Compte rendu

Mission d'information
de la Conférence des présidents
sur les causes et conséquences de la baisse de la natalité en France

 

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Lucie Gonzalez, directrice des statistiques, de la recherche et des études de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), et Mme Klara Le Corre, chargée des relations institutionnelles              2

– Présences en réunion.................................12


Jeudi
2 octobre 2025

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 7

session extraordinaire 2025-2026

 

Présidence de
Mme Constance de Pélichy, présidente de la mission d’information
 


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La séance est ouverte à quatorze heures.

 

Mme la présidente Constance de Pélichy. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) étant l’organisme central de la politique familiale, il sera particulièrement intéressant que vous nous expliquiez la manière dont votre organisme soutient les familles sur le plan économique mais aussi sur le plan social, par les différents types de prestations que vous versez. Nous attendons notamment que vous nous éclairiez sur les masses financières en jeu, sur la dynamique des recettes et des dépenses, sur la manière dont vous vous projetez dans l’avenir, sur la nature des politiques suivies et sur le pilotage exercé au niveau national et départemental.

Mme Lucie Gonzalez, directrice des statistiques, de la recherche et des études de la CNAF. Je vous remercie d’avoir convié la Caisse nationale des allocations familiales pour éclairer vos travaux. Je commencerai par vous présenter l’impact des politiques publiques, notamment celles mises en œuvre par la branche famille de la sécurité sociale, en ce qui concerne la natalité et la fécondité.

La direction des statistiques, de la recherche et des études de la CNAF n’est pas, en tant que telle, productrice de statistiques ou d’enquêtes démographiques – ce sont l’INSEE et l’INED (Institut national d’études démographiques) qui s’en chargent – ni de recherches en propre sur ces questions. Nous avons plutôt un rôle d’animation et de stimulation de la recherche et des études, ainsi que de valorisation des travaux produits, pour éclairer le débat public. Le numéro d’Informations sociales intitulé « Politiques familiales et natalité », qui date d’à peu près un an, en est un bon exemple. Il s’agit de rassembler des connaissances, principalement pour le grand public.

Je propose de vous présenter à grands traits, sans entrer à ce stade dans le détail des dispositifs, la place de l’objectif nataliste dans les politiques familiales, puis le rôle de la branche famille – des caisses d’allocations familiales (CAF) et de la CNAF – dans la politique publique de soutien à la natalité et la politique familiale, et enfin la place de cette dernière dans le cadre de la politique de la natalité.

Il est bon de rappeler, tout d’abord, que la politique familiale a différents objectifs qui varient selon les pays et dans le temps : la natalité – en général une augmentation de celle-ci, mais il peut également s’agir d’une réduction dans certains pays et à certaines époques –, la compensation, au moins partielle, du coût lié aux enfants, la réduction de la pauvreté, le soutien à l’emploi des mères, la promotion de l’égalité des sexes et le soutien au développement des jeunes enfants. Les objectifs sont donc multiples.

Pour mettre la situation en perspective – ce sera, j’en suis désolée, très rapide et simpliste –, je rappelle que la sécurité sociale a été conçue, il y a bientôt quatre-vingts ans, dans une logique nataliste. La branche famille, vous le savez, visait à apporter une aide financière à toutes les familles dans le cadre d’une redistribution horizontale, pour rapprocher le niveau de vie des familles sans enfants et celui des familles qui en ont. Par ailleurs, les aides étaient renforcées à partir du troisième enfant – c’est une caractéristique forte de notre politique familiale. À partir des années 1970, l’accent a de plus en plus été mis sur le soutien aux familles les plus modestes : c’est ce qu’on peut appeler le ciblage des aides. Puis un tournant relatif à la manière de concevoir le lien entre le travail des femmes et la natalité s’est produit dans les années 1980. Jusqu’alors, le travail des femmes était plutôt associé à un risque de dénatalité ; à partir de cette époque, l’idée s’est développée que c’était plutôt l’inverse et qu’il fallait donc permettre aux femmes d’avoir le nombre d’enfants qu’elles souhaitaient tout en ayant ou en conservant une activité professionnelle. Une connexion a ainsi été établie entre la politique familiale et la politique de l’emploi, dans la perspective d’une conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

