Compte rendu

Mission d'information
de la Conférence des présidents
sur les causes et conséquences de la baisse de la natalité en France

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne-Cécile Violland, députée, et Mme Pascale Martin, ancienne députée, coauteures du rapport sur la santé mentale des femmes              2

– Présences en réunion.................................15


Jeudi
9 octobre 2025

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 10

session ordinaire 2025-2026

 

Présidence de
Mme Constance de Pélichy, présidente de la mission d’information
 


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La séance est ouverte à quinze heures cinq.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Il nous a semblé important, mesdames, de vous auditionner dans le cadre de notre travail d’analyse des causes de la baisse de la natalité. Vous nous direz dans quelle mesure la charge mentale des femmes peut avoir un impact significatif sur leur désir d’enfant et sur la réalisation de ce désir. Nous pourrons également évoquer ensemble les souffrances et troubles psychiques auxquels sont particulièrement exposées les jeunes filles et les femmes, ainsi que les insuffisances de leur prise en charge. Nous aurons enfin l’occasion de commencer à réfléchir à certaines recommandations que vous avez formulées dans votre rapport et qui pourraient avoir un impact positif sur la natalité.

Mme Pascale Martin, ancienne députée. Il convient d’aborder la question de la natalité non comme un problème comptable, mais comme un symptôme politique et social. La baisse des naissances ne traduit pas un défaut de volonté individuelle mais un épuisement collectif. La période que nous traversons montre d’ailleurs très bien que notre société ne donne plus envie de transmettre la vie. On peut ainsi considérer la baisse de la natalité comme le miroir d’un malaise social.

Je rappellerai quelques chiffres qu’ont sans doute déjà cités les personnes auditionnées ce matin. En 2024, 663 000 enfants sont nés en France ; c’est 21,5 % de moins qu’en 2010. La baisse de la natalité est donc incontestable. L’indicateur de fécondité est tombé à 1,62 enfant par femme, un plancher historique jamais atteint depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Ce serait une erreur que de réduire ce constat à un manque de patriotisme démographique. Les Françaises ne font pas moins d’enfants parce qu’elles seraient égoïstes ou désengagées, même si l’on entend parfois cette explication dans la bouche de certains et certaines. Elles en font moins parce qu’elles sont inquiètes, épuisées, surchargées et de plus en plus seules à porter le poids du soin. Des travaux menés à l’Assemblée nationale montrent aussi que les familles monoparentales ont besoin d’être accompagnées, car l’épuisement dont je parlais est encore plus marqué chez les femmes faisant face à cette situation. La natalité chute parce que la société est malade – malade de son rythme, malade de son isolement, malade de sa précarité. Dans ce malaise généralisé, la santé mentale devient un champ de bataille. Pour rester en bonne santé mentale, il faut faire des efforts – peut-être beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a quelques années.

Le lien entre santé mentale et désir d’enfant est politique. Les études de l’Institut national d’études démographiques (INED) et de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) montrent que près d’un quart des femmes en âge de procréer repoussent leur projet d’enfant par peur de ne pas tenir psychologiquement. Ce n’est pas une lubie individuelle, c’est un cri collectif. Les politiques néolibérales ont organisé la saturation mentale des femmes, qui supportent la double journée, le travail sous pression, les tâches domestiques invisibles, ainsi que les injonctions contradictoires à réussir et à materner parfaitement. Le résultat est là : les femmes sont épuisées avant même d’être mères – des mères isolées, culpabilisées, invisibilisées. Les couples sont fragilisés par le stress et la précarité. Il ne faut pas se tromper : cette crise n’est pas que féminine, les hommes sont aussi touchés par la dépression, l’anxiété et le sentiment d’impuissance face à un monde sans horizon. Mais les femmes en paient le prix le plus fort parce que c’est sur elles que repose la reproduction sociale – celle des enfants, mais aussi celle des liens, du soin, de la vie quotidienne.

Le capitalisme épuise les corps, la planète, et donc le désir d’enfant. Comment s’étonner que les jeunes générations hésitent à enfanter quand elles vivent dans un système qui détruit l’environnement ? De plus en plus de personnes sont atteintes du cancer – j’ai encore lu ce matin un article faisant le lien entre cette maladie et l’environnement. Ainsi, les jeunes générations vivent dans un système qui détruit l’environnement, précarise le travail, privatise les services publics et transforme la maternité en performance sous contrôle social. Je veux souligner ici le problème posé par les fermetures de maternités de proximité, qui fragilisent encore plus les femmes dans une période qui les rend déjà plus vulnérables.

L’angoisse écologique, la peur de l’avenir et l’éco-anxiété ne sont pas des troubles individuels. Ce sont des réactions saines à un monde rendu invivable par les logiques productivistes. Dans une étude publiée en 2023, près d’un tiers des jeunes Européens et Européennes évoquent l’éco-anxiété comme une raison de ne pas avoir d’enfant. Ce n’est pas un refus de la vie, c’est un refus du monde tel qu’il est organisé. Le déficit de natalité n’est pas une urgence biologique mais une alerte politique.

Je me méfie des discours alarmistes qui, au prétexte de redresser la natalité, préparent le retour du contrôle sur le corps des femmes. Nous devons être très vigilants à ce sujet, car l’histoire nous a appris ce que donnent les politiques natalistes autoritaires : elles font peser sur les femmes la responsabilité du redressement national tout en niant leurs droits reproductifs.

La vraie urgence, ce n’est pas qu’il y a trop peu d’enfants, mais que tant de femmes et d’hommes ne se sentent plus en état d’en avoir. Le véritable enjeu est donc de rendre la vie vivable, et non d’imposer la reproduction à tout prix. Il est de la responsabilité des parlementaires de mettre en œuvre une politique de la natalité fondée sur le soin et l’émancipation. Si nous voulons redonner envie de faire des enfants, il faut changer les conditions d’existence.

