Compte rendu
Mission d'information
de la Conférence des présidents
sur les causes et conséquences de la baisse de la natalité en France
– Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Villemeur, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, et M. Kevin Genna, directeur de la modélisation à la chaire « Transitions démographiques, transitions économiques » 2
– Présences en réunion.................................12
Jeudi
9 octobre 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 9
session ordinaire 2025-2026
Présidence de
Mme Constance de Pélichy, présidente de la mission d’information
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La séance est ouverte à onze heures cinq.
Mme la présidente Constance de Pélichy. Messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Vous nous présenterez les travaux de la chaire « Transitions démographiques, transitions économiques » (TDTE), qui est une structure de recherche consacrée aux effets du vieillissement et de la longévité sur l’économie et la société en France.
Quels sont, selon vous, les grands enjeux que soulève la baisse de la natalité en France ? Quelles sont les pistes principales pour faire face à la transition démographique qui caractérise les cinquante dernières années ?
M. Alain Villemeur, professeur d’économie à l’université Paris Dauphine. Nous sommes très honorés d’être auditionnés dans le cadre de cette mission d’information. La chaire « Transitions démographiques, transitions économiques » réalise depuis une quinzaine d’années des études sur la longévité et toutes ses conséquences, notamment macroéconomiques et sociologiques.
Depuis deux ans, nous analysons aussi la baisse de la natalité. Nous avons ainsi réalisé deux études, l’une sur les causes de la baisse de la natalité et l’autre sur ses conséquences économiques pour la France.
La première étude part du constat que le désir d’enfant est toujours important en France – 2,3 enfants par femme en 2024 – alors que la fécondité n’a cessé de baisser depuis 2010, pour s’établir à 1,6 enfant par femme. Quelles sont les variables économiques et politiques qui peuvent expliquer ce décalage ? Nous avons analysé la littérature scientifique, puis nous avons mené une étude originale portant sur tous les pays de l’OCDE entre 1990 et 2019 afin de déterminer s’il existait des liens entre la fécondité et les variables économiques, telles que le prix de l’immobilier, les revenus ou le chômage.
La littérature évoque de nombreuses causes, qui vont de l’écoanxiété à la baisse relative des revenus en passant par le prix de l’immobilier ou la fertilité des couples. Pour notre part, en tant qu’économistes, nous avons identifié trois variables économiques majeures.
La première est liée à l’insuffisance des politiques familiales. Les femmes participent de plus en plus au marché du travail. Avant les années 1980, moins les femmes travaillaient, plus la fécondité était élevée. Depuis les années 1980-1990, c’est le contraire : plus les femmes travaillent, plus la fécondité est élevée. Cette évolution s’explique par les politiques familiales menées – congés maternité, avantages fiscaux, services de garde d’enfants. Reste que ces politiques familiales, dans l’ensemble des pays de l’OCDE, sont insuffisantes.
Ces politiques familiales ont un effet très important sur la décision d’avoir un deuxième ou un troisième enfant, alors que le choix d’avoir le premier n’est en général pas déterminé par des variables économiques. En particulier, les politiques en faveur des services de garde favorisent l’élargissement de la famille et la continuité des carrières professionnelles.
Nous avons essayé de quantifier les effets économiques de ces politiques familiales. Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, 1 point de PIB se traduit par une hausse de 0,1 point de la fécondité. Ce n’est pas négligeable, mais on est tout de même loin de l’effet magique – car il y a d’autres déterminants.
Le deuxième de ces déterminants est la hausse des prix de l’immobilier. Toutes les enquêtes montrent que les ménages y sont très sensibles. L’effet est complexe et varie selon que les couples sont locataires ou propriétaires. Les couples locataires sont très sensibles au prix du loyer : lorsque celui-ci augmente, leur fécondité diminue immanquablement. Chez les couples propriétaires en revanche, une hausse des prix de l’immobilier, qui assure une certaine stabilité des revenus et de la valeur des logements, conduit à une augmentation de la fécondité. Ce n’est toutefois pas un effet massif, notamment parce que l’âge de l’accession à la propriété est relativement élevé – 35 ans en moyenne.
