Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Examen de la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l’accord du 12 juillet 2025 et sa mise en œuvre (n° 1969) (M. Philippe Gosselin, rapporteur) 2
Lundi
20 octobre 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 3
session ordinaire de 2025-2026
Présidence
de M. Florent Boudié, président
— 1 —
La séance est ouverte à 16 heures 30.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission examine la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l’accord du 12 juillet 2025 et sa mise en œuvre (n° 1969) (M. Philippe Gosselin, rapporteur).
M. le président Florent Boudié. Nous examinons la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l’accord du 12 juillet 2025 – accord dit de Bougival – et sa mise en œuvre.
Cette proposition de loi organique a été déposée le 13 août par six des présidents de groupe du Sénat. Après que le Conseil d’État a estimé, dans un avis rendu le 4 septembre, que ce nouveau report des élections visait un objectif d’intérêt général, le texte a été adopté par le Sénat mercredi dernier. Le temps presse puisque, en l’absence de report, le décret de convocation des électeurs devrait être pris le 2 novembre au plus tard.
Je remercie le rapporteur Philippe Gosselin d’avoir travaillé dans des délais très contraints, ce qui ne l’a pas empêché de procéder aux auditions nécessaires. L’état d’avancement des travaux nous a été communiqué, nous apportant tous les éclaircissements nécessaires. Le texte sera examiné en séance publique dès mercredi, à 15 heures ; le délai de dépôt des amendements pour la séance est fixé à demain, 20 heures.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Nous travaillons effectivement dans des délais contraints ; il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, mais c’est parfois le cas. Je remercie sincèrement tous les acteurs politiques de la Nouvelle-Calédonie qui ont accepté de nous consacrer du temps, dans un calendrier aussi serré ; néanmoins, tous ceux qui voulaient être entendus ont pu l’être. Gardons-nous de nationaliser le débat en faisant valoir nos propres convictions et faisons en sorte que l’intérêt général reste au cœur de nos décisions.
En l’état du droit, les élections des membres du Congrès et des assemblées de province doivent se tenir au plus tard le 30 novembre 2025. La présente proposition de loi organique vise à les reporter au plus tard au 28 juin 2026.
Sans revenir sur le rôle majeur que jouent le Congrès et les trois provinces, je tiens à souligner que le report est justifié non seulement par le contexte politique propre à la Nouvelle-Calédonie, mais aussi par celui de l’Hexagone, qui est particulièrement compliqué et nous a fait perdre un précieux temps d’échange et de réflexion. L’objectif du présent texte est donc d’accompagner la poursuite du dialogue sur la mise en œuvre de l’accord trouvé à Bougival en juillet dernier entre les partenaires politiques calédoniens et l’État.
La troisième consultation sur l’autodétermination du territoire, intervenue à la fin de l’année 2021 dans des conditions très particulières – dont le boycott par une partie des protagonistes –, a clos la séquence des trois consultations prévues par l’accord de Nouméa, sans résoudre pour autant l’épineuse question institutionnelle et statutaire – si ce n’est qu’à ce stade, la Nouvelle-Calédonie reste dans le cadre de la République. Il revient aux partenaires locaux de déterminer, avec les parlementaires et le peuple – à travers son Congrès –, un statut qui tienne compte des intérêts des uns et des autres et permette de poursuivre le développement social, économique et culturel du territoire, et de respecter son identité, au bénéfice de l’ensemble des Calédoniens.
Nous ne pouvons pas parler du statut sans rappeler le contexte, marqué par un climat économique et social très perturbé : le Cerom – Comptes économiques rapides pour l’outre-mer – vient de confirmer le recul vertigineux – de 13,5 % – du PIB calédonien en 2024. Tous les moteurs traditionnels de la croissance sont à l’arrêt : baisses des investissements de 24,3 %, de la consommation de 7,2 %, des exportations de 40,6 % et de l’emploi salarié de 12 % ; le nickel est au plus bas et l’économie est très vulnérable ; s’y ajoute l’exode de 10 000 personnes. L’outil économique a été fortement détérioré par les événements du 13 mai 2024, qui ont causé plus de 2,2 milliards d’euros de dégâts et d’effets induits, et entraîné une chute du tourisme de 53 %. Bref, tout clignote de toutes parts et il faut avoir ce contexte en tête pour comprendre que la Nouvelle-Calédonie est en souffrance.
C’est dans ce contexte qu’en juillet dernier, les acteurs politiques locaux ont été réunis à Bougival, dans les Yvelines, à l’initiative du président de la République. Cette réunion faisait suite aux multiples initiatives engagées par le ministre des outre-mer, Manuel Valls – fin connaisseur du dossier et des hommes et des femmes de ce territoire, quoi qu’on en dise – qui, depuis le début de l’année et dans la continuité de ses prédécesseurs depuis 2023, s’est efforcé de faire avancer le dossier de manière volontariste. Le 12 juillet, ces efforts ont abouti à la signature d’un accord par les partenaires politiques calédoniens et le ministre d’État, intitulé « le pari de la confiance ».
Même s’il est encore imparfait, l’accord de Bougival crée un État de la Nouvelle-Calédonie au sein de la Constitution. Il prévoit l’instauration d’une nationalité calédonienne, adossée à la nationalité française, qui donnera à ses titulaires le droit de voter aux élections provinciales à venir – à l’exception des prochaines qui mobiliseront un corps électoral ad hoc, voire le corps électoral actuel en cas de rejet de la présente proposition de loi organique, puisque la nationalité calédonienne ne sera pas encore en place. L’accord prévoit aussi que les électeurs calédoniens seront consultés – c’est bien la moindre des choses, car il s’agit d’un principe fondamental de notre droit – au début de l’année 2026, préalable indispensable à son entrée en vigueur.
Cet accord constitue indéniablement une avancée majeure pour de nombreux observateurs et suscite un regain d’espoir qui s’est traduit, cet été, par une légère reprise de la consommation – en matière de logements ou encore de voitures, signe qu’il fallait davantage de prévisibilité, même si l’accord ne se réduit évidemment pas au niveau de la consommation. Il est le fruit de plusieurs mois d’un dialogue souvent difficile, ainsi que de la volonté politique et du courage des partenaires calédoniens. Il ouvre, enfin, la perspective d’un statut pérenne pour le territoire et d’un aboutissement autre que le seul choix entre indépendance et maintien dans la République. Il fait le pari de la confiance et cet espoir ne doit pas être sous-estimé.
Malheureusement, l’accord ne fait désormais plus l’unanimité puisque, quelques semaines après sa signature, les indépendantistes du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) ont retiré leur soutien. Ils ont réitéré leur position lors du vote du Congrès de Nouvelle-Calédonie il y a quelques jours, puis de nouveau ce matin, lorsque j’ai auditionné le président du mouvement Christian Tein. L’accord reste néanmoins soutenu par les formations politiques non indépendantistes et par une partie des indépendantistes, ainsi que par l’Éveil océanien. Ce matin, l’UNI-Palika (Union nationale pour l’indépendance – Parti de libération kanak) m’a confirmé son engagement sans faille. Et avant-hier, Charles Washetine déclarait sur France Info que l’accord va dans le bon sens et qu’il faut respecter le calendrier originel de sa mise en œuvre – il est important de rappeler qu’un acteur majeur, indépendantiste modéré et loyal, reste attaché à faire vivre cet accord.
En reportant les élections provinciales, la présente proposition de loi organique ouvre donc une période de plusieurs mois qui devra être mise à profit pour laisser du temps au temps. Au reste, les lignes commencent à bouger. Alors que la Nouvelle-Calédonie est sous le regard de l’ONU au motif qu’elle ne serait pas encore décolonisée, je note qu’au sein de la quatrième commission de l’Assemblée générale l’ambassadeur de Papouasie-Nouvelle-Guinée et celui des Fidji ont officiellement pris position, au nom du Forum des îles du Pacifique comme du groupe mélanésien Fer de lance pour que soit respecté l’accord de Bougival. Rappelons que le Forum regroupe plusieurs États du Pacifique et qu’il est plutôt en pointe pour alerter sur la situation de la Nouvelle-Calédonie. D’ailleurs, sans aller jusqu’à anticiper la signature finale de l’accord et son approbation par la quatrième commission de l’ONU, nous avions tout de même déjà senti, lorsque nous nous sommes rendus aux Fidji et en Papouasie-Nouvelle-Guinée avec Arthur Delaporte et un autre collègue, pendant les négociations de Bougival, que des choses se passaient.
Le processus politique de Bougival est long et compliqué, mais l’accord reste aussi à parfaire sur les plans technique et juridique. Pour commencer, le report des élections doit permettre d’adopter des textes qui le transcriront juridiquement : en effet, pour être pleinement effectif, l’accord implique l’adoption d’une loi constitutionnelle, qui a été présentée en Conseil des ministres mardi dernier, et d’une « loi organique spéciale ». Un calendrier est prévu par l’accord lui-même, dont la première étape est le report des élections provinciales.
En l’état, la mise en œuvre de l’accord appelle davantage que des textes législatifs : la poursuite des discussions est indispensable pour espérer rallier le plus largement possible les partenaires politiques calédoniens. Même si le président du FLNKS a expliqué ce matin qu’il n’était pas possible, à ce stade, de revenir à la table des négociations – et je respecte sa position –, je reste un indéfectible optimiste, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie nous ayant enseigné depuis des années qu’il n’y a pas de sortie par le haut autrement qu’avec un consensus. Et même si une majorité des acteurs – y compris une partie non négligeable des indépendantistes – est favorable à l’accord, d’autres, tels que l’UC-FLNKS, doivent s’y agréger pour permettre le vivre ensemble, ce destin commun auquel nous sommes attachés, conformément à l’esprit des accords de 1988 et de 1998 – qui n’est pas encore mort, tant s’en faut.
C’est bien ce qui a incité le Sénat à modifier par un unique amendement l’intitulé de la proposition de loi, qui vise désormais à « permettre la poursuite de la discussion sur l’accord du 12 juillet 2025 et sa mise en œuvre ». Cela permettra-t-il d’aller plus loin et d’aboutir à un « Bougival amélioré », pour reprendre les termes de l’Éveil océanien ? Gil Brial a dit ce matin : « On a tous beaucoup donné et on a tous reçu un peu » – c’est donc que le compromis est encore possible. Sans vouloir paraître trop emphatique, permettez-moi de citer le général de Gaulle qui déclarait, lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964 : « Une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique. » En ce sens, le modèle de Bougival emprunte à plusieurs traditions philosophiques et juridiques – parfois étrangères au droit français – et sa mise en œuvre dépendra tout autant des acteurs politiques du moment que des circonstances et de la situation nationale et internationale.
Par ailleurs, si le dégel partiel du corps électoral prévu par l’accord ne fait pas l’unanimité, la tenue d’élections provinciales d’ici un mois, sur une base gelée, est aussi loin d’être consensuelle. Tenons-nous en donc au droit – j’apporterai tout à l’heure quelques éléments juridiques complémentaires.
Le Conseil d’État a validé juridiquement les termes de la proposition de loi organique et le Conseil constitutionnel a eu l’occasion, à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), de préciser des éléments qui constituent des guides utiles.
Au cours des dix-huit derniers mois, nous avons déjà été amenés à nous prononcer par deux fois sur le report des élections en Nouvelle-Calédonie ; je peux donc comprendre, face à cette troisième proposition, que vous ayez le sentiment d’une stagnation ou d’une journée sans fin. Je ne reviendrai pas sur le premier report, entériné par la loi organique du 15 avril 2024, ni sur le deuxième, permis par la loi organique du 15 novembre 2024, qui prenait acte des événements du 13 mai 2024. Du reste, je m’étais interrogé, comme d’autres, sur la bonne temporalité de la première loi organique qui prévoyait de réviser le corps électoral, craignant qu’elle n’entraîne de nouvelles difficultés – ce qui fut malheureusement le cas.
Le contexte politique étant posé, j’en viens aux aspects juridiques du report des élections, qui s’inscrit dans un cadre précis résultant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En application du calendrier de droit commun prévu par la loi organique statutaire de 1999, les élections devaient initialement se tenir en mai 2024. Leur report jusqu’à 2026 les repousserait donc de vingt-cinq mois – soit sept de plus que la date actuellement prévue. Ce n’est pas rien, je le concède, mais nécessité fait loi. Le Conseil d’État a considéré, dans son avis, que la proposition de loi se donne un but d’intérêt général puisqu’elle permet la poursuite des discussions en vue de la mise en œuvre de l’accord de Bougival.
Outre qu’il ouvre la perspective du retour à une certaine stabilité, cet accord revêt une dimension urgente. Néanmoins, je ne souhaite pas que le projet de loi constitutionnelle, tel qu’il a été présenté en Conseil des ministres mardi dernier, nous conduise à confondre vitesse et précipitation. Si l’argument en faveur d’un maintien des élections en novembre prochain pouvait encore valoir il y a quelques semaines, il y aurait désormais un risque à maintenir ce calendrier. La conférence de presse de M. Bayrou du 25 août, le refus de lui accorder la confiance le 8 septembre, puis la nomination d’un nouveau gouvernement, la semaine dernière seulement, nous ont fait perdre un temps précieux : il ne faudrait pas que cette perte de temps remette en question la nécessité de discussions sur le volet constitutionnel.
Vouloir précipiter les choses en rejetant le report des élections comporterait un risque d’insécurité juridique. Tout d’abord, parce que les procurations sont compliquées à établir – lors des élections législatives anticipées provoquées par la dissolution de 2024, plus de 2 000 procurations n’ont pas pu être enregistrées, du fait de la nécessité de remplir un document propre à la Nouvelle-Calédonie, qui n’était pas disponible dans les commissariats comme le sont d’autres formulaires Cerfa.
Ensuite, cela ouvrirait des failles juridiques susceptibles d’entraîner des recours. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique – l’Arcom –, qui intervient dans le processus électoral, n’a pas encore reçu la transmission des appartenances politiques officielles du Congrès sortant. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, qui doit se prononcer dans un délai de quinze jours avant la publication du décret de convocation des électeurs, n’a pas encore été sollicité – or, en l’absence de report, ce décret devrait être publié le 2 novembre au plus tard, soit dans moins de quinze jours. Enfin, la Cour de cassation doit être saisie pour permettre la création des commissions administratives spéciales, de même que l’ONU, le cas échéant, pour désigner des observateurs.
