Compte rendu

Commission d’enquête sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste

– Audition, à huis clos, de M. Hugues Bricq, Directeur du renseignement (DRPP) à la préfecture de police de Paris 2

– Présences en réunion................................14

 


Mercredi
29 octobre 2025

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 16

session ordinaire 2025-2026

Présidence de
M. Xavier Breton,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à dix-sept heures.

M. le président Xavier Breton. Monsieur Bricq, nous vous accueillons pour une audition à huis clos. Vous dirigez l’un des quatre services de renseignement du ministère de l’intérieur, dont la particularité est d’être rattaché à la préfecture de police de Paris. Il participe aux côtés de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à la lutte contre le terrorisme, à la surveillance de certains individus, au maintien de l’ordre public et à la lutte contre l’immigration illégale. Dans ce cadre, il est chargé de rechercher les informations permettant d’orienter le travail des forces de l’ordre, notamment dans l’identification de réseaux locaux susceptibles de commettre des infractions. Votre service a ainsi une connaissance fine de la situation en Île-de-France et des agissements de certains groupes ou individus sur ce territoire.

Nos travaux portant sur les mouvements islamistes en France et leur stratégie pour nouer des liens avec les élus nationaux ou locaux, je souhaiterais que vous nous indiquiez si vous suivez-vous l’activité des mouvements islamiques présents dans votre ressort de compétence ? Constatez-vous l’existence d’écosystèmes aboutis ? Si oui, quels risques présentent-ils ? Avez-vous connaissance de liens entre ces mouvements et des élus et, si tel est le cas, de quel type ?

Avant de vous laisser la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité

(M. Hugues Bricq prête serment.)

M. Hugues Bricq, directeur de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP). Je vous remercie de me recevoir avec mes collaborateurs, dont le sous-directeur qui s’occupe de la prévention du terrorisme et des subversions violentes, la responsable de la division de prévention du terrorisme et le chef de mon cabinet. Je vous répondrai du mieux que je peux, mais un certain secret étant de rigueur sur ce qui concerne notre organisation, nos objectifs et nos procédés, certaines de mes réponses seront peut-être un peu courtes.

La DRPP est une direction active de la préfecture de police. C’est aussi un des dix services de la communauté du renseignement national dont quatre, vous l’avez dit, sont au sein du ministère de l’intérieur : la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction nationale du renseignement territorial (DNRT), la DRPP et enfin la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) placée sous l’autorité du directeur général de la gendarmerie nationale. À ce titre, nous sommes placés sous le pilotage de la coordination nationale du renseignement et de la lutte antiterroriste (CNRLT).

Notre direction appartient donc à deux communautés. La première est celle des directions et services de la préfecture de police de Paris qui ont besoin des renseignements que nous recueillons pour préparer leurs manœuvres opérationnelles : la direction de l’ordre public et de la circulation, la direction de la sécurité publique et, dans une moindre mesure, la direction de la police judiciaire ; les liens opérationnels entre notre direction et ces services sont très étroits. Notre deuxième communauté est celle des autres services de la CNRLT, avec lesquels nous entretenons des échanges nourris.

La DRPP compte 700 agents environ. Le service est compétent à Paris et dans les trois départements de la petite couronne. Sa direction est installée dans l’île de la Cité, aux côtés du préfet de police. Il comprend trois services départementaux dans les Hauts-de-Seine, la Seine‑Saint-Denis et le Val-de-Marne, qui ont eux-mêmes des antennes, et un service des aéroports agissant à Roissy, Orly et Le Bourget.

La direction est chargée du recueil du renseignement relatif à la sécurité nationale et aux intérêts fondamentaux de la nation, de l’analyse et de l’anticipation au profit du préfet de police et des autorités ; la formulation est donc assez large. La DRPP est résolument tournée vers le travail opérationnel et l’anticipation de terrain. Une des spécificités de ce service est de ne pas être une direction centrale à compétence nationale, à l’inverse des neuf autres services.

Nos missions de renseignement doivent permettre au préfet de police et aux forces de sécurité intérieure d’anticiper certains phénomènes et de les entraver. Nous devons donc assurer le suivi, l’analyse et l’anticipation de tous les phénomènes de contestation sociale et sociétale susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, la surveillance d’individus, groupes ou d’organisations d’inspiration radicale susceptibles de recourir à la violence et de porter atteinte à la sécurité nationale. Dans ce cadre s’inscrit la lutte contre les extrémismes violents : le suivi et l’entrave de l’ultragauche, de l’ultra-droite, des écologistes radicaux et de la contestation sociétale violente de type « Gilets jaunes ».

Nous est aussi assignée la prévention du terrorisme et de la radicalité islamiste. La direction est ainsi chargée du suivi de 520 individus inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) dans la région parisienne. Ce nombre étant assez élevé au regard de la taille du territoire concerné et de notre effectif, cette mission est pour nous la première par son ampleur.