J’esquisserai quelques pistes, qui ne sont sans doute pas très originales car elles ont déjà été évoquées lors de précédentes auditions, notamment ce matin par les représentants de l’OCDE : un emploi stable et digne ; des logements accessibles ; des services publics de la petite enfance et de la santé mentale renforcés ; une égalité réelle dans le partage des tâches domestiques ; une société du soin où prendre soin de soi, des autres et du vivant n’est plus un luxe mais un droit. Surtout, il faut arrêter de penser la natalité comme une variable d’ajustement économique. Ce n’est pas à la démographie de sauver la croissance ; c’est à la politique de créer les conditions d’un monde où désirer un enfant n’est plus un acte de résistance.

La baisse de la natalité est un miroir qui nous renvoie l’image d’une société à bout de souffle, qui ne croit plus en elle. Répondre à ce défi, ce n’est pas inciter les femmes à procréer, mais changer le système et donc rompre avec le patriarcat, la précarité et le culte du rendement. La natalité ne se décrète pas ; elle se cultive dans la confiance, la solidarité et la dignité. Tant que nous n’aurons pas remis ces trois mots au cœur du projet politique, aucun chèque, aucune prime ni aucune campagne ne fera renaître le désir d’enfant.

Mme Anne-Cécile Violland, députée. Nous avons effectivement abordé la question de la santé mentale des femmes dans le cadre de la délégation aux droits des femmes, lors de la précédente législature.

Mme Martin l’a dit, et j’aurai l’occasion de le redire : le phénomène de la dénatalité, pour important qu’il soit, et même la question de la santé des femmes s’inscrivent dans un contexte très large qui ne se limite pas à leur dimension sexuée. Nos travaux ont mis en lumière une différence flagrante de prise en charge des problèmes de santé des femmes, et de santé mentale en particulier. Nous avons également identifié des périodes de vulnérabilité pour les femmes, l’une d’entre elles étant la période natale ou périnatale. Nous avons pu esquisser quelques pistes de travail afin de mieux les accompagner pendant ce moment où elles s’avèrent extrêmement fragiles. Il faut prendre en charge de manière spécifique la santé mentale des femmes, qui s’inscrit dans un système beaucoup plus global. En effet, l’une des révélations majeures de notre rapport est l’absence de prise en compte de la dimension féminine dans le traitement des problèmes rencontrés par les femmes en matière de santé mentale, et plus généralement de santé tout court.

Dans notre étude croisée de la santé mentale des femmes et de la baisse de la natalité, nous devons évidemment aborder les questions de la maternité, du désir de maternité et de la dépression du post-partum. Mme Martin l’a dit, on observe une prédominance de troubles anxieux et dépressifs chez les femmes en général, et chez les jeunes femmes en particulier, notamment depuis la crise du Covid. L’accompagnement des femmes lors de l’arrivée du premier enfant ou des suivants, et plus généralement pendant toute la période natale et périnatale, souffre également de certains manques. La question de la vie professionnelle entre évidemment aussi en jeu ; à ce sujet, nous pouvons esquisser quelques pistes d’amélioration qui vont, j’en conviens, au-delà de la question des soutiens financiers. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

Ce sujet se situe véritablement à la croisée de nos politiques sociales, économiques, culturelles et sans doute environnementales. Il pose la question de la place de la femme, de manière générale, dans la société, dans la vie des familles, dans nos démocraties et dans le modèle de développement que nous voulons suivre. En cela, il me semble essentiel de porter un regard vraiment global sur toute cette problématique.

Il est important d’accompagner les femmes en matière de soins lors des périodes clés que nous avons identifiées dans notre rapport : cela passe par la prévention, le dépistage et la prise en soins. Certaines difficultés se posent de manière incessante : je pense notamment à l’insuffisance de l’offre de soins et aux disparités territoriales dramatiques qui nous empêchent d’accompagner toutes les femmes de la même manière – certaines ne le seront d’ailleurs jamais. Il s’agit là de facteurs aggravants pour la santé des femmes, pour leur santé mentale et pour la natalité. C’est pourquoi nous avons conclu notre rapport en affirmant que la nécessaire prise en charge de la santé mentale des femmes conditionnait l’avenir de notre société. Si une maman n’est pas en forme, physiquement ou mentalement, cela se répercutera forcément sur sa manière d’élever et de prendre soin de son enfant. Cet impact sur la prise en charge globale de l’enfant montre bien la corrélation entre la santé mentale des femmes et l’avenir de notre société. C’est bien de cela qu’il s’agit lorsqu’on évoque la baisse de la natalité en France.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Peut-être pourriez-vous présenter un peu plus en détail certaines recommandations que vous avez formulées dans votre rapport. Il me paraît notamment intéressant de réfléchir à la façon de mieux concilier la préservation de la natalité avec le fonctionnement du monde du travail. C’est volontairement que je ne parle pas spécifiquement du travail des femmes, car c’est aussi l’amélioration des conditions de travail des hommes qui permettra aux femmes de mieux partager les charges domestiques et celles de la parentalité. Avez-vous pu étudier cet aspect, et quelles seraient vos recommandations en la matière ?

Mme Anne-Cécile Violland. Je vous rejoins quant à la nécessité de parler du travail en général. C’est d’ailleurs l’un des enjeux des travaux menés par la délégation aux droits des femmes : je ne cesserai de dire qu’il faut envisager l’égalité avec les hommes, et non contre eux. Cela passe aussi par une évolution de nos représentations de manière générale.

