Compte rendu

Commission d’enquête sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Nora Bussigny, journaliste...2

– Présences en réunion................................18

 


Mardi
21 octobre 2025

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 10

session ordinaire 2025-2026

Présidence de
M. Xavier Breton,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à dix-sept heures.

M. le président Xavier Breton. Nous allons maintenant auditionner Mme Nora Bussigny, journaliste d’investigation. Madame, vous avez récemment publié un essai intitulé Les nouveaux antisémites dans lequel vous dénoncez les liens susceptibles d’exister entre certains groupes d’extrême-gauche et des mouvements véhiculant un discours antisémite, notamment depuis le 7 octobre 2023. Vous constatez que ce discours est désormais repris par certains élus ou figures politiques de notre pays. Puisque nos travaux portent sur les mouvements islamistes en France et sur leur stratégie visant à nouer des liens avec des élus nationaux et locaux, nous souhaitons vous entendre sur les éléments que vous avez recueillis au cours de votre enquête.

J’aimerais, en préambule, formuler deux questions. Tout d’abord, la dérive antisémite des groupes d’extrême-gauche que vous dénoncez vous paraît-elle liée au conflit qui affecte le Proche-Orient depuis plus de deux ans ou trouve-t-elle d’autres fondements ? Ensuite, vous mentionnez le risque d’un rapprochement entre certains élus représentant des partis d’extrême‑gauche et des mouvements islamistes en vue des échéances électorales. Pourriez‑vous développer ce point ?

Je vous prie préalablement de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et vous invite, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « je le jure ».

(Mme Nora Bussigny prête serment.)

Mme Nora Bussigny, journaliste. J’ai effectivement publié un ouvrage intitulé Les nouveaux antisémites, fruit d’une enquête d’investigation comportant une partie en immersion menée sous couverture, puisque je n’ai pas révélé ma qualité de journaliste aux groupes militants et collectifs que j’ai côtoyés pendant près de deux ans. Parallèlement, j’ai recueilli plus d’une centaine de témoignages d’enfants, de professeurs, d’élus locaux, de militants et d’étudiants, qui m’ont décrit leur situation en tant que juifs et non-juifs depuis le 7 octobre en France, mais également à l’Université libre de Bruxelles et sur le campus de Columbia aux États-Unis.

Concernant votre première question, nous constations déjà, avant le 7 octobre, une fragmentation des mouvements d’ultragauche en France, certains collectifs se consacrant à l’écologie radicale, d’autres à l’opposition aux forces de l’ordre et d’autres encore aux luttes décoloniales. Avant d’enquêter sur l’antisémitisme, j’étais persuadée, ainsi que je l’explique dans l’avant-propos de mon ouvrage, que la convergence des luttes, objectif central pour les militants, s’articulait autour d’un ennemi commun qui serait le policier, ce que nous avons notamment constaté lors du décès du jeune Nahel Merzouk pendant les émeutes de 2023. Les banlieues se sont embrasées autour d’une opposition aux forces de l’ordre, mais cette colère n’a pas perduré et, afin de maintenir une convergence de luttes et de fédérer les différents mouvements militants, il fallait trouver un ennemi commun plus durable. Le 7 octobre a apporté cet ennemi à travers la figure du juif, ou plutôt du sioniste, qui a permis de rassembler toutes ces luttes fragmentées autour d’une prétendue cause palestinienne, instrumentalisant une empathie légitime pour les civils palestiniens au prétexte de véhiculer un message de soutien au terrorisme. Je précise que j’ai tenu, dans mon enquête, à distinguer clairement l’apologie du terrorisme et le soutien aux groupes armés du soutien aux victimes civiles palestiniennes.

Étudier l’ultragauche permet de réaliser qu’elle partage une caractéristique commune avec l’islamisme, qui est la détestation de l’État et le rejet des institutions démocratiques. J’ai ainsi voulu mettre en lumière de nombreux collectifs qui, dès le 7 octobre, se sont soit créés, soit unis autour d’un discours prétendument décolonial constituant en réalité un soutien à ce qu’ils appellent la « résistance sous toutes ses formes », autrement dit la résistance armée, à savoir le Hamas, mais aussi et surtout le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), organisation reconnue comme terroriste et ayant participé au massacre du 7 octobre. Au cours de mon enquête, j’ai notamment été confrontée à Samidoun, collectif qui, bien qu’il ne soit pas considéré comme une organisation terroriste en France, est reconnu comme tel dans de nombreux pays et constitue le fil conducteur de mon ouvrage. Je les ai identifiés aux ÉtatsUnis, à Bruxelles, mais surtout en France, où ils bénéficient de salles municipales et du soutien de partis politiques français. Samidoun est la façade du Front populaire de libération de la Palestine, également connu sous le nom de Palestinian Prisoner Solidarity Network, collectif créé en 2012 et qui avait déjà attiré l’attention de plusieurs pays dès 2022 pour avoir organisé des rassemblements appelant à « vaincre l’Europe, les États-Unis et Israël à coups de kalachnikov, de roquettes et de balles ». Depuis le 7 octobre, ils diffusent en France, notamment auprès des jeunes et des partis politiques, un discours d’engagement en faveur de la lutte armée, tout en adoptant une posture encore plus radicale à l’Université libre de Bruxelles où je me suis rendue, avec pour objectif de mettre en place ce qu’ils nomment une « intifada » au sein des campus universitaires.

Ainsi, pour répondre précisément à votre question, si des prémices existaient avant le 7 octobre, cette date a véritablement constitué un catalyseur pour ces collectifs.

M. le président Xavier Breton. Vous évoquez le risque d’un rapprochement entre certains élus ou représentants de partis d’extrême-gauche et des mouvements islamistes. Pourriez-vous développer ce point, notamment dans la perspective des prochaines échéances électorales ?

Mme Nora Bussigny. Je souhaite en premier lieu évoquer Houria Bouteldja, figure emblématique de la lutte décoloniale en France, sur laquelle j’ai mené une investigation approfondie, et qui a cofondé le Parti des indigènes de la République, publié des ouvrages extrêmement controversés et été accusée à plusieurs reprises d’antisémitisme pour ses positions. Dès 2024, elle publiait sur son site QG décolonial un article intitulé « Garder la tête froide, rester stratège, définir les objectifs à court, moyen et long terme, gagner en rapport de force, viser 2027 » dans lequel elle expliquait qu’il est crucial, pour faire avancer leurs causes, d’investir les partis politiques. Comme l’a démontré mon enquête, Houria Bouteldja n’est pas isolée dans cette stratégie puisque le militant prédicateur Elias d’Imzalène, jugé pour apologie du terrorisme après avoir appelé à faire « une intifada de Paris à Gaza », et qui a fait appel de la décision de justice rendue récemment, affirmait dès 2022, aux côtés d’un autre activiste, Wissam Xelka, que les élections à venir constituaient une opportunité déterminante. Ils préconisaient ainsi, élément essentiel pour comprendre les dynamiques électorales, d’identifier leurs potentiels alliés, de les positionner stratégiquement et de les radicaliser progressivement. Dans cette citation précise, qui est détaillée dans mon ouvrage, il faisait référence au parti La France insoumise et spécifiquement à M. Jean-Luc Mélenchon.

La question des élections municipales revêt une importance capitale dans l’analyse de ces figures militantes et nous observons aujourd’hui une structuration organisée à l’échelle nationale. Dans le cadre de mon enquête, j’ai mené des investigations dans plusieurs métropoles françaises, constatant que ces militants concentrent particulièrement leurs efforts sur la Génération Z, née après 1995, qui constituera une partie significative des primo-votants lors des municipales de 2026. Leur stratégie consiste à présenter la cause palestinienne comme universelle et à la transformer en enjeu électoral déterminant.