À l’heure actuelle, selon les rapports d’évaluation des politiques de sécurité sociale (REPSS), qui sont rattachés à la loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, la natalité ne figure pas explicitement parmi les quatre objectifs de la politique familiale. Celle-ci vise à contribuer à la compensation financière des charges de famille, à aider davantage les familles vulnérables, à favoriser la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et à garantir la pérennité financière de la branche famille à moyen et long termes. En corollaire – vous avez évoqué ce point dans le questionnaire écrit –, la branche famille n’a pas explicitement pour mandat d’accroître ou de maintenir la natalité en France. Cela ne fait pas partie de la convention d’objectifs et de gestion (COG) conclue avec l’État, où les mots « natalité » et « naissance » apparaissent assez peu, même si un certain nombre de dispositifs inscrits dans le texte ont potentiellement des effets sur la natalité. Autrement dit, la poursuite de la baisse de la natalité ne remet pas en cause les orientations de la COG, qui couvre la période 2023-2027.

Selon un baromètre d’opinion établi par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), service statistique du ministère chargé des solidarités et de la santé, la natalité n’est considérée comme l’objectif prioritaire de la politique familiale que par une proportion assez faible de Français, même si celle-ci augmente dans le temps, avec la baisse de la natalité et l’inquiétude qui en découle. Selon les dernières données disponibles, cette proportion était d’environ 11 % en 2023.

J’en viens à la question de la place de la branche famille et plus généralement de la sécurité sociale dans les politiques publiques familiales qui ont des effets sur la natalité.

La branche famille ne s’occupe, vous le savez, que d’une partie de la politique familiale, correspondant au versement de prestations à hauteur de 35 milliards d’euros et à la mise en œuvre d’une action sociale, notamment un soutien financier à l’équipement des crèches et un ensemble de dispositifs de soutien à la parentalité. Tout cela est financé par le Fonds national d’action sociale, dont les crédits s’élèvent à 16,6 milliards d’euros par an. En complément de l’action des CAF, la Mutualité sociale agricole (MSA) est chargée d’environ 2 % – cela dépend des prestations – des bénéficiaires de prestations légales. Les CAF versent également des prestations de solidarité telles que le revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité et l’allocation aux adultes handicapés (AAH), ainsi que des aides au logement. Par les différentes politiques publiques qu’elle met en œuvre, la branche famille peut contribuer à soutenir de façon indirecte la natalité ou la fécondité – c’est notamment très clair en matière de logement.

D’autres acteurs interviennent dans le champ de la politique familiale, comme les collectivités, qui peuvent proposer des aides monétaires aux familles et sont à la fois décisionnaires et contributrices pour ce qui est des crèches. Par ailleurs, outre les prestations versées par la branche famille, des aides fiscales sont prévues dans le cadre de l’impôt sur le revenu, notamment le quotient familial ainsi qu’un ensemble de réductions et de crédits d’impôts, liés à la garde des enfants ou à la scolarité. Ce volet fiscal représente environ 15 milliards d’euros.

La DREES a établi en 2017 un compte complet des dépenses destinées aux familles. En données actualisées, le total est compris entre 2,7 et 4,7 % du produit intérieur brut (PIB) selon que l’on suit une conception très restrictive ou au contraire extrêmement large de la politique familiale qui inclut des suppléments de prestations, notamment pour le RSA et la prime d’activité, s’il y a des enfants dans le ménage – le montant du RSA, par exemple, n’est alors pas le même. La France est le pays de l’OCDE dans lequel le poids des dépenses publiques consacrées à la famille dans le PIB est le plus important.

La mesure des effets des politiques familiales en général ou d’un dispositif en particulier est un véritable défi méthodologique. Un dispositif n’a pas toujours des effets immédiats : il faut un temps d’assimilation, voire un temps pour s’assurer que la réforme est relativement stable – la décision d’avoir un enfant engage, quant à elle, les familles sur plusieurs décennies. Il est également compliqué d’isoler l’effet propre d’un dispositif puisque de nombreuses réformes sont souvent menées d’une façon simultanée ou très rapprochée lorsqu’on veut atteindre un objectif. Par ailleurs, les politiques publiques n’agissent pas séparément : d’autres mesures peuvent influer ou interagir, par exemple celles menées en matière de logement. On s’appuie en général sur ce qu’on appelle des méta-analyses, c’est-à-dire des revues de la littérature portant sur des données françaises mais aussi internationales pour essayer de voir quels grands faits se détachent. Je vous donnerai par écrit les références d’un article de 2021.