En introduction, madame la présidente, vous avez évoqué la question de la charge mentale. Il s’agit là d’un élément essentiel dans l’analyse de l’évolution de la natalité. Dans le cadre de nos travaux, nous avons déterminé les âges clés pouvant constituer des périodes de vulnérabilité pour les femmes : outre la grossesse et la période périnatale, il y a bien sûr la puberté et la ménopause. Dans la vie d’une femme, la charge mentale fait figure de fil rouge. Ce n’est absolument pas une vue de l’esprit : tout cela est objectivé, documenté.

Les femmes ne sont pas plus fragiles psychologiquement parce qu’elles le seraient intrinsèquement : elles le sont en réalité parce qu’elles subissent une charge mentale beaucoup plus lourde que les hommes. Cela s’explique d’abord par la persistance de stéréotypes, qu’il convient de déconstruire en incitant nos jeunes filles ou nos jeunes femmes à envisager différemment leur place dans la société. Ainsi, on attend aujourd’hui d’une femme qu’elle prenne soin de l’autre, qu’elle s’investisse dans le care. Le soin apporté à ses enfants, à son compagnon ou à sa compagne, parfois même à ses collègues de travail, est vraiment inhérent à l’identité sexuelle féminine, que l’on a du mal à faire évoluer. Cela constitue une charge mentale importante, à laquelle s’ajoutent parfois une activité professionnelle plus ou moins prenante, un contexte de violences sexistes et sexuelles subies dans un cadre familial ou beaucoup plus large, du harcèlement professionnel et des éléments de précarité économique. Nous aurons peut-être l’occasion de reparler des familles monoparentales, qui représentent une famille sur quatre et dont le chef est, dans 80 % des cas, une femme. Quand on a une famille à charge et une activité professionnelle rapportant d’ailleurs un revenu bien inférieur à celui que touche un homme, on assume une charge mentale importante et on ressent une anxiété qui ne favorise ni la confiance dans la vie en général ni le désir d’enfant.

Les médecins doivent se montrer très vigilants. Nous préconisons d’ailleurs que tous les professionnels en contact avec des femmes – non seulement les médecins et les professions paramédicales, mais aussi les membres des forces de l’ordre et les assistants sociaux, par exemple – soient sensibilisés à cette problématique. Compte tenu de la prévalence des troubles, ils doivent se demander si la femme en face d’eux peut être atteinte de dépression ou victime de violences. Par certaines de nos recommandations, nous entendons généraliser ces préoccupations afin que les problèmes soient mieux diagnostiqués, mieux pris en charge, et que les femmes soient mieux accompagnées.

Les recommandations contenues dans notre rapport s’organisent autour de trois grands axes : « déconstruire les stéréotypes, lutter contre les inégalités, restaurer l’image de soi » en organisant des campagnes de sensibilisation portant notamment sur les spécificités de la santé mentale féminine et en prévoyant une éducation à l’égalité de genre et à la santé mentale dès l’école ; « former les professionnels et sensibiliser le public » en renforçant la formation initiale et continue des médecins, des infirmiers et des sages-femmes, en développant des outils de dépistage précoce et en informant les femmes sur les signes de souffrance psychique ; « prévenir, dépister, prendre en charge » en améliorant l’accès aux soins ainsi qu’en assurant une prise en charge post-natale, un accompagnement du deuil périnatal et un soutien psychologique face à toutes les souffrances que les femmes peuvent rencontrer dans leur vie.

Nous nous sommes également penchées sur les addictions qui peuvent toucher les femmes en souffrance.

J’évoquerai peut-être tout à l’heure le lien entre le travail et les femmes.

Mme Pascale Martin. J’insiste moi aussi sur le fil rouge de la charge mentale qui pèse particulièrement sur les femmes tout au long de leur vie, notamment aux étapes clés que nous avons repérées.

Dès le plus jeune âge, il convient de déconstruire les stéréotypes pour que les enfants intègrent le fait qu’il y a une égalité réelle entre les filles et les garçons. À l’adolescence, cependant, on constate malheureusement que tous les stéréotypes se mettent en place, malgré la politique de prévention appliquée à tous les niveaux, tant dans les familles qu’à l’école ou dans les institutions périscolaires – chacun y travaille, avec plus ou moins de professionnalisme car tout le monde ne dispose pas de tous les outils nécessaires. Il me semble en tout cas que la société valide l’idée selon laquelle la charge mentale repose sur les femmes. Nous n’avons pas encore atteint l’égalité. Je n’ai pas envie de dire qu’il faudrait un partage égal de la charge mentale, car il convient avant tout d’alléger cette dernière et de faire en sorte que, pour les femmes comme pour les hommes, la vie quotidienne soit facilitée, fluidifiée.

Que se passe-t-il quand un couple a un désir d’enfant et qu’il parvient à réaliser son projet ? Ce premier enfant focalise toute l’attention des parents, si bien que ces derniers ont beaucoup de mal à envisager l’arrivée d’un deuxième enfant et qu’ils finissent par y renoncer. Aussi faudrait-il peut-être réfléchir, comme je le disais tout à l’heure, à des politiques publiques qui facilitent l’organisation de la vie quotidienne à la naissance d’un deuxième enfant, voire d’un troisième. Je le répète, beaucoup de couples renoncent à avoir un deuxième enfant car l’éducation du premier leur paraît déjà insurmontable – cela les épuise, et ils n’y arrivent pas.