L’effet global de l’immobilier, lui, est important. Depuis 2000, le pouvoir d’achat immobilier a baissé de 30 %. Pour une surface de 50 mètres carrés au départ, cela correspond à plus de 15 mètres carrés, soit une pièce en moins. C’est donc un critère fondamental qui joue dans le passage au deuxième ou au troisième enfant.
Le troisième déterminant majeur réside dans les inégalités de genre, dont les travaux de Claudia Goldin, économiste américaine pionnière dans ce domaine, ont montré l’importance. Prenons l’exemple de la Corée du Sud : les femmes y consacrent quatre fois plus de temps aux travaux domestiques, à l’éducation et à la garde des enfants que les hommes. En France, ce n’est pas miraculeux, mais on tombe à un facteur de 2. Ce critère est fondamental. Il est clair que les pays où les inégalités de genre sont importantes, avec un système patriarcal, ont une fécondité bien plus faible. Dans les pays nordiques, où les inégalités de genre sont beaucoup plus réduites, même si elles existent, la fécondité est plus élevée.
Politiques familiales, immobilier et inégalités de genre expliquent donc en grande partie la baisse de la natalité en France. Il n’y a pas de cause unique sur laquelle se concentrer. Il existe aussi d’autres facteurs que ces trois-là, mais qui nous semblent moins jouer pour le moment. Une politique de redressement de la natalité doit donc relever simultanément ces trois défis.
M. Kevin Genna, directeur de la modélisation de la chaire « Transitions démographiques, transitions économiques ». Je vais évoquer pour ma part notre étude sur les conséquences économiques d’une baisse de la natalité, qui a été menée en 2024. Le fait est que, alors que le scénario central de l’INSEE tablait sur une fécondité stable à 1,8 enfant par femme, les chiffres se sont établis à 1,68 en 2023 et 1,62 en 2024. Et cela continue : la fécondité pourrait même être inférieure à 1,6 dès 2025.
Notre étude envisage deux scénarios différents. Dans le premier, la fécondité se stabiliserait à 1,68 au lieu de 1,8. Dans le second, elle diminuerait de manière continue pour se stabiliser à 1,3 en 2040 – soit un peu plus que l’Italie aujourd’hui.
Le premier effet est très clair : une baisse de la population active d’ici à vingt ans. Cela se produit même dans le scénario central de l’INSEE, où le pic de population serait atteint en 2044, à peu près comme celui de la population active. Après ce pic, la population en âge de travailler commencera à décroître. Selon les scénarios, il est évident que plus la fécondité est faible, plus le pic est atteint tôt et plus la chute de population est vertigineuse.
Nous avons également étudié les effets de la fécondité sur d’autres variables comme le PIB et les pensions de retraite. Nos hypothèses sont les suivantes : une immigration stable, avec un solde migratoire de + 70 000 personnes par an, un taux de croissance du PIB de 0,8 % par an, un taux d’emploi stable et un maintien du ratio retraites sur PIB à 14 %.
Dans le scénario de fécondité à 1,68 enfant par femme, la perte de richesse nette atteindrait 0,8 point en 2050 et 2 points en 2070. Le niveau des pensions de retraite reculerait de 1 point en 2050 et de 2,5 points en 2070, tandis que la population active diminuerait de 1,2 point en 2050 et de 2,5 points en 2070.
Dans le second scénario, plus abrupt, avec une fécondité à 1,3 en 2040, les effets seraient plus forts et se feraient sentir plus vite. En 2050 et en 2070 le PIB reculerait respectivement de 4 points et de 12 points, le niveau des pensions de retraite de 5 points et de 13 points, la population active de 4 points et de 14 points.
La diminution de la population entraîne logiquement une baisse du PIB. En revanche, les effets sur la richesse individuelle – le PIB par habitant – sont plus complexes à analyser. Dans un premier temps, le PIB par habitant augmenterait légèrement avant de diminuer, pour de nombreuses raisons.