D’une façon très générale, et même si d’autres facteurs entrent dans la décision d’avoir un ou plusieurs enfants, la politique familiale a un impact réel, mais limité et, je l’ai dit, difficilement mesurable, sur la fécondité. Ce sont les dispositifs visant à favoriser la conciliation entre vie privée et vie professionnelle qui ont les effets relatifs les plus forts, notamment par rapport aux aides financières. Les transferts financiers liés aux enfants ont un impact positif, bien sûr, mais il est relativement temporaire. Selon les chercheurs, de telles mesures agissent sur le tempo : elles peuvent accélérer le rythme, mais sans forcément jouer sur la descendance finale, c’est-à-dire sur le quantum de naissances. Les transferts financiers sont nécessaires mais ils ne sont pas nécessairement suffisants, car ils ne peuvent pas compenser l’ensemble du coût des enfants dans la durée, lequel se mesure non seulement en argent mais aussi en temps.

Les dispositifs qui visent à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie privée semblent être les leviers les plus significatifs pour la décision d’avoir un enfant, notamment le développement des modes d’accueil des jeunes enfants et les congés parentaux courts et bien rémunérés. Des réformes importantes sont en cours ou en projet à cet égard, comme la construction d’un service public de la petite enfance, qui correspond à un renforcement quantitatif et qualitatif de l’offre de services aux familles. Il s’agit notamment de donner davantage d’informations et d’assurer un accueil de qualité en crèche ou chez une assistante maternelle, y compris par un travail sur la revalorisation de métiers qui sont peu attractifs. Par ailleurs, le complément de libre choix du mode de garde (CMG) de la prestation d’accueil du jeune enfant, aide financière qui vise à solvabiliser les familles ayant recours à une assistante maternelle, fait l’objet d’une triple réforme dont les deux premiers volets sont entrés en vigueur en septembre, avec de premiers paiements le 6 octobre, tandis que le troisième volet s’appliquera à partir de décembre. Parmi les projets de réforme annoncés, le congé de naissance doit correspondre à un congé parental plus court et mieux rémunéré, selon des modalités dont le champ serait extrêmement ouvert.

Un mot au sujet des politiques de prévention et de lutte contre l’infertilité : au niveau individuel, l’infertilité augmente avec le recul de l’âge à la maternité et à la paternité et du fait de la pollution environnementale en lien avec les perturbateurs endocriniens. Ces politiques sont évidemment extrêmement utiles d’un point de vue individuel, mais leur impact serait assez faible sur la fécondité globale.

Ce qui semble soutenir la fécondité, dans notre pays comme dans d’autres États européens où elle est forte, c’est le fait de favoriser une conciliation ou une compatibilité entre le travail et la prise en charge des enfants, ainsi que la possibilité de travailler dans de bonnes conditions. La qualité du travail conditionne notamment sa reprise après une grossesse.

La notion de child penalty, ou pénalité à la naissance – en réalité à la maternité puisque cela concerne majoritairement les femmes, selon des travaux statistiques menés sur cette question –, est l’idée qu’il existe un décrochage professionnel après une naissance, c’est-à-dire une baisse durable des revenus et des perspectives de carrière. Cela peut conduire, lorsqu’on a conscience de ce phénomène et qu’on l’anticipe, à retarder ou à limiter les naissances, voire à y renoncer. Cet effet, qui est lié à la division genrée du travail domestique et parental, existe en France, principalement pour les femmes, malgré l’existence de dispositifs relativement nombreux et développés de conciliation entre vie professionnelle et vie privée.