C’est pourquoi, au-delà de nos divergences politiques, nous pourrions au moins nous retrouver sur la nécessité de sécuriser le processus, en reportant les élections au 28 juin 2026 au plus tard.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Yoann Gillet (RN). La Nouvelle-Calédonie est une terre de richesses, de diversité et de courage. Ce territoire stratégique du Pacifique détient, à lui seul, un quart des ressources mondiales en nickel, cet or vert qui façonne son histoire depuis plus d’un siècle. Toutefois, derrière ces richesses, les fragilités du territoire se sont révélées avec une intensité croissante au fil des années ; pourtant, les gouvernements successifs ont fermé les yeux, laissant les crises se succéder sans jamais les affronter.
La crise économique est devenue existentielle. En 2024, le produit intérieur brut s’est effondré de près de 14 %, tandis que les recettes fiscales chutaient de 21 %. Le chômage explose et la confiance en l’avenir disparaît jour après jour.
Le gouvernement, incapable de faire preuve d’imagination, s’est réfugié dans la facilité en concentrant tous les débats sur la réforme institutionnelle. Mais ce n’est pas cette réforme qui créera des emplois, qui offrira un avenir à la jeunesse ou qui redonnera confiance aux investisseurs. Sans développement économique ni rééquilibrage social, il n’y aura pas de stabilité politique durable.
Dans ce contexte, le gouvernement cherche à repousser les élections pour la troisième fois, comme si le temps pouvait effacer les échecs et masquer l’incompétence qui a plongé la Nouvelle-Calédonie dans ce chaos économique devenu existentiel. Les élections avaient déjà été reportées à décembre 2024 pour permettre un accord sur l’avenir institutionnel et finaliser la révision du corps électoral. Mais, aveugle au risque et incapable de prévoir les conséquences, le gouvernement a précipité le territoire dans une instabilité profonde. Disons-le avec force : si le dégel du corps électoral doit être un objectif, il n’est pas la solution miracle. Il ne peut se faire au détriment du processus démocratique, au risque de raviver des tensions déjà très lourdes.
Le Rassemblement national avait d’ailleurs prévenu le gouvernement des risques que le calendrier faisait peser sur le territoire. Nos alertes sont restées sans réponse et la Nouvelle-Calédonie a été plongée dans le chaos, pour un projet de loi finalement abandonné le 1er octobre 2024. Et c’est de nouveau dans un contexte d’échec total et de paralysie politique que les élections ont été reportées, une deuxième fois, au 30 novembre 2025. Ces reports successifs étaient censés donner le temps aux partenaires politiques de trouver un accord global.
Désormais, sous le prétexte de la mise en œuvre du pseudo-accord de Bougival, signé le 12 juillet, le gouvernement entend prolonger encore les mandats des élus, portant à plus de deux ans le report des élections. Si le Conseil d’État invoque, dans son avis, des circonstances très particulières pour justifier cette nouvelle prolongation, la présente proposition de loi organique piétine la souveraineté du peuple et affaiblit sa confiance. Repousser les élections une fois de plus reviendrait à poursuivre les négociations avec des élus dont la légitimité peut logiquement être remise en cause. Craindre que la mise en œuvre de l’accord ne soit compliquée par un changement de composition des institutions ne saurait en aucun cas servir d’excuse pour bafouer la démocratie et créer une évidente illégitimité des élus. Car les élections sont la pierre angulaire de la démocratie et l’assurance d’institutions légitimes. Espérer, par ailleurs, une relance des négociations en pleine campagne électorale n’est jamais gage de compromis ni de modération. D’ailleurs, un nouveau report des élections serait le meilleur moyen de raviver les tensions qui ont tant défrayé la chronique.
Nous refusons que la Nouvelle-Calédonie soit empêchée d’être un relais de puissance pour la France dans le Pacifique, un creuset de prospérité et de stabilité pour la région. Si la France assumait pleinement sa responsabilité et sa vision stratégique, la Nouvelle-Calédonie serait aujourd’hui un moteur et non un champ de ruines.
Cette proposition de loi organique ne répond ni aux besoins du territoire ni à la légitimité démocratique. Sans élus légitimes, sans institutions respectées et sans une économie solide capable de créer des emplois et de soutenir les familles, aucune stabilité politique ni avenir durable ne pourront exister sur le territoire. Car seule une prospérité partagée entre la vitalité économique et la solidité des institutions permettra l’adhésion durable des Calédoniens à la nation. Il est temps d’ouvrir la voie à un projet qui unira toute la population, un véritable plan de relance et de confiance économique sur la durée, à même de rassembler toutes les forces vives du territoire autour d’objectifs concrets et compréhensibles par tous.
M. Vincent Caure (EPR). Une fois n’est pas coutume sous cette législature, nous sommes appelés à nous prononcer sur un texte qui revêt une grande importance : la proposition de loi organique visant à reporter les prochaines élections du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Disons-le d’emblée : ce report ne saurait constituer une fin en soi, il n’est qu’un moyen de faire avancer la Nouvelle-Calédonie vers son futur, tant politique qu’institutionnel et, plus largement, économique, dans le cadre d’un développement au service de tous. Nous sommes appelés à nous prononcer par un vote de responsabilité politique pour l’apaisement de la Nouvelle-Calédonie, dans le respect plein et entier de l’État de droit et de la volonté politique exprimée à plusieurs reprises.
La présente proposition de loi organique est non pas un acte unilatéral ou une manifestation de force, mais bien l’aboutissement d’un processus aussi consensuel que possible qui a réuni largement les forces politiques, d’une dynamique engagée et renouvelée au cours de l’été grâce à l’accord de Bougival. Celui-ci trace un avenir institutionnel nouveau pour la Nouvelle-Calédonie au sein de la République. Il bénéficie d’un large soutien, tant à Paris que dans le Pacifique. Il s’est traduit de manière exemplaire au Parlement, puisque six des huit présidents de groupe du Sénat ont déposé ensemble ce texte organique – et s’il est regrettable de constater l’absence de deux groupes, une telle large majorité illustre le chemin politique qui se dessine pour l’avenir du territoire.
Contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, ce soutien est également largement acquis en Nouvelle-Calédonie même. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie s’est prononcé en faveur de cette démarche, par un avis favorable de trente-neuf voix contre treize. La volonté des élus calédoniens s’est ainsi clairement exprimée. Elle nous engage – et j’en profite pour saluer le travail de toutes celles et de tous ceux qui ont participé à l’écriture de ce chemin institutionnel, notamment nos collègues élus de la Nouvelle-Calédonie.
Le nouveau report des élections se fait dans un cadre parfaitement respectueux de l’État de droit. Les deux reports précédents ont été entérinés non seulement pour garantir la bonne organisation du scrutin, mais aussi dans le respect de l’intérêt général et des principes à valeur constitutionnelle. Comme l’ont rappelé le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, ces deux éléments sont de nouveau réunis.
De plus, un autre motif fondamental vient justifier ce troisième report des élections : le chevauchement des calendriers. Il faut laisser le temps à l’accord de Bougival de se déployer pleinement, ce qui nécessite une révision constitutionnelle – un projet de loi en ce sens a été présenté en Conseil des ministres le 14 octobre dernier. Se dessine donc un nouveau calendrier, qui prévoit l’adoption du texte constitutionnel à l’automne, puis un vote en Nouvelle-Calédonie au printemps ; c’est seulement ensuite que les prochaines élections provinciales et du Congrès pourront se tenir, sur le fondement de la nouvelle liste électorale calédonienne.
En votant la proposition de loi organique, nous ne ferons pas qu’acter un report ; nous poserons un jalon indispensable au respect de la feuille de route convenue pour la Nouvelle-Calédonie. Nous honorerons ainsi le consensus local et national et nous permettrons à la République d’ouvrir la voie à un avenir apaisé et stable pour ce magnifique territoire du Pacifique. C’est pourquoi notre groupe votera le texte en l’état.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Par cette proposition de loi organique sénatoriale, le gouvernement nous propose de repousser, pour la troisième fois, les élections provinciales en Kanaky Nouvelle-Calédonie. Or ce nouveau report n’est pas acceptable. Il ne serait justifié que si nous étions dans un processus de décision finale de l’avenir institutionnel de la Kanaky Nouvelle-Calédonie et s’il y avait un consensus des acteurs politiques locaux, comme lors des précédents accords de Matignon-Oudinot en 1988 ou de Nouméa en 1998.
J’imagine que l’ensemble des groupes politiques de cette assemblée – c’est le cas du mien – souhaitent la résolution de la crise politique, sociale, économique et sanitaire qui accable le pays depuis le 13 mai 2024. Il est urgent d’offrir à tous les Calédoniens des perspectives d’avenir, sans lesquelles la reconstruction sociale et économique sera difficile, si ce n’est impossible.
Néanmoins, penser que nous sommes dans cette situation actuellement serait une erreur monumentale, une vue de l’esprit, une terrible illusion qui pourrait avoir des conséquences particulièrement graves. Le projet de Bougival ne fait pas l’objet d’un consensus local. Le FLNKS s’y oppose clairement et a fait savoir sa position dès le 9 août. Les instances coutumières, qui représentent le peuple kanak, ont, elles aussi, fait part de leur opposition. Et je n’ai trouvé nulle trace, monsieur le rapporteur, d’un soutien du groupe Fer de lance mélanésien à l’accord de Bougival.
Plutôt que d’en prendre acte et de reprendre les discussions, le gouvernement s’entête à faire comme s’il y avait un accord. Il nous place au pied du mur, en nous demandant de voter le 20 octobre le report d’élections prévues pour le 30 novembre au plus tard, au lieu de les avoir convoquées en temps et en heure. Ces méthodes sont de nature à accroître les tensions. Tout le monde sait, du ministre Valls qui a mené les négociations à l’actuelle ministre Mme Moutchou, qu’on ne peut rien faire sans, et encore moins contre, le FLNKS. Pourtant, c’est ce que vous voulez faire en reportant les élections, première étape du calendrier de Bougival.
Le premier ministre a annoncé qu’il voulait une révision de la Constitution avant la fin de l’année 2025 ; autrement dit, le Sénat devrait se prononcer sur ce texte constitutionnel dans trois semaines. Pensez-vous sérieusement que, dans cet intervalle, les discussions auront repris et qu’elles auront abouti à un accord, sous la menace d’une révision constitutionnelle dont le calendrier est déjà fixé et qui a déjà été présentée en Conseil des ministres la semaine dernière ? Personne ne peut le croire. C’est impossible !
En votant la présente proposition de loi organique, nous enclenchons la machinerie infernale qui nous amène directement au texte constitutionnel. C’est très exactement la même méthode qui a conduit aux événements du 13 mai 2024 : report des élections, discussion forcée sous la menace, révision constitutionnelle. Pensez-vous que quiconque irait négocier son avenir, son indépendance, la si lente décolonisation de son pays et de son peuple, après une colonisation si brutale, sous la menace ? Personne ne ferait une chose pareille ; c’est impossible. N’avez-vous pas fait assez de dégâts comme cela en Kanaky Nouvelle-Calédonie, en prenant des décisions fondées sur de mauvaises raisons ?
Renoncez à cette folie ; il est encore temps ! Refusez le report et les élections se tiendront enfin. Avec une légitimité renouvelée, issue des urnes, les discussions pourront reprendre pour espérer aboutir à un accord. Il n’y a pas d’autre méthode raisonnable. L’actuel premier ministre n’a-t-il pas déclaré, pour justifier son refus de reporter le troisième référendum malgré le contexte épidémique et le deuil coutumier, qu’en démocratie les élections se tiennent à l’heure ?
Pour conclure, je reprendrai les mots de notre ancien collègue Philippe Gomès, qui disait : « en Nouvelle-Calédonie, les morts enterrent les textes ». Quinze morts ont enterré la révision constitutionnelle de 2024. De grâce ! Arrêtons cet engrenage tant qu’il en est encore temps. Assez de morts, assez de désastres, assez de malheurs. Rejetons ce texte !
M. Arthur Delaporte (SOC). Il n’est jamais anodin de reporter des élections, encore moins pour la troisième fois. Les élections auraient dû se tenir, du moins nous l’espérions, mais le contexte politique national, l’instabilité et les difficultés à avancer nous conduisent à examiner cette possibilité, de manière certes tardive par rapport à l’échéance prévue.
Le groupe socialiste considère que ce report correspond à une nécessité. Il n’est pas une volonté de passage en force, bien au contraire. Du point de vue des socialistes, il faut impérativement trouver ou retrouver les voies de l’apaisement. La situation actuelle de crise politique, économique et sociale en Nouvelle-Calédonie résulte de la volonté de passage en force de l’État et du gouvernement d’Emmanuel Macron au mois de mai 2024. Aujourd’hui encore, nous pansons les plaies de cette irresponsabilité. Nous sommes donc contraints de choisir entre deux maux, l’un consistant à reporter à nouveau les élections, l’autre à organiser des élections à la hâte, avec le risque de provoquer de nouvelles instabilités.
Je fais partie de ceux qui, avec un optimisme raisonnable, pensent que la situation actuelle peut aboutir à quelque chose. Nous devons tout faire pour cela. Si les efforts faits jusqu’ici pour tenter de remettre autour de la table des acteurs qui ne se parlaient plus aboutissent à relancer de zéro un nouveau processus de discussion, ce temps et ces reports n’auront servi à rien. La semaine dernière, je discutais avec des acteurs opposés au report des élections ; ils me disaient que les discussions avaient repris, non pas pour faire de Bougival l’alpha et l’oméga de toute situation, mais pour discuter, à partir de ce texte, des manières de trouver ensemble le chemin de la concorde.