Pour les besoins de cette commission, j’ai recensé plusieurs personnalités, principalement issues de La France insoumise mais pas exclusivement qui, au niveau municipal, ont soit apporté leur soutien à des organisations dissoutes, soit tenu elles-mêmes des propos relevant de l’apologie du terrorisme. Souhaitez-vous que je vous expose ces éléments dès maintenant ?

M. le président Xavier Breton. Vous pouvez effectivement en présenter un aperçu, puis nous approfondirons si nécessaire.

Mme Nora Bussigny. Dans le cadre de cette enquête, j’ai pu observer des collectifs tels qu’Urgence Palestine, actuellement en procédure de dissolution par le gouvernement. L’un de ses porte-parole, Omar Alsoumi, lors d’un rassemblement où je menais une observation immersive, exhortait les manifestants à constituer « un déluge d’Al-Aqsa en France », expression qui désigne précisément l’attaque terroriste du 7 octobre et apparaît récurrente dans les discours militants. Également employée le 7 octobre 2025 par le collectif antifasciste Gale, normalement dissout, cette terminologie se retrouve également dans de nombreuses boucles Telegram liés au régime de la République islamique d’Iran. Mon confrère Emmanuel Razavi, avec lequel j’ai étroitement collaboré pour mon ouvrage, pourra approfondir ce sujet lors de son audition.

Concernant les personnalités ayant tenu des propos liés à l’islamisme, je peux notamment évoquer le cas d’Aly Diouara, candidat LFI dans la cinquième circonscription de Seine-Saint-Denis qui, dès décembre 2022, avait manifesté son soutien à Hadama Traoré, défenseur du terroriste Mickaël Harpon, responsable de l’attentat à la préfecture de police en octobre 2019. Il a également soutenu, le 14 octobre 2022, l’association dissoute Baraka City et apporté son appui à Idriss Sihamedi, prédicateur frériste proche d’une figure du Hamas, Mohamed Hassan ould Dedew, qu’il n’a pas hésité à soutenir publiquement en 2022.

M. le président Xavier Breton. Il est certes pertinent, madame, d’illustrer votre propos par des exemples, mais sans nécessairement procéder à une identification nominative systématique. L’essentiel réside dans la démonstration de l’existence de ces situations et leurs caractéristiques et je vous invite donc à évoquer ces cas sans désignation nominative précise. Nous disposerons ensuite des informations détaillées et déterminerons leur traitement dans le cadre de la publication du rapport. À ce stade, l’important est d’examiner les mécanismes de ces liens potentiels.

Mme Nora Bussigny. Je ne procéderai pas à une énumération nominative systématique mais je tiens à rappeler que mon enquête repose sur une immersion directe et que j’ai donc personnellement rencontré des députés lors de manifestations auxquelles j’ai participé.

M. le président Xavier Breton. Je réitère notre objectif, qui consiste à comprendre les phénomènes. Les noms sont disponibles dans votre ouvrage pour qui souhaite les connaître mais cette commission d’enquête vise à analyser des mécanismes et non à pointer du doigt des personnes spécifiques. Je vous invite donc à poursuivre dans cette perspective.

Mme Nora Bussigny. Dans cette optique, je vais donc plutôt mettre en lumière des situations où des militants d’ultra-gauche, et particulièrement des individus tenant un discours islamiste ou entretenant des liens avec des organisations terroristes, ont pu bénéficier pour ce faire d’un accès privilégié à des salles municipales.

Dans mon ouvrage, comme dans le précédent, je consacre un développement substantiel à la Semaine décoloniale, manifestation qui se déroule chaque année dans une salle municipale d’Ivry-sur-Seine. Cette année, y ayant assisté anonymement, j’ai personnellement pu constater une intensification préoccupante du phénomène. Cette soirée était coorganisée par Urgence Palestine et Samidoun et, à ce moment précis, nous attendions une confirmation concernant le sort de Yahya Sinwar, l’un des dirigeants du Hamas, son statut incertain plongeant les militants dans une profonde anxiété. Lorsque son décès a été confirmé, un hommage lui a été rendu dans l’enceinte même de la salle municipale. Le porte-parole de Samidoun, Adèle, que je cite dans mon livre et que l’on retrouve fréquemment dans d’autres espaces municipaux, était présent pour soutenir notamment M. Elias d’Imzalène, aux côtés d’un député de La France insoumise et de collectifs tels que Les Soulèvements de la Terre, mouvement écologiste radical. Durant la Semaine décoloniale de 2024, Leïla, l’une des porte-parole d’Urgence Palestine, avait proclamé : « L’essence même de la résistance : vous tuez dix de nos hommes pour chacun des vôtres que nous tuerons, mais c’est vous qui finirez par vous lasser. Vous éliminez un chef qui tombera en martyr et nous aurons dix autres candidats. Dix combattants martyrs tomberont, mille autres se lèveront. Vous pouvez tuer la tête, vous ne couperez pas la résistance de son sol, les Palestiniens résisteront jusqu’au bout. » L’intégralité de ce discours, prononcé dans une salle municipale, est reproduite dans mon ouvrage.

Pour les besoins de mon enquête, j’ai souhaité démontrer l’existence d’une connexion financière entre ces collectifs et, pour ce faire, j’ai effectué un don à Samidoun par carte bancaire. Les responsables m’ont indiqué qu’il devait obligatoirement transiter par le stand d’Urgence Palestine, puisque leurs comptes et leurs finances étaient communs. Cette précision revêt une importance majeure, car Samidoun entretient par ailleurs des liens étroits avec le collectif Palestine Vaincra à Toulouse, organisation dissoute après une première demande formulée le 27 octobre 2022 et confirmée par le Conseil d’État en 2023. Or malgré cette procédure, les connexions entre les deux structures demeurent significatives. La présence de Samidoun à Toulouse illustre ce phénomène puisqu’il y entretient des relations avec des figures municipales locales ainsi qu’avec un député de La France insoumise. Plus encore, ses liens avec la République islamique d’Iran apparaissent particulièrement révélateurs, puisque le 4 octobre 2023, sa coordinatrice internationale a reçu à Téhéran le huitième prix des droits de l’homme islamique et de la dignité humaine.

La question de la convergence des luttes entre figures islamistes est également centrale. Dans le cadre de mes travaux, j’ai ainsi analysé en profondeur Shahin Hazamy, un agent d’influence rattachée à la République islamique d’Iran qui rassemble près d’un demi-million d’abonnés sur l’ensemble de ses réseaux sociaux et dont le procès se tiendra en 2025 en raison des propos qu’il a tenus. Mon ouvrage documente avec précision les liens qu’il entretient avec plusieurs députés français, chaque webinaire conjoint ayant été rigoureusement référencé. Il convient de souligner que Shahin Hazamy s’est rendu à plusieurs reprises en Iran en compagnie de Kémi Séba, personnalité accusée d’antisémitisme et de racisme, déchue de la nationalité française, et qu’il était également présent aux funérailles de Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah. Il a exprimé à de nombreuses reprises, publiquement et sur ses réseaux sociaux suivis par un public très jeune, son soutien explicite à la lutte armée. Cette année, il a ainsi promu à Villeneuve-Saint-Georges un événement intitulé Gala Al-Qods, en référence au Jour d’Al-Qods, une journée internationale instaurée par l’Ayatollah Khomeini et consacrée à la « cause palestinienne ». L’objectif poursuivi par l’Ayatollah était d’appeler l’ensemble des musulmans du monde et tous les États islamiques à s’unir pour, selon ses termes, « couper les mains du régime occupant d’Al-Qods et de ceux qui les protègent ». Il exhortait chaque musulman à désigner comme Journée d’Al-Qods le dernier vendredi du mois sacré du ramadan. Cette année, cet événement, organisé de longue date, s’est tenu à Villeneuve-Saint-Georges avec le soutien de Shahin Hazamy, dans une salle privée où des députés de La France insoumise, dont je tairai ici le nom, ont déjà tenu des meetings politiques.