J’en viens au lien avec le financement des retraites et de notre modèle social. Si le renforcement des dispositifs de conciliation entre vie professionnelle et vie privée favorise la natalité, cela permet de consolider la pyramide des âges par le bas pour compenser le vieillissement. Celui-ci correspond à un double effet : il y a moins de gens en bas de la pyramide et davantage en haut. Il est vrai que le fait d’avoir des naissances très nombreuses finit par se diffuser dans la société et conduit à avoir plus de personnes âgées à terme, mais il faut aussi avoir en tête que ces dispositifs de conciliation permettent d’augmenter l’activité des femmes, c’est-à-dire, à population donnée, d’avoir plus de personnes sur le marché du travail, donc plus de cotisations, ce qui contribue au financement du modèle social.

Il ressort aussi de la revue de la littérature que des facteurs très globaux jouent un rôle : au-delà du fait d’avoir dans l’ensemble une politique familiale généreuse qui offre un large spectre de dispositifs complémentaires, notamment des aides financières pour compenser le coût associé aux enfants, il y a aussi l’offre de services, en particulier en matière de garde d’enfants.

Autre aspect important, la stabilité de la politique familiale et de l’ensemble des politiques publiques qui peuvent contribuer à faciliter la vie des familles joue également : avoir un enfant, je l’ai dit, est un engagement long.

À cet égard, la corrélation temporelle entre la baisse de la natalité engagée depuis 2011, puis très accentuée depuis 2014, et les mesures prises à l’époque n’est pas facile à analyser. Comme la part des dépenses nettes de la branche famille a diminué de 0,29 point de PIB entre 2014 et 2024, on peut se dire que la baisse des crédits a conduit à celle des naissances. Néanmoins, de nombreuses mesures favorables ont vu le jour durant cette période, notamment une augmentation substantielle de l’allocation de soutien familial et du complément familial. Par ailleurs, j’ai déjà évoqué le mouvement de transfert financier des ménages les plus aisés vers les plus modestes qui s’est déroulé à l’époque par le ciblage des aides. Un ensemble de choses s’est passé et il est difficile de savoir si c’est cette ébullition et l’interrogation sur la stabilité des mesures en vigueur qui a joué ou si c’est uniquement leur baisse en fractions de PIB. Autre interrogation, alors que le transfert financier s’est traduit par moins d’aides pour les familles aisées et davantage pour les plus modestes, la natalité a baissé dans tous les milieux sociaux. Les chercheurs évoquent un effet de halo : des personnes qui ne sont pas touchées par la baisse des aides peuvent malgré tout se dire qu’il y a un affaiblissement de la politique familiale, voire une remise en question de la politique très généreuse qui était menée jusque-là.

Il existe, par conséquent, de nombreux points d’interrogation. Il faut faire preuve, à mon avis, de beaucoup de nuance quand on essaie d’interpréter le lien entre politique familiale et natalité au cours de la période récente.

Par ailleurs, je rappelle que d’autres politiques publiques soutiennent les familles et la natalité, en matière de logement, de lutte contre les inégalités et la pauvreté, de santé – à travers l’accessibilité des soins, notamment sur le plan financier –, d’éducation nationale et de planification écologique, si on se dit qu’une éco-anxiété – terme tout de même étrange – peut jouer s’agissant de la baisse de la natalité. D’autre part, comme je l’ai indiqué, la branche famille contribue, plus ou moins indirectement, à certaines de ces politiques.

Les travaux qui ont été menés montrent l’importance du contexte dans lequel s’inscrivent les politiques familiales. Il est essentiel de favoriser un climat général de confiance en l’avenir, auquel contribuent des services publics solides et des politiques sociales stables et cohérentes, qui rendent les décisions en matière de fécondité moins sensibles au contexte économique et aux aléas de la vie. Dans le contexte actuel de tensions géopolitiques et de changement climatique, cette confiance est peut-être un peu érodée. Il est également important de retenir que ce n’est pas un dispositif particulier qui peut influer de façon très directe sur la natalité ; il faut plutôt une combinaison d’instruments et de politiques pour produire un effet démographique, dans un contexte de confiance favorable à des décisions qui engagent l’avenir et à la capacité de se projeter.