D’autres missions se rapprochent parfois de la précédente : le suivi des dérives séparatistes et de l’entrisme ; le suivi, l’analyse et l’anticipation des dérives urbaines et des phénomènes d’emprise dans les quartiers – bandes, violences urbaines – ; le suivi des dérives sectaires et du fait religieux en général. Nous maintenons un contact institutionnel avec les grandes religions – islam traditionnel, communauté israélite, communauté chrétienne, etc.

Nous avons pour autre spécificité de suivre les communautés étrangères et les légations diplomatiques. Cela s’explique par le fait que presque toutes les représentations diplomatiques sont à Paris et que les membres contestataires des diasporas se rassemblent et manifestent à Paris. Ces activités sont très chronophages.

Nous sommes aussi chargés de la lutte contre la criminalité organisée, particulièrement la lutte contre le trafic de stupéfiants à laquelle la DRPP prend une part active, du suivi du supporterisme et de la lutte contre les violences dans le sport et le hooliganisme – il y a beaucoup de matches, et beaucoup de matches à risque – et encore de la réalisation, prévue par la loi, d’enquêtes administratives dans le cadre des décrets « grands événements ».

Enfin, en ma qualité de coordonnateur zonal du renseignement en Île-de-France, j’assure la synthèse des analyses en rédigeant des notes zonales et je pilote la filière « renseignement » de la grande couronne, en lien direct avec la DNRT, autorité hiérarchique de ces structures. La fluidité est d’ailleurs complète.

Vous l’aurez constaté, la DRPP n’exerce aucune mission de suivi ou de surveillance des activités politiques, des partis politiques ou des personnalités politiques, et il en est évidemment de même pour les autres services de renseignement du ministère de l’intérieur, au niveau national comme au niveau local. Cela nous est strictement interdit, et nous n’aurions même pas l’idée de le faire : depuis 1994, il y a donc plus de trente ans, les services de renseignement ne travaillent plus sur la sphère politique.

La DRPP n’a pas de compétences judiciaires. Nous n’exerçons que des activités de renseignement. Nous disposons pour ce faire de tous les outils d’un service de renseignement, des techniques les plus intrusives aux contacts officiels ès qualités et à l’analyse des sources ouvertes. Les services de renseignement assurent en effet une partie non négligeable de leur collecte par le recueil d’informations obtenues en source ouverte. Ces outils nous permettent de remplir l’ensemble de nos missions de manière adaptée et proportionnée à chaque mission dans le respect du cadre juridique propre à chacune.

La DRPP est résolument engagée, depuis des décennies et plus particulièrement depuis la série d’attentats de 2015, dans la prévention du terrorisme et dans tout ce qui a été construit sous l’égide de la DGSI dans les années qui ont suivi ces attentats en matière de prévention de la radicalisation islamiste et de suivi des objectifs radicalisés. Comme ses partenaires, le service est aussi pleinement impliqué dans la lutte contre le séparatisme islamiste depuis le discours prononcé par le président de la République aux Mureaux en 2020, et développe aujourd’hui la lutte contre l’ingérence islamiste. Cette nouvelle politique publique, dont le ministère de l’intérieur est le chef de file, demande l’implication de l’ensemble des acteurs publics et non, seulement, des services de renseignement. Les services de renseignement y prendront toute leur part : la DGSI bien sûr, mais aussi, à titre principal la DNRT, qui joue un rôle pivot, et la DRPP sur son ressort territorial.

La DRPP a de tout temps assuré le suivi des salles de prières et des associations liées à ces salles relevant des tendances fondamentalistes de l’islam. Frères musulmans, Jama’at tabligh, salafistes, islam turc sont particulièrement surveillés et les acteurs de ces mouvances sont connus et cartographiés. Cependant, la direction s’est réorganisée pour mieux piloter les objectifs présentés aux cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (Clir) et ainsi mieux lutter contre l’ingérence islamiste, particulièrement celle des Frères musulmans, avec ses partenaires de la DNRT et les préfets des quatre départements concernés. Cette nouvelle politique vise au rehaussement des objectifs ; ce sont les objectifs que proposent les services et les autres acteurs de l’État – principalement les services, nous semble-t-il trop souvent. La détection d’écosystèmes séparatistes ou fréristes est un prisme un peu différent de la surveillance des objectifs individuels que nous opérions. La nouvelle politique vise une priorisation par écosystème et un travail en partenariat non plus seulement local ou territorial mais resserré au plan national.

Pour répondre à votre question, nous constatons effectivement la création d’écosystèmes séparatistes, essentiellement fréristes. Dans certains territoires se développent, autour des lieux de culte fondamentalistes, des associations communautaires de toute nature – écoles coraniques, lieux de formation pour adultes, aide à la recherche d’emploi, occupations périscolaires, associations caritatives, etc. – visant à encadrer selon le respect des préceptes islamiques tous les aspects de la vie de la population musulmane qui s’y trouve.