Cet épuisement est lié au fait que le travail est encore très pénible dans de nombreux secteurs, notamment dans ceux où travaillent les femmes. Je vis dans un département rural, où la population est assez âgée et où beaucoup de femmes occupent des emplois d’aide à domicile ou travaillent dans le domaine du soin. Je me demande comment elles font pour assumer toute la charge qui leur revient, car leurs horaires de travail ne sont absolument pas adaptés à une vie sereine. Elles courent d’un endroit à l’autre, et la situation est encore pire pour les femmes seules ayant des enfants. En fait, la gestion du temps est extrêmement compliquée. Si l’on ajoute à cela le faible niveau de leur salaire, ces femmes se disent qu’il n’est pas possible d’avoir un autre enfant parce que les choses ne sont pas adaptées au travail.

Quant aux femmes occupant un poste d’encadrement, non seulement elles sont confrontées au même problème, mais elles font aussi parfois passer leur carrière professionnelle avant leur vie personnelle. On sait que, de manière générale, les femmes ont maintenant un désir d’enfant plus tard qu’il y a quelques années. L’enfant est donc programmé, en quelque sorte – ce qui est assez choquant –, et parfois il ne l’est même pas du tout : les femmes renoncent à la maternité au motif qu’elles doivent mener leur carrière professionnelle.

Si nous commencions à organiser le monde du travail de sorte que les femmes et les hommes ne rentrent pas trop tard et aient la possibilité de s’occuper de leurs enfants – comme le font d’autres pays d’Europe, en particulier d’Europe du Nord –, les couples pourraient peut-être envisager plus sereinement l’arrivée d’enfants.

Je ne reviendrai pas sur les préconisations contenues dans notre rapport, que Mme Violland a déjà présentées.

Mme Anne-Cécile Violland. J’ajoute que le taux de suicide des jeunes mamans est élevé – c’est même la première cause de mortalité chez les femmes dans l’année qui suit la naissance d’un enfant. Cela montre à quel point la maternité est un événement bouleversant pour les femmes ; aussi serait-il intéressant de les accompagner et de leur expliquer ce que ce changement peut entraîner du point de vue psychologique. Certaines choses existent déjà – je pense notamment aux consultations prénatales et post-natales, aux accompagnements prévus par la protection maternelle et infantile (PMI), ou encore aux échelles d’évaluation de la dépression du post-partum. Quoi qu’il en soit, cette période s’avère très dangereuse et peut même susciter de vraies psychoses : la dépression du post-partum n’est pas une simple anxiété, mais une véritable maladie psychiatrique dont il est parfois très difficile de sortir.

J’en reviens à la question du travail. Lorsque les femmes sont véritablement arrivées sur le marché du travail, entre les années 1950 et les années 1970, prévalait un modèle économique et social masculin qui n’était pas forcément adapté à des mères de famille. On a alors observé une baisse de la natalité. En effet, les femmes disposaient d’un temps réduit pour les grossesses et l’éducation des enfants ; elles devaient assumer des doubles journées, entre leur travail salarié et leurs charges domestiques ; elles bénéficiaient de peu de congés maternité, disposaient d’un nombre insuffisant de crèches – c’est toujours le cas aujourd’hui – et devaient supporter une inégalité salariale et professionnelle forte. Nous avons fait beaucoup de progrès en faveur de l’égalité, même si la situation n’est pas encore parfaite, notamment pour ce qui est des salaires ; c’est pourquoi nous recommandons, par exemple, une évaluation et un renforcement de l’index Pénicaud dans les entreprises. Nous pouvons aller encore plus loin.

Ces évolutions s’inscrivent dans le cadre d’un nouveau contrat social, car on peut constater que le lien entre le travail des femmes et la fécondité a évolué. Il n’y a pas de fatalité à opposer le travail à la natalité. Les pays scandinaves, notamment la Suède et la Norvège, connaissent à la fois un niveau de fécondité très élevé et un fort taux d’emploi féminin. À l’inverse, des pays comme l’Italie, l’Espagne ou la Corée du Sud affichent un taux de natalité très bas en même temps qu’une faible égalité professionnelle.

Ce n’est donc pas le travail des femmes qui freine la natalité, mais plutôt l’absence d’une politique de conciliation efficace. Pour y remédier, on peut trouver des leviers d’action intéressants.

Il convient d’abord de faciliter la garde d’enfants en favorisant l’accès aux crèches, en adaptant les coûts de ce mode de garde et en s’assurant que ces établissements couvrent bien l’ensemble du territoire, car les disparités géographiques sont énormes.

Il faut aussi réorienter nos politiques publiques dans le sens d’une répartition équitable des congés parentaux, afin de ne pas faire peser que sur la mère la « préoccupation maternelle infantile », un concept psychologique certes juste mais qui gagnerait à être mieux partagé – d’ailleurs, certains pères ne demandent que cela ! La femme ne doit plus être contrainte d’interrompre sa carrière professionnelle pour laisser la place à l’homme.

On pourrait aussi aborder la question de la souplesse et de la qualité du travail. On a déjà fait beaucoup d’efforts en matière d’adaptation des horaires et même de télétravail ; il serait également possible d’envisager l’instauration d’un temps partiel qui ne pénaliserait pas les carrières, et peut-être même une valorisation des compétences en dehors d’un travail salarié – je pense notamment aux personnes qui s’investissent dans des activités bénévoles. Encore une fois, plus que jamais, il faut agir en faveur de l’égalité salariale. On sait que les carrières des femmes sont de moins bonne qualité à partir du moment où elles font des enfants ; nous devons donc réfléchir à la façon de concilier de vraies ambitions professionnelles assumées avec une maternité ou un désir d’enfant tout aussi assumé.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Je vous remercie pour la qualité de vos travaux, la profondeur de votre rapport et la richesse de vos propositions.