On voit par ailleurs, même s’il n’existe pas d’étude très précise à ce sujet, que la sensibilité aux différents dispositifs n’est pas uniforme au sein de la population. Selon une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC), qui a demandé à des familles si elles trouvaient leurs aides suffisantes, des écarts très importants se sont creusés depuis les années 2010 entre les familles aux plus bas revenus d’une part et les classes moyennes inférieures, les classes moyennes supérieures et les hauts revenus d’autre part. Ainsi, les mesures en faveur de l’accessibilité financière des modes de garde et le versement de prestations ont probablement un impact plus important sur certaines parties de la population. La DREES, là encore dans un baromètre d’opinion, a mené une enquête sur le type d’aides qu’il faudrait privilégier pour mieux aider les familles en général. Il apparaît, mais je n’entrerai pas maintenant dans les détails – vous les retrouverez dans les graphiques –, que les besoins sont assez différents selon le niveau de vie en matière de prestations en espèces, d’équipements et de services, d’avantages fiscaux, de soutien et de conseils, d’appui à la parentalité ou d’aménagements horaires dans l’entreprise.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Je souhaite revenir sur l’effet de halo que vous avez évoqué. Vous avez affirmé qu’une prestation en particulier ne suffisait pas à relancer la natalité ou à avoir un effet sur le désir d’enfant. Mais les différentes prestations sont-elles lisibles, connues et compréhensibles pour les usagers ?

Peut-on considérer que l’une des explications du décrochage observé au début des années 2010 réside dans la fin de l’universalité de la politique familiale, cette dernière ayant alors été recentrée vers un objectif plus social ?

Vous avez parlé de natalité au sens large. Mais peut-on distinguer parmi les politiques publiques celles qui vont favoriser dans un couple l’envie d’avoir un premier enfant et celles qui vont avoir pour effet de concrétiser le désir d’avoir un deuxième voire un troisième enfant ?

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Nous avons bien compris que la natalité ne figurait plus dans les missions de la CNAF. On peut le déplorer ou s’en satisfaire, mais comment prenez-vous en compte la baisse vertigineuse de la natalité – ne serait-ce que pour le financement de la branche famille ? Avez-vous des seuils d’alerte ? L’effet de la baisse de la natalité est-il anticipé dans les dispositifs et dans vos programmes de financement ?

Estimez-vous que les dispositifs d’aide sont lisibles, tant en matière fiscale que s’agissant des diverses prestations ? Je pense que très peu de familles ont compris la réforme du CMG. Dès lors, dans quelle mesure cette dernière peut-elle avoir un effet sur la natalité ?

Plus largement, diriez-vous que les dispositifs d’aide ont été entièrement conçus en vue d’objectifs autres que la natalité ? Certains d’entre eux ont-ils encore une véritable efficacité en la matière ?

On peut comprendre qu’un pays renonce à se donner pour objectif que les familles aient plus d’enfants. Mais il existe un décalage entre le désir d’enfants et le nombre d’enfants, car des freins objectifs conduisent des familles à renoncer à leur projet. En outre, on constate des inégalités sociales majeures puisque, selon l’INSEE, les enfants sont plus nombreux dans les classes populaires et les plus aisées que dans les classes moyennes. Dès lors – et c’est une question plus politique –, est-il acceptable que les objectifs et les dispositifs de la CNAF actent un renoncement complet à une politique nataliste, laquelle pourrait au minimum viser à réduire ces inégalités sociales ?

D’un point de vue plus technique, êtes-vous en mesure de procéder à des simulations sur les effets financiers de mesures que je pourrais proposer en tant que rapporteur ?

Pourriez-vous détailler ce que représentent les 20,7 milliards d’euros d’avantages différés liés aux droits familiaux de retraite qui figurent dans le schéma sur les différents périmètres du compte de l’enfance que vous avez présenté. Est-ce que cela correspond à la majoration de 10 % des pensions de retraite des assurés qui ont eu au moins trois enfants ?

Je souhaiterais également savoir quels sont les montants correspondant aux parts supplémentaires de quotient familial par enfant.

Mme Lucie Gonzalez. S’agissant de la lisibilité, de manière générale il est de bonne pratique qu’un dispositif corresponde à un objectif. Mais, comme l’INED l’a relevé, pour savoir ce que perçoit une famille de trois enfants, il faut faire la somme de ce qui est versé au titre de plusieurs dispositifs. Il n’est pas forcément évident pour les familles d’anticiper ce à quoi elles auront finalement droit.