Dernière observation, la question de l’immigration est centrale. Nous nous sommes demandé quel serait le niveau d’immigration nécessaire pour maintenir la population à son niveau de pic. Dans le scénario central de l’INSEE – 1,8 enfant par femme –, avec un niveau maximal de 69,3 millions de personnes atteint en 2044, il faudrait un solde migratoire annuel de + 110 000 personnes en 2050, puis de + 400 000 en 2060 et de + 620 000 en 2070.
Mme la présidente Constance de Pélichy. S’agissant des inégalités de genre, la question de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale revient souvent à propos des femmes. Mais avez-vous étudié la question pour les hommes ? Il est parfois plus difficile pour un homme de pouvoir s’absenter rapidement lorsqu’un enfant est malade, de quitter le travail plus tôt, de demander la tenue des réunions en début plutôt qu’en fin de journée, etc. Si le père ou le co-parent n’est pas en mesure de rentrer à la maison plus facilement, au bout du compte, la charge domestique revient à la femme. Auriez-vous des retours ou des propositions à faire sur le sujet ?
M. Alain Villemeur. Nous n’avons pas étudié de manière spécifique ce problème. Dans les pays nordiques, les politiques d’aide à la parentalité et de partage des tâches sont très actives. Le congé parental, important, est réparti de manière assez égale entre les hommes et les femmes, avec un quota obligatoire pour les hommes. Nos études ne sont pas assez fines pour évaluer précisément l’effet de ce genre de disposition, mais on voit bien que cela joue dans le fait que ces pays ont une baisse de la natalité plus lente que la moyenne. Toutefois, leur taux de fécondité, autour de 1,5 enfant par femme, reste inférieur à celui de la France. Il est dommage de ne pas disposer d’études plus poussées sur ce sujet.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Comment expliquer que la France ait pendant longtemps affiché des taux de fécondité supérieurs à ceux des autres pays de l’OCDE ? Comment expliquer la baisse tendancielle de l’ensemble de la zone, et le fait que la France ait rejoint le mouvement après des années de résistance ?
Un des objets de la mission d’information est de comprendre la différence entre les freins à la décision d’avoir un premier enfant et ceux qui s’exercent pour le deuxième ou le troisième. Vous avez laissé entendre que les politiques économiques devraient varier selon que l’on vise l’un ou l’autre. Vous avez aussi dit que les variables économiques jouaient un rôle limité dans la décision d’avoir un premier enfant. Doit-on en conclure qu’il n’y a pas grand-chose à faire, car c’est plutôt une question de perception ou de contexte social, ou existe-t-il quand même des leviers pour relancer le premier enfant ? Avec les représentants de l’OCDE, nous évoquions par exemple des aides fiscales et économiques ciblées sur les jeunes de moins de 30 ans.
Les chiffres que vous évoquez en matière d’immigration sont vertigineux, tout commentaire politique mis à part. La politique migratoire vous paraît-elle adaptée à l’enjeu économique, dans la mesure où elle n’est pas fondée sur le travail ? En effet, 48 % des personnes entrent dans le pays avec un visa familial.
Par ailleurs, la baisse de la natalité n’affecte pas toutes les classes sociales de la même manière : elle est plus forte chez les classes moyennes. Quelles réponses économiques, financières et sociales pourrait-on apporter spécifiquement auxdites classes moyennes ?
Enfin, la France ne se donne pas d’objectifs en matière de natalité. Les actions menées visent plutôt, comme l’a rappelé la présidente de la Caisse nationale des allocations familiales, à améliorer les conditions de vie des familles ou à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes. La France, ne serait-ce que pour des raisons économiques, devrait-elle se doter d’une politique nataliste et en faire un objectif politique assumé ?
M. Alain Villemeur. La France a longtemps été un modèle en matière de natalité, avec un taux de fécondité avoisinant les deux enfants par femme, et ce pour deux raisons fondamentales.
D’abord, elle a toujours mené une politique familiale exemplaire en Europe. Sur le plan économique, les dépenses consacrées aux familles représentent entre 2,7 et 4,7 points de PIB, selon la façon dont on inclut l’ensemble des avantages fiscaux. C’est considérable. La France a été pionnière en matière de politique familiale et a sans doute été le pays qui y a consacré le plus de ressources.