Vous l’avez dit, la santé mentale est un enjeu large de nos politiques publiques, un impératif politique, social et sanitaire. Si nous nous y intéressons aujourd’hui du point de vue de la natalité, nous n’entendons pas pour autant nier le caractère systémique des problèmes de santé mentale rencontrés par les femmes.

Le postulat de départ de notre mission d’information n’est pas qu’il faut reprendre le contrôle sur le corps des femmes, nier leurs droits reproductifs, et encore moins faire en sorte que toutes les femmes aient des enfants. Il y a cependant un premier constat qui est clair et que vous avez vous-même évoqué, madame Martin : alors même que la baisse de la natalité est un problème important pour notre pays, on observe aujourd’hui un décalage entre le désir de maternité et l’indice de fécondité. À cela s’ajoute un deuxième constat : si la baisse de la natalité touche toutes les catégories de la population, les classes moyennes sont celles qui décrochent le plus. Quelles que soient nos opinions quant à l’importance de relancer la natalité ou de mettre en œuvre des politiques natalistes, il nous revient au moins de répondre à ces deux problèmes qui, je pense, nous réunissent tous ici.

Vous paraît-il évident qu’une meilleure prise en charge de la santé mentale des femmes aurait un impact direct sur la natalité ou n’est-ce qu’une partie du problème ? Le cas échéant, quelles recommandations, parmi celles que vous avez formulées, auraient un effet direct sur la natalité ?

Quelles recommandations de votre rapport – concernant, donc, la santé mentale – pourraient contribuer à lever les freins à la décision d’avoir un premier enfant – l’indice d’infécondité étant, on le sait, en hausse ?

À quelles conditions le congé parental pourrait-il exercer un effet sur la natalité ? Devrait-il être plus court, mieux rémunéré ? Faut-il imposer un partage égal entre le père et la mère ou, au contraire, leur laisser une grande liberté ? Le congé parental dure actuellement deux ans, ce qui signifie que les familles sont obligées de trouver une solution de garde pour la troisième année. On peut en déduire qu’il n’a pas d’effet immédiat sur la natalité ou, du moins, que les familles n’y recourent pas dans cette perspective.

La maternité et le post-partum sont-ils le moment où les femmes sont le moins bien accompagnées sur le plan de la santé mentale, ou observe-t-on une faillite collective à tous les âges de la vie ?

Ma dernière question a une dimension plus politique. L’État et, plus largement, les politiques ne se sont pas fixé un objectif explicite de soutien à la natalité. Par ailleurs, les familles ont été, d’une certaine manière, invisibilisées : on ne parle plus des mères mais des femmes, sous l’effet du combat – essentiel, au demeurant – pour l’égalité entre les sexes. Cela expliquerait-il l’absence de mesures d’accompagnement des mères ?

Mme Pascale Martin. Des maternités de proximité ferment – le problème est massif dans ma région, en Nouvelle-Aquitaine –, ce qui est un facteur de stress supplémentaire pour les femmes, bien que les agences régionales de santé (ARS) proposent des solutions telles que des séjours à l’hôtel. Cela étant, la maternité est, de mon point de vue, relativement bien accompagnée sur le plan physique : on vérifie que tout va bien pour la mère et pour l’enfant par l’évaluation de nombreux paramètres. Sur le plan psychologique en revanche, comme le montrent les témoignages de jeunes futures mamans ou de mères venant d’avoir leur bébé, on n’explique pas assez aux femmes ce qu’il se passe dans leur corps et dans leur tête lorsqu’elles sont en train de devenir mères – entre le moment où elles ont leur désir d’enfant et celui où l’enfant paraît. Les femmes sont insuffisamment accompagnées pour faire face à un tel tsunami. Une préconisation pourrait être de se préoccuper davantage de l’ensemble de ces manifestations.

Cela m’amène à évoquer le manque cruel de soignants et de soignantes auquel nous sommes confrontés dans notre pays. J’ai pu constater lorsque j’ai visité, en tant que députée, la maternité de l’hôpital public de Périgueux que les sages-femmes accomplissaient un travail extraordinaire, mais qu’elles étaient trop peu nombreuses. Il en va de même des pédiatres, qui, à un moment donné, étaient si peu nombreux qu’il a fallu fermer la maternité quelques jours. Cela a des répercussions non seulement sur les conditions de travail des soignants et des soignantes, mais aussi sur les femmes, qui vivent des moments à haut risque et subissent un stress inutile. Cela peut les conduire à une forme de désespoir, jusqu’au suicide.

Je voudrais également insister sur la question de la formation des professionnels de santé. Lorsqu’un soignant reçoit une femme, quel que soit son âge, il est nécessaire qu’il lui pose des questions, sans tabou, sur les violences conjugales, les violences sexuelles et sexistes, les violences intrafamiliales, etc. Encore trop peu de professionnels se sentent en mesure d’accompagner ce type de révélation. Je m’exprime là, également, en tant que militante dans une association féministe. J’ai encore accompagné des femmes, cette semaine, concernant la problématique du dépôt de plainte. Les soignants et les soignantes ont peur de ces questions. Je pense que, s’ils étaient mieux formés à ces aspects, ils sauraient emprunter, comme les militantes peuvent le faire, le chemin du questionnement et de l’accompagnement de la femme. Au lieu de cela, ils font parfois un peu l’autruche en se disant que la tempête va passer.

Il faudrait bien sûr parvenir à un congé parental égalitaire ; à défaut, la charge mentale continuera de peser sur les femmes. On pourrait laisser une forme de liberté, mais cela fait courir le risque que ce soit la mère qui prenne le congé tandis que le père continue sa vie professionnelle – je prends ici le cas d’une famille hétérosexuelle. Ce sont des éléments à prendre en compte si l’on veut vraiment que l’enfant soit accompagné par les deux parents.

