Union européenne est tout à fait essentiel.
Comme il arrive parfois, notre commission est unanimement favorable à l’adoption de l’accord. Notre unanimité, lorsqu’il s’agit du rôle de la France, de celui de notre diplomatie et de la situation géopolitique de l’Europe, me semble une chose heureuse.
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Article unique (autorisation de l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d’évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d’une situation de crise, signé à Paris le 9 septembre 2022)
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
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La séance est levée à 11 h 35.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Michel Barnier, M. Sylvain Berrios, M. Guillaume Bigot, Mme Élisabeth Borne, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Dieynaba Diop, Mme Christine Engrand, M. Olivier Faure, Mme Alix Fruchon, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. François Hollande, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, Mme Gisèle Lelouis, Mme Alexandra Masson, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, M. Frédéric Petit, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, M. Franck Riester, M. Jean-Louis Roumégas, M. Aurélien Taché, M. Christopher Weissberg
Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Sébastien Chenu, M. Éric Ciotti, Mme Christelle D'Intorni, M. Marc Fesneau, M. Bruno Fuchs, Mme Clémence Guetté, M. Benoît Larrouquis, Mme Marine Le Pen, Mme Élise Leboucher, M. Max Mathiasin, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, Mme Maud Petit, M. Davy Rimane, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, M. Lionel Vuibert, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa
Assistaient également à la réunion. - M. Pierre-Yves Cadalen, M. Laurent Mazaury