Ces écosystèmes appellent notre vigilance car ils sont les plus à même de déployer une emprise islamiste sur un quartier et de développer ainsi des stratégies d’influence ou d’entrisme dans des collectivités locales. L’agglomération parisienne, en raison de la densité de sa population et de la présence très importante d’autorités élues et de représentants de l’État, n’est pas la zone la plus propice au développement de ces écosystèmes que l’on retrouve davantage, selon ce qui ressort de mes échanges avec mes partenaires de la DNRT, en grande couronne francilienne ou en banlieue de quelques grandes villes de province. Néanmoins, des concentrations d’associations fréristes s’observent dans quelques communes de Seine‑Saint‑Denis, notamment à La Courneuve, où l’on a relié cet écosystème à l’Institut européen des sciences humaines (IESH) et à des établissements de Saint-Denis, dans le même département, et de Colombes, dans les Hauts-de-Seine.

Les maires et les responsables locaux sont en première ligne, et en particulier dans les municipalités où la population est en grande partie, sinon majoritairement, musulmane, d’origine musulmane ou originaire de pays musulmans. On peut constater des cas d’influence ou d’entrisme dont les responsables locaux n’ont pas conscience car ils ignorent qui sont en réalité leurs interlocuteurs communautaires ou cultuels. La stratégie du ministère de l’intérieur en cours d’élaboration de conscientisation des élus vise précisément à leur permettre de prendre des décisions éclairées. Le préfet mènera un entretien tendant à informer un élu de ce que l’on a détecté autour de lui. On s’achemine vers un processus en deux étapes : conscientisation suivie, le cas échéant, de désignation publique – name and shame, disent les Anglosaxons – s’il apparaît qu’un maire ou tout autre élu savait à qui il avait affaire et n’est manifestement pas de bonne foi. Mais on est loin du travail des services de renseignement : la démarche sera mise en œuvre par les préfets.

La DRPP n’a identifié aucun lien entre parti, groupe politique ou élus d’une part, groupes terroristes ou islamisme radical d’autre part. Je vous l’ai dit, la direction ne suit ni les partis ni les personnalités politiques, mais elle suit les objectifs terroristes ou radicalisés qu’elle a identifiés ou qu’on lui a signalés, et n’a constaté aucun lien à ce jour. Depuis le 7 octobre 2023, la menace terroriste s’est rehaussée, avec des projets d’attaques terroristes concernant notamment des cibles juives ou israéliennes. Mais ces développements relèvent plutôt de la DGSI, qui a dû en faire état devant vous.

Pour notre part, nous avons été confrontés à une vague de signalements à évaluer. Au cours des trois semaines suivant le 7 octobre 2023, la DRPP a reçu 450 signalements de radicalisation, soit cinq fois plus qu’en période normale. Nous devons bien sûr traiter l’ensemble de ces signalements avec la plus grande rigueur ; nous aurions à assumer la responsabilité d’un cas que nous n’aurions pas correctement évalué – cela peut arriver – et qui, ensuite, serait passé à l’acte. La hausse des actes antisémites a été manifeste, immédiatement après le 7 octobre 2023 surtout, mais elle perdure malheureusement et l’antisémitisme s’incruste dans le tissu social.

Les manifestations de soutien à la Palestine et à Gaza se sont multipliées, comme les manifestations de soutien à Israël, que nous avons aussi dû gérer. Cela a eu un fort impact opérationnel sur la DRPP. Les manifestations sur la voie publique en faveur de la Palestine avaient été interdites entre le 7 et le 12 octobre 2023 par la préfecture de police pour éviter des provocations mais, dès le 12 octobre, des manifestations ont été déclarées et se sont tenues. Celle du 12 octobre a réuni 3 000 personnes. C’est beaucoup : habituellement, les manifestations propalestiniennes – elles sont permanentes à Paris – rassemblent entre 100 et 400 personnes au plus. On a dénombré 15 000 manifestants le 22 octobre, 14 000 le 2 novembre et 16 500 le 11 novembre. C’étaient donc de très grosses manifestations, et l’on a constaté une évolution notable de la population présente dans les cortèges, beaucoup plus communautaire, si vous me permettez cette expression un peu floue, que les cercles propalestiniens habituels.