Ensuite, le taux d’activité des femmes augmente, ce qui a été depuis les années 1980-1990 un facteur favorable à la fécondité : malgré les inégalités de genre, elles réussissaient à concilier vie familiale et vie professionnelle.
Cela ne fonctionne plus car, d’une part, la flambée des prix de l’immobilier pénalise fortement les jeunes couples – le logement peut représenter jusqu’à 45 % de leurs revenus – et, d’autre part, de plus en plus de femmes accèdent à l’enseignement supérieur. Ce phénomène touche tous les pays développés : aux États-Unis – c’est presque le cas en France également –, les femmes diplômées de l’enseignement supérieur sont désormais plus nombreuses que les hommes. C’est un bouleversement qui fait que les femmes portent une attention plus grande à leur carrière professionnelle et ont une moindre disposition à la sacrifier. Ce phénomène général, qui explique la baisse de la fécondité dans tous les pays développés, se vérifie d’autant plus dans un système patriarcal.
Ces nouveaux facteurs font que la politique familiale française a désormais des effets limités. Le logement et le niveau de diplôme expliquent largement la baisse de la natalité, qui, certes, est moins rapide que dans d’autres pays, mais qui semble être néanmoins un mouvement irréversible. C’est la raison pour laquelle nous avons envisagé un scénario de fécondité à 1,3 enfant : sans mesures importantes en faveur des jeunes générations, il sera difficile de freiner la baisse et d’empêcher la France de se retrouver dans la situation de l’Italie, qui pose de nombreux problèmes.
Il nous semble que le logement et de manière générale les variables économiques ne sont pas décisifs dans le projet d’avoir un premier enfant, en tout cas pour le moment. Cela pourrait le devenir. Ainsi, en Corée du Sud, où le taux de fécondité est tombé à 0,7 enfant par femme – beaucoup de couples n’ont qu’un enfant, et même ce premier enfant n’est plus aussi désiré qu’avant –, l’immobilier est un frein considérable : c’est un pays où, pour accéder à un logement, il faut fournir une caution extraordinairement élevée.
M. Kevin Genna. La natalité française reste tout de même légèrement supérieure à celle de nos voisins européens. En Italie, le taux de fécondité est de 1,2 enfant par femme, l’Espagne navigue dans ces eaux et l’Allemagne est entre 1,3 et 1,4. Néanmoins, le taux français diminue et se rapproche de la moyenne de l’OCDE.
Nous n’avons pas parlé des différences culturelles mais elles jouent un rôle important. Prenons le cas extrême du Japon, où moins de 5 % des enfants naissent hors mariage et où le taux de fécondité est inférieur à un enfant par femme : ces chiffres sont notamment dus à la pression culturelle qui s’exerce autour du mariage. La France a longtemps profité de sa culture libérale et laïque, symbolisée par le fait qu’une naissance sur deux a lieu hors mariage. Mais, et bien que la prévision démographique soit un exercice délicat, il me semble que l’avance française sur ses partenaires européens va continuer de se réduire dans les dix prochaines années.
Les classes moyennes font de moins en moins d’enfants. La contrainte économique, notamment celle du logement, est un facteur déterminant de cette tendance. Une enquête de l’ONU a montré que, dans le monde, le principal obstacle à l’accueil d’un enfant était dans 39 % des cas d’ordre économique. D’après une étude parue en 2024 dans The Lancet, seuls six pays continueront d’afficher un taux de fécondité supérieur à 2, soit au-dessus du seuil de renouvellement de la population, en 2100 – et ils ne seront que quarante-cinq pays sur presque deux cents dès 2050. La baisse de la natalité est bien une tendance mondiale.
Outre la diminution constante de la part du revenu disponible pour élever des enfants, on voit que les envies changent. Ainsi, les dernières données de l’Institut national d’études démographiques (INED) montrent que les Français privilégient de plus en plus un modèle de famille à deux, voire un seul enfant, au détriment d’un modèle à trois enfants ou davantage. Il existe certes un mouvement childfree et la proportion d’adultes ne voulant pas du tout d’enfant progresse, mais légèrement : cet élément n’est pas déterminant dans la baisse de la fécondité. C’est surtout le nombre d’enfants souhaités qui est en baisse.