Mme Anne-Cécile Violland. Le désir d’enfant a des causes multiples. La hausse du coût de la vie, notamment du logement, est un élément souvent mis en avant pour expliquer la difficulté qu’ont les couples à se projeter dans une famille plus grande, et en particulier à se décider à avoir un deuxième enfant. Il faut également prendre en considération la précarité qui peut affecter les familles.

On observe un report de l’âge auquel les parents, en particulier les mères, ont leur premier enfant. Les jeunes femmes recourent de manière croissante à la congélation des ovocytes. Il existe, en la matière, des différences d’accès ; les femmes sont nombreuses à se rendre en Espagne, ce qui mériterait d’être questionné. Cette tendance est révélatrice de la manière dont les femmes se projettent dans l’avenir, laquelle peut s’expliquer par des raisons variées, professionnelles comme personnelles – parfois, les femmes ne sont tout simplement pas en capacité d’accueillir un enfant. Cela pourrait représenter une lueur d’espoir, car ce choix témoigne de la volonté d’avoir un enfant, dont la concrétisation n’est que différée.

Il conviendrait de renforcer nos politiques publiques en matière de garde d’enfants et de soutien à la parentalité.

On constate, chez les jeunes filles et les jeunes femmes, une difficulté, voire une impossibilité à se projeter dans la création d’une vie dans le contexte environnemental que l’on connaît. Il faut travailler sur cette question de l’éco-anxiété.

La maternité n’est pas, à mes yeux, la période au cours de laquelle la femme est la moins bien accompagnée. En revanche, comme on l’a constaté lors de l’élaboration de notre rapport, elle est révélatrice de nos insuffisances en matière de prévention, de dépistage et de prise en soins. Nos politiques publiques, notamment dans le domaine de la santé, ont péché par un défaut de prévention. On a privilégié trop longtemps le court terme. Il faut développer une vision, en commençant par identifier les problématiques de santé mentale. Certes, nous manquons de praticiens. Nous souffrons d’une pénurie de médecins et d’infirmières au sein des établissements scolaires. Toutefois, idéalement, cela aurait du sens que ces professionnels soient présents dans les écoles dès la maternelle afin que les diagnostics soient posés au plus tôt. La survenue d’une dépression peut en effet trouver sa source dans un parcours de vie. La maternité peut être, évidemment, un déclencheur de la dépression, mais celle-ci s’inscrit parfois dans un contexte préexistant. Plus tôt on prend en considération ces éléments, plus tôt on pourra accompagner la personne et agir à titre préventif.

Un autre facteur d’explication de la situation actuelle tient à la manière dont une femme, ou une petite fille, se construit. Une fois que la maman a pris soin de tous les membres de la famille et, potentiellement, de l’entourage professionnel, il ne lui reste parfois plus d’énergie pour aller consulter – cet aspect des choses revient très régulièrement : elle n’y va pas par pudeur, par automatisme, par oubli de soi… Il lui est parfois impossible d’être dans quelque chose qui serait de l’ordre de la plainte ou, en tout cas, qui pourrait être vécu comme tel – alors que ce n’est pas évidemment pas toujours le cas.

Chacun doit pouvoir s’approprier sa part de maternité ou de paternité. Mon expérience de psychologue me montre que, parfois, on est allé un peu trop loin dans la volonté de réaliser l’égalité entre les hommes et les femmes. Cette égalité ne signifie pas que l’on doit gommer les différences et que le papa doit être une maman bis. Si l’on fait cela, on se trompe, comme je l’ai constaté lors de mes consultations. Il arrive que des hommes ne se retrouvent plus dans leur rôle parce qu’ils essaient de « faire comme », alors qu’ils ne sont pas faits pour cela. Un père a ses propres qualités. Il faut simplement l’accompagner pour faire naître en lui le sentiment de paternité de la manière la plus équilibrée possible, la plus juste pour lui.

Si je caricaturais, je dirais qu’on a parfois l’impression que la maman a juste, que le papa a faux et que celui-ci doit faire comme la maman. On sait pertinemment que c’est plus compliqué que cela et que des pères savent très bien y faire, fort heureusement, parfois même quand ils sont seuls. Je ne suis donc pas du tout favorable à ce que les deux parents soient contraints de prendre un congé parental. Soumettre à une telle obligation quelqu’un qui n’a pas les compétences – paternelles ou maternelles – nécessaires pourrait se révéler dramatique et avoir des conséquences délétères pour l’enfant. Nos politiques publiques doivent accompagner ce dispositif, mais dans le respect de la volonté de chacun.

Notre combat en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes nous a peut-être conduits, dans une certaine mesure, à invisibiliser les mères, ou du moins à oublier cette dimension. Il faut se demander comment on peut replacer la maternité et la paternité dans les considérations et les enjeux liés à l’égalité.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Je m’interroge sur les facteurs qui entretiennent et aggravent la charge mentale. Les travaux que j’ai menés avec Thibault Bazin dans le cadre de la mission d’information sur les congés parentaux ont mis en lumière un phénomène dont on parle passez peu lorsqu’on évoque ce dispositif, mais qui m’a beaucoup frappée : je veux parler de la différence fondamentale de la situation des hommes et des femmes. Celle-ci est le fruit des politiques publiques et, en particulier, du caractère obligatoire ou facultatif de la garde des enfants. Une femme salariée enceinte n’a évidemment d’autre choix que de prendre son congé maternité mais, lorsque l’enfant est là, des dispositifs présentés comme facultatifs deviennent très souvent obligatoires pour la mère, ce qui n’est pas le cas pour le père. Seul un tiers des congés parentaux résultent d’un choix délibéré du parent concerné. Or, dans 97 ou 98 % des cas, ils sont pris par les mères, pour toutes les raisons, notamment économiques, que l’on a évoquées.