Assez rapidement, l’étiage de ces manifestations est redevenu plus habituel mais le nombre d’événements sur la voie publique n’a jamais baissé. Une ou deux manifestations propalestiniennes sont déclarées pratiquement chaque jour mais l’étiage est assez bas et les manifestants sont tout à fait contrôlables. Ces rassemblements sont organisés par tous types de déclarants : des organisations syndicales, des partis politiques et une multitude de collectifs propalestiniens. Certains, tels CAPJPO ou l’Association France Palestine solidarité (AFPS), sont des collectifs historiques que nous connaissons bien. Ils rassemblent des gens qui manifestaient depuis des décennies en faveur de la Palestine, bien avant les troubles actuels. Très actifs, ils sont profondément hostiles à Israël mais ne soutiennent pas le terrorisme. Ce sont des collectifs laïques propalestiniens d’extrême gauche – si on se place sur le spectre politique israélien – antisionistes mais ils n’ont jamais soutenu le Hamas ou aucune autre organisation terroriste. En revanche, on a vu naître le collectif Urgence Palestine dont la composition est tout à fait différente, et l’on a entendu dans ses rangs, de manière marginale au regard du nombre de manifestations mais plusieurs fois, des déclarations qui étaient autant de sorties de route.

En résumé, des manifestations sont fréquemment déclarées par des syndicats, des partis, des collectifs propalestiniens. Certains les déclarent en leur nom propre et les manifestations réunies drainent assez peu de monde. D’autres font des déclarations groupées à dix, douze ou quinze, et des gens appellent simplement à rejoindre la manifestation sans déclarer officiellement. En ce cas, les manifestations sont d’ampleur et, comme lors des manifestations syndicales, des carrés se forment dans les cortèges, chacun restant avec les siens.

Ces événements de voie publique sont l’expression d’une opinion politique : le soutien à la Palestine. Aucun caractère religieux n’a été constaté par la DRPP lors de ces rassemblements. En revanche, certains propos tenus lors de quelques manifestations organisées par Urgence Palestine ont fait l’objet de signalements au procureur par le préfet de police pour soutien ou apologie du terrorisme. Quelques procédures judiciaires ont été engagées et une procédure de dissolution administrative est en cours au ministère de l’intérieur à l’encontre de ce collectif. Le sujet est donc bien identifié mais, selon nous, il n’est pas lié au politique.

M. le président Xavier Breton. Je vous remercie. Comment abordez-vous la préparation des prochaines élections municipales ? L’existence d’écosystèmes locaux du type de ceux que vous avez mentionnés peut-elle entraîner la constitution de listes électorales communautaires ou une ingérence communautaire dans des listes électorales ? Un travail spécifique est-il en cours à ce sujet ?

M. Hugues Bricq. Je vous l’ai indiqué, nous ne travaillons pas sur la sphère politique, ni, donc, sur les listes électorales, et nous ne le ferons pas ; c’est aux préfectures et aux bureaux des élections qu’il revient de procéder aux vérifications nécessaires. Nous travaillons sur les objectifs qui relèvent de nos missions et donc, dans certaines villes, sur des associations cultuelles, culturelles et d’autres reliées à ce culte, et c’est à partir de la surveillance exercée sur nos objectifs que nous pourrons, le cas échéant, mettre à jour des pressions sur des élus ou des actes d’ingérence ou d’entrisme. Notre rôle s’arrêtera à la détection de ces phénomènes et à l’information de l’autorité administrative. Les suites données à nos signalements ne seront pas décidées par les services de renseignement mais par l’autorité préfectorale ou l’autorité judiciaire si les faits que nous pointons relèvent du pénal.

En revanche, je vous l’ai dit, nous exerçons une extrême vigilance sur certains écosystèmes pour repérer toute éventuelle entorse aux règles. Le principal est celui de la Courneuve ; c’est presque une évidence puisque se trouve là la mosquée de l’Union, lieu de culte frériste et siège, dans les mêmes locaux, de l’association Musulmans de France, qui est de notoriété publique la fédération des Frères musulmans en France. Autour de ce siège et de cette association cultuelle gravitent toutes sortes d’associations qui leur sont directement liées. À Saint-Denis, juste à côté de l’IESH, se trouvent une dizaine d’institutions que nous suivons aussi parce qu’elles font partie de l’écosystème frériste de La Courneuve. Cet écosystème est bien identifié et nous serons particulièrement vigilants au risque d’ingérences dans le cadre des élections municipales à venir. Il en ira de même pour l’écosystème équivalent de Colombes, dans les Hauts-de-Seine, ou tous les organismes que nous avons repérés ont déjà fait l’objet de contrôles diligentés après que nous les avons proposés au préfet du département dans le cadre des CLIR, et où un établissement contrôlé a été fermé par décision préfectorale. Des mesures d’entrave administrative sont donc prises en tant que de besoin.

Le réseau IESH est un réseau européen, comme souvent avec les Frères musulmans. Sur les sept instituts, un seul est désormais établi en France, à Saint-Denis, l’association de Château-Chinon venant d’être dissoute. Mais ces établissements n’ont pas de liens juridiques directs entre eux, et les contrôles menés sur l’IESH de Saint-Denis ne nous ont pas permis, à ce jour, de trouver d’éléments susceptibles de conduire à une fermeture et à une dissolution. Néanmoins, le fonds de dotation de cet institut a été dissous.