Dans le cadre de mes nombreuses immersions au sein de manifestations, j’ai en outre participé à un rassemblement place de la Nation au cours duquel M. Elias D’Imzalène a lancé un « appel à l’intifada de Paris à Gaza ». Mon ouvrage restitue l’intégralité des personnalités politiques présentes à cette occasion, parmi lesquelles figuraient non seulement des députés mais également des sénateurs, dont une sénatrice d’Europe Écologie Les Verts dont le nom est mentionné dans mon livre. Au cours de la même manifestation, Omar Alsoumi, porte-parole d’Urgence Palestine, avait invité l’ensemble des manifestants à scander le mot « résistance » après chaque ville palestinienne qu’il énumérait, appelant ainsi explicitement à soutenir la résistance armée sur le territoire palestinien.

J’ai également conduit une analyse approfondie de la situation locale strasbourgeoise. La maire de la ville, Mme Jeanne Barseghian, a été soumise à de fortes pressions de la part des militants propalestiniens locaux pour mettre un terme au jumelage historique entre Strasbourg et la ville israélienne de Ramat Gan. J’ai personnellement assisté à l’une de ces manifestations, au cours de laquelle les participants, munis de haut-parleurs et accompagnés d’un camion arborant des messages en faveur de la résistance palestinienne, scandaient dans les rues leur opposition à ce qu’ils qualifiaient de « jumelage de la honte ». La mobilisation s’est également dirigée vers un restaurant McDonald’s de Strasbourg afin d’appeler au boycott de cette enseigne, certains manifestants allant jusqu’à crier aux familles et aux enfants présents qu’ils consommaient « la chair des enfants palestiniens ». McDonald’s figure en effet sur la liste du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), qui bénéficie du soutien affiché de certains partis politiques français.

La ville de Toulouse illustre également la persistance de ces dynamiques. Bien que le collectif Palestine Vaincra ait été dissous, il convient de souligner que cette organisation et Samidoun ont poursuivi un travail d’entrisme au sein de la faculté Toulouse-Jean-Jaurès, comme je le démontre dans mon ouvrage. J’y détaille également les figures politiques qui se sont opposées à la dissolution de ce collectif et ont continué à l’appuyer. Ces mêmes personnalités n’hésitent pas à reprendre le slogan « libérer la Palestine de la mer au Jourdain », appel signé par plusieurs députés de La France insoumise, et affichent également leur soutien à Georges Ibrahim Abdallah.

Enfin, à Fontenay-sous-Bois, mes recherches sur Samidoun m’ont conduite à constater leur participation à un tournoi de football présenté comme organisé en soutien à Gaza. Des militants de ce collectif, le visage dissimulé par des keffiehs mais revendiquant ouvertement leur appartenance à l’organisation, ont encadré des enfants dans le cadre d’actions explicitement tournées vers la résistance palestinienne. Cet événement, organisé dans un espace public relevant de la municipalité, s’est accompagné d’appels directs à soutenir cette résistance. Samidoun a ainsi pris l’habitude d’organiser, dans des salles municipales, des manifestations que je répertorie dans mon livre et où les enfants sont encouragés à écrire des lettres aux martyrs ou à réaliser des dessins à leur intention. Ces collectifs ciblent particulièrement la jeunesse et, plus spécifiquement, les enfants et les étudiants.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Madame Bussigny, je tiens à saluer votre présence courageuse. Vous n’avez pas demandé le huis clos pour cette audition, preuve que vous souhaitez livrer un témoignage public servant l’intérêt de notre nation. À l’instar d’Omar Youssef Souleimane, que nous avons auditionné la semaine dernière, vous dénoncez la participation de certains élus de la République à des manifestations où des islamistes notoires jouent un rôle prépondérant. Selon vous, cette participation relève-t-elle d’une démarche électoraliste visant à conquérir l’électorat musulman en instrumentalisant les souffrances des Gazaouis, ou s’inscrit-elle dans une dynamique plus structurelle ? Nos auditions révèlent en effet un certain antagonisme puisque les services de l’État évoquent d’éventuelles connivences sans les considérer comme structurantes, tandis que les auteurs tels que vous suggèrent l’existence de connivences étroites entre certains élus et ces mouvances islamiques.

Mme Nora Bussigny. J’ai effectivement proposé à M. Souleimane de m’accompagner lors de plusieurs manifestations et nous avons couvert ensemble différents événements, comme je le détaille dans mon ouvrage. Les figures que déjà mentionnées, telles que Houria Bouteldja ou Elias d’Imzalène, affirment toutes ouvertement leur volonté d’investir un parti politique bien précis, à savoir La France insoumise. Bien qu’ils considèrent, selon leurs propres termes, que M. Jean-Luc Mélenchon puisse être qualifié d’« islamophobe », ils estiment néanmoins que ce parti demeure le plus susceptible de défendre leurs intérêts. J’ai longuement développé ces éléments dans mon ouvrage en citant chacun de ces acteurs, les informations reposant sur des sources ouvertes et sur des archives que j’ai pu reconstituer à partir de l’analyse de leurs discours.

Il apparaît ainsi que certains collectifs et figures militantes s’inscrivent dans une démarche structurelle animée par l’ambition d’investir un parti politique, même si l’ensemble de ses positions ne correspond pas à leurs orientations. Leur stratégie consiste alors à cibler certains candidats qu’ils choisissent de soutenir, car ils ne se reconnaissent pas dans l’intégralité des figures de ce mouvement. Dans cette perspective, certaines personnalités jouent le rôle d’éléments de réconciliation, comme c’est le cas de Mme Hassan, sur laquelle j’ai mené un travail approfondi et que nous aurons l’occasion d’évoquer ultérieurement. Selon ces militants, elle incarne l’exemple le plus vertueux, le plus radical et le plus efficace dans la progression de leur cause.

S’agissant de l’autre versant de la question, je précise ne pas être personnellement engagée dans ces structures militantes et ne pas vouloir m’exprimer au nom des partis politiques, ni les accuser formellement de séduction électoraliste. Il demeure toutefois légitime de s’interroger, particulièrement lorsque certaines figures politiques ne semblent pas se réjouir des accords de paix conclus entre Israël et le Hamas et qu’elles appellent, comme j’ai pu l’observer place de la République, à maintenir la pression sur le gouvernement français en poursuivant les manifestations, sur l’existence éventuelle d’une volonté délibérée d’entretenir les tensions, notamment auprès de la jeunesse. Car au-delà d’une stratégie visant à séduire un électorat musulman, il apparaît que la jeunesse dans son ensemble constitue une cible prioritaire, ce qui explique l’investissement massif observé sur de nombreux campus. J’espère que nous pourrons aborder la question d’un collectif lié aux Frères musulmans qui s’implante dans ces campus et accueille des personnalités politiques, son objectif déclaré étant d’instaurer une intifada au sein même des universités. C’est d’ailleurs ce qui justifie que de nombreuses personnalités politiques, que je cite dans mon livre, aient encouragé les étudiants à bloquer leurs facultés et à semer le chaos sur leurs campus. Dès lors, il me paraît essentiel de souligner que, bien au-delà de l’électorat musulman, l’ensemble de la jeunesse constitue une cible prioritaire en vue des échéances électorales de 2026 et 2027.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. De nombreux jeunes gens participent à ces manifestations, souvent animés par un sentiment louable et potentiellement légitime de vouloir protéger la population civile de Gaza. Leur critique d’un gouvernement, celui de Benyamin Netanyahou, se trouve fréquemment récupérée, amplifiée et déformée par les mouvances islamistes pour propager une haine des juifs plus générale. Comment établir une frontière hermétique, dans l’esprit de nos jeunes, entre la critique légitime de l’action temporaire d’un État et le risque de basculer dans l’antisémitisme ?