La branche famille essaie de fournir ces informations, notamment grâce à un site internet. On peut aussi consulter le site service-public.fr. Les CAF et les CPAM (caisses primaires d’assurance maladie) organisent un parcours « arrivée de l’enfant » pour expliquer aux familles quelles sont les aides et dispositifs dont elles peuvent bénéficier, notamment en matière de garde. Nous avons aussi publié en ligne un petit guide pédagogique simplifié des prestations.

J’en viens à la question sur le lien entre le décrochage de la natalité et la fin de l’universalité de la politique familiale. Les allocations familiales sont désormais modulées en fonction des ressources. Elles ne sont pas « sous conditions de ressources », dans la mesure où il n’existe pas de seuil à partir duquel elles ne sont plus versées ; néanmoins, leur montant est divisé par deux à partir d’un certain niveau de ressources – qui est relativement élevé –, et par quatre à partir d’un seuil encore supérieur. Tout le monde ne touche pas la même somme, mais tout le monde perçoit des allocations familiales. En revanche, cette prestation n’est pas universelle dans la mesure où elle n’est versée qu’à partir du deuxième enfant. Quant aux prestations et services en matière de garde d’enfant, ils sont destinés à toutes les familles, même si les montants versés sont évidemment différents.

L’ensemble ainsi constitué ne paraît pas complètement incohérent par rapport aux besoins exprimés par les familles. Mais je suis bien incapable de vous dire dans quelle mesure cela contribue à l’effet de halo.

Une autre question est de savoir sur quel rang de naissance la politique de la famille doit mettre l’accent. S’agit-il de favoriser la naissance du premier enfant ou bien d’encourager les familles nombreuses ? Les travaux menés par l’INED montrent que les familles ont de plus en plus tendance à comporter deux enfants au plus. La proposition de verser des allocations familiales dès le premier enfant répond à une volonté d’encourager sa naissance. Renforcer l’offre en matière de modes de garde y participe également, car la naissance du premier enfant est un bouleversement tant en matière financière que d’organisation. Or, c’est peut-être ce dernier point qui est le plus compliqué.

Les allocations familiales représentent un montant très important, de plus de 13 milliards d’euros. Elles ne sont pas versées pour le premier enfant, mais la naissance de celui-ci permet de percevoir l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant. Cette dernière est accordée sous conditions de ressources, mais avec un seuil relativement élevé. Si l’on paye des impôts, on bénéficie d’une demi-part supplémentaire dès le premier enfant, une part supplémentaire étant accordée à partir du troisième enfant. L’allocation de rentrée scolaire, qui concerne une population très modeste, est également versée dès le premier enfant. Autrement dit, si les allocations familiales ne sont pas versées pour le premier enfant, il existe cependant un ensemble de prestations et d’avantages fiscaux dès la naissance de celui-ci.

La CNAF n’a en effet pas pour objectif de favoriser la natalité. Pour autant, la réforme du CMG témoigne d’une volonté de rendre solvables les familles afin de leur permettre d’avoir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent. Il en est de même avec la mise en place du service public de la petite enfance, qui doit permettre de mieux concilier la vie familiale et la vie professionnelle. On sait que c’est un moyen de favoriser in fine une fécondité élevée. Même si ce n’est pas un objectif explicite de nos politiques, les mesures que nous mettons en œuvre ont indéniablement des effets indirects en faveur de la natalité.

L’évolution de la natalité n’a pas d’effet sur nos ressources, puisque notre financement dépend en grande partie des cotisations assises sur les salaires. En revanche, cela a des conséquences sur les dépenses, puisque moins de prestations sont versées et que la baisse des naissances se répercute progressivement sur les différentes tranches d’âge. Les prestations familiales sont versées jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge de 20 ou 21 ans et les aides au logement – qui ne relèvent pas de la branche famille – jusqu’à l’âge de 25 ans.

La très récente réforme du CMG pose un problème de lisibilité car il faut que chacun s’habitue aux nouvelles modalités de calcul de cette aide. Pour simplifier, elle comprenait auparavant trois montants différents, qui dépendaient des ressources. Cela se traduisait par des effets de seuil pour les familles. Comme cette aide était forfaitaire, elle permettait aisément de financer les heures de garde lorsque celles-ci étaient très peu nombreuses. Mais la part du reste à charge progressait si les familles faisaient garder leur enfant pendant davantage de temps.