Il faut reconnaître qu’après l’espoir initial, Bougival n’a pas été accueilli unanimement. Une partie des acteurs indépendantistes, le FLNKS et l’UC, l’a rejeté, considérant qu’il ne reconnaissait pas assez explicitement la dimension décoloniale et les droits du peuple kanak. Ces critiques doivent être entendues. La responsabilité de l’État est de garantir que les prochaines étapes se construiront dans le dialogue en associant toutes les forces politiques et coutumières, y compris celles qui se sont écartées de Bougival. La méthode du consensus, éprouvée depuis 1988, est la seule voie possible.
Nous ne nous réjouissons pas du report des élections. Prolonger le mandat des élus en place depuis 2019 affecte forcément la vitalité démocratique. Nous considérons que, dans la balance des désavantages, refuser ce délai pour organiser des élections précipitées dans un climat difficile serait plus dangereux encore et obérerait les chances d’aboutir à un accord durable. Nous le disons à la fois parce que le Congrès de Nouvelle-Calédonie l’a voté à la majorité absolue et parce que nous considérons qu’il est de notre devoir collectif d’aboutir. Les élections devraient pouvoir se tenir dès que possible, et même avant l’échéance ultime fixée au mois de juin prochain. Nous serons vigilants à l’attitude du gouvernement dans la poursuite de ce processus.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. L’orateur du groupe DR n’étant pas présent, je me chargerai de dire quelques mots en son nom.
Le contexte économique, social et même sociétal est compliqué pour l’avenir de ce territoire. J’entends qu’il faille donner du temps au temps pour les échanges portant sur la partie constitutionnelle et que Bougival proposait un premier étage à la fusée, avec le décalage des élections provinciales, mais cet aspect est presque devenu secondaire. Des éléments matériels poussent aujourd’hui à éviter une faille juridique en même temps qu’à éviter la précipitation. Même si le haut-commissariat est prêt, en maintenant les élections avant la fin du mois de novembre 2025 alors qu’une autre consultation est prévue au mois de février 2026, nous courons le risque d’en faire un référendum anticipé pour ou contre Bougival.
Ce temps est nécessaire pour que le débat sur l’accord lui-même ait lieu sans précipitation. Je ne vois pas pourquoi le Sénat devrait examiner dans trois semaines la version constitutionnelle issue du conseil des ministres. J’entends dire de la part de certains acteurs, y compris indépendantistes : « Si vous ne reportez pas les élections, vous nous enlevez du temps. Ainsi, c’est Paris qui empêchera le dialogue local. » Cela m’a été dit ce matin même, non pas par les loyalistes, mais l’UNI-Palika, qui est un parti indépendantiste respectable, comme le FLNKS. Il faut entendre cette demande.
Après le pari de l’intelligence collective, il faut faire le pari de la confiance. L’accord de Bougival est peut-être à parfaire. Cette confiance se joue aussi dans le Pacifique, et je maintiens que l’ambassadeur de Papouasie-Nouvelle-Guinée et celui des Fidji ont tenu au début du mois d’octobre à la quatrième commission de l’ONU, celle de la décolonisation, des propos qui soutenaient…
Mme Mathilde Panot (LFI-NFP). Ils évoquaient, ils ne soutenaient pas.
M. Philippe Gosselin (DR). Votre interprétation n’est pas la mienne. C’est un élément factuel qui me paraît important ; sans doute vous gêne-t-il, mais c’est la réalité. Faisons-leur aussi confiance.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Depuis plus de quarante ans, la Kanaky Nouvelle-Calédonie chemine sur le fil fragile de la promesse républicaine, celle d’une émancipation négociée, d’une paix conquise et d’un destin commun arraché au tumulte de l’histoire. Mais cette promesse, hélas, se délite à mesure que les gouvernements se succèdent. À chaque accord de transition, à chaque report nécessaire, on parle d’apaisement. En vérité, on ne cherche qu’à différer l’inévitable : le moment où le peuple kanak décidera enfin librement de son avenir.
La proposition de loi organique dont nous débattons aujourd’hui n’est pas une main tendue, c’est un verrou supplémentaire pour enterrer l’autodétermination du peuple kanak. Sous le vernis du dialogue, elle impose un troisième report des élections provinciales en deux ans, prétendument pour permettre la mise en œuvre du projet d’accord de Bougival. Mais chacun ici le sait : derrière ces délais, il n’y a ni dialogue ni équité, seulement la volonté de Paris de modeler à distance une architecture institutionnelle que le peuple premier de ce territoire refuse avec force et dignité.
Souvenons-nous : en mai 2024, la réforme constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral avait mis le feu au pays. Quinze morts, des centaines de blessés, des milliards de destructions, des militants politiques emprisonnés à des milliers de kilomètres de chez eux, dont Christian Tein, emprisonné en Hexagone comme, jadis, on exilait les prisonniers politiques, ceux qui réclamaient simplement la liberté. Ce n’est pas un détail administratif, c’est le retour du souffle colonial, celui qui nie la parole des peuples et qui travestit la justice en ordre public. Malgré l’appel au dialogue du FLNKS, malgré le refus du sénat coutumier, malgré la mémoire encore vive des années de sang et de larmes, l’État persiste et signe.
Sous le gouvernement Bayrou, la méthode change. Le mépris demeure, avec un projet d’accord de Bougival signé dans un salon parisien sans les principaux concernés et rejeté par ceux-là même au nom desquels il prétend parler. Ce texte invente un État de Nouvelle-Calédonie dans la République, qui est en réalité une fiction institutionnelle, et une indépendance d’apparat où la souveraineté reste confisquée. Pourtant, le droit à l’autodétermination est un principe cardinal du droit international. Il figure à l’article 1er de la Charte des Nations unies et il est réaffirmé par la résolution 1514 de l’Assemblée générale, qui proclame solennellement que tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. Or, en Kanaky Nouvelle-Calédonie, ce droit est aujourd’hui vidé de sa substance. On ne demande plus : voulez-vous l’indépendance ? On demande : acceptez-vous la tutelle que nous avons redessinée pour vous ? La France ne peut pas défendre d’une main la démocratie sur la scène internationale et, de l’autre, prolonger une colonisation sous couvert de décolonisation. Elle ne peut pas prêcher la liberté à l’étranger tout en ajournant indéfiniment celle de ses territoires d’outre-mer. L’avenir de la Kanaky Nouvelle-Calédonie ne se décidera ni à Paris, ni à Bougival, mais à Nouméa, à Koné, à Lifou, dans la parole et la souveraineté du peuple kanak.
Nous refusons une loi qui prolonge des mandats sans légitimité, qui travestit le dialogue en délai et qui confond la stabilité avec la résignation. Les violences de 2024 ne sont pas un accident. Elles étaient prévisibles, nous vous avions prévenus et vous avez, comme toujours, refusé d’écouter.
La paix véritable ne se décrète pas. Elle se construit sur la justice et la justice commence par la reconnaissance pleine et entière du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Reporter encore ces élections, c’est refuser d’entendre cette exigence de dignité, alors que le Conseil d’État lui-même a indiqué qu’il n’y avait pas besoin de reporter lorsqu’il a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité. Maintenir le corps électoral tel qu’il est ne remet donc pas en cause l’accord de Nouméa et les élections peuvent se tenir sans qu’il soit besoin d’un nouveau report. Nous appelons le gouvernement à rétablir le dialogue dans un cadre multilatéral sous l’égide du Sénat coutumier, avec les Nations unies comme garant et non plus sous la seule autorité d’un État qui est juge et partie.
Parce que l’écologie politique, c’est d’abord la souveraineté des peuples sur leurs terres, parce que l’histoire coloniale française en Océanie appelle l’humilité et la réparation et parce que la République ne sera universelle que lorsqu’elle sera décoloniale, nous voterons contre cette proposition de loi organique.
M. Éric Martineau (Dem). Nous examinons une proposition de loi organique visant non seulement à reporter les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie mais surtout à donner une traduction législative et à accompagner la mise en œuvre de l’accord signé à Bougival le 12 juillet dernier. Déposé par six des huit groupes politiques au Sénat et adopté une large majorité, ce texte traduit le désir partagé d’apporter une réponse institutionnelle et politique pérenne à la Nouvelle-Calédonie.
Nous avons déjà voté à deux reprises, dans cette commission, puis dans l’hémicycle, le report des élections du Congrès et des assemblées de province de l’archipel. Ces reports avaient été motivés par la nécessité d’une sortie de crise et d’un apaisement des tensions dans la région. Les violentes émeutes qui avaient éclaté sur le territoire après l’adoption d’un projet de réforme constitutionnelle tendant à dégeler partiellement le corps électoral pour les élections provinciales ont plongé le territoire dans une crise sans précédent.
Le 12 juillet, un accord préliminaire a été signé à Bougival entre l’ensemble des partenaires politiques calédoniens et l’État. Il constitue une étape décisive dans le processus de négociation politique en vue du retour à la concorde civile et à la stabilité institutionnelle par la consécration d’un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie. Cet accord, porteur d’espoir et de responsabilité, doit être précisé, enrichi et traduit dans la loi et dans les faits. C’est la raison d’être de cet accord et de cette proposition de loi organique : donner du temps au dialogue, à la reconstruction et à la démocratie elle-même.
Nous savons aussi que cet accord, malgré une large adhésion des représentants calédoniens, suscite encore des interrogations et de la défiance. Il faut, avec humilité, entendre ces doutes et les respecter. Mais ne nous y trompons pas : ce report n’est pas un recul de la démocratie, il en est la condition. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont reconnu que, dans des circonstances exceptionnelles, le législateur pouvait différer un scrutin pour un motif d’intérêt général à condition d’en préserver la périodicité raisonnable. Nous respectons ces principes. Les élections provinciales n’ont jamais été interrompues depuis 1999. Les reports votés en 2024 et celui que nous proposons aujourd’hui n’ont qu’un seul objectif : garantir que la consultation se déroule dans la sérénité sur la base d’un corps électoral clair, accepté et légitime. Reporter les élections au 28 juin 2026, c’est refuser la précipitation. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a donné son accord pour l’adoption du texte dont il est question aujourd’hui. Il s’agit d’un appui local important qui avalise cette démarche.
Le groupe Les Démocrates considère qu’il est primordial de maintenir le dialogue avec l’ensemble des partenaires pour éviter tout échec des négociations et la conflictualisation des discussions. Nous soutiendrons donc ce texte qui participe à l’édification de la réforme institutionnelle de l’archipel, tout en veillant à ce que la réforme soit respectueuse de toutes les sensibilités.
M. Jean Moulliere (HOR). Le contexte qui justifie la réunion de notre commission est, à l’image du territoire qu’est la Nouvelle-Calédonie, exceptionnel. Il l’est à deux égards. D’une part, le corps électoral des élections provinciales est gelé depuis 1998. Ce gel, combiné aux évolutions démographiques de l’île, conduit à ce que les personnes exclues représentent près d’un cinquième des électeurs. Les conséquences de ces chiffres au regard des principes d’universalité et d’égalité du suffrage sont indéniables. D’autre part, les élections provinciales ont déjà été reportées à deux reprises. Un premier report les avait repoussées au 15 décembre 2024 avant que la loi organique du 15 novembre 2024 ne fixe la nouvelle échéance au 30 novembre 2025 à la suite de la grave crise politique, économique et sociale traversée par la Nouvelle-Calédonie depuis mai 2024.
Pourtant, le courage des Calédoniens a permis d’aboutir à une issue favorable, exceptionnelle elle aussi, pour l’avenir de l’île : l’accord de Bougival. Réunies cet été autour de l’ancien ministre d’État, ministre des outre-mer, Manuel Valls, les forces politiques calédoniennes ont été à la hauteur de l’histoire. À l’issue d’un long travail de négociation, elles ont trouvé un accord dans lequel elles ont, en responsabilité, fait le pari de la confiance. Il convient de poursuivre ce travail et de créer le contexte qui permettra à l’accord de Bougival de se concrétiser. Cela nécessite du temps pour expliquer, débattre et aussi pour surmonter les désaccords qui ont émergé depuis.
Notre groupe prête une attention toute particulière aux enjeux constitutionnels attachés à un éventuel nouveau report des élections provinciales. Notre démocratie peut en effet se prévaloir d’une exigence constitutionnelle de périodicité raisonnable de l’exercice du suffrage par les électeurs, et c’est pour faire respecter cette exigence que le Conseil constitutionnel exige un motif d’intérêt général incontestable en cas de volonté du législateur de reporter les élections. Le groupe Horizons & indépendants estime que ce motif existe indéniablement en l’espèce. Car la situation calédonienne a significativement évolué, et même avancé, depuis 2024, et l’accord de Bougival justifie un report des élections provinciales pour lui permettre de se concrétiser. Toutes les garanties sont présentes, l’accord définissant même le calendrier des prochaines échéances électorales. Dès février 2026, les Calédoniens se prononceront sur l’accord, ce qui permettra ensuite aux élections provinciales de se tenir sur la base d’un corps électoral rénové.
Pour témoigner de la confiance que nous portons à l’ensemble des acteurs calédoniens, notamment en leur capacité à renouveler les modalités du destin commun, le groupe Horizons votera en faveur de la proposition de loi organique. Nous émettons le souhait que l’Assemblée puisse l’adopter dans les mêmes termes que le Sénat afin de garantir sa promulgation avant le 2 novembre, date limite de publication du décret de convocation des électeurs.
Gageons que ce report sera le dernier, mais reportons tout de même. Seul un report permettra de concrétiser la solution institutionnelle pérenne définie par l’accord de Bougival qui, s’il n’est à ce stade qu’un accord, honore déjà l’ensemble de la République.
M. Paul Molac (LIOT). Les textes sur la Nouvelle-Calédonie se suivent et m’inquiètent, tant la situation est préoccupante. La crise économique se double d’une crise sociale et certains pensent pouvoir se passer de la crise politique avec du pain et des jeux, c’est-à-dire en donnant un petit quelque chose aux Néo-Calédoniens. Or, il faut le dire, le problème est politique. Deux peuples ne se mélangent pas vraiment, un peuple premier et un peuple de Néo-Calédoniens d’origines diverses, venus de l’étranger, qui sont là depuis fort longtemps et ont tout-à-fait la légitimité pour rester sur cette terre. Notre problème est le suivant : comment mettre ces deux peuples d’accord sur une vision de leur avenir ? Toute la difficulté est là.