L’enquête de l’INED intitulée « Les Français.es veulent moins d’enfants » met en lumière la diminution du nombre idéal d’enfants dans une famille, passé de 2,7 en 1998 à 2,3 à 2024. Mais entre 1998 et 2010 le taux de fécondité a progressé en France, jusqu’à atteindre deux enfants par femme. La baisse du désir d’enfants s’est donc accompagnée d’abord d’une hausse, puis d’une contraction de la fécondité. On peut penser qu’avant la crise des subprimes de 2008, la confiance en l’avenir nourrissait la fécondité malgré le repli du nombre d’enfants désirés.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. La politique migratoire est-elle adaptée au défi économique ? Vous avez affirmé que, rien qu’avec le scénario central de l’INSEE à 1,8 enfant par femme, il faudrait 620 000 personnes issues de l’immigration en 2070 pour maintenir le niveau de population en France – à comparer aux 70 000 de la moyenne actuelle !
M. Kevin Genna. Nous ne sommes pas spécialistes des questions migratoires et c’était une sorte d’exercice de conjecture. Il apparaît, du point de vue micro- plutôt que macroéconomique, que les besoins de main-d’œuvre de certains secteurs ne pourront pas être comblés par les seules naissances. Ainsi, l’augmentation de l’espérance de vie alimente le développement des Ehpad et des soins à domicile, domaine dans lequel les besoins vont exploser dans les vingt prochaines années. Or le secteur du care connaît une crise des vocations et le personnel est vieillissant. Le même constat peut être dressé pour d’autres filières, notamment industrielles. Un renouvellement du personnel et des compétences sera nécessaire, qui ne semble pas pouvoir être assuré par la population jeune actuelle.
Une politique d’immigration de travail devrait cibler les métiers en tension, actuellement et dans l’avenir. Les opérateurs d’Ehpad nous expliquent d’ailleurs qu’une grande partie de leur nouvelle main-d’œuvre est déjà issue de l’immigration. Pour cela, il faut orienter l’immigration vers les besoins. Si l’on met en relation le nombre de chômeurs et la population active disponible avec le nombre d’emplois vacants, on arrive à la conclusion que certains emplois sont difficiles à pourvoir. L’immigration peut être une variable pour combler ces manques de compétences. La question de savoir s’il est souhaitable de voir l’immigration dépasser 300 000, 400 000 ou 500 000 personnes est ouverte.
Mais l’immigration est une solution de court terme. En effet, elle n’existe que lorsque la population des pays de départ est en croissance. Sachant qu’en 2050, seulement une cinquantaine de pays conserveront un taux de fécondité supérieur à deux enfants par femme, on voit bien que la plupart des pays commenceront à se rétracter et à limiter l’émigration.
Par ailleurs, nous avons étudié la relation entre l’immigration et le taux de fécondité et sommes parvenus à la conclusion que, si les immigrées ont un taux de fécondité supérieur à celui de la population du pays d’arrivée, l’écart se comble dès la génération suivante : les enfants des immigrés n’ont pas plus d’enfants que le reste de la population. Ce n’est donc pas l’immigration qui nourrira le taux de fécondité.
M. Alain Villemeur. La fécondité des femmes nées à l’étranger est de l’ordre de 2,3 à 2,4 enfants : la différence avec les femmes nées en France n’est pas considérable. Ce n’est donc pas l’immigration qui augmentera la fécondité générale.
Se doter ou non d’un objectif de natalité est une question difficile. Le nombre d’enfants désirés, qui est stable depuis une vingtaine d’années – autour de 2,3 –, va probablement diminuer : les jeunes femmes et hommes âgés de moins de 30 ans ont un désir d’enfant plus faible – autour de 1,9 ou 2 –, ce qui ne risque guère de contribuer à stimuler la fécondité. Si nous ne faisons rien, le taux de fécondité de la France rejoindra plus ou moins vite celui de l’Italie car aucune force ne semble en mesure d’inverser ce mouvement lié à des éléments structurels comme l’augmentation continue du nombre de femmes diplômées.