Toutes ces associations, tous ces organismes connus, cartographiés et contrôlés feront l’objet d’une grande vigilance dans les mois à venir dans le cadre de la nouvelle politique de lutte contre l’entrisme.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je vous remercie, au nom de la représentation nationale, du travail que vous et vos services accomplissez pour veiller sur la sécurité des Français, en allant chercher des renseignements dans une zone d’habitation dense et mélangée, fréquentée par de nombreux touristes, ce qui ne vous simplifie certainement pas la tâche. Contrairement aux constats que vous venez de faire, Mme Nora Bussigny et MM. Youssef Souleimane et Emmanuel Razavi nous ont dit, lors de leur audition, qu’il existait des liens étroits, extrêmement dangereux, entre des organisations islamistes et certains partis politiques en France. Souvent, la révélation de ces liens a lieu lors des grandes manifestations parisiennes organisées en soutien à la Palestine. Des groupes tels qu’Urgence Palestine, Perspectives musulmanes et aussi le collectif Samidoun – interdit en Allemagne et au Canada – ont participé à des manifestations au cours desquelles ont été tenus des propos faisant l’apologie du terrorisme que vous avez signalés au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Lors de ces manifestations, des élus apparaissent auprès de ces associations, quelquefois même des parlementaires prennent la parole, soutenant plus ou moins les propos tenus. Nous sommes donc quelque peu surpris de vous entendre dire qu’il n’y a aucun lien entre cette mouvance et des élus. D’autre part, le collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dissous par Gérald Darmanin, s’est reconstitué en Belgique sous le nom de CCIE et a été invité dans ces murs, à l’Assemblée nationale, par un député de la France insoumise ; cela suppose des liens avec ces organisations.

J’aimerais donc comprendre comment s’explique la contradiction qui fait que des journalistes ou des chercheurs affirment l’existence de liens entre la mouvance islamiste et des partis politiques mais que les services de l’État interrogés la réfutent.

M. Hugues Bricq. Je vais m’efforcer d’éclaircir mon propos. Je n’ai pas dit qu’il n’y a pas de liens pour ce qui est de la présence dans les manifestations. J’ai indiqué que de nombreuses manifestations avaient eu lieu, parfois déclarées par un seul déclarant, parfois par plusieurs et qui rassemblaient plus de monde, où l’on a effectivement vu des élus ceints de leur écharpe. Mais, je le redis, mon rôle, pas davantage que celui de mes collègues, n’est de documenter la présence d’élus dans des manifestations, fussent-ils ceints de leur écharpe. Ces rassemblements sont publics, les gens sont présents, il y a des témoins, la télévision… Je vous l’ai dit, les déclarants étaient de toute sorte : des organisations syndicales, des partis politiques – et beaucoup de déclarations pro-Gaza ont été faites par LFI mais aussi par le parti socialiste, et de nombreux collectifs qu’il faut distinguer les uns des autres pour les raisons que je vous ai dites. Peut-être me suis-je mal exprimé : effectivement, on observe une convergence dans ces manifestations, mais il m’est interdit de travailler sur les partis politiques et il ne m’appartient pas de rapporter ou de documenter la présence ou le comportement d’élus – sauf, bien sûr, s’ils tenaient des propos apologétiques, ce que nous n’avons jamais constaté. Les propos de cette sorte ont été tenus par quelques individus à la tribune ou au micro d’Urgence Palestine, non par des élus.

Lorsque nous surveillons nos objectifs, qui sont des individus ou des groupes terroristes ou islamistes, nous ne faisons pas de lien avec des partis politiques ou des élus nationaux ou locaux dans ce que l’on pourrait identifier comme une collusion sur des projets terroristes ou islamistes. Mais j’ai connaissance des recherches, ouvrages et articles de certains auteurs… qui se placent eux-mêmes dans une sphère politique en écrivant ce qu’ils écrivent. Nos missions sont définies et circonscrites et c’est grâce à la surveillance que nous exerçons, notamment avec des techniques intrusives, sur nos propres objectifs que je peux vous le dire : il n’existe pas de liens documentés entre les objectifs que nous suivons et des élus ou des partis. Mais, encore une fois, nous ne travaillons pas sur les partis, au contraire de ce que des auteurs peuvent se permettre de faire.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. L’interdiction faite aux services d’enquêter sur les partis politiques dans certains contextes n’entraîne-t-elle pas une faille dans la lutte contre l’entrisme en empêchant d’observer certaines choses qu’il faudrait voir dans l’intérêt du pays ?