Pour moi, qui suis un hexagonal nié dans sa personnalité culturelle par le droit français, même pas reconnu par la République en tant que Breton – cela vous fait rire, pas moi –, je considère que la moindre des choses pour le pays des droits de l’homme serait de reconnaître les minorités qui sont dans la République. Cela ne veut pas dire que nous ayons le droit à l’indépendance ; c’est encore autre chose. C’est pourquoi l’accord de Bougival, qui évoque un État associé et une citoyenneté propre, me parle : quand on connaît l’histoire de la France et la façon dont elle confond unité et uniformité, on se dit que la France est en voie de guérison. Je vois bien néanmoins qu’il ne fait pas l’unanimité et que certains voudraient plus.
Le report des élections permettra-t-il d’apaiser le climat actuel ? Je n’en sais rien. Permettra-t-il un accord sur le texte de Bougival ? Je n’en sais rien non plus. Lorsque nous avons débattu de la loi sur le dégel du corps électoral, j’ai prévenu que c’était prendre un gros risque et qu’elle risquait de causer des troubles. La semaine n’était pas encore passée que nous avions déjà une vingtaine de morts. Autant vous dire que nous sommes sur des charbons ardents et que je ne me sens pas à l’aise pour savoir s’il faut voter pour ou contre. J’écouterai donc avec grand intérêt ce que dira mon camarade Emmanuel Tjibaou.
M. Emmanuel Tjibaou (GDR). Je fais partie des gens qui ont signé le document du 12 juillet 2025 en tant que chef de file du FLNKS, mandaté par le mouvement de libération, ce qui me vaut de m’exprimer devant votre commission. Je suis interloqué par la manière dont les choses sont présentées dans l’état d’avancement des travaux. Sur le document que nous avons signé, il était marqué « projet d’accord », pas « accord politique ». Le document était intitulé : « pari de la confiance ». Le lendemain du jour où nous l’avons signé, il était marqué : « compromis historique ». La parole a-t-elle encore un sens ? J’ai toujours été loyal dans mes échanges avec le ministre d’État depuis février et nous n’avons jamais renoncé à discuter, en bilatéral ou en plénière. C’est le sens de notre engagement.
Vous nous demandez de statuer sur le report des élections provinciales pour permettre la mise en œuvre de l’accord du 12 juillet 2025. Mais, je le répète, nous n’avons pas signé d’accord, seulement un projet d’accord. Le jour de sa signature, le ministre d’État nous a demandé de le présenter aux structures afin d’avoir leur retour en vue de poursuivre les discussions sur cette base ; il nous a dit aussi de le faire analyser par les experts et les juristes pour évaluer la cohérence constitutionnelle et juridique du document, l’accord définitif devant être ratifié à Nouméa le mois suivant. Qui dit la vérité ? Qui manque à sa parole ?
Nous avons eu le même débat, l’année dernière, au moment de l’état d’urgence, quand les routes étaient bloquées. Notre motivation à l’époque était qu’un report des élections permettrait la reprise des discussions sur le corps électoral. Ces éléments ne tiennent plus aujourd’hui. Nous sommes toujours en phase de négociation.
Pour rappel, lors de la séquence de Deva, à Bourail, avec le ministre d’État et l’ensemble des partenaires, dont mon collègue Metzdorf, nous avions aussi débattu de la proposition de souveraineté partagée. La majorité des acteurs autour de la table s’est prononcée pour le projet. Nous, indépendantistes, nous aurions pu faire valoir la démocratie, comme l’a fait le Congrès en votant son avis, et dire que la majorité avait décidé de s’engager sur la souveraineté partagée. Nous ne l’avons pas fait. Nous avons privilégié la voie du consensus en souhaitant que la discussion continue. Le consensus est une valeur qui tient au cœur des Océaniens ; je ne sais pas si elle a du sens ici, où l’on privilégie la démocratie. Néanmoins, si vous voulez aller dans le sens de la démocratie, faites les élections : elles conforteront l’assise de ceux qui sont autour de la table.
Aucun fondement juridique ne permet de surseoir à ces élections qui ont déjà été reportées par deux fois. Comme à Deva, nous demandons à poursuivre les discussions.
Une dernière correction : ni le groupe Fer de lance, ni le Forum des îles du Pacifique, ni la quatrième commission des Nations unies sur la décolonisation ne se sont prononcés pour Bougival. Il ne faut pas nous présenter comme les mauvais coucheurs de l’histoire. Bougival, pour nous, c’est flou. Il faut clarifier le débat et lancer une seconde phase de discussions qui permette d’asseoir les éléments que mes camarades ont fait valoir sur les modalités d’exercice du droit à l’autodétermination et à la décolonisation.
Mme Mathilde Panot (LFI-NFP). Je tiens à apporter une réponse aux propos du rapporteur, selon qui il y aurait un danger à précipiter les élections.
Le président de la commission en est témoin : le 5 septembre, Bastien Lachaud et moi-même avons écrit au premier ministre d’alors, M. Bayrou, pour lui demander de convoquer les élections. J’en avais moi-même parlé en conférence des présidents, où la présidente de l’Assemblée nationale m’avait répondu qu’elles pouvaient être convoquées jusqu’au 2 novembre. La méthode, assez insupportable, est celle de la fuite en avant : lorsque nous avons interpellé directement le gouvernement, rien n’a été fait, et l’on nous dit maintenant qu’il est impossible de maintenir les élections. Je rappelle pourtant que le gel du corps électoral a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 19 septembre dernier. Rien ne s’oppose donc à leur tenue. Au contraire, comme l’a dit Emmanuel Tjibaou, puisque les discussions doivent continuer dans un esprit de consensus que M. le rapporteur appelle lui aussi de ses vœux, elles apporteraient aux acteurs une légitimité démocratique renouvelée.
Nous avons lancé l’alerte. Il n’est pas possible de nous opposer cet argument pour expliquer que les élections ne pourraient pas se tenir alors qu’elles ont déjà été reportées à deux reprises.
M. Nicolas Metzdorf (EPR). Je fais partie de ceux qui ont signé l’accord de Bougival et je ne veux pas que l’on ne se trompe de sujet. La proposition de loi organique porte sur le report des élections provinciales, pas sur la renégociation de l’accord de Bougival.
Nous avons toujours été très clairs avec le partenaire de l’UC-FLNKS : la porte est ouverte pour continuer les négociations sur la base de l’accord. C’est une base avancée puisque, comme l’a rappelé M. Molac, il crée un État dans l’État, avec une double nationalité et une loi fondamentale. Nous ne pouvons pas repartir de zéro alors qu’il a fallu des mois pour parvenir à ce point. Nous devons nous donner le temps de poursuivre les négociations.
J’entends dire qu’il n’y a pas de consensus sur l’accord, mais il y a encore moins de consensus sur la tenue immédiate des élections, puisque 80 % des groupes politiques du Congrès de la Nouvelle-Calédonie sont contre leur maintien à la date initiale, pour la raison que ces 80 % veulent poursuivre les négociations sur l’accord de Bougival, lequel est soutenu par tous les groupes politiques du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, y compris par des indépendantistes, sauf par l’UC. Il est également soutenu par l’État et par le président du groupe Fer de lance mélanésien, qui vient des Fidji.
Je veux bien rechercher le consensus, mais le consensus, ce n’est pas tout le monde contre le reste. Il ne faut pas que la gauche et l’UC-FLNKS prennent en otage – puisque vous parlez de passage en force, je peux bien parler de prise d’otage – toute la Nouvelle-Calédonie. Vous êtes minoritaires à vouloir que les élections se tiennent maintenant. C’est une réalité. Respectez le choix politique des Calédoniens de reporter les élections pour continuer à négocier.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Je tiens à dire à Emmanuel Tjibaou que je ne le considère pas comme un mauvais coucheur, pas plus que le FLNKS, et que je ne me permets pas de distribuer les bons et les mauvais points. Ce n’est pas ma façon de procéder. Je suis très attaché au dialogue, même si nous ne partageons pas tout, et très respectueux des uns et des autres. C’est la coutume kanak que je respecte et que vous appréciez aussi. Le respect et l’humilité sont importants pour comprendre – ou tenter de comprendre – ce dossier si difficile.
Je remercie les groupes qui soutiennent le report des élections. Personne n’est totalement à l’aise de proposer ce troisième report, qui n’est évidemment pas satisfaisant, mais le Conseil constitutionnel a reconnu qu’il y avait une raison d’intérêt général, que je qualifierais même d’intérêt supérieur de la nation, à reporter ces élections.
J’ai relevé quelques incantations généralistes, qui ne sont pas nécessairement mauvaises, de la part de M. Gillet, qui appelait à un projet solide et à un plan de relance pour réunir les forces vives et faire redémarrer l’économie. Je ne dis pas autre chose. Mais, une fois qu’on a dit ça, on fait comment ? Il faut être plus concret, plus précis. Je note également que, malgré vos propos, votre groupe avait voté pour le dégel du corps électoral. Un peu de continuité dans l’action politique !
J’entends ce qu’a dit M. Lachaud sur les difficultés actuelles. Mais, quand il parle de coup de force, je rappelle que la proposition de loi organique a été signée par six groupes sur huit au Sénat. Elle résulte de la volonté de donner du temps au temps.
Je ne veux pas que l’on considère que le report des élections est le premier acte de Bougival. Le calendrier, extrêmement serré, est, à mes yeux, devenu intenable. Il est impensable que tout soit réglé dans les semaines qui viennent ; il n’est pas davantage envisageable de réunir un Congrès d’ici à la fin de l’année. Je note avec satisfaction que 80 % des forces politiques en présence soutiennent l’accord de Bougival, mais soyons réalistes : il faudra voter un texte en termes identiques dans les deux assemblées avec une majorité des trois cinquièmes. Encore une fois, on ne saurait considérer que tout est déjà plié, qu’il est inutile de rechercher le consensus : ce n’est évidemment pas le cas. Il nous faut avoir une vue d’ensemble et agréger les parties prenantes de la manière la plus large possible. En bonne foi et en bonne intelligence, il faut avancer.
Les arguments tenant au caractère dilatoire du texte ne tiennent pas. Madame Panot, vous avez en effet appelé l’attention du gouvernement début septembre mais, depuis le 25 août, nous savions que le 8 septembre, la confiance ne serait vraisemblablement pas accordée au gouvernement et que celui-ci allait donc tomber. Était-il raisonnable de précipiter les choses en l’absence de débat parlementaire nouveau et alors qu’un accord avait été conclu le 12 juillet ?
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Vous avez bien convoqué les élections municipales !
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Cela n’a rien à voir, vous le savez bien : les élections municipales ne sont pas liées à un accord historique ayant des incidences sur le fonctionnement du Congrès et des provinces.
Je n’ai pas dit que la précipitation serait source de danger : j’ai parlé de risques ou de failles juridiques. Il me paraît très sincèrement difficile, matériellement, d’organiser les élections fin novembre. Les failles juridiques se traduiraient par des recours qui, immanquablement, entacheraient la légitimité des élections. Il est donc sage de les reporter, malgré les alertes, que j’entends et que je prends en considération : si tel n’était pas le cas, je ne dirais pas qu’il faut laisser le temps nécessaire pour traiter des aspects constitutionnels.
Le 8 octobre, dans le cadre des Nations unies, le groupe Fer de lance mélanésien a déclaré : « Cet engagement a réaffirmé le soutien constant du Pacifique à la Nouvelle-Calédonie. Toute gouvernance future doit refléter la volonté de toutes les communautés. Le groupe prend note et est encouragé par la signature de la feuille de route pour la Nouvelle-Calédonie, l’accord de Bougival, et reconnaît les efforts collectifs des Calédoniens et du gouvernement français pour trouver une solution politique durable, après les événements tragiques de l’an dernier. » Certains d’entre vous voient peut-être cela comme un verre à moitié vide ; je le vois comme un verre à moitié plein. Il n’est pas anodin que le groupe Fer de lance – qui, historiquement, a une position très favorable à la Kanaky et aux Kanaks – reconnaisse l’existence d’efforts et trouve dans l’accord une source d’encouragement. Vous pouvez ne pas être d’accord mais le fait que ce groupe apporte, d’une certaine façon, sa caution à l’accord revêt une grande importance à mes yeux.
Article 1er : Report des élections et prolongation des mandats en cours
Amendements de suppression CL1 de M. Bastien Lachaud, CL16 de M. Emmanuel Tjibaou et CL22 de M. Steevy Gustave
Mme Mathilde Panot (LFI-NFP). Monsieur Metzdorf, je vous rappelle que seuls les Loyalistes et le Rassemblement ont refusé l’accord de Deva. S’il n’y a pas eu d’accord à Deva faute de consensus, on ne saurait davantage considérer qu’il y a eu un accord à Bougival. Par ailleurs, vous étiez rapporteur du projet de loi constitutionnelle qui visait à dégeler le corps électoral. Ce texte a été à l’origine d’un désastre puisqu’on a dénombré 15 morts, des centaines de blessés, 2,5 milliards d’euros de dégâts, 10 000 emplois salariés détruits.
La première chose qu’il faut dire – et qui justifie l’amendement de suppression – est qu’il faut apprendre des erreurs commises. Le passage en force a commencé lorsqu’un certain Sébastien Lecornu a imposé la date du troisième référendum. Sa nomination en tant que premier ministre est, à cet égard, un signal assez désastreux, qui ruine la confiance envers l’action du gouvernement. Cela a été suivi d’autres ruptures du principe d’impartialité qui s’impose à l’État : je pense notamment à la nomination de Sonia Backès au gouvernement et au dégel du corps électoral.
Nous devrions réfléchir collectivement au fait que, depuis des décennies, la construction de la paix civile a reposé sur la conclusion d’accords qui ont recueilli un consensus. L’absence actuelle de consensus devrait nous conduire à nous interroger sur ce que nous sommes en train de faire et sur les risques que nous prenons. Lors du débat relatif au dégel du corps électoral – que nous avions combattu et contre lequel notre groupe avait voté –, nous avions dit que, demain, il pourrait y avoir un mort en Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il n’y en a pas eu un mais quinze. Apprenons des erreurs et arrêtons le passage en force, afin de préserver la paix civile : c’est ce que nous proposons par cet amendement.