La poursuite de la baisse de la natalité sera préoccupante pour l’économie. Elle aggravera les problèmes liés au vieillissement de la population. La situation italienne n’a rien d’enviable : la population active diminue et les besoins en main-d’œuvre de l’industrie et des entreprises ne peuvent plus être satisfaits sans faire appel à une immigration importante. Les conséquences de notre taux actuel de fécondité, à 1,6 enfant, sont maîtrisables, mais elles le seront beaucoup moins à 1,3. C’est la situation que connaissent l’Italie et le Japon, caractérisée, entre autres, par de faibles gains de productivité. Bien que possédant un taux de fécondité encore plus faible, la Corée du Sud s’en sort mieux grâce aux considérables investissements consentis dans les nouvelles technologies.
C’est donc maintenant qu’il nous faut lancer une politique de redressement de la natalité : plus on attend, plus l’effort sera difficile car les éléments défavorables sont nombreux. Aucun pays développé ou émergent – Japon, Corée du Sud, Chine – n’est parvenu à inverser la tendance malgré le déploiement de politiques familiales d’envergure. Le taux de fécondité sud-coréen est passé de 0,72 enfant par femme en 2023 à 0,75 enfant l’année suivante malgré des dépenses massives pour encourager les naissances. Il faut donc agir sans attendre, notamment en prenant, sans culpabiliser les couples, des mesures favorisant les jeunes générations.
M. Kevin Genna. Il y a sans doute lieu de conduire une politique de soutien à la natalité, mais il ne faut pas fixer d’objectif politique nataliste. Tous les pays qui se sont donné une cible de taux de fécondité ont échoué à l’atteindre. C’est le cas de la Hongrie tout comme de la Russie, dont le taux de fécondité est de 1,1 enfant malgré une politique très nataliste. L’histoire offre d’autres exemples de pareilles déconvenues. Les objectifs de natalité sont donc, de mon point de vue, contre-productifs. Ce qui est important, c’est de soutenir la capacité des couples à avoir des enfants afin que leur désir puisse se concrétiser.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Si j’ai bien compris votre propos, la politique familiale doit, pour relancer la natalité, se concentrer sur le deuxième enfant et les suivants car il n’y a pas de problème pour le premier enfant : est-ce bien cela ?
Est-il pertinent d’inciter les femmes à avoir leur premier enfant avant 30 ans si l’on veut qu’il y ait plus de familles à deux, trois ou quatre enfants ? Si oui, faut-il concentrer les dispositifs sur les femmes de moins de 30 ans ?
M. Kevin Genna. A priori, c’est en effet une approche pertinente. Le levier d’action principal est l’immobilier. D’après le portail Meilleurs Agents, un couple au revenu médian pouvait acheter, dans les grandes métropoles régionales françaises, un appartement de 50 mètres carrés en 2000, mais de seulement 32 mètres carrés en 2020. Dans 50 mètres carrés, on peut imaginer élever un ou deux enfants, mais c’est beaucoup plus difficile dans 32 mètres carrés.
Les politiques publiques sont essentielles pour que les familles puissent disposer de logements abordables. Aux États-Unis, la différence de fécondité est très marquée entre les couples propriétaires et locataires : les premiers parviennent bien davantage que les seconds à concrétiser leur désir de fonder une famille – sachant que, dans une économie très libérale, les loyers sont élevés et pèsent fortement sur le budget des ménages.
Il faut remarquer à ce propos que les jeunes vivent souvent dans des logements surpeuplés alors que les seniors habitent plutôt des logements sous-occupés. Il y a sans doute matière à agir pour mettre ces deux extrêmes en relation.