En mettant ces éléments bout à bout, on est conduit à s’interroger sur le rôle que jouent ces dispositifs dans la charge mentale de la mère. Le père peut faire le choix de se consacrer à son travail parce que la pression de la société n’est pas de même nature le concernant. La mère, elle, ne reçoit pas du tout les mêmes injonctions, la même pression. On peut se demander dans quelle mesure cela influe sur sa charge mentale. Ce n’est peut-être pas sans lien avec le mal-être et le risque suicidaire que vous évoquiez.

Si l’on dispose de son corps et que l’on est libre de faire un enfant ou pas, il n’en reste pas moins qu’une fois l’enfant venu au monde, il y a une responsable, qui est toujours la mère. Nos politiques publiques entretiennent cela.

Si l’on soumettait les congés aux mêmes conditions, qu’ils soient pris par les hommes ou par les femmes – en prévoyant par exemple que, si la mère prend un congé de quinze jours, le père ou l’autre conjoint doit également prendre un congé de la même durée –, peut-être cela rééquilibrerait-il la charge mentale.

Mme Élisabeth de Maistre (DR). Dans le cadre de votre mission, avez-vous auditionné des femmes qui partageaient leur joie d’être mère et pas uniquement les difficultés qu’elles ont pu rencontrer ? Certaines ont-elles mis en avant le fait que devenir mère pouvait représenter un épanouissement personnel, leur donner de la fierté, voire, dans certains cas, un statut social et, peut-être, leur offrir une forme de continuité ? Nous nous demandons, dans le cadre de cette mission d’information, s’il faut mener une politique destinée à relancer la natalité. Les difficultés liées à la maternité sont réelles ; nous avons tous à cœur de travailler pour améliorer les conditions de celle-ci. Cela étant, ne faudrait-il pas mettre en avant l’aspect positif de la maternité, par exemple dans l’éducation que l’on transmet à l’école ?

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Au début des années 2010 est intervenu un grand changement. En effet, la Haute Autorité de santé a recommandé qu’en cas d’accouchement normal, la mère quitte la maternité au bout de trois jours, au lieu de cinq jours auparavant, et qu’en cas de césarienne, elle reste quatre jours, contre dix auparavant. Or ces délais de séjour avaient été établis pour créer du lien, y compris avec le papa, et surtout pour permettre à la mère de se reposer avant le retour à la maison. En effet, une fois rentrée chez elle, elle doit assumer la charge de la famille, tant sur le plan mental que physique, ce poids étant encore plus lourd lorsqu’elle a d’autres enfants. On constate que les baby blues sont beaucoup plus fréquents qu’avant. Le sentiment d’être dépassée, la fatigue arrivent très vite, d’autant plus que les grands-mères, pour la plupart, travaillent, ce qui n’était pas le cas avant. À l’hôpital, on est toujours pris entre le marteau et l’enclume – il faut faire sortir les gens plus vite, réduire les coûts… – mais le retour prématuré d’une femme a, me semble-t-il, des répercussions importantes. Vous êtes-vous penchées sur ce changement ?

Mme la présidente Constance de Pélichy. Pour reformuler la question du rapporteur sur les classes moyennes, le décrochage de la natalité est-il lié essentiellement à des aspects économiques ou peut-on considérer que la charge mentale ne s’exprime pas de la même manière selon la catégorie socioprofessionnelle à laquelle on appartient ? En effet, au sein de la classe moyenne, on a moins les moyens de se faire aider ; on ne dispose pas toujours des mêmes relais pour atténuer la charge mentale. Ce ne serait donc pas une question purement économique : des ressorts psychologiques pourraient expliquer le décrochage.

Mme Anne-Cécile Violland. Madame Thiébault-Martinez, nous n’avons pas mené d’auditions spécifiques sur le congé parental. Le fait que ce dispositif s’adresse aussi aux hommes et qu’ils puissent s’en saisir participe évidemment de la volonté de réduire la charge mentale des femmes.

Je suis très sensible à la question de la maltraitance des enfants. La littérature regorge de cas dans lesquels un parent qui se voit imposer un congé de paternité ou de maternité n’est pas en mesure de prendre soin de son enfant. J’ai cela à l’esprit, et c’est ce qui me fait dire qu’imposer un congé ne serait pas forcément une bonne solution. L’idéal, me semble-t-il – mais nos contraintes budgétaires ne le permettraient sans doute pas – serait d’inciter les parents à prendre leur congé ensemble. En effet, en règle générale, le couple se construit dans la conjugalité avant de faire l’expérience de la parentalité. C’est une période essentielle pour se construire en tant que père et que mère, et y trouver du plaisir. Cela étant dit, je reste ouverte à vos arguments, qui méritent réflexion.

Madame de Maistre, lors de nos travaux, nous avons notamment demandé aux personnes auditionnées en quoi la prévalence d’une véritable vulnérabilité psychique chez les femmes pouvait être un frein à la natalité. Nous sommes toutefois nombreuses à incarner une maternité heureuse. Les auditions d’associations comme Maman Blues ou SuperMamans France nous ont montré combien la solidarité, voire la sororité, peut aider à dépasser ses problèmes psychiques, à réduire – dans des proportions parfois considérables – sa vulnérabilité psychique au cours de la maternité. Nous avons reçu de nombreux témoignages dépeignant une maternité heureuse.