Mme Nora Bussigny. La première difficulté tient à une confusion fondamentale des définitions. Lors de mes nombreuses immersions sous couverture auprès de jeunes militants, aucun d’entre eux n’a été en mesure de fournir une explication claire et précise du terme « sioniste », alors même qu’ils venaient de scander « sionistes fascistes, c’est vous les terroristes », slogan extrêmement répandu dans ces manifestations. Pour ces jeunes, un sioniste se réduit à une personne qui soutient le gouvernement de Benyamin Netanyahou. Ils distinguent ainsi deux catégories, les « sionistes » d’une part, toujours désignés comme juifs, et les « complices du sionisme » d’autre part, systématiquement non-juifs, parmi lesquels j’ai moi-même été accusée de figurer. J’ai ainsi recueilli de nombreux témoignages de militantes LGBT et féministes relatant l’expérience d’être juives et engagées dans des luttes progressistes, tout en devant sans cesse prouver leur légitimité. En raison de leur judéité, elles étaient en effet contraintes de se déclarer opposés à l’existence même de l’État d’Israël, au-delà d’une simple critique du gouvernement Netanyahou, et d’apporter en permanence des gages de leur engagement en faveur de la lutte armée palestinienne.

Au fil de mes immersions, j’ai également identifié des stéréotypes antisémites classiques, reformulés par un simple glissement lexical substituant le terme « sioniste » à celui de « juif ». Cette rhétorique m’est apparue de manière particulièrement flagrante lors d’une formation organisée par Urgence Palestine, à laquelle j’ai participé sous couverture. Les intervenants y ont exposé sans ambiguïté l’existence d’un prétendu « complot sioniste » en France, affirmant que les sionistes contrôleraient les médias et auraient infiltré le gouvernement ainsi que nos institutions démocratiques. Ces accusations ne sont rien d’autre qu’une reproduction fidèle des tropes antisémites traditionnels, déjà observés historiquement à l’extrême droite, ce qu’il importe de rappeler.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Selon vous, les élus présents à ces manifestations agissent-ils comme facilitateurs de cet amalgame, contribuant au développement d’un fort sentiment antisémite parmi la jeunesse de notre pays et, par conséquent, comme vecteurs de séparatisme au sein même de notre nation ?

Mme Nora Bussigny. Je répondrai à nouveau par des faits concrets. Mme Hassan a été invitée à Sciences Po en mars 2024, alors qu’elle n’était pas encore élue. Dans mon ouvrage, je rapporte, à partir des nombreux témoignages d’étudiants, de professeurs et de membres de la direction de l’établissement, comment sa présence et la conférence qu’elle a donnée aux côtés de M. Rony Brauman ont constitué l’élément déclencheur des tensions internes à Sciences Po. À la suite de cet événement, une étudiante juive s’est vu refuser l’accès à l’un des campus occupés par les militants, au motif qu’elle serait une sioniste, formule que je retranscris dans mon livre.

Lorsque des élus politiques participent à de telles manifestations ou rencontres, ils offrent une caution républicaine et institutionnelle à des mouvements de nature révolutionnaire. Tel est le cas lorsqu’un député de La France insoumise assiste à une soirée de soutien à M. Elias d’Imzalène, organisée conjointement avec Les Soulèvements de la Terre et Samidoun dans une salle municipale. Tel est encore le cas lorsque plusieurs élus de la République se trouvent place de la Nation au moment où M. d’Imzalène conclut un rassemblement en appelant à faire l’intifada.

Ces exemples, parmi d’autres, montrent que leur présence fonctionne comme une forme de caution, pouvant conduire les militants à considérer que, si ces représentants institutionnels ne réagissent pas lorsque certaines limites sont franchies, c’est qu’il n’existe finalement aucune limite à respecter. Ce n’est que lorsque les médias relaient certains propos et les qualifient d’apologie du terrorisme que ces militants s’étonnent d’une telle caractérisation, puisqu’ils constatent que des élus étaient présents sans manifester la moindre désapprobation.

J’ai documenté dans mon enquête de nombreuses manifestations et rencontres parfois très confidentielles, organisées dans la rue ou dans des squats, au cours desquelles des élus étaient présents alors que l’on scandait « Vive la résistance armée » sans qu’ils n’expriment la moindre objection. Une telle absence de réaction équivaut de fait à une légitimation républicaine.

M. Matthieu Bloch, rapporteur.  Dans votre ouvrage, vous mettez en lumière une convergence des luttes autour de la cause palestinienne entre des associations apparemment antagonistes, comme les organisations LGBT et féministes, qui seraient pourtant certainement persécutées par le Hamas si elles se trouvaient à Gaza. Vous avez observé, lors de votre participation à certaines manifestations, l’exclusion de féministes juives et l’émergence d’un important antisémitisme au sein même de ces associations. Ces structures étant fréquemment subventionnées par des collectivités territoriales ou par l’État, pourriez-vous nous indiquer quelles associations féministes, LGBT ou autres, vous semblent avoir dangereusement dévié de leur mission initiale, et préciser si ces associations soutiennent particulièrement un ou plusieurs partis politiques ?

Mme Nora Bussigny. Dans mon ouvrage, j’établis une liste précise des différentes personnalités issues des collectifs féministes et LGBT, en veillant à identifier spécifiquement les membres de ces associations. Concernant le milieu LGBT, j’évoque l’ancien président de l’organisation historique Act up, engagée dans la lutte contre le VIH. J’y décris les difficultés internes de cette structure tout en constatant que, depuis son départ récent de la présidence, des évolutions positives semblent s’opérer en son sein.

J’analyse également le collectif Nous Toutes, l’un des mouvements féministes les plus importants de France, qui coordonne chaque année les manifestations de la journée internationale des droits des femmes du 8 mars et celles du 25 novembre. Je mets en évidence sa participation aux côtés de Samidoun et d’Urgence Palestine, en développant particulièrement les événements du 8 mars 2025, passage central de mon ouvrage. Ces organisations s’inscrivent désormais dans une logique qu’elles qualifient d’« inter-orga », reposant sur un principe d’horizontalité où chaque collectif prend part aux décisions et contribue à l’organisation des manifestations. Ce fonctionnement a facilité l’entrisme de groupes comme Urgence Palestine et Samidoun, un phénomène déjà perceptible dès novembre 2023 mais qui a récemment franchi un point de non-retour lorsque ces collectifs ont choisi d’exclure explicitement ceux qu’ils désignent comme des groupes « sionistes et fascistes ».

J’ai moi-même observé des membres de Samidoun distribuer des tracts dans la manifestation, assortis de la consigne de ne pas démarrer la manifestation tant que le collectif Nous Vivrons et ses alliés seraient présents, en particulier Femme Azadi, qui regroupe des femmes iraniennes et soutient avec courage les féministes de Nous Vivrons. Je me suis placée au niveau du blocus ainsi organisé, et c’est précisément à cet endroit qu’a éclaté un incident violent visant le député Jérôme Guedj. Pris à partie par des militants qui l’ont chargé en criant « sale sioniste » alors qu’il tentait de rejoindre Nous Vivrons et Femme Azadi, M. Guedj n’a pu se dégager qu’avec difficulté. J’ai pu lui fournir les vidéos de cette agression car, bien que dans l’impossibilité d’intervenir afin de préserver mon anonymat, j’ai documenté cette scène.