M. Alain Villemeur. Le logement a un effet considérable. Pour que la fécondité cesse de s’écrouler, il faut développer des politiques extrêmement actives en faveur des jeunes générations, que ce soit pour favoriser la location ou l’accès à la propriété. Il est inutile de développer des politiques familiales ambitieuses si rien n’est fait pour le logement. Il en va de même pour les inégalités de genre. Nous pensons qu’il est vraiment indispensable d’agir simultanément sur les trois leviers que nous avons identifiés. Il faut favoriser l’égale répartition des tâches ménagères, domestiques et éducatives ainsi que l’égalité salariale sous peine d’ôter toute efficacité aux politiques familiales, même les plus ambitieuses.
Mme Élisabeth de Maistre (DR). Vous avez beaucoup insisté sur le logement. À l’heure actuelle, près de 70 % des Français sont éligibles au logement social. Dans les villes en tension, la construction de logements sociaux est difficile, malgré une application active de l’article 55 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) qui permet de sanctionner les communes n’atteignant pas le taux de 25 % de logements sociaux dans leur parc de résidences principales.
L’article 55 se fonde sur le nombre de logements, indépendamment de leur superficie ; dans le calcul de l’amende que reçoivent les communes défaillantes, un appartement de type F1 compte autant qu’un F5. Cela ne favorise pas la participation des communes à l’acquisition et à la construction de logements sociaux pouvant accueillir des familles.
Vous avez indiqué que, pour répondre aux besoins des familles souhaitant avoir au moins deux enfants, ce sont surtout des aides au logement dans le domaine locatif qu’il faudrait privilégier. Dans ce contexte, une modification de l’article 55 de la loi SRU introduisant une pondération liée à la superficie des logements serait-elle une bonne chose ?
M. Kevin Genna. Cela pourrait être utile, mais marginalement, car l’intensité de la baisse de la natalité est hétérogène selon les départements et les régions. Il faudrait vérifier si les communes ne construisant pas de logements sociaux sont situées dans des zones en tension démographique ou non. Par ailleurs, le manque de logements sociaux est réel puisque 60 % à 70 % des foyers y sont éligibles, mais le parc privé lui aussi est insuffisant.
M. Alain Villemeur. Vous soulevez un vrai problème. Autre écueil, l’augmentation de l’espérance de vie allonge l’occupation de ces logements sociaux, au détriment des jeunes générations et des jeunes couples, qui y ont de moins en moins accès. Il y a un cercle vicieux défavorable aux projets familiaux. Il conviendrait donc de revoir globalement l’attribution des logements sociaux.
Mme la présidente Constance de Pélichy. Je note que l’amélioration du parcours résidentiel au sens large constitue un facteur de soutien à la natalité.
Dans certains de vos travaux, vous avez prôné la solidarité intergénérationnelle, qui implique une meilleure répartition des revenus entre les générations et une hausse des transferts financiers publics vers la jeunesse. L’approche générationnelle pourrait aider à résoudre les blocages de notre société – chômage, dépenses de santé, financement des retraites, etc. Quelles sont les conséquences de la baisse de la natalité sur l’approche générationnelle ? En quoi celle-ci peut-elle contribuer à relancer la natalité ?
M. Alain Villemeur. Cette question est aussi importante que délicate. Renforcer la solidarité entre les générations est crucial. Celle-ci fonctionne bien en faveur des personnes âgées, dont les pensions de retraite et les dépenses de santé sont couvertes par l’ensemble des actifs et les jeunes générations. En revanche, la solidarité est moins développée dans le sens inverse – même si les grands-parents s’occupent de leurs petits-enfants ! Les seniors disposent, en général, d’un patrimoine considérable, lequel est transmis de plus en plus tardivement : on héritait dans les années 1980 vers 40 ou 45 ans, et autour de 60 ans désormais. C’est un changement considérable. La solidarité par l’héritage n’agit plus comme il y a cinquante ans : les jeunes n’ont plus ces ressources, ce patrimoine qui les aidait il y a un demi-siècle à réaliser leurs projets de vie, dont la fondation d’une famille. Voilà pourquoi nous insistons sur la nécessité d’aider davantage les jeunes générations sous toutes les formes possibles.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Vous êtes les premiers que nous auditionnons à identifier une cause fondamentale, si ce n’est principale, de la baisse de la natalité, en l’occurrence le logement. La politique publique dans ce domaine peut avoir, si on vous écoute, un impact significatif sur la natalité.