M. Emmanuel Tjibaou (GDR). En effet, cet amendement a pour objet de supprimer l’article 1er, qui vise à reporter les élections provinciales en s’appuyant sur le projet d’accord de Bougival du 12 juillet. On l’a dit, le FLNKS, qui siège à la table des discussions en tant que mouvement de libération, a formellement rejeté ce projet d’accord. Les autorités coutumières, les acteurs religieux et une partie de la société civile se sont également prononcés contre. Dans ces conditions, fonder une nouvelle prorogation des mandats, qui ont déjà été prolongés deux fois, sur un socle politique aussi contesté reviendrait à porter atteinte au droit de suffrage et à institutionnaliser l’exception. C’est un risque démocratique que nous ne pouvons assumer. Nous proposons de supprimer l’article pour revenir à une trajectoire respectueuse de l’esprit des accords et à un calendrier électoral raisonnable. Cette suppression est la seule voie permettant de préserver la légitimité de nos institutions et de rouvrir un dialogue loyal entre les partenaires sans travestir l’état réel du consentement politique local.
M. Steevy Gustave (EcoS). Le groupe Écologiste et social manifeste, par cet amendement de suppression de l’article 1er, son opposition à la proposition de loi organique. Le report des élections marque le début de la mise en œuvre du projet d’accord de Bougival. Ce dernier, signé en juillet, devait être un gage du retour de la paix civile et de la cohésion du pays, mais il a été désavoué par le FLNKS, force politique incontournable de la Nouvelle-Calédonie. L’accord du 12 juillet, loin de rendre possible l’émancipation, verrouille la souveraineté du territoire en prévoyant que les compétences essentielles resteront sous contrôle français. Nous le rejetons car il ne peut constituer une base de travail pour décider de l’avenir constitutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Sans consensus politique, en refusant d’entendre la voix du peuple kanak, nous ne pouvons statuer sur l’avenir du territoire. Nous sommes opposés au report des élections, qui revient à refuser toute forme de dialogue avec les forces politiques. Rejeter l’accord, ce n’est pas rejeter la France ; c’est refuser la dépendance déguisée. Nous exigeons un vrai chemin vers la dignité, l’égalité et la souveraineté, alors que ce texte nous engage sur la voie du conflit et de la rupture.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Demande de retrait ou avis défavorable. On parle bien d’un « projet » d’accord, la précision ayant été ajoutée à la demande expresse de l’UNI (Union nationale pour l’indépendance), avec l’accord de Christian Tein. Il s’agissait, en ajoutant ce terme, de permettre aux indépendantistes de revenir à la table des discussions. On ne peut pas considérer que le processus de Bougival est définitivement mort et enterré. Il faut se garder de toute précipitation concernant les échanges à venir et se donner le temps nécessaire.
Même si les élections étaient présentées, cet été, comme le premier étage de la fusée – autrement dit, le début de l’application de l’accord –, des éléments factuels nous conduisent à demander leur report. Sur le plan juridique, le Conseil d’État reconnaît l’existence de raisons impérieuses d’intérêt général, même si deux reports ont déjà eu lieu. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, serait automatiquement amené à se prononcer si nous adoptions le texte, compte tenu de sa nature organique. J’insiste à nouveau sur la nécessité de laisser le temps au temps.
Nous sommes quelques-uns, ici, à connaître assez bien la Nouvelle-Calédonie et ses habitants. Lorsque nous nous engageons, nous le faisons en toute loyauté et en toute confiance. Nous ne sommes pas là pour faire un coup en commission des lois mais pour assurer la continuité du processus. C’est aussi le cas d’autres collègues, comme Bastien Lachaud, avec qui nous sommes sans doute opposés quant au résultat final à atteindre, mais à qui j’accorde la même confiance, et dont je ne doute pas un seul instant de sa bonne foi.
Ce nouveau report doit nous permettre d’avancer et de remédier aux failles juridiques qui pourraient apparaître et qui précariseraient la légitimité des élections.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, vous jouez, en quelque sorte, le mauvais rôle car il vous revient de nous expliquer que Bougival, ce n’était pas un accord mais un projet d’accord, qu’il faut continuer les discussions, etc. L’ensemble des orateurs du socle commun – ou de ce que l’on qualifiait comme tel – ont bien dit qu’un accord avait été conclu à Bougival, qu’un calendrier avait été fixé pour son application et qu’un Congrès devait se tenir à la fin de l’année, comme l’a indiqué le premier ministre. D’ailleurs, ce n’est pas un projet d’accord qui a été publié au Journal officiel mais un accord sans signataires, contrairement à ce qui avait eu lieu pour l’accord de Nouméa, où les signataires étaient présents.
Monsieur le rapporteur, vous nous dites que ce sera le dernier report, mais y croyez-vous vous-même ? D’ici aux élections provinciales, nous devons voter une loi constitutionnelle et une loi organique ; le Congrès de Nouvelle-Calédonie doit voter une loi fondamentale ; une consultation doit avoir lieu sur le territoire calédonien ; enfin, il faut organiser des élections municipales puis convoquer les élections provinciales en question. Pensez-vous réellement que nous allons faire tout cela d’ici au 30 juin 2026, alors même que, selon vous, il faudrait rouvrir un cycle de discussions et de négociations incluant le FLNKS ? C’est illusoire. Cela ne se fera pas.
Si nous nous lançons dans cette voie, nous connaîtrons rapidement une sortie de route car le projet de loi constitutionnelle ne sera accepté ni par les indépendantistes ni, plus généralement, par les Calédoniens. Si l’on suit ce calendrier, j’ignore quel sera le délai de convocation avant les élections provinciales. Vous viendrez certainement nous dire qu’il ne reste qu’un mois et qu’il faut reporter à nouveau les élections. Si nous votons ce texte, nous ouvrons un chemin pavé d’embûches. En revanche, si nous laissions les élections se tenir, nous pourrions reprendre les discussions.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Je soutiens naturellement les amendements de suppression. Monsieur le rapporteur, vous avez indiqué que cette proposition de loi organique ne constituait pas la première étape de l’application du projet d’accord de Bougival. Or le titre du texte se termine par les mots « afin de permettre la poursuite de la discussion sur l’accord du 12 juillet 2025 et sa mise en œuvre ». Pouvez-vous apporter des clarifications sur ce point ?
L’année dernière, on nous disait qu’il fallait élargir le corps électoral et reporter les élections afin de respecter l’accord de Nouméa. Or le Conseil d’État lui-même vient d’indiquer qu’on pouvait parfaitement maintenir les élections à la date prévue. Je reformule la question : en quoi le maintien des élections à la date prévue empêcherait la poursuite du dialogue, y compris concernant le projet d’accord de Bougival ? Je ne vois pas ce qui bloquerait les discussions. Au contraire, on aurait une assemblée renouvelée, totalement légitime, pour continuer les discussions et avancer ensemble afin d’aboutir à une sortie de crise par le haut. En réalité, je discerne une volonté de modifier le corps électoral. On a le sentiment que, tant que vous ne serez pas satisfaits du corps électoral, vous ne permettrez pas la tenue d’élections. Vous voulez une élection et un corps électoral sur mesure pour obtenir un résultat à l’avenant. Nous nous opposons à ce simulacre de démocratie.
M. Nicolas Metzdorf (EPR). Nous sommes en train de débattre de l’accord de Bougival : il me paraît nécessaire de revenir à l’objet du texte. C’est le représentant des non-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie qui vous le dit : nous voulons continuer les négociations avec tout le monde. Le but n’est pas d’imposer quoi que ce soit mais de reprendre les négociations. Pour ce faire, il faut reporter la date des élections provinciales. On n’a pas besoin d’imposer des élections en Nouvelle-Calédonie dont personne ne veut. Madame Sebaihi, si l’on organisait les élections provinciales à la date prévue, cela engendrerait des difficultés car c’est le corps électoral gelé qui serait appelé aux urnes. Pensez-vous que les non-indépendantistes et tous les exclus du corps électoral vont accepter que des élections se tiennent dans ces conditions, quatre ans après le dernier référendum ? On irait droit vers un boycott et l’accroissement des tensions sur le territoire.
Cette question a été réglée par l’accord de Bougival, qui crée la nationalité calédonienne, laquelle constitue une contrepartie à l’ouverture du corps électoral. Les indépendantistes ont toujours dit qu’ils seraient d’accord pour ouvrir le corps électoral à la condition que l’on crée une nationalité calédonienne. Tels sont les termes de l’accord avec les indépendantistes, qui prévoit une ouverture partielle du corps électoral – sur dix ans glissants. Si les élections provinciales se tenaient dans les conditions prévues par l’accord de Nouméa, cela se traduirait par de fortes tensions. Cela signifierait que ceux qui ont détruit les entreprises, qui ont brisé la vie de milliers de Calédoniens, auraient gain de cause, en obtenant l’exclusion de milliers de Calédoniens du droit de vote.
M. Arthur Delaporte (SOC). Nos échanges sont révélateurs du fait que ces élections pourraient être considérées comme une forme de référendum sur un accord qui n’en est pas un. Les élections provinciales ne doivent pas devenir, du fait d’une méprise fondamentale sur la nature du texte, une prise de position contre Bougival – si l’on vote FLNKS – ou pour Bougival – si l’on vote Metzdorf. Ce n’est pas le sujet. L’objet des élections est d’élire les membres des assemblées des provinces et du Congrès. En écoutant nos débats, j’ai le sentiment que l’on déporte le sujet. On est peut-être proche d’un véritable accord en Nouvelle-Calédonie, du moins je l’espère ; pour permettre sa conclusion, il est important de reporter les élections. Les principaux concernés doivent pouvoir se remettre au travail.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Il faut rappeler la position du Congrès, qui s’est prononcé, par trente-neuf voix contre treize, en faveur du report des élections provinciales. On ne peut pas passer sous silence le vote de l’UNI-Palika et de l’Éveil océanien – entre autres – à moins de considérer qu’il ne compte pas, ce qui serait faire fi de la réalité, tant au Congrès que dans les provinces. C’est le respect de la démocratie qui est en jeu.
Je fais partie de ceux qui plaident pour laisser le temps nécessaire aux négociations. Je sais pertinemment qu’à l’issue de notre débat et de celui de mercredi – qui permettra, je l’espère, la promulgation de la loi et le report des élections –, nous connaîtrons quelques jours sans doute un peu plus compliqués – je ne suis pas naïf. Cela étant, il faut se concentrer sur l’essentiel, à savoir l’accord de Bougival, le vivre-ensemble, le destin commun qui doit nous réunir. Je ne peux pas croire que le travail mené collectivement durant toutes ces années, cet appel à l’intelligence puisse être balayé du jour au lendemain.
La commission rejette les amendements.
Amendements CL3, CL4, CL5, CL7, CL8 et CL6 de M. Bastien Lachaud (discussion commune)
M. Thomas Portes (LFI-NFP). Nous allons vous présenter plusieurs amendements de repli. Nous sommes opposés, vous l’avez compris, au report des élections. On nous parle, depuis tout à l’heure, de respect de la démocratie : venant d’un gouvernement qui ne respecte par l’issue des élections en France, c’est particulier.
La Nouvelle-Calédonie a été marquée par son histoire coloniale, la dépossession des Kanaks, l’implantation forcée de colons et de bagnards. Selon l’ONU, elle constitue un territoire à décoloniser depuis 1986. La proposition de loi organique apparaît clairement comme une tentative de mettre un frein au processus engagé par l’accord de Nouméa. L’État porte une lourde responsabilité vis-à-vis de la Nouvelle-Calédonie, et ce texte montre qu’il continue de reproduire les mêmes erreurs.
Le 13 mai 2024 n’a-t-il servi de leçon à personne ? Après avoir imposé un référendum sans respecter le deuil kanak et passé en force le dégel du corps électoral, l’État cherche aujourd’hui, par cette loi, à imposer l’accord de Bougival, qui a pourtant été rejeté majoritairement par les indépendantistes. Cet accord, qui est plus proche du protectorat que de l’indépendance, ignore le peuple premier et la nécessité de rééquilibrer la situation entre les Kanaks et la population européenne. Rappelons que le niveau de vie médian des Kanaks est deux fois plus faible que celui des non-Kanaks, et que 80 % d’entre eux occupent les emplois les moins rémunérateurs.
L’histoire le montre : rien ne se fait contre les peuples colonisés. Il faut que les élections se tiennent. Le gel du corps électoral est conforme à notre Constitution. Or, derrière ce texte, il y a la volonté de toucher au corps électoral. Il faut renouveler les institutions calédoniennes afin de renforcer la légitimité démocratique des décisions sur l’avenir de ce territoire. Un, deux, trois reports, peut-être quatre ou cinq : combien de temps allons-nous refuser que des élections se tiennent ? Les passages en force détruisent la paix. En mai2024, le dégel du corps électoral imposé au forceps par un gouvernement illégitime a coûté la vie à 15 personnes, a causé 2,5 milliards d’euros de dégâts et détruit 10 000 emplois. Voilà les effets de la négation des aspirations du peuple kanak ! Nous demandons évidemment le maintien des élections.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous vous avions alertés sur la situation en Nouvelle-Calédonie Kanaky ; nous vous avions dit que le projet de loi que vous vouliez faire passer en force allait mener à une catastrophe. Vous ne nous avez pas écoutés. Pour notre part, nous écoutions la parole des indépendantistes et du FLNKS. Je rappelle, en effet, que, dans l’accord de Nouméa qui a été signé en 1998, la France a reconnu une « situation coloniale », ce qui n’est pas rien. Je cite le texte de l’accord : « Lorsque la France prend possession de la Grande Terre […], ce territoire n’était pas vide. La Grande Terre et les îles étaient habitées par des hommes et des femmes qui ont été dénommés kanak. […] La colonisation de la Nouvelle-Calédonie s’est inscrite dans un vaste mouvement historique où les pays d’Europe ont imposé leur domination au reste du monde. […] Les kanak ont été repoussés aux marges géographiques, économiques et politiques de leur propre pays, ce qui ne pouvait, chez un peuple fier et non dépourvu de traditions guerrières, que provoquer des révoltes, lesquelles ont suscité des répressions violentes, aggravant les ressentiments et les incompréhensions. »
Nous avons reproduit, dans la période récente, ce que nous décrivions dans l’accord de Nouméa. Combien de fois voulez-vous que cela arrive ? Il y a eu quinze morts, la dernière fois. Nous sommes à nouveau en train de vous alerter. M. Tjibaou est en train de vous alerter. Nos collègues nous ont envoyé un courrier, le 7 octobre, dans lequel ils nous écrivaient que le caractère d’urgence attaché à la situation calédonienne ne saurait justifier un passage en force ni un contournement du dialogue politique. Ils ajoutaient que rien ne s’oppose à la tenue des élections provinciales d’ici à la fin de 2025.