Dès le 8 mars 2024, j’ai par ailleurs constaté que Nous Vivrons subissait des jets de tessons de bouteilles ou d’œufs et des insultes. Je précise qu’ils étaient protégés par le service de protection de la communauté juive (SPCJ) et non par la Ligue de défense juive (LDJ), contrairement aux accusations émises par certains députés, information aujourd’hui vérifiée. J’ai également identifié sur une photographie M. Omar Alsoumi, porte-parole d’Urgence Palestine, lançant une bouteille en direction des féministes juives. Je l’ai contacté à ce sujet mais il n’a pas souhaité me répondre.

Je consacre enfin une partie importante de mon ouvrage à Mme Louisa Yousfi, militante du collectif Parole d’Honneur, codirigé par Houria Bouteldja. Dès le 7 octobre, Louisa Yousfi a affiché sur ses réseaux sociaux (suivis par près de 15 000 abonnés) son soutien à ce qu’elle nomme « la résistance armée ». Cette même personne a bénéficié d’une résidence d’un an à la Villa Médicis, dotée d’un financement public d’au moins 42 000 euros, au détriment d’autres auteurs ou autrices non sélectionnés. Durant ce séjour en Italie, financé par les contribuables, elle a publiquement porté le deuil de figures du Hamas sur ses réseaux et a invité Houria Bouteldja afin d’effectuer ensemble une tournée des mouvements propalestiniens et antisionistes italiens.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Pour revenir sur Samidoun, rappelons que cette organisation a été interdite en Allemagne, aux États-Unis, au Canada et aux Pays-Bas, dont les services de renseignement établissent des liens organiques avec le Front Populaire de Libération de la Palestine, inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union Européenne. Quel rôle concret Samidoun a-t-il joué dans les manifestations auxquelles vous avez participé ? Quelle a été leur influence ? Avez-vous observé des connivences entre certains élus présents et les membres de cette association ?

Mme Nora Bussigny. J’ai effectivement observé l’existence de liens avec plusieurs élus, que je nomme dans mon ouvrage mais que je ne citerai pas ici, et qui appartiennent à des formations politiques diverses. Samidoun a considérablement accru son influence en France et ce collectif, initialement peu implanté sur notre territoire, a progressivement gagné en visibilité grâce à ses collaborations avec Urgence Palestine et Palestine Vaincra, jusqu’à s’imposer comme un acteur central de différentes mobilisations.

Je les ai personnellement identifiés à Sciences Po lors des blocus et manifestations, puisqu’ils occupaient physiquement les locaux aux côtés de députés venus apporter leur soutien aux mobilisations étudiantes. Leur implantation bénéficie également d’un accès remarquablement aisé à de nombreuses salles municipales, où ils organisent leurs rencontres et leurs cérémonies de soutien à ceux qu’ils qualifient de martyrs.

Je suis en outre toujours inscrite à leur canal Telegram, où j’ai pu vérifier leur position récente à propos des accords de paix. Ils y qualifient l’Autorité palestinienne de « traitresse » et appellent explicitement à « soutenir la résistance armée » contre cette même autorité. Mon ouvrage documente de manière exhaustive l’influence de ce collectif dans de nombreuses institutions, en particulier à l’Université libre de Bruxelles et sur le campus de Toulouse-Jean-Jaurès. Ces éléments démontrent sans ambiguïté que leur engagement ne se limite pas à la défense de la cause palestinienne, mais qu’il vise spécifiquement le soutien à ce qu’ils désignent eux-mêmes comme la « résistance armée ».

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Certaines universités ont été mobilisées dans ces manifestations. Quels ont été, selon vous, les principaux vecteurs de cette mobilisation ?

Mme Nora Bussigny. Le phénomène présente de fortes similitudes avec celui observé à l’Université libre de Bruxelles, où la situation a atteint un paroxysme, même si cet exemple ne relève pas directement de notre cadre national. Les connexions transnationales demeurent néanmoins déterminantes, puisque nous voyons des collectifs extérieurs, comme à Strasbourg, agir en lien avec des groupes palestiniens locaux, exerçant une influence considérable sur les étudiants.

Dans mon ouvrage, j’examine ces dynamiques ville par ville. Je décris notamment comment, sur le campus de Toulouse-Jean-Jaurès, des étudiants de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) ont mis au jour des correspondances entre les listes d’étudiants impliqués dans certains collectifs universitaires et celles des militants de Palestine Vaincra ou de Samidoun. Ce constat s’explique par l’adhésion de nombreux étudiants à des organisations comme Urgence Palestine, Samidoun, Palestine Vaincra et d’autres structures similaires. Nous observons donc à la fois un soutien externe, validé par des personnalités politiques que je cite dans mon livre, et interne, porté par ces étudiants militants.

Il convient également de souligner l’importance des relais internationaux, notamment l’organisation Students for Justice in Palestine, sur laquelle j’ai mené une enquête approfondie en me rendant sur le campus de Columbia aux États-Unis. Ces mouvements d’intifada étudiante sont en effet nés aux États-Unis avant de se diffuser sur plusieurs campus français. Students for Justice in Palestine a été fondée en 1993 à Berkeley par Hatem Bazian, professeur de droit islamique qui affiche ouvertement son soutien à l’équivalent américain des Frères musulmans, le Council of American-Islamic Relations (CAIR). Une antenne de Students for Justice in Palestine s’est implantée à Sciences Po peu après le 7 octobre, ouvrant la voie à l’intervention de Mme Rima Hassan dans cet établissement.

Dès les attaques du 7 octobre, l’organisation a ainsi élaboré ce qu’elle a désigné comme une « boîte à outils » à l’usage des étudiants, exposant la prétendue légitimité des actes du Hamas et fournissant des arguments destinés à contester toute qualification de pogrom ou d’agression terroriste. Cette structure a par ailleurs coorganisé les protestations à Sciences Po, caractérisées par des blocus particulièrement violents, et accueilli Mme Hassan.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous affirmez qu’il existe « une véritable infiltration de la mouvance islamiste dans toute la société française grâce à l’aide efficace, réfléchie, programmée de la gauche radicale ». Pouvez-vous nous expliquer comment se manifeste cette infiltration et quelle est l’aide apportée, selon vous, par la gauche radicale ? D’autres mouvements politiques sont-ils également concernés ?

Mme Nora Bussigny. Je souhaite évoquer certains collectifs qui ont été reçus au Parlement européen, parmi lesquels figure le Forum des organisations musulmanes et des jeunes étudiants européens (Forum of European Muslim Youth and Student Organisations, Femyso), créé par la Fédération des organisations islamiques en Europe, elle-même émanation des Frères musulmans à l’échelle du continent. Le Femyso a été accueilli au Parlement européen par Mme Rima Hassan, tout comme Lallab, un autre collectif sur lequel j’ai mené une enquête approfondie qui se présente comme un mouvement féministe luttant contre l’« islamophobie ». Mes investigations ont démontré que Lallab a été cofondé par Attika Trabelsi, qui a résidé à l’Institut européen des sciences humaines (IESH), établissement récemment dissous par le gouvernement après avoir formé pendant trois décennies des figures fréristes, des aumôniers et des imams, dont certains auraient rejoint des mouvements djihadistes.

Shahin Hazami, identifié comme agent d’influence de la République islamique d’Iran, a en outre participé à des webinaires aux côtés d’élus issus de différents partis politiques. Ses actions militantes, telles que le jet de faux sang sur la façade de Sciences Po, ont été relayées et approuvées publiquement sur les réseaux sociaux par Mme Rima Hassan et il entretient des connexions multiples avec diverses personnalités politiques.