La réforme du CMG avait deux objectifs. Le premier était de mieux répondre aux besoins des familles. Le nouveau barème prend mieux compte leurs ressources, leur taille – même si c’était déjà un peu le cas auparavant – et le nombre d’heures de garde ainsi que leur coût. Le deuxième objectif était de se rapprocher du coût de la garde en crèche car le recours à une assistante maternelle était beaucoup plus onéreux pour certaines familles.

Avant cette réforme, il n’était pas facile de savoir à quoi l’on avait droit car même s’il y avait trois montants forfaitaires, les versements étaient également fonction du nombre d’heures. Désormais, le mode de calcul repose sur un raisonnement différent puisque l’on part du reste à charge pour la famille, lequel dépend de quatre paramètres. C’est un changement complet de perspective et on peut comprendre qu’il ne soit pas facile de s’y adapter. Néanmoins, le nouveau dispositif est plus lisible. Les paramètres n’étant pas d’une grande complexité, chaque famille peut facilement calculer son reste à charge à la fin du mois – et donc obtenir l’information qui, on l’imagine, l’intéresse le plus.

Mais je suis d’accord avec vous : il va falloir quelque temps pour s’habituer à la nouvelle logique. Les dispositifs fiscaux – déductions et réductions d’impôt – n’ont quant à eux pas changé. Pour estimer son reste à charge définitif, une famille doit faire un calcul en plusieurs étapes qui tient compte à la fois des aides de la CAF et de la fiscalité.

Vous m’avez enfin interrogée sur le décalage entre le désir et le nombre d’enfants, ainsi que sur les inégalités sociales.

Je retiens de la dernière étude de l’INED que la baisse des intentions de fécondité concerne toutes les catégories sociales. Cependant, le désir d’enfant est compliqué à mesurer et il évolue dans le temps. Il est probablement très difficile de faire la part des choses entre ce qui relève de la volonté des personnes, en fonction de leur expérience, et ce qui est lié à des contraintes et à de véritables freins s’opposant à la réalisation de ce désir. Et il est encore plus difficile de savoir quelle a été l’évolution dans la durée de l’influence des freins.

Pour ce qui est des simulations, nous travaillons surtout sur nos données et nos dispositifs. Nous partageons avec l’INSEE et la DREES le modèle de microsimulations INES, qui permet aussi de faire des simulations fiscales. Nous allons étudier votre demande. En général, les simulations globales sont réalisées par l’INSEE et la DREES, mais nous disposons de l’outil pour les faire.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Vous avez indiqué que quatre objectifs étaient assignés à la CNAF, et plus généralement à la politique familiale.

Le premier d’entre eux consiste à compenser la baisse du niveau de vie. Pour autant, il existe des aides progressives en fonction du nombre d’enfants mais il n’y a pas d’aides forfaitaires par enfant. Comme vous l’avez dit, pour le premier enfant il n’y a quasiment rien. Or, les études économiques montrent qu’une baisse du niveau de vie intervient lors de la naissance du premier enfant et qu’elle est ensuite moindre à l’occasion de la naissance du deuxième. Puis on constate de nouveau une forte baisse avec le troisième enfant.

La politique familiale devrait-elle évoluer vers des aides forfaitaires par enfant, ce qui permettrait peut-être d’avoir une influence sur le désir d’enfant ? Pour ma part, je doute qu’un tel effet existe – et je ne suis pas la seule puisque les études sur ce sujet arrivent à la même conclusion. Mais admettons que cela fonctionne : dans ce cas, une telle réforme encouragerait tout le monde à avoir un ou deux enfants, plutôt que d’avoir des familles qui en ont beaucoup et d’autres pas du tout.

Le divorce ou la séparation constitue un autre moment critique de la vie qui entraîne une baisse du niveau de vie, particulièrement pour les femmes. Or il n’y a pas d’aide particulière de la CNAF à ce moment-là, même si d’autres aides interviennent indirectement. Ne faudrait-il pas faire évoluer les choses, puisque l’on sait qu’une baisse du niveau de vie se produit alors et que les familles monoparentales sont surreprésentées dans les familles pauvres ?