Nous vous disons de faire très attention parce que nous craignons que les décisions qui seraient prises aujourd’hui pour reporter une nouvelle fois les élections – ce qui conduirait à un report total de plus de deux ans – mènent à une situation très dangereuse. J’appelle à ce qu’on écoute avec attention cette alerte, qui émane, il faut le souligner, de nos camarades indépendantistes.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Votre main n’a pas tremblé quand il s’est agi de maintenir le troisième référendum relatif au droit à l’autodétermination des habitants de la Kanaky Nouvelle-Calédonie à la date prévue, le 12 décembre 2021. Pourtant, à la suite de l’épidémie de covid-19, les autorités coutumières avaient demandé le respect du deuil et les forces indépendantistes avaient annoncé qu’elles ne participeraient pas au scrutin. Pour ce qui est des élections provinciales, vous craignez probablement que le résultat n’aille pas tout à fait dans le sens que vous espérez. Vous nous expliquez par a + b qu’il faut absolument les reporter. En matière d’élections, votre boussole n’est pas la démocratie, la voix des électeurs : votre objectif est de présenter les solutions que vous souhaitez imposer sous un vernis de légitimité. Ce n’est pas acceptable. Ces élections doivent se tenir car il y va des droits fondamentaux du peuple kanak.
Il ne faudrait pas prendre pour habitude de bafouer les droits fondamentaux de nos concitoyens ultramarins. Monsieur Gosselin, il y a quelques mois, vous avez proposé une loi visant à restreindre le droit du sol à Mayotte. Je ne suis donc pas tout à fait surpris – bien qu’un peu déçu – de vous retrouver à la manœuvre pour amoindrir les droits politiques et démocratiques de nos concitoyens kanaks. Redisons-le : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen s’applique à tous – dans l’Hexagone comme en outre-mer – de la même manière.
Enfin, ne croyez pas que les conséquences de ce passage en force se cantonneraient à la Nouvelle-Calédonie Kanaky. Nos concitoyens en ont marre de vous voir voler le résultat des élections, de vous voir jouer avec la démocratie. Si les choses se passaient mal là-bas, je crains qu’elles ne se passent mal dans l’ensemble du pays.
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Revenons aux origines du problème. Plusieurs membres du gouvernement, en particulier le premier ministre, Sébastien Lecornu, assument une responsabilité dans la décision qui a été prise de maintenir le troisième référendum à la date prévue. Il faut prêter attention au contexte politique dans lequel se déploie notre débat. J’entends des arguments très curieux en faveur du report des élections. Celles-ci, nous dit-on, risqueraient de devenir un référendum sur l’accord de Bougival. Or, dans un régime représentatif, à peu près toutes les élections peuvent se muer en un référendum. Si l’on suivait ce raisonnement, il faudrait les annuler toutes. On entend aussi que le respect du délai prévu se heurterait à des failles juridiques. Là encore, on pense complètement à l’envers : si l’on reportait à nouveau les élections, on se trouverait confronté à des failles juridiques bien plus importantes – c’est l’évidence même.
La situation de la Kanaky Nouvelle Calédonie est évidemment singulière, mais nous trouverions très curieux que l’on tienne les mêmes raisonnements à propos du fonctionnement de l’ensemble de la République.
Enfin, en l’absence de consensus, quel résultat pouvez-vous espérer ? Là encore, il faut se rendre à l’évidence : la crise politique et sociale majeure que nous connaissons risque de s’amplifier. Il faut revenir à la raison et se garder de reporter une nouvelle fois les élections.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). On oublie un sujet essentiel lorsqu’on parle de la Kanaky Nouvelle-Calédonie – on l’a omis depuis le début de cette discussion : ce territoire subit une situation coloniale. Je cite l’accord de Nouméa : « Le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d’origine. […] La décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie […]. » Autrement dit, le peuple français a reconnu la situation coloniale en Kanaky Nouvelle-Calédonie et a acté que seule la décolonisation pouvait permettre de restaurer la paix civile. Le peuple premier a accepté, à Nainville-les-Roches, de partager son droit à l’autodétermination avec ceux qu’il appelait à l’époque les « victimes de l’histoire ». Il serait paradoxal qu’aujourd’hui, ce soient ces mêmes « victimes de l’histoire » qui refusent au peuple premier son droit à l’autodétermination en s’opposant à la tenue d’élections jugées constitutionnelles par le Conseil constitutionnel.
L’urgence, aujourd’hui, est de redonner la parole aux électeurs. Il est essentiel que la démocratie puisse s’exprimer en Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il y a un corps électoral gelé, qui est la conséquence de la colonisation et l’un des facteurs essentiels de la décolonisation. Le peuple français s’est exprimé ; le constituant l’a acté. Nous devons avancer. Il n’y a aucune raison de ne pas respecter la Constitution française, la loi que nous avons nous-mêmes votée en 2024. Les élections provinciales en Kanaky Nouvelle-Calédonie doivent se tenir à l’heure, du moins tant qu’il n’y a pas d’accord consensuel.
Mme Mathilde Panot (LFI-NFP). Nos amendements de repli visent à décaler chacun d’un mois la tenue des élections. Monsieur le rapporteur, vous nous dites qu’il est impossible d’organiser des élections en novembre. Je vous suggère donc d’accepter notre amendement CL3, par exemple, qui reporte les élections au 28 décembre 2025 au plus tard, ce qui laisserait le temps nécessaire à leur bonne tenue et nous prémunirait contre les difficultés juridiques que vous invoquez. Tous les arguments auxquels vous recourez sont, en réalité, des prétextes qui ne résistent pas à l’examen.
Monsieur Metzdorf, vous menacez de boycotter les élections provinciales si elles se tiennent à l’heure, bien qu’elles aient déjà été reportées à deux reprises. Personne, dans cette salle, ne croit un seul instant que les non-indépendantistes boycotteraient les élections provinciales : c’est absolument inconcevable.
Nous avons prévenu le gouvernement à de multiples reprises. Nous l’avons fait avant la tenue du troisième référendum, dont la date a été imposée par Sébastien Lecornu. On connaît le résultat : le scrutin a été boycotté ; les indépendantistes n’en reconnaissent pas la légitimité. Nous avions prévenu qu’il y aurait une rupture du principe d’impartialité de l’État lorsque Sonia Backès a été nommée au gouvernement. On voit à présent les mesures discriminatoires à l’œuvre dans la province Sud, qui accroissent encore les tensions. Nous vous avions également prévenus lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle, qui visait à instaurer le dégel du corps électoral. M. Meztdorf, qui en était le rapporteur, nous avait expliqué que rien n’allait se passer, qu’il n’y avait aucun problème, alors que ce texte a mené au désastre.
À un moment, il faut écouter, apprendre des erreurs, tirer les leçons de ce qui s’est passé depuis dix-huit mois. Nous demandons que l’on arrête le passage en force permanent. Je vous remercie, monsieur Metzdorf, d’avoir été aussi honnête : votre propos montre clairement que vous voulez reporter pour la troisième fois les élections afin d’opérer un passage en force destiné à modifier le corps électoral.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Madame Panot, si nous organisions, dans le territoire hexagonal, des élections aussi importantes que les élections provinciales trois jours après Noël, vous seriez les premiers à dire que la période ne s’y prête pas. De surcroît, je vous rappelle que la Nouvelle-Calédonie se trouve dans l’hémisphère Sud et que les grandes vacances y ont lieu du 15 décembre au 15 février. Or vous êtes les premiers à demander que les élections ne soient pas organisées pendant les périodes de vacances. C’est un point factuel et non politique : tirez-en les conclusions qui s’imposent.
Monsieur Taché, dans sa décision du 7 mai 2025 sur la loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte, le Conseil constitutionnel a jugé que le droit du sol n’est pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Au demeurant, dans l’hypothèse où la présente proposition de loi organique serait adoptée, elle lui serait obligatoirement soumise du fait de son caractère organique. Quant au Conseil d’État, qui a rendu son avis sur le texte début septembre, il considère non seulement que ce dernier ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux mais qu’il est conforme à l’intérêt général.
Par ailleurs, certains de vos amendements sont tellement proches du texte que nous aurions beau jeu d’accepter, par exemple, celui qui tend à fixer la date des élections au 28 mai 2026 : vous seriez bien avancés !
Enfin, je le rappelle, si le processus de Bougival se poursuit, le peuple néo-calédonien sera consulté sur sa volonté de voir aboutir ces accords, éventuellement améliorés, comme le suggèrent certains.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Vous venez d’aligner des arguments contre la proposition de loi. Premièrement, si les élections ne peuvent pas se tenir pendant les grandes vacances, acceptez qu’elles aient lieu avant le 15 décembre 2025, comme nous le proposons par l’amendement CL3.
Deuxièmement, il serait impossible, dites-vous, d’organiser les élections dans un tel délai. Pourtant, lors des dernières législatives, les électeurs ont été convoqués aux urnes trois semaines seulement avant le premier tour. Certes, on a rencontré quelques problèmes mais, en l’espèce, les difficultés sont le fait de l’État, qui ne cesse de reporter les élections provinciales.
Enfin, vous avez indiqué, ainsi que M. Metzdorf, quel était, pour vous, l’enjeu. Vous avez un problème avec la démocratie. En réalité, vous espérez qu’un accord interviendra avant les élections pour que celles-ci se tiennent avec le corps électoral qui vous convient et produisent les résultats que vous souhaitez. Vous devez comprendre qu’il n’est pas possible de passer en force dans une situation coloniale, situation qui, je le rappelle, a été reconnue par la France. J’ai appris à l’école que la France avait été une puissance coloniale et que c’était fini ; on découvre que ce n’est pas le cas.
M. Arthur Delaporte (SOC). Aucun passage en force n’est possible. Je ne soutiendrais pas une révision constitutionnelle qui serait un passage en force. Le fait que le projet de loi constitutionnelle ait déjà été présenté en conseil des ministres et que le calendrier annoncé ne puisse pas être respecté me pose problème. Mais si l’on fixe la date des élections au plus tard le 28 juin 2026, cela ne veut pas dire qu’elles ne pourront pas se tenir à Noël. Il s’agit de se donner du temps pour tenter de trouver des solutions, et uniquement de cela.
M. Emmanuel Tjibaou (GDR). On nous dit que les élections ne peuvent pas se tenir en novembre. Pourtant, la date du 30 novembre, nous l’avons arrêtée ensemble, l’an dernier ; elle a été approuvée par les deux chambres et validée par le Conseil constitutionnel. L’intitulé de la proposition de loi organique est clair : vous voulez reporter les élections pour permettre au FLNKS, partenaire historique de la décolonisation, de rentrer dans le processus de Bougival. Mais s’il y est opposé, à quoi bon reporter les élections ? Cela n’a pas de sens !
Nous demandons le maintien de la date des élections provinciales pour asseoir la légitimité démocratique de ceux qui décideront de la poursuite des discussions. La défiance politique est pire là-bas qu’ici, surtout depuis le 13 mai 2024. Reporter ces élections, c’est acter le fait que nous, indépendantistes et membres du FLNKS, n’avons pas d’autre possibilité que d’intégrer le dispositif de Bougival. C’est contraire à ce qui nous a été dit lorsque nous avons signé, le 11 juillet.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Monsieur Léaument, j’ai dit, non pas qu’il était impossible que les élections se tiennent avant la fin de l’année, mais qu’il existait des risques sérieux de failles juridiques. D’abord, le corps électoral des élections législatives n’est pas le même que celui des élections provinciales, pour lesquelles les listes électorales sont mises à jour par des commissions administratives spéciales présidées par un magistrat désigné par la Cour de cassation, et qui se déroulent en présence d’observateurs de l’ONU. Ensuite, je rappelle que, lors des dernières élections législatives, 2 000 procurations sont passées à l’as. Ce n’est pas rien !
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL2 de M. Bastien Lachaud
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Depuis les accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, la règle est le consensus. Cet amendement s’inscrit dans cette tradition puisqu’il tend à préciser que le report de la date des élections doit être approuvé par l’ensemble des signataires de l’accord de Nouméa. On nous dit que le Congrès s’est prononcé, mais la majorité n’a jamais été la règle en Kanaky Nouvelle-Calédonie. Si elle l’était, un accord aurait été conclu à Bourail ! L’essentiel, c’est de veiller au consensus de l’ensemble des signataires de l’accord de Nouméa avant d’entériner le report des élections provinciales.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Je suis très attaché à cette approche consensuelle, mais nous ne discutons pas, ici, du projet de loi constitutionnelle. Certes, celui-ci a été présenté en Conseil des ministres la semaine dernière, mais il nous appartiendra de nous prononcer sur ce texte le moment venu. Le calendrier initial ne peut vraisemblablement pas être tenu. Il faut continuer à améliorer ce qui a été élaboré, bref : donner du temps au temps. En tout état de cause, les populations seront consultées sur le texte qui aura été adopté. On a souvent vu, lors de consultations tout à fait officielles, des populations rejeter ce qui leur était proposé. Il sera donc loisible aux électeurs et électrices de Nouvelle-Calédonie, dans toutes leurs composantes, de dire ce qu’ils pensent du texte qui sortira des négociations. En attendant, il ne faut pas obérer le processus électoral.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 1er non modifié.