Je pourrais développer davantage, mais cela impliquerait de citer des noms, ce que vous ne souhaitez pas. Il est toutefois essentiel de rappeler que certains collectifs, à l’instar du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dissous mais soupçonné de s’être reconstitué sous l’appellation Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), ont été reçus jusqu’à l’Assemblée nationale par un élu de La France insoumise. Le soutien à cette organisation n’émane toutefois pas seulement de cet élu précis, puisque d’autres représentants du même parti manifestent ouvertement leur appui au CCIE, collectif pourtant lié à la campagne de dénigrement ayant visé Samuel Paty. Un autre exemple significatif concerne Mme Mariam Abou Daqqa, militante du Front populaire de libération de la Palestine, qui a reçu une invitation à l’Assemblée nationale de la part d’une élue de La France insoumise. Je dispose de nombreux autres cas de ce type, que je pourrai transmettre ultérieurement avec les preuves nécessaires, l’essentiel de mon enquête reposant sur des sources ouvertes.

Il convient enfin de préciser que d’autres formations politiques sont impliquées puisqu’Europe Écologie Les Verts apparaît notamment dans mes recherches, avec certaines personnalités entretenant des relations avec des organisations promouvant un islam radical. Je choisis soigneusement ces termes afin d’éviter tout amalgame avec la communauté musulmane dans son ensemble. J’ai également identifié d’anciens membres de La République en marche (LREM) et des Républicains dont je ne peux révéler l’identité en cet instant, mais dont je pourrai vous communiquer les liens avec le Femyso ainsi qu’avec d’autres associations comme l’Union des organisations islamiques en France (UOIF), émanation des Frères musulmans. LFI n’est donc pas la seule formation concernée, même si elle apparaît de manière beaucoup plus centrale dans les éléments et les preuves que j’ai pu réunir.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Dans le chapitre 12 de votre ouvrage, vous revenez particulièrement sur la situation de Rima Hassan. Quel lien lui attribuez-vous avec des individus ou groupes de la mouvance islamiste et de quels éléments disposez-vous pour prouver ces liens ?

Mme Nora Bussigny. Comme je l’indiquais précédemment, le Femyso constitue un exemple particulièrement explicite, tout comme le collectif Lallab, que Mme Rima Hassan a invité au Parlement européen. Ce dernier met d’ailleurs en lumière des personnalités particulièrement problématiques. Désormais érigé en porte-étendard de la cause palestinienne, il a ainsi fait la promotion de plusieurs figures du féminisme islamique. Cette mouvance n’est pas récente puisque, dès 2003, Tariq Ramadan incitait les femmes à investir la question féminine afin de présenter l’interdiction du port du voile comme relevant d’une prétendue « islamophobie ». Lallab a ainsi valorisé et soutenu des personnalités telles que Meherzia Labidi Maïza, ancienne députée du parti islamiste tunisien Ennahdha, issu de la mouvance des Frères musulmans. Figure également Asma Lamrabet, auteure d’un ouvrage préfacé par Tariq Ramadan dans lequel elle est accusée de légitimer certaines violences conjugales. On peut encore citer Zahra Ali, théoricienne du féminisme islamique. C’est donc ce collectif, qui promeut de telles figures, qui a donc été reçu au Parlement européen par Mme Rima Hassan.

J’ai par ailleurs révélé l’an dernier, dans un article publié dans Le Point et que je développe dans mon ouvrage, la participation de Rima Hassan à une manifestation pro-Hamas en Jordanie. J’y expose la manière dont j’ai pu identifier le caractère radical de cette mobilisation, qu’elle avait pourtant cherché à dissimuler. Ses liens avec Students for Justice in Palestine, déjà évoqué, ainsi que son approbation publique pour les contenus de Shahin Hazami, méritent également d’être soulignés. Il y a deux jours, elle a d’ailleurs diffusé le message « One by one » en référence à un article décrivant comment le Hamas élimine individuellement chaque civil palestinien accusé d’être un ennemi de l’organisation armée.

J’expose enfin, dans mon enquête, la manière dont Rima Hassan, par ses pratiques de doxing, a mis en danger des élus locaux, notamment Pernelle Richardot, élue socialiste à Strasbourg désormais placé sous protection fonctionnelle. Celle-ci témoigne dans mon livre des pressions exercées par Mme Hassan à travers les collectifs propalestiniens locaux qu’elle mobilise.

Mme Constance Le Grip (EPR).  Je tiens à vous exprimer, madame, ma profonde reconnaissance pour votre présence aujourd’hui, car votre courage et votre engagement forcent le respect et votre ouvrage se révèle à la fois passionnant et angoissant, puisqu’il nous oblige à regarder la réalité en face, particulièrement lorsque nous devons affronter l’adversité. Vous décrivez de manière extrêmement argumentée, documentée et sourcée et donc, selon mon analyse, inattaquable, la convergence des luttes, et vous exposez les mécanismes qui ont conduit à cette convergence ainsi qu’à l’identification d’un ennemi commun fédérateur, à savoir le juif, le sioniste, d’où le titre Les nouveaux antisémites. En réalité, votre analyse dépasse largement la seule lutte contre l’antisémitisme galopant qui gangrène notre société, aussi fondamentale soit-elle, puisque ce sont nos valeurs républicaines qui se trouvent mises en causes, l’idée même d’une République laïque, universaliste et protectrice des droits des femmes et des libertés individuelles.

Ma question porte sur les véritables motivations des élus de la gauche radicale, particulièrement ceux de La France insoumise, qui manifestent cette accointance, cette complaisance, cette connivence que vous décrivez : s’agit-il uniquement d’un intérêt électoraliste cynique visant à séduire les voix des musulmans de France, démarche par ailleurs extrêmement méprisante et dégradante envers cette communauté, ou, au-delà de cet opportunisme électoral orienté vers la conquête de places fortes, de mairies, et peut-être d’autres mandats, existe-t-il selon vous d’autres motifs à cette convergence d’intérêts ? Est-ce la vision révolutionnaire portée par La France insoumise qui justifie que le chaos, l’affrontement et la radicalité puissent légitimer tous les expédients, et cette conception révolutionnaire revendiquée par ses membres autorise-t-elle, à leurs yeux, à emprunter les chemins de l’antisémitisme, de l’antisionisme et de l’islamisation de la cause palestinienne ?

Mme Nora Bussigny. La notion de « chaos » résume précisément la logique que m’a livrée un militant insoumis lors de mon immersion, qui m’a confié : « La révolution se fera avec ou sans les urnes ». Cette formule illustre sans détour leur raisonnement, qui consiste à se satisfaire pour l’heure des élections municipales puis, si cette voie apparaît insuffisante, à provoquer le chaos par tous les moyens. C’est la raison pour laquelle j’ai pris soin de citer plusieurs figures accusées d’antisémitisme, d’accointances avec le frérisme et de militantisme radical, qui affirment ouvertement que La France insoumise et ces autres partis doivent être investis puis radicalisés progressivement, l’objectif final étant bien celui d’une révolution génératrice de chaos.

Ce qui rend possible cette accointance entre islamisme et ultra-gauche, c’est cette haine profonde de l’État et de ses représentants (justice, police et, plus largement, l’ensemble de nos institutions démocratiques) qui constitue l’un des moteurs centraux du mouvement, sans doute second seulement après la prétendue empathie pour les civils palestiniens. J’ai longuement évoqué cette hostilité aux forces de l’ordre dans mon précédent ouvrage Les Nouveaux Inquisiteurs, en relatant ma participation à la Semaine décoloniale bien avant le 7 octobre, au cours de laquelle l’objectif explicite était d’attiser la haine des forces de l’ordre en scandant, dans une salle municipale, « un bon flic est un flic mort » et « un flic, une balle, justice sociale ». Nous observons donc clairement la volonté de communautarisation et le rejet actif de nos institutions et des représentants de la loi.