Madame Marais-Beuil, le retour prématuré à la maison est sans doute guidé par des nécessités économiques, mais il faut aussi permettre aux parents d’investir la relation avec leur enfant chez eux, dans leur intimité, afin de construire ce lien le plus rapidement possible. Des dispositifs existent – tel le suivi assuré par la PMI –, qui doivent certes être renforcés compte tenu des disparités territoriales persistantes. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas certaine que rester plus longtemps à l’hôpital aurait des effets positifs.

Je voudrais également dire un mot des familles, ce qui me permet de faire le lien avec votre question, madame la présidente. Des générations de mères ont élevé leurs enfants entourées de leur famille, qui formait un soutien essentiel. C’est bien moins le cas aujourd’hui : les familles sont moins présentes car elles sont plus éclatées et plus éloignées géographiquement. On peut certes trouver des substituts dans son entourage personnel, mais cela ne saurait remplacer la transmission. Une des difficultés à laquelle notre société est confrontée est la perte de la transmission des valeurs – sujet qui a sa place dans la réflexion sur le déclin de la natalité. Il faut se demander comment on peut entretenir quelque chose qui est de l’ordre de la valeur famille et continuer, dans des situations douloureuses, voire dramatiques, à faire famille – peut-être avec des gens qui ne sont pas de notre sang.

Le facteur économique joue un rôle majeur dans la mesure où la préoccupation matérielle quotidienne, la précarité accroît considérablement, à l’évidence, la charge mentale.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Avez-vous des données à ce sujet ?

Mme Anne-Cécile Violland. Je vais regarder ; nous devons avoir des éléments plus précis.

Dans la liste longue et documentée de la charge mentale des femmes figure évidemment la précarité, qui s’ajoute à leurs préoccupations permanentes.

La charge mentale ne s’exprimera effectivement pas de la même manière selon le milieu dans lequel on vit. Dans un milieu plus aisé financièrement et peut-être plus étayé socialement – il me paraît nécessaire de mobiliser les deux notions –, les conditions propices à une maternité sereine seront davantage réunies.

Mme Pascale Martin. Madame la présidente, nous n’avons pas étudié spécifiquement la question des classes moyennes dans notre rapport mais, dans le cadre de mon activité de sociologue, je me suis beaucoup intéressée aux violences économiques que subissent les femmes – lesquelles sont un facteur aggravant que l’on rencontre davantage dans les classes moyennes. Au sein des catégories socioprofessionnelles les plus favorisées (CSP+), on a bien plus la possibilité de se faire aider qu’au sein des classes moyennes, ce qui peut être un des facteurs qui conduisent les familles à décider de ne pas avoir d’enfant ou de n’en avoir qu’un. Or on sait qu’avec un seul enfant par femme, on ne pourrait rétablir la natalité.

Madame Thiébault-Martinez, les parcours professionnels sont parfois chaotiques ; beaucoup de salariés sont en CDD. Il arrive que, selon les périodes, ce soit le père ou la mère qui soit disponible pour prendre un congé parental. Il faudrait laisser cette liberté au père, à la mère ou au co-parent – dans le cas d’une famille homosexuelle. Il importe de laisser cette possibilité d’accompagnement de l’enfant. Nous nous étions dit que, dans le cas d’une famille monoparentale, il pourrait être intéressant d’ouvrir l’accès du congé parental à un membre de la famille – oncle, tante, grand-père, grand-mère, etc. Le champ des possibles est immense. L’essentiel est de bien accompagner l’enfant récemment venu au monde pour lui permettre de s’épanouir au mieux.

Madame de Maistre, heureusement, des millions de femmes sont contentes d’être mère, mais cela ne signifie pas qu’à un moment de leur nouvelle vie, qui doit être conciliée notamment avec leur vie professionnelle et personnelle, leur santé mentale ne peut pas être affectée. On peut, à certains moments, être heureuse d’être mère et, à d’autres, ne pas l’être face à l’amoncellement des difficultés. On peut même parfois regretter – passagèrement – d’avoir pris cette responsabilité. Les politiques publiques doivent essayer de prévenir et d’accompagner au mieux ces moments où il peut être difficile d’assumer le rôle de mère comme celui de père. Les pères ont en effet un rôle essentiel à jouer. Il faut identifier les moyens permettant à chacun de trouver sa place. Les choses ne sont pas linéaires : c’est tantôt le père qui sera plus présent, tantôt la mère, peu importe.

S’agissant de la durée du séjour en maternité, madame Marais-Beuil, on pourrait laisser le choix aux femmes. En effet, certaines veulent sortir très vite pour retrouver leur foyer tandis que d’autres sont inquiètes et préfèrent rester plus longtemps. On peut se demander pourquoi on a normé la durée du séjour en fonction du type d’accouchement : c’est une décision stupide, à mes yeux, car elle ne prend pas en compte la dimension humaine. On aurait tout à gagner à retrouver un peu d’humanité dans notre société.

Mme Anne-Cécile Violland. Je voudrais dire un mot de l’adoption, qui peut être une solution alternative à la maternité et à la paternité lorsqu’on n’a pas la possibilité d’avoir un enfant. La santé mentale joue, en ce domaine, un rôle essentiel. En effet, le vécu de l’enfant, en particulier les expériences de violence qu’il a éventuellement subies peuvent constituer un frein à l’adoption. Nos politiques publiques doivent travailler davantage sur la prévention, le dépistage et la prise en soins en surmontant l’obstacle que constituent les disparités territoriales.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Je vous remercie d’avoir participé à cette audition. Il était important à mes yeux que vos travaux contribuent à nourrir les nôtres et à enrichir notre réflexion.

La séance s’achève à seize heures quinze.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Élisabeth de Maistre, Mme Claire Marais-Beuil, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Constance de Pélichy, Mme Céline Thiébault-Martinez

Excusés. – M. Thibault Bazin, M. Philippe Bonnecarrère