Faut-il mettre l’accent sur l’accompagnement et l’aide aux locataires – on pourrait modifier les dispositifs des aides personnelles au logement (APL), par exemple en instaurant une bonification pour les familles – ou convient-il d’encourager l’émergence d’une France de propriétaires, en nous concentrant sur le prêt à taux zéro – outil utile mais qui n’a pas été conçu pour stimuler la natalité – et sur les donations pour l’achat d’un appartement ? La loi de finances pour 2025 a créé un dispositif fiscal sur les donations des grands-parents à leurs petits-enfants achetant un appartement neuf : nous évaluerons cet instrument, qui pourrait être élargi aux logements anciens.
Bref, spontanément, quel serait votre choix : propriétaires ou locataires, fiscalité ou succession ?
M. Kevin Genna. Selon moi, il faut plutôt mettre l’accent sur l’aide aux locataires. Mais au-delà de la politique du logement, il y a tout l’à-côté : si un nombre croissant de personnes sont éligibles à un logement social, les enquêtes d’opinion et les études qualitatives montrent parallèlement l’existence d’un sentiment de déclassement chez certains de ceux – professeurs en collège ou en lycée, par exemple – qui sont contraints de vivre en HLM par manque de moyens. Il faut donc aider les locataires, notamment les jeunes, mais aussi faire en sorte qu’ils puissent trouver un logement plus en accord avec leurs aspirations – sachant qu’il y a un fossé entre celles-ci et les logements existants.
Il faut aussi garder à l’esprit qu’il y a des freins aux aides. Des études d’impact réalisées au sujet des APL ont montré qu’elles avaient servi, à hauteur de 88 %, à augmenter les loyers au profit des propriétaires plutôt qu’à baisser la charge pesant sur les locataires.
Il n’y a pas de recette magique pour aider les locataires, surtout dans les zones très tendues comme les grandes villes. Il faut aussi tenir compte du vieillissement de la population, un sujet sur lequel nous travaillons beaucoup. Le fait que les personnes âgées vieillissent mieux qu’auparavant – ce qui est une très bonne nouvelle – les conduit à quitter leur appartement plus tardivement, ce qui pèse sur le marché locatif : à Paris, celui-ci comptait 1 million de logements en 1945 contre 600 000 aujourd’hui, et il continue d’en perdre tous les ans !
Beaucoup de propriétaires expliquent la baisse du marché par l’obligation de restauration des passoires thermiques, qu’ils n’ont pas les moyens de réaliser, mais la baisse est aussi due à une rotation insuffisante des logements locatifs. Certaines personnes ne sont plus en mesure d’acheter un bien comme elles l’auraient été auparavant et ne lâchent donc pas celui qu’elles louent. Le parcours résidentiel des individus s’est enrayé. On quitte son logement locatif plus tard et l’on reste dans des logements plus petits ou plus insalubres.
Je ne dispose pas des chiffres concernant les autres grandes métropoles françaises, mais ceux de Paris montrent bien une baisse de l’offre face à une hausse de la demande – liée notamment à l’augmentation du nombre de familles monoparentales : là où il fallait un seul logement, il en faut deux. J’ajoute que, même si la population va commencer à décroître dans les années 2040-2045, elle est toujours en croissance aujourd’hui.
Il faut donc se pencher sur tout ce sujet du parcours résidentiel, de l’augmentation de la demande associée à la contraction de l’offre, et sur les questions liées au résidentiel locatif.
Mme la présidente Constance de Pélichy. Nous vous remercions pour ces pistes de travail intéressantes, que nous n’avions pas forcément envisagé d’explorer sous cet angle, ainsi que pour la grande qualité de vos propos.
La séance s’achève à midi dix.
Présents. – Mme Anne Bergantz, M. Thierry Frappé, Mme Élisabeth de Maistre, Mme Joséphine Missoffe, Mme Constance de Pélichy
Excusés. – M. Thibault Bazin, M. Philippe Bonnecarrère