Ma dernière question porte sur l’équité des charges de famille entre les hommes et les femmes dans les couples hétérosexuels. Quid du congé parental pour les hommes ? Quelles autres actions restent à mettre en œuvre pour faire progresser l’égalité ?

Mme Lucie Gonzalez. Si l’on examine le niveau de vie des familles en fonction du nombre d’enfants avant et après redistribution – en prenant en compte toutes les aides, dont celles de la CAF, ainsi que la fiscalité –, on constate que les écarts sont extrêmement importants avant redistribution et qu’ils se resserrent sous l’effet de celle-ci. Pour autant, plus on a d’enfants, plus le niveau de vie moyen est bas.

On peut envisager de verser chaque aide de manière forfaitaire ou bien de fusionner toutes les aides pour n’en verser qu’une seule qui serait forfaitaire. À budget constant, cela se traduirait par une baisse des sommes versées aux familles nombreuses et par une augmentation pour celles qui n’ont qu’un seul enfant. Il faut aussi examiner si l’on prend en compte les effets de la fiscalité.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Qu’en est-il du point de vue de la justice ?

Mme Lucie Gonzalez. Le problème, c’est qu’on ne sait pas évaluer le coût de l’enfant. On sait qu’il est probablement différent selon le niveau de vie de la famille. Par ailleurs, le coût du premier enfant est important, mais celui du deuxième l’est moins car certaines choses peuvent être réutilisées. L’arrivée du troisième enfant entraîne quant à elle des frais supplémentaires, par exemple l’achat d’une voiture plus grande. Les études sur les coûts de l’enfant ne sont pas assez précises pour mesurer les effets d’une aide forfaitaire.

La séparation est évidemment un moment critique. Les CAF mènent des actions pour les familles monoparentales. Dès qu’une séparation est déclarée, on contacte la personne et elle peut être aidée par un travailleur social. Il existe une aide spécifique, l’allocation de soutien familial, qui n’est pas soumise à conditions de ressources. Enfin, un accompagnement est organisé pour le versement des pensions alimentaires, notamment grâce à l’Agence de recouvrement et d’intermédiation des pensions alimentaires (ARIPA). La CAF joue désormais presque automatiquement le rôle d’intermédiaire pour le paiement de ces pensions. Nous faisons donc énormément de choses pour les familles monoparentales.

S’agissant de l’équité en matière de charges de famille entre hommes et femmes et du congé parental, je ne sais pas bien ce que je pourrais vous apprendre.

Lors de l’instauration de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PREPARE), en 2014, le barème antérieur n’avait pas été modifié. Mais il fallait désormais un partage entre les parents pour pouvoir bénéficier de la prestation pendant toute la durée. Ça n’a pas du tout marché parce que les hommes ont été extrêmement peu nombreux à avoir recours dispositif. En revanche, une partie des femmes ont pris un congé d’une plus courte durée. Les travaux d’Hélène Périvier ont montré que le dispositif leur permettait de reprendre plus vite une activité professionnelle, ce qui contribue à limiter les effets de la pénalité à la maternité.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Pourriez-vous répondre à ma question sur ce que recouvrent les 20,7 milliards d’euros d’avantages différés liés aux droits familiaux de retraite ?

Mme Lucie Gonzalez. Cet ensemble comprend la majoration de 10 % des pensions de retraite des assurés qui ont eu au moins trois enfants, mais aussi la valorisation des trimestres supplémentaires accordés par enfant.

Mme Klara Le Corre, chargée des relations institutionnelles de la CNAF. Je reviens sur le sujet de la lisibilité.

Un schéma directeur de la communication a été adopté dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2023-2027, avec précisément pour objectif d’améliorer la lisibilité de l’offre de services des CAF. Un réseau de plus de 300 communicants œuvre chaque jour en ce sens, en lien avec la CNAF. Cela passe par le développement de la présence sur les réseaux sociaux et par des campagnes nationales dont les éléments sont mis à la disposition de l’ensemble du réseau.

La séance s’achève à quatorze heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Philippe Bonnecarrère, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Constance de Pélichy, Mme Sandrine Rousseau

Excusé. – M. Thibault Bazin