M. Nicolas Dragon (RN). Certains manifestants refusent de condamner les actions du Hamas, notamment celles du 7 octobre, ou défilent aux côtés de groupes classés comme proches des terroristes, invoquant la convergence des luttes. Pourtant, dans la bande de Gaza sous contrôle du Hamas, nous savons que les personnes homosexuelles, transgenres, ainsi que la liberté des femmes sont gravement mises à mal. Comment expliquer cette hypocrisie ou cet aveuglement de militants français qui, sur notre sol, revendiquent l’égalité hommes-femmes et défendent les droits des personnes de toutes orientations sexuelles, tout en soutenant de tels mouvements ?

Mme Nora Bussigny. Cette question trouve sa réponse dans les nombreux témoignages de militantes féministes et de militants LGBT que j’ai recueillis. Elle me taraude moi-même et revient systématiquement lors de mes conférences : comment des militants peuvent-ils soutenir le Hamas tout en connaissant l’application de la charia en Palestine ? La clé de compréhension réside dans le prisme décolonial, puisque cette grille de lecture s’impose désormais sur toutes les autres formes de discriminations. Une éminente militante féministe témoigne dans mon ouvrage d’un phénomène observé peu avant le 7 octobre, notamment lors du décès du jeune Nahel Merzouk, lorsque des militants accusés de violences sexistes et sexuelles ont été réintégrés dans les luttes féministes et LGBT sous prétexte que « l’urgence était l’antiracisme », formule qui leur était explicitement signifiée. Le 7 octobre a considérablement amplifié cette dynamique.

Dans Les Nouveaux Inquisiteurs, je relate ma participation sous couverture à l’organisation de la Pride radicale, événement qui se tient depuis plusieurs années à Paris. Lors de cette édition, des pratiques de ségrégation raciale ont été appliquées dans les rues et, en tant que personne considérée comme « racisée », j’ai été chargée de trier les participants selon leur couleur de peau. Les personnes blanches devaient se placer en fin de cortège afin de laisser l’avant aux « non-blancs », et même les couples LGBT, s’ils étaient blancs, étaient relégués à l’arrière. La grille décoloniale primait alors sur toutes les autres.

Lorsque le 7 octobre est survenu, j’ai réactivé l’un des nombreux faux profils créés pour mes enquêtes. Grâce à ces identités numériques crédibles, qui me permettent d’intégrer des boucles Telegram, j’ai pu constater que de nombreux collectifs féministes et LGBT, certains bénéficiant de financements publics que je cite nommément dans mon livre, célébraient les attaques en évoquant le magnifique spectacle du « colonisé qui se rebellait contre le colon » et de « l’opprimé qui se défendait contre l’oppresseur ». Ce discours binaire propre à la pensée décoloniale attribue systématiquement à un camp le statut de « colonisé » et à l’autre celui de « colon », indépendamment des réalités. C’est dans cette logique que l’on entend régulièrement, dans les manifestations auxquelles j’ai assisté, le slogan « L’Algérie a vaincu, la Palestine vaincra ».

Mme Caroline Yadan (EPR). Il n’est pas aisé de s’exprimer publiquement sur ces sujets, et beaucoup préfèrent le huis clos pour des raisons de sécurité, mais vous avez choisi l’inconfort en décidant de témoigner devant nous tous. Je souhaite donc vous féliciter sincèrement, ainsi que pour votre travail, que je considère essentiel à notre compréhension collective et que je recommande vivement aux élus de la République comme à nos concitoyens.

Ma question porte spécifiquement sur Samidoun et sur le rôle central que ce collectif joue dans l’infiltration de l’islamisme, car nous avons rappelé qu’il est considéré comme proche du FPLP et classé organisation terroriste par le Canada, les États-Unis et les Pays-Bas, tandis que l’Allemagne l’a également interdit en octobre 2023. Dans votre ouvrage, vous décrivez sa présence en France dans des contextes variés, puisque vous l’avez constatée lors de manifestations féministes place de la République, dans des meetings politiques à l’espace Robespierre d’Ivry-sur-Seine, mais également dans des événements municipaux destinés aux mineurs, notamment des tournois sportifs à Fontenay-sous-Bois ou des ateliers de dessin à Corbeil-Essonnes. Vous relatez en outre un épisode datant du 20 octobre 2024 où vous auriez photographié, à une même table entourée de drapeaux palestiniens, Adèle de Samidoun, Omar Alsoumi d’Urgence Palestine et un député LFI réunis pour défendre le prédicateur radical Elias d’Imzalène, et vous mentionnez enfin une importante mobilisation à la fin d’octobre 2024 à Aubervilliers, organisée dans une salle municipale avec notamment Samidoun, Urgence Palestine, Les Soulèvements de la Terre et plusieurs élus LFI. Ces observations laissent entrevoir une présence active, organisée et politisée de Samidoun en France, bénéficiant de connivences locales et nationales et allant parfois jusqu’à l’accès à des équipements municipaux pour la tenue de ses événements.

J’aimerais donc vous poser trois questions précises. Premièrement, comment Samidoun a-t-il acquis une capacité d’infiltration aussi aisée au sein du tissu militant français ? Deuxièmement, confirmez-vous l’existence d’une véritable stratégie de séduction de ces mouvements islamistes envers la jeunesse, parfois accompagnée par certains élus de la République, notamment par le biais de Students for Justice in Palestine ? Enfin, quelles mesures préconisez-vous pour lutter contre ce militantisme radical islamiste ainsi que contre leurs éventuels complices, qu’il s’agisse d’élus ou de partis politiques ?

Mme Nora Bussigny. Nous avons souvent parlé, à juste titre, d’Urgence Palestine, que j’ai moi-même placée au centre de mon enquête, mais Samidoun demeure moins examiné, contrairement à la Belgique où l’un de ses porte-parole, Mohamed Khatib, est désormais interdit de territoire. Dans mon ouvrage, je relate comment cette organisation a agressé des élus en Belgique, notamment lors de manifestations féministes, ainsi que ses actions sur le campus de l’Université libre de Bruxelles et ses tentatives similaires en France. Vous avez rappelé, à juste titre, l’interdiction de Samidoun prononcée en Allemagne en octobre 2023, après que les autorités ont pu établir des liens tangibles avec le Hamas. Il est particulièrement révélateur que, dans la foulée du 7 octobre, cette organisation déjà classée terroriste en Allemagne ait organisé une distribution de pâtisseries à Berlin pour « fêter la victoire de la résistance », en référence aux attaques.

En France, nous retrouvons exactement le même discours dans les cercles de Samidoun ou sur leurs boucles Telegram. Durant mon immersion, j’ai pu intégrer leur canal international, que la plateforme a suspendu en raison de la classification terroriste du collectif dans plusieurs pays, mais le canal Samidoun Paris banlieue reste actif et compte aujourd’hui plus de 500 membres, un nombre en nette progression depuis sa création. Leur présence demeure également visible sur Instagram, même si leur compte a récemment été suspendu ou désactivé, probablement pour effacer des publications compromettantes après les dénonciations que j’ai formulées. La France semble donc en net retard sur ce sujet, alors même que l’organisation est classée terroriste pour des motifs légitimes dans de nombreux pays.

La jeunesse constitue en effet l’axe prioritaire de leur stratégie. J’ai ainsi recensé d’innombrables événements organisés en direction des enfants, tels que des ateliers de dessin où ils étaient incités à écrire des messages aux martyrs, mais également le tournoi de football à Fontenay-sous-Bois, dont j’ai publié des photographies particulièrement saisissantes où l’on voit des enfants travestis en petits combattants, le visage recouvert d’un keffieh, incités à brandir des drapeaux comme des fusils, pour instiller l’idée que la résistance est en marche, y compris en France. Leur objectif manifeste est de former de nouveaux militants au sein même du collectif et j’ai ainsi rencontré de nombreux étudiants intégrés dans leurs rangs, notamment à l’université Jean-Jaurès de Toulouse et à Paris, ce qui leur assure un accès privilégié aux campus.