Article 2 : Prorogation des fonctions des membres des organes du congrès en cours
Amendements de suppression CL10 de M. Bastien Lachaud, CL15 de Mme Sabrina Sebaihi et CL18 de M. Emmanuel Tjibaou
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Ces amendements, qui visent à empêcher la prorogation du mandat des élus actuels, offrent à ceux de nos collègues qui ont choisi de ne pas supprimer l’article 1er la possibilité de se rattraper – je pense notamment à ceux du parti socialiste, que j’espère bien faire changer d’avis.
Dès lors que la France admet être une puissance coloniale, elle reconnaît l’existence de deux peuples en Nouvelle-Calédonie Kanaky : un peuple premier et un peuple arrivé après – en l’occurrence, nous. En conséquence, nous ne pouvons pas agir là-bas comme nous agirions dans le territoire hexagonal. Nous devons partir du point de vue des indépendantistes, lesquels s’opposent à ce report des élections, déjà reportées deux fois, qui empêcherait de nouveau l’expression légitime des deux peuples.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Je m’étonne que beaucoup de ceux qui parlent de consensus n’aient pas voté pour l’amendement CL2.
Après le dégel du corps électoral, voici le gel démocratique, avec un accord signé sans les principaux acteurs concernés et la prorogation artificielle de mandats. M. Metzdorf l’a avoué, l’objectif est bien le dégel du corps électoral afin que le peuple kanak y soit minoritaire et que les décisions se prennent non seulement sans eux mais aussi, et surtout, contre eux. Nous désapprouvons cette méthode qui est un passage en force.
Les élections ont déjà été reportées deux fois. Qu’avez-vous fait depuis le dernier report, il y a un an ? La manière dont vous avez géré ce dossier me laisse perplexe.
M. Emmanuel Tjibaou (GDR). Le Congrès n’a pas été consulté sur la disposition de l’article 2, qui affecterait pourtant directement son fonctionnement et la durée du mandat de ses membres. Cette omission contrevient à l’exigence de loyauté du dialogue institutionnel qui fonde l’équilibre calédonien.
Si l’échéance du 30 novembre était maintenue, l’article 2 serait sans objet. Dans le cas contraire, il nuit à la légitimité sans avis préalable de l’assemblée concernée. Il faut donc le supprimer.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Madame Sebaihi, au cours de l’année écoulée, de nombreux échanges sont intervenus, le ministre d’État s’est rendu à de multiples reprises en Nouvelle-Calédonie et plusieurs rencontres ont eu lieu, notamment entre les groupes parlementaires et les différents acteurs de Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, la séquence de Bourail a permis de mettre certains éléments sur la table, même s’ils n’ont pas été validés. Si nous en sommes là, c’est parce qu’on n’a pu aboutir à aucun accord majoritaire, et encore moins consensuel. Il faut donc donner du temps au temps.
La suppression de l’article 2 viderait de sa substance l’article 1er. J’y suis donc défavorable.
M. Arthur Delaporte (SOC). Monsieur Léaument, nous ne méjugeons pas la situation coloniale qui prévaut en Nouvelle-Calédonie. Du reste, ce sont les socialistes qui ont engagé ce territoire dans un processus de décolonisation exemplaire. Nous arrivons au terme des délais prévus dans l’accord de Nouméa sans qu’il ait été mené à bien. Que ce soit lors du dégel du corps électoral ou lors de l’examen des deux lois de report, nous avons constamment défendu la même position : un nouvel accord est nécessaire, qui doit faire consensus.
Par ailleurs, nous ne pensons pas que les Kanaks sont, dans leur ensemble, indépendantistes et défavorables au report de la date des élections – ce n’est pas le cas. Nous nous refusons à toute essentialisation. Le fait est que la majorité du Congrès a accepté ce report. Ce choix n’est pas satisfaisant mais le choix inverse ne le serait pas davantage car il retarderait, en renforçant la conflictualité, toute perspective d’accord.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL19 de M. Emmanuel Tjibaou
M. Emmanuel Tjibaou (GDR). Il s’agit de borner la prorogation des organes du Congrès à l’issue d’un scrutin organisé au plus tard le 30 novembre 2025, et ce, afin d’éviter toute prorogation indéfinie, qui serait contraire à l’exigence de périodicité raisonnable du suffrage. Cette date butoir rendrait au dispositif sa proportionnalité, créerait une sécurité juridique pour les institutions et les électeurs et éviterait de faire peser sur la vie politique calédonienne une incertitude durable. Il faut préparer le scrutin, plutôt que gérer un entre-deux qui ne satisfait personne.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Avis défavorable. Le texte ne relève pas du bricolage juridique. Le risque d’une prorogation qui serait le fait du prince n’existe pas ; le Conseil d’État s’est prononcé sur ce point. En outre, l’adoption de cet amendement viderait de sa substance l’article 1er.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL11 de M. Bastien Lachaud
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Nous proposons de compléter l’article 2 par les mots : « , sous réserve de l’accord de l’ensemble des partenaires de l’accord de Nouméa signé le 5 mai 1998. »
Si vous acceptez cet amendement, monsieur le rapporteur, vous démontrerez que vous êtes encore un tant soit peu attaché à l’esprit de l’accord de Nouméa ; on peut douter que ce soit le cas du président de la République, du gouvernement et de ses soutiens divers et pas si variés. Faut-il rappeler que le référendum qui venait le parachever en 2021 s’est tenu contre l’avis des principales forces indépendantistes, qui refusaient d’y participer du fait de la période de deuil ? Que Mme Backès, non-indépendantiste très dure, opposée à ce qui fait l’essence de cet accord, avait été nommée ministre déléguée à la citoyenneté ? Qu’on a refusé que les discussions sur l’accord de Deva se poursuivent car les loyalistes y étaient opposés ? Votre partialité est manifeste ! En acceptant cet amendement, vous feriez un geste pour démontrer le contraire. Sinon, vous confirmerez que la France demeure une puissance coloniale et, en définitive, qu’elle colonise une seconde fois la Kanaky en mettant fin à l’accord de Nouméa par lequel les Français ont pourtant dit qu’ils ne voulaient plus de cet épisode terrible que fut la colonisation.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Je pourrais répondre vertement à vos propos excessifs et déplacés, mais je préfère garder mon calme. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 2 non modifié.
Article 3 : Entrée en vigueur
Amendements de suppression CL12 de M. Bastien Lachaud et CL23 de M. Steevy Gustave
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). J’ai le sentiment de revivre les débats de 2024 sur le dégel du corps électoral, lors desquels le rapporteur de l’époque nous expliquait qu’il s’agissait d’une mesure technique indispensable qui ne provoquerait aucune révolte.
Notre rapporteur a trouvé son leitmotiv : il faut donner du temps au temps. Mais pour quoi faire ? S’il s’agit de permettre l’adoption du projet de loi constitutionnelle – car telle est la feuille de route du premier ministre –, il y aura des problèmes : ce texte ne peut être adopté sans que cela ait des conséquences en Kanaky Nouvelle-Calédonie, où les mobilisations commencent. Comment le rapporteur peut-il être certain qu’il ne sera pas adopté en l’état ? Notre discussion montre qu’il y a toujours de bons arguments pour adopter de mauvaises lois concernant ce territoire. Il n’est pas besoin de donner du temps au temps : l’urgence, c’est la démocratie et la tenue des élections !
M. Steevy Gustave (EcoS). Un peu plus d’un an après de violentes émeutes qui ont fait de nombreux morts et blessés, les conditions nécessaires à une discussion sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ne sont pas réunies. Le projet d’accord préliminaire de Bougival est fragile et ne fait pas consensus : il est vécu comme une trahison par les Kanaks, qui revendiquent la souveraineté depuis des décennies. La proposition de loi organique marque un passage en force illégitime et injustifié, comme l’illustre son article 3, qui vise à précipiter son entrée en vigueur en dérogeant au délai requis de dix jours.
Ce dossier est le gage du retour de la paix dans le pays. Il doit être traité avec prudence, méthode et dans le respect mutuel. Nous appelons donc à la reprise d’un dialogue loyal entre les forces politiques, dans le respect de l’identité kanak et de l’autodétermination des Néo-Calédoniens.
Chers amis socialistes, je ne vous comprends plus ! Vous devriez vous interroger sur les raisons pour lesquelles quatre députés ultramarins ont, ces derniers temps, refusé de vous suivre.
Enfin, je le dis à tous : le temps des colonies, c’est fini !
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Le temps des colonies est en effet définitivement derrière nous, et c’est heureux. Il ne me paraît pas nécessaire de répondre aux provocations et aux simplifications outrancières. Tous les arguments en faveur du texte sont connus. Avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous défendons des avis différents et même incompatibles, mais il ne faut pas parler de simplifications outrancières. Nous avons des positions de principe s’agissant d’une situation que nous qualifions de coloniale, au regard de l’accord de Nouméa. Dès lors, nous faisons en sorte que chacun de nos actes traduise notre volonté de sortir la France de cette logique – car nous n’aimons pas que notre pays, la France, soit une puissance coloniale. Or que nous disent les indépendantistes, en particulier M. Tjibaou ? Premièrement, le prétendu accord de Bougival n’est qu’un projet d’accord. Deuxièmement, il est possible et nécessaire d’organiser les élections immédiatement pour renforcer la légitimité des acteurs qui participeront à d’éventuelles discussions. Troisièmement, il convient que la France respecte la devise inscrite au fronton de ses écoles et de ses mairies – Liberté, Égalité, Fraternité – et sorte donc de la logique coloniale.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL20 de M. Emmanuel Tjibaou
M. Emmanuel Tjibaou (GDR). L’article 3 tend à déroger au droit commun en matière d’entrée en vigueur des lois organiques en Nouvelle-Calédonie, en imposant une application de la loi organique dès le lendemain de sa publication au Journal officiel. Par cet amendement, nous proposons de rétablir la vacatio legis de dix jours prévue à l’article 6-1 de la loi organique du 19 mars 1999.
Dans un contexte où le fondement politique de la proposition de loi organique demeure contesté, notamment en raison de la publication de l’accord de Bougival, il serait imprudent de précipiter son entrée en vigueur. Rétablir la vacatio legis, c’est neutraliser les effets d’annonce, respecter le contentieux en cours et garantir l’effectivité des dispositions dans un cadre clair et loyal. Si, comme on le dit, on veut renouer les fils du dialogue avec la population, il faut lui permettre de voter, étant rappelé que les Calédoniens ne se sont plus exprimés depuis 2019.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Votre contestation porte, au-delà des aspects techniques, sur le fond, ce qui est tout à fait logique. La loi organique de 1999 précise que « Les lois […] entrent en vigueur en Nouvelle-Calédonie à la date qu’[elles] fixent ou, à défaut, le dixième jour qui suit leur publication au Journal officiel de la République française. » Les lois n’entrent donc en vigueur au bout de dix jours que par défaut et la proposition de loi organique ne retient pas cette possibilité.
Encore une fois, il ne s’agit pas de vous contraindre – personne ne peut d’ailleurs le faire. Je respecte vos positions, monsieur Léaument, même si je ne les partage pas. Je ne vois aucune outrance dans mon propos et j’ai l’impression que votre remarque était destinée à vos anciens partenaires d’un front électoral désormais quelque peu disloqué.
Le dialogue est nécessaire et l’objectif a toujours été de parvenir à un consensus en Nouvelle-Calédonie. On ne peut pas faire comme si le Congrès n’avait pas donné, à une très large majorité, son accord à un report des élections. Je ne cherche pas à créer de tensions entre indépendantistes, mais certains d’entre eux souhaitent, eux aussi, ce report. L’examen du texte constitutionnel nous donnera l’occasion de confronter nos arguments sur le fond de l’accord de Bougival. Il faut donner du temps au temps. Il y a certainement des éléments à améliorer, mais procédons par étapes. Avec ce texte, il s’agit non pas de reporter l’ensemble du processus, mais simplement ces élections. Vous pouvez douter de ma bonne foi si cela vous fait plaisir, mais il me semble que la tenue de ces élections présenterait actuellement des complexités d’organisation et des risques politiques comme juridiques. Je comprends que cette position ne satisfasse pas tout le monde, mais j’en appelle à la responsabilité de chacun.
Je peux entendre que certains mènent un combat, mais l’affrontement doit porter sur le fond et non sur le report des élections, motivé pour des raisons de nature principalement formaliste.
L’avis est défavorable sur l’amendement.
M. Emmanuel Tjibaou (GDR). Vous nous demandez le report des élections pour entériner un accord qui serait à modifier : tel est bien ce qui ressort du titre de la proposition de loi organique. En tant qu’indépendantistes, en particulier en tant que membres du FLNKS, nous ne pouvons pas accepter cette démarche. Vous êtes en train de statuer sans le mouvement de libération, lequel n’a pas signé l’accord de Bougival. Votre prétention au consensus n'a donc aucun fondement. Sommes-nous en train de répéter le même exercice des deux dernières années ? Cela emporterait les mêmes risques, susciterait les mêmes craintes et appellerait la même vigilance des parlementaires sur les conséquences des décisions prises ici.
À Bougival, il n’y a eu, à ma connaissance, aucun pacte qui reposerait sur un échange entre la nationalité et l’ouverture du corps électoral. À nos yeux, l’accord de Bougival ne tient pas. Si vous voulez entériner un accord politique sans la présence du mouvement de libération, il est impossible d’inscrire le texte dans une perspective de décolonisation. Nous nous interrogeons sur la réalité dans laquelle vous êtes par rapport à celle dans laquelle nous évoluons au pays.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Je n’ai jamais dit que les choses devaient avancer à marche forcée. Il est indispensable de rechercher le consensus. Pour des raisons politiques, parce que pour certains tout est politique, mais surtout pratiques, notamment liées au temps, de nombreux acteurs politiques du territoire demandent le report des élections. Celui-ci n’obérerait en rien le débat sur Bougival et n’empêcherait aucune amélioration de l’accord ni recherche du consensus.