M. Hugues Bricq. Cette question ne relève pas de ma compétence. J’assume les missions que l’on me confie. Définir le rôle que l’on souhaite donner aux services de renseignement dans une démocratie est un sujet politique. Je ne peux donc vous répondre sinon pour vous dire qu’en France et dans la plupart des pays qui nous entourent ou qui nous ressemblent, les services de renseignement ne travaillent pas sur les partis politiques – j’entends par là les partis qui s’inscrivent dans le jeu démocratique, non les groupuscules qui expriment des versions radicales et violentes de la politique, de droite ou de gauche.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Hier, M. Emmanuel Razavi a évoqué des liens au cours de ces manifestations avec des personnes introduites par les services secrets iraniens, parfois avec l’aide des Russes, voire des services secrets algériens. Avez-vous fait de telles observations ?

M. Hugues Bricq. Dans les manifestations propalestiniennes, nous n’avons pas constaté de tels liens.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. On observe dans ces manifestations une forte présence d’étudiants des grandes universités, notamment, parisiennes, qui participent beaucoup à ce combat propalestinien. Les auteurs que nous avons reçus font état d’entrisme iranien dans certaines universités françaises. L’avez-vous observé ?

M. Hugues Bricq. Non. Nous avons été très occupés par le suivi des groupuscules ou des syndicats étudiants qui ont organisé des événements propalestiniens, un temps quotidiennement, moins souvent maintenant. Cela étant, j’ai été surpris par leur faible représentativité : de 10 à 100 personnes – et encore, rarement – dans les assemblées générales ou dans les piquets, dans des universités qui comptent plusieurs milliers d’étudiants, parfois plus de 10 000. Il y a là un effet de loupe dû à ce que ces gens sont extrêmement visibles et actifs mais, rapporté à la population étudiante générale, leur nombre est epsilonesque.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Quel bilan dressez-vous de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République dans les champs qui vous concernent ? Le cadre juridique de la lutte contre l’islamisme, le terrorisme, le séparatisme, la radicalisation vous semble-t-il adapté ? Faut-il modifier la législation pour qualifier juridiquement l’entrisme ou le séparatisme islamiste et mieux les prévenir ?

M. Hugues Bricq. Cette loi était attendue. Elle est utile car elle rappelle les obligations de laïcité et de neutralité qui s’imposent à tous les acteurs, y compris ceux du secteur privé, chargés de missions de service public. Le texte a aidé tous ces grands opérateurs à clarifier leurs règlements intérieurs dans un cadre légal renforcé. Ce qui nous importe plus directement est la transparence permise par les nouvelles obligations déclaratives qui s’imposent aux associations cultuelles. Cinq associations cultuelles et non des moindres, représentant six ou sept mosquées, utilisent déjà les dispositions prévues ; c’est très positif. L’instrument est aussi utile aux préfets, qui n’ont pas accordé pour l’instant le bénéfice de la loi de 1905 et ses avantages à certains lieux de culte un peu problématiques, attendant leur adhésion au contrat d’engagement républicain. Au moins une mosquée turque du Val-de-Marne a inclus dans ses statuts la clause « antiputsch » conçue pour éviter la déstabilisation de salles de prières classiques par des fondamentalistes. C’est un début et ces outils devront être beaucoup plus utilisés. Ce ne sont pas les services de renseignement qui instruisent ces évolutions mais elles nous sont très utiles parce qu’elles nous permettent d’accéder à des informations désormais obligatoirement données aux préfectures par les associations cultuelles.

Faut-il préciser dans la loi la définition de l’entrisme ou du séparatisme islamiste pour renforcer la lutte contre ces phénomènes ? Pourquoi pas, mais pour ce qui nous concerne nous en avons une vision assez claire. Les outils dont nous disposons nous permettent depuis longtemps d’assurer un suivi assez performant de toutes ces salles de prières. Nous étudions avec les services juridiques les moyens d’utiliser plus aisément les techniques les plus intrusives quand nous traitons de ces thématiques mais à ce stade les services de renseignement disposent d’un ensemble d’outils satisfaisant.

Mme Caroline Yadan (EPR). Je vous remercie à mon tour, au nom de la Nation, pour votre travail quotidien et votre protection. Sont donc inscrits au FSPRT 520 individus faisant l’objet de votre surveillance. De combien d’agents dispose votre direction ?

M. Hugues Bricq. Le service compte 700 agents mais il ne faut pas raisonner en rapportant le nombre d’agents au nombre d’objectifs, car tous ne représentent pas le même degré de menace. Nous évaluons et réévaluons en permanence leur dangerosité en fonction d’indicateurs et de renseignements qui nous arrivent pour appliquer des mesures de surveillance plus intrusives et plus massives à certains moments si besoin est. Le gros de notre travail est la collecte de renseignement et la priorisation permanente des objectifs. Notre effectif étant malheureusement assez éloigné de l’effectif de référence, la préfecture de police a lancé un plan de renforcement de la DRPP et des recrutements sont en cours. Mais notre service assume ses missions et suit ses objectifs de manière satisfaisante, en tout cas ces dernières années. Nous parvenons régulièrement par divers moyens – visites domiciliaires, suites judiciaires, mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, saisines du procureur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale – à entraver les menaces. Nous avons d’ailleurs réussi pendant la période des Jeux Olympiques à faire face avec le même effectif à une menace exacerbée.