Il faut voir Samidoun comme une pieuvre. Cette image, souvent associée aux mouvances fréristes, s’applique tout autant à cette organisation : une tentacule coupée se régénère aussitôt sous une autre forme. Ainsi, la dissolution de Palestine Vaincra a rapidement été contournée par l’activisme de Samidoun en arrière-plan, de la même manière qu’Urgence Palestine, en cours de dissolution, continue d’agir. Mon enquête contient de nombreux éléments attestant de leur complaisance envers le terrorisme et de leur ambition de reproduire en France un « déluge d’Al-Aqsa », ce qui est d’une extrême gravité et revient à appeler à un nouveau Bataclan. Nous devrions nous interroger en pleine conscience sur ce danger, d’autant que le collectif Gale de Lyon, pourtant dissous, a encore défilé le 7 octobre 2025 avec des banderoles appelant explicitement au « déluge d’Al-Aqsa » en France.

Ces constats rejoignent votre question sur mes recommandations. Il est avant tout impératif de vérifier l’absence de reconstitutions d’associations dissoutes et d’examiner de près la porosité entre collectifs. Je comprends parfaitement que la loi impose de limiter les dissolutions à des organisations précisément identifiées, mais cette contrainte se heurte à la réalité de ces structures qui se recomposent et s’entrelacent. C’est ce que j’ai voulu démontrer en retraçant mes dons financiers vers Samidoun, qui se sont retrouvés sur les comptes d’Urgence Palestine lors d’événements municipaux, preuve d’une communauté de financement. Nous faisons face à des tentacules qui se reconstituent inlassablement, et cette porosité complique considérablement toute tentative de les neutraliser durablement.

Mme Géraldine Grangier (RN). Madame Bussigny, c’est un véritable honneur de vous recevoir aujourd’hui Je vous suis depuis plusieurs années et votre présence m’émeut profondément, car vous faites preuve d’un courage exceptionnel. J’admire votre capacité d’immersion au sein de collectifs particulièrement violents dont les propos, d’une extrême dureté envers les forces de l’ordre, invoquent la résistance et le « déluge d’Al-Aqsa », ce qui nous choque profondément.

Ma question porte sur l’objectif réel que poursuivent les militants de Samidoun et d’Urgence Palestine. S’agit-il véritablement de défendre la cause palestinienne, d’acquérir un jour le pouvoir en France, de promouvoir une pratique plus rigoureuse de l’islam, ou plutôt de semer le chaos en divisant les Français ? À qui profitent alors les liens avérés entre certains députés, élus de la République, et ces militants ? Qui instrumentalise l’autre ? Vous avez en effet indiqué que les élus servaient de cautions républicaines tandis que ces collectifs fonctionnent également comme cautions électorales et qu’ils s’alimentent mutuellement à des fins électoralistes ou idéologiques. Dès lors, ces élus ne deviennent pas finalement les « idiots utiles » de collectifs fondamentalement antirépublicains et hostiles à la France ? Par ailleurs, selon vous, à quel moment les dérives antisémites observées à l’extrême gauche se sont-elles intensifiées ? Cette aggravation est-elle consécutive au 7 octobre ou existait-elle déjà avant ?

Mme Nora Bussigny. J’emploie en effet moi-même l’expression « idiots utiles » du Hamas pour qualifier cette relation ambivalente entre les différents acteurs que nous évoquons. Lorsque vous écouterez Emmanuel Razavi, qui interviendra prochainement, ou Mona Jafarian, porte-parole du collectif Femme Azadi d’origine franco-iranienne, vous verrez que l’un et l’autre établissent parfaitement le parallèle avec l’histoire iranienne. Dans ce pays, nous avons en effet assisté à une alliance entre une extrême gauche et l’islamisme, les premiers devenant les « idiots utiles » des seconds, comme en atteste l’avènement de la République islamique d’Iran. Ce n’est donc pas un hasard si, dans mes enquêtes et dans les manifestations auxquelles j’assiste, je croise de plus en plus fréquemment des Moudjahidines du peuple, phénomène qui afflige profondément mes consœurs iraniennes, contraintes de constater la participation de ces acteurs à des rassemblements en France malgré leur propre histoire nationale. Emmanuel Razavi développera ce point avec bien plus de légitimité que moi, puisqu’il est directement concerné et spécialiste de ces questions.

Nous observons des liens tangibles et avérés avec les Frères musulmans, porteurs d’une volonté délibérée de diffuser en France un discours et un islam radical, ce qui se manifeste notamment par l’instrumentalisation du féminisme. C’est précisément ce que j’ai voulu démontrer en citant ces collectifs reçus au Parlement européen et parfois soutenus par des élus locaux. Toutefois, les Frères musulmans n’adoptent pas une posture d’agression frontale ni de violence explicite, à la différence de collectifs particulièrement virulents comme Urgence Palestine. Samidoun, pour sa part, n’entretient pas de lien direct avec les Frères musulmans selon mes investigations, mais son mode opératoire relève davantage de la mouvance terroriste, oscillant entre des références au Hamas et au Front populaire de libération de la Palestine.

Nous devons donc distinguer deux dynamiques. D’un côté, la mouvance frériste, attestée et structurée, avance sous couvert de victimisation, radicalise la jeunesse et cible particulièrement la communauté musulmane, qui figure paradoxalement parmi ses premières victimes. De l’autre côté, nous observons des organisations au mode opératoire ouvertement violent, structurées mais fragilisées par l’impétuosité d’une base très jeune, et dont les actions tendent à provoquer chaos et affrontement. J’ai ainsi assisté à une réunion internationale de Samidoun où leurs représentants, venus de différents pays, se félicitaient d’avoir convaincu de nombreux étudiants de l’Université libre de Bruxelles et affirmaient clairement que leur stratégie consistait à investir tous les campus, à s’associer aux blocus et manifestations propalestiniens, et à consacrer du temps auprès des étudiants pour les rallier à leur cause.

Ce point mérite d’être rapproché de mon enquête sur Students for Justice in Palestine, qui avait mis en place des formulaires Google destinés aux étudiants les incitant à lister et dénoncer les professeurs et camarades qui « nieraient l’expérience palestinienne », sans préciser l’usage prévu de ces listes. Je révèle également dans mon ouvrage qu’à Columbia, le 24 mars 2024, la section locale de Students for Justice in Palestine a coorganisé un événement intitulé Résistance 101, lors duquel les étudiants ont pu échanger en visioconférence avec Khaled Barakat, membre du Front populaire de libération de la Palestine, organisation classée terroriste. Ce dernier les a félicités pour leurs actions militantes et les a encouragés à poursuivre cette « intifada des campus », affirmant que les combattants de Gaza étaient fiers de cette mobilisation étudiante.

Nous sommes donc confrontés à deux modes opératoires distincts : d’un côté, une approche subtile, insidieuse et inscrite dans le long terme, caractéristique des Frères musulmans, qui avancent par un discours progressif et, de l’autre, des organisations directement liées au terrorisme, qui cherchent à provoquer chaos et violence extrême et qui, en France, ont trouvé en certains députés et figures politiques leurs soutiens, en l’occurrence leurs « idiots utiles ».

La séance s’achève à dix-huit heures vingt-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Matthieu Bloch, M. Xavier Breton, M. Nicolas Dragon, Mme Géraldine Grangier, Mme Constance Le Grip et Mme Caroline Yadan.

Excusés. – Mme Sabrina Sebaihi.