Je ne suis pas ministre : le gouvernement a présenté un texte en Conseil des ministres, de manière un peu prématurée pour vous dire le fond de ma pensée. C’est au Parlement qu’il revient de s’emparer de cette proposition de loi organique. Comme pour toute révision de la Constitution, l’accord des trois cinquièmes des parlementaires réunis en Congrès est nécessaire, donc les uns ne pourront pas imposer leurs vues aux autres. Croyez-moi quand je dis, comme d’autres ici, qu’il faut donner du temps au temps et qu’il est impossible d’avancer à marche forcée.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL9 de M. Bastien Lachaud
Mme Mathilde Panot (LFI-NFP). Vous avez dit que les négociations de Deva avaient permis d’avancer malgré l’absence d’accord, mais il n’y a pas eu plus d’accord à Bougival. Quand les loyalistes rejettent un texte, il n’y a pas d’accord, mais quand ce sont les indépendantistes qui marquent leur opposition, là, il y a un accord : ce deux poids et deux mesures est assez révoltant.
Vous dites que rien ne se fera à marche forcée, mais le titre de la proposition de loi organique indique que le report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie a pour but de permettre la mise en œuvre de l’accord du 12 juillet 2025. Comment voulez-vous que les gens aient confiance ?
Depuis qu’Emmanuel Macron est président de la République, les incessants passages en force ont mis en péril la paix civile, fruit des accords de Matignon et de Nouméa. Voilà pour les plaies du passé, mais il y a également celles du présent : le premier ministre actuel a imposé la date de la troisième consultation. Quant aux conséquences des événements de mai 2024, elles sont toujours brûlantes. En effet, la douleur des ceux qui ont perdu un proche reste vivace, comme le sont également les blessures nées de l’incarcération dans l’Hexagone de prisonniers politiques. De nombreux emplois ont été détruits et la faim menace certains habitants du territoire. Dans ce contexte, vous voulez nous faire croire que vous ne cherchez pas à faire passer le texte de Bougival en force. Comment voulez-vous que les gens vous croient ? Comment pouvez-vous garantir que le report des élections ne vise pas à passer en force ? Vous ne le pouvez d’aucune façon !
Le gouvernement actuel suscite une défiance totale, ce qui pourrait alimenter les tensions. Nous vous alertons et nous le referons en séance publique : ne passez pas en force ! La dernière fois que cette méthode a été suivie, les conséquences en ont été terribles : ne mettez pas encore une fois la Kanaky Nouvelle-Calédonie à feu et à sang !
M. Philippe Gosselin, rapporteur. J’entends vos alertes et je ne les néglige pas. Les risques existent car la situation est complexe. Je n’ai pas passé les morts sous silence, pas plus que la situation économique et sociale du territoire. Oui, il y a péril en la demeure et il faudrait être inconscient pour jeter de l’huile sur le feu.
Un processus s’enclenche, mais son débouché n’a rien d’inéluctable. Dans quelques mois, peut-être un peu plus, le Parlement aura à se prononcer sur le contenu de Bougival, y compris ses éventuelles améliorations. Si les conditions n’étaient pas remplies, je ne doute pas de l’échec de la révision de la Constitution et si le processus aboutissait, il serait suivi d’une consultation des populations de Nouvelle-Calédonie. Antoine Léaument a reconnu qu’il se faisait le porte-parole du mouvement de libération et du FLNKS : je respecte cette ligne politique comme tous les interlocuteurs, mais n’oubliez pas qu’il n’y a pas que des indépendantistes en Nouvelle-Calédonie. Il y a d’autres sensibilités politiques, y compris chez ceux dont la famille n’est pas d’origine européenne. À mon sens, le vivre ensemble n’est pas binaire : voilà, sans doute, ce qui sépare nos approches respectives. Ma vision de la société est peut-être optimiste et idéale, mais après toutes les difficultés rencontrées par ce territoire et toutes les victimes de l’histoire, il me semble qu’il subsiste encore un peu d’espace pour le dialogue, la compréhension mutuelle, la volonté d’avancer et le refus de l’affrontement permanent et mortifère.
L’avis est défavorable sur l’amendement.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Vous dites que vous ne prenez pas les choses à la légère et vous confessez votre inquiétude sur les tensions qui pourraient naître en Kanaky Nouvelle-Calédonie des décisions que nous prenons au Parlement.
Nous avons lancé des alertes en 2024. Nous souhaitons que des discussions s’ouvrent et aboutissent à un nouvel accord consensuel, comme le stipule l’accord de Nouméa, auquel nous restons fidèles. Or, dans cette perspective, un nouvel accord ne peut que suivre le chemin de la décolonisation.
Le premier ministre, Sébastien Lecornu, dit qu’il faut aller vite car il y a une urgence en Nouvelle-Calédonie Kanaky. Ce constat n’est pas partagé par les acteurs du terrain : certes, une partie d’entre eux souhaitent que les élections n’aient pas lieu, mais d’autres veulent qu’elles se tiennent.
En mai 2024, nous avons relayé des alertes à l’Assemblée nationale, non pas parce que nous sommes les porte-parole du FLNKS, comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur – ne serait-ce que parce que ce mouvement compte déjà un député dans notre assemblée –, mais parce que nous défendons ce que nous estimons correspondre à l’intérêt général, qui commande, à notre sens, que les élections aient lieu à l’échéance prévue. Un nouvel ajournement porterait le report à deux ans. Une telle décision n’aurait jamais été tolérée pour un autre scrutin : à votre avis, comment le peuple français réagirait-il si on lui disait que la prochaine élection présidentielle aura lieu en 2029 ?
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Personne ici ne souhaite que se répètent les événements de l’année dernière. Pour ne pas revivre une telle situation, il convient de restaurer la confiance dans les discussions. Or le projet d’accord de Bougival, publié au Journal officiel, représente un premier accroc car il ne reflète pas les discussions qui se sont tenues.
Vous insistez sur la nécessité d’aboutir à un consensus pour éviter que des événements dramatiques ne se reproduisent. Pourtant, vous donnez un avis défavorable aux amendements de bon sens visant à conditionner toute avancée à l’assentiment de l’ensemble des partenaires. Cette attitude ne peut pas restaurer la confiance, car elle accrédite l’idée que le processus ira à son terme même en cas d’opposition de certaines parties.
Quel que soit l’accord, celui-ci ne doit pas faire l’impasse sur le processus de décolonisation en Kanaky Nouvelle-Calédonie. Pour rétablir la confiance et rassurer tous les acteurs sur l’absence de passage en force, il serait opportun d’adopter l’amendement CL9 ; dans le cas contraire, vos appels à la confiance, au dialogue et au consensus sonneraient creux.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. On ne peut ni ne doit passer en force, mais cette approche ne s’applique pas forcément au texte que nous examinons aujourd’hui, car il est d’essence technique, même si vous ne partagez manifestement pas cette appréciation.
Ma position s’appuie sur l’accord très majoritaire du Congrès néo-calédonien, mais également sur le soutien de certains indépendantistes à la poursuite du processus – encore une fois, je ne cherche pas à instrumentaliser les uns contre les autres. Plusieurs acteurs affirment que le refus de reporter les élections briserait la possibilité de renouer localement les fils du dialogue. Je n’invente pas cette opinion, que certains de nos interlocuteurs ont exposée en visioconférence ce matin – Mme Sebaihi, présente à cette réunion, pourra confirmer ces propos.
On pourrait craindre un passage en force s’il était possible de contraindre le Congrès du Parlement à voter une révision de la Constitution. Quand bien même il se trouverait une majorité de trois cinquièmes des parlementaires pour entériner la révision, il resterait à consulter les populations de Nouvelle-Calédonie. Ce référendum serait précédé d’un débat intense. S’il y avait passage en force et méconnaissance des positions locales, les électeurs pourraient rejeter le processus dans les urnes. Tel est le jeu démocratique, mais peut-être craignez-vous les électeurs. Un rejet obligerait d’ailleurs les parties prenantes à se remettre autour de la table, mais nous n’en sommes pas là. Je ne confonds pas vitesse et précipitation, pas plus que je ne confonds le débat de cet après-midi avec celui que nous aurons dans les semaines et les mois à venir. Je maintiens mon avis défavorable sur l’amendement.
Mme Sandra Regol (EcoS). Vous avez fait allusion aux auditions qui se sont tenues ce matin : quitte à les évoquer, n’oubliez pas les propos de Christian Tein. En effet, il a affirmé qu’il misait sur l’intelligence collective de la commission des lois pour rejeter la proposition de loi organique. Le plus sage serait de ne pas adopter ce texte.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 3 non modifié.
Titre
Amendement CL21 de M. Emmanuel Tjibaou, amendements CL14 et CL13 de M. Bastien Lachaud (discussion commune)
M. Emmanuel Tjibaou (GDR). L’amendement vise, par cohérence avec notre position, à modifier le titre de la proposition de loi organique, afin d’« organiser » et non de « reporter » les élections.
Nous avons l’occasion de construire l’assise d’un consensus futur, mais la commission des lois décide d’emprunter un autre chemin. Souvenons-nous des débats des deux dernières années : les risques existent à nouveau. Les indépendantistes souhaitent que les discussions se tiennent dans le format de Bougival ; on ne peut pas graver de texte dans le marbre, puisque nous ne sommes d’accord ni sur le fond, ni sur la tenue des élections provinciales, ni sur la poursuite du processus institutionnel. Or c’est cela qui compte.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Essayons au moins de mettre le titre de la proposition de loi organique en conformité avec vos propos. Y a-t-il eu un accord à Bougival ? Même vous, vous dites que le soi-disant accord doit être complété et amélioré. Disons les choses : il n’y a pas d’accord, mais un projet d’accord. Voilà pourquoi nous souhaitons que le titre du texte ne mentionne pas l’accord du 12 juillet 2025 mais le projet d’accord du 12 juillet 2025.
L’important est de redonner de la confiance, afin que l’ensemble des partenaires reviennent autour de la table. Affirmer dans le titre que le report des élections vise à mettre en œuvre l’accord de Bougival ne revient pas à donner du temps au temps ou de la confiance, cela revient à passer en force ou, en tout cas, cela donne l’impression de vouloir le faire.
Chaque mot compte lorsqu’il s’agit de la Kanaky Nouvelle-Calédonie – vous le savez mieux que beaucoup de députés présents dans cette salle. Dire qu’il y a un accord à Bougival, c’est faire fi de la position du FLNKS. Or Manuel Valls et Naïma Moutchou ont rappelé qu’il était impossible de faire sans ce mouvement – sans même parler d’agir contre celui-ci. Afin de faciliter la reprise des discussions, il convient de respecter la parole qui a été donnée au FLNKS en juillet à Bougival : ses membres n’ont pas signé un accord, mais un projet d’accord. Réaffirmons ce fait dans le titre de la proposition de loi organique.
M. Gabriel Amard (LFI-NFP). L’intitulé de la proposition de loi organique ne peut pas faire comme si le FLNKS acceptait l’accord de Bougival. Ce mouvement le refuse car il tourne le dos à l’esprit de décolonisation des accords de Matignon et de Nouméa. Le texte de Bougival n’est pas un accord mais un travestissement : le gouvernement a unilatéralement transformé ce qui devait être un cadre de travail en document politique diffusé comme un accord validé, alors qu’aucune signature du FLNKS n’engage la position définitive de ce mouvement.
En août, le FLNKS et les instances coutumières ont rejeté le texte de Bougival : mépriser les instances coutumières est la preuve d’une méconnaissance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Le texte enferme ce territoire dans la France au lieu d’ouvrir la voie à une souveraineté partagée avec notre pays. Vous risquez de remplacer la décolonisation par un simple rattachement administratif. Le FLNKS demande le respect de la parole donnée dans l’accord de Nouméa ; il souhaite aller au terme du chemin, celui de la pleine souveraineté du peuple kanak. Comme le disait Aimé Césaire, « une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. » Que la France reste, pour son honneur, fidèle à sa parole !
M. Philippe Gosselin, rapporteur. L’avis est, sans surprise, défavorable sur les trois amendements.
La proposition de loi organique ne procède à aucune marche forcée. Quand bien même nous le voudrions, une telle approche serait vouée à l’échec. En effet, elle ne recueillerait pas l’assentiment de trois cinquièmes des parlementaires ni celui des populations. Peut-être craignez-vous le résultat de la consultation qui pourrait se tenir à la fin de l’hiver ou au printemps.
Nous avons l’occasion de renouer les fils du dialogue : il faut la saisir même si tout cela reste extrêmement fragile. Je dis parfois que nous marchons sur des œufs, là nous marchons sur des œufs déjà quelque peu fêlés. Il nous faut donc agir avec une grande prudence, mais je crois en l’intelligence collective et je fais le pari de la confiance, sans sous-estimer les difficultés.
Vous dites que nous prenons des risques en ne respectant pas la position du FLNKS. Je sais que les risques existent : je me suis rendu en Nouvelle-Calédonie en avril 2024, juste avant les événements du 13 mai, puis en mai et en juillet derniers. Je suis allé à de très nombreuses reprises dans ce territoire et, si je ne prétends pas tout connaître ni avoir réponse à tout, je mesure bien les risques. Néanmoins, si nous refusions de reporter les élections, nous alimenterions d’autres risques, car il n’y a pas qu’une seule vision de la situation en Nouvelle-Calédonie. Nous devons délibérer dans l’intérêt supérieur du territoire, comme nous y invite le Conseil d'État. C’est ce chemin que je vous propose de suivre.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi organique sans modification.
*
* *
La séance est levée à 19 heures 20.
————
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Gabriel Amard, Mme Anne Bergantz, M. Florent Boudié, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Céline Calvez, M. Vincent Caure, M. Paul Christophe, M. Arthur Delaporte, M. Moerani Frébault, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Jordan Guitton, M. Steevy Gustave, M. Sébastien Huyghe, M. Andy Kerbrat, M. Bastien Lachaud, M. Thomas Lam, M. Arnaud Le Gall, Mme Annaïg Le Meur, M. Antoine Léaument, M. Éric Martineau, M. Nicolas Metzdorf, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, Mme Mathilde Panot, Mme Maud Petit, Mme Lisette Pollet, M. Thomas Portes, Mme Sandra Regol, M. Hervé Saulignac, Mme Sabrina Sebaihi, M. Aurélien Taché, M. Jean Terlier, M. Emmanuel Tjibaou, M. Nicolas Turquois, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Caroline Yadan
Excusés. – Mme Émilie Bonnivard, M. Jiovanny William