La réévaluation constante de la menace est d’autant plus nécessaire qu’un nombre significatif de nos objectifs est atteint de troubles psychiatriques graves qui rendent extrêmement dangereuse une radicalisation religieuse ancrée. Ceux-là sont notre préoccupation principale parce qu’ils sont imprévisibles.

Mme Caroline Yadan (EPR). Hier, M. Razavi a mentionné l’entrisme iranien dans les universités et le rôle névralgique de la propagande islamique de l’ambassade de la République islamique d’Iran. Vous êtes chargés de suivre les communautés étrangères et les légations. Comment articulez-vous la surveillance d’une ambassade et éventuellement de ses « proxys », ces agents qui pourraient être infiltrés dans les universités ou ailleurs ?

M. Hugues Bricq. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment précis en parlant du suivi des communautés étrangères, car contre-espionnage et contre-ingérence ne sont pas de notre compétence mais de la compétence exclusive de la DGSI. Je parlais des « communautés étrangères » au sens de diasporas, d’associations communautaires, de la vie d’une communauté, de l’opposition politique, des manifestations de voie publique. C’est souvent par ce prisme que nous travaillons sur les communautés. Nous nous intéressons évidemment à celles qui sont les plus présentes sur la voie publique parce qu’une grande partie de la compétence du service relève du maintien de l’ordre public. Je me dois d’aviser le préfet de police et la direction de l’ordre public des manifestations à venir, de l’état d’esprit des manifestants et de leur nombre. Quant au suivi des légations, il s’explique par les contacts que nous entretenons avec elles pour organiser des événements en grand nombre au long de l’année, mais nous n’empiétons pas sur les compétences de la DGSI. Au contraire, nous disposons parfois d’éléments à la marge de notre compétence que nous leur transmettons.

Pour répondre plus directement à votre question, nous avons des contacts avec des associations de la diaspora iranienne, mais ce ne sont évidemment pas des suppôts du régime. Travailler sur les agents du régime iranien en France ne relève pas de notre compétence. Si un renseignement d’opportunité nous arrive, nous le transmettons à la DGSI. À notre niveau, nous n’avons identifié ni entrisme ni ingérence iranienne dans les universités ou dans les manifestations. Cela ne signifie pas que cela n’existe pas, mais notre service n’est peut-être pas le mieux placé pour en juger.

Mme Caroline Yadan (EPR). Vous n’avez donc rien observé de ce que plusieurs personnes auditionnées ont mentionné devant nous. Collaborez-vous avec les chercheurs et les journalistes d’investigation qui travaillent sur des documents précis, ne serait-ce qu’en les auditionnant pour profiter des informations qu’ils peuvent vous donner ? Je prendrai l’exemple du collectif Samidoun. Interdit en Allemagne et défini comme organisation terroriste par les Pays-Bas, le Canada, les États-Unis, il n’est toujours pas dissous en France. Pourtant, plusieurs éléments pourraient servir à conduire des investigations supplémentaires pour parvenir à sa dissolution, ce collectif pouvant être considéré comme une pieuvre ayant des liens avec plusieurs associations connexes au Hamas et au Front populaire de libération de la Palestine. Des chercheurs ou des journalistes d’investigation pourraient peut-être vous aider à mener des investigations plus complètes que vous pourriez transmettre au ministère de l’intérieur. Travaillez-vous avec ces professionnels ?

M. Hugues Bricq. Des échanges ont lieu entre la communauté du renseignement et des chercheurs ou des journalistes – plus souvent des chercheurs –, mais la DRPP est, je vous l’ai dit, un service très tourné vers l’opérationnel. Un cadre d’échanges réunit les chercheurs, la coordination nationale du renseignement et l’Académie du renseignement. La DGSI a aussi des échanges avec des chercheurs dont les travaux portent sur des domaines de compétence spécifiques, mais je ne veux pas m’exprimer en son nom. La DRPP ne travaille pas directement sur des sujets opérationnels avec des journalistes.

Nous connaissons bien et suivons le collectif Samidoun. Malheureusement, à ce jour, nous n’avons pas réussi à documenter des éléments suffisants pour le faire dissoudre. Parvenir à la dissolution d’une association est un travail de longue haleine qui suppose de soumettre à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques des centaines de pages de mémoire attestant d’éléments convergents et récurrents. Il ne suffit pas qu’un collectif ait été défini comme une organisation à caractère terroriste à l’étranger pour qu’il le soit en France. Les pays de droit anglo-saxon ont moins de difficultés juridiques que les pays de droit latin à classer « organisation terroriste » une association. Nous poursuivons notre travail de documentation avec nos partenaires mais, pour répondre directement à votre question, la DRPP n’a pas de contacts directs avec ces chercheurs, ce n’est pas le lieu.

Mme Caroline Yadan (EPR). Je suppose qu’un ouvrage aussi documenté sur Samidoun que celui de Nora Bussigny peut apporter des éléments pour vous aider. J’entends absolument que la surveillance des groupes politiques n’entre pas dans vos missions parce que nous sommes dans un État de droit, et c’est tant mieux. C’est un des fondements de notre démocratie. Mais imaginons que, dans le cadre de votre surveillance de phénomènes d’emprise dans un quartier, de séparatisme ou d’ingérence islamiste dans l’espace public, vous identifiiez la présence d’un élu, maire, député ou député européenne. Pousserez-vous les investigations plus loin, ou non ?

M. Hugues Bricq. Tout dépendrait de la normalité ou de l’anormalité de la présence ou de la relation. Dans une manifestation, on peut se trouver à côté de gens qui ne sont pas convenables mais on exprime publiquement une opinion politique que nous n’avons pas à juger. Si, hors toute visibilité, nous détections autour d’objectifs suivis par notre service une ou un élu national ou local et si cette présence revêtait à nos yeux un caractère anormal, nous rendrions compte de ce que nous avons constaté à l’autorité administrative. Mais, je le redis, la condition sine qua non de ce rapport serait l’anormalité de la relation. Il est normal que les élus, notamment les élus locaux, aient des contacts avec l’ensemble de leurs administrés. C’est d’ailleurs une difficulté pour nous quand nous nous intéressons à des écosystèmes ou de l’entrisme, de l’ingérence ou de l’influence sur des élus locaux : à quel moment la relation entre élu et administrés verse-t-elle dans l’anormal, puisqu’il est normal qu’un élu local s’occupe de l’ensemble de ses administrés, des communautés religieuses quelles qu’elles soient, des communautés étrangères et nationales ? Nous ne cherchons pas à savoir qui les élus rencontrent, nous travaillons sur nos objectifs, et c’est à partir de nos objectifs que nous pouvons éventuellement détecter des anomalies en termes d’influence, d’ingérence ou d’entrisme. Si, en suivant un individu radicalisé, nous détections une relation anormale entre lui et un élu, le renseignement serait certainement remonté à l’autorité administrative, mais l’hypothèse est virtuelle.

Mme Caroline Yadan (EPR). C’est bien, aussi, ce que vous entendez par la conscientisation et la désignation publique par les préfets, ou s’agit-il d’autre chose ?

M. Hugues Bricq. En France, l’entrave ne relève pas des services de renseignement, sinon, très rarement, pour le seul qui a une compétence judiciaire. Dans une démocratie, un service de renseignement collecte des renseignements puis informe les autorités administratives ou judiciaires – et en ce cas, généralement par le biais de l’autorité préfectorale – au titre de l’article 40. Or, la conscientisation est une forme d’entrave, a fortiori la désignation publique.

M. le président Xavier Breton. Cela signifie-t-il que les élus jouissent d’une immunité en termes de surveillance par rapport aux autres citoyens ?

M. Hugues Bricq. Monsieur le président, nous ne surveillons pas d’élus. Ni le fichage politique ni la surveillance des élus ne font partie des missions des services de renseignement. Si nous devions le faire ce serait dans les conditions exceptionnelles que j’ai évoquées et après avis des autorités compétentes.

M. le président Xavier Breton. Je reformule ma question : si vous constatez qu’un élu agit ou se comporte d’une manière qui mérite selon vous d’être creusée et surveillée, vous interdirez-vous de le faire parce que c’est un élu ?

M. Hugues Bricq. Non. Par exemple, si nous disposons d’éléments attestant par exemple qu’une personne est en cours de radicalisation terroriste, nous la surveillerons même s’il s’agit d’un élu.

M. Jérôme Buisson (RN). Avez-vous déjà constaté la présence d’individus radicalisés que vous surveillez sur des listes électorales ?

M. Hugues Bricq. C’est arrivé une seule fois, pour un individu suivi pour suspicion de radicalisation islamiste qui était d’ailleurs apolitique, donc relié à aucun parti. Il a été élu et s’est retrouvé dans un conseil municipal sans fonctions exécutives et marginalisé.

M. Jérôme Buisson (RN). Entend-on lors des prières dans les mosquées radicalisées des appels à participer au processus électoral ? Y a-t-il, comme cela peut d’ailleurs arriver dans les églises, des consignes de vote ?

M. Hugues Bricq. Nous serons vigilants lors des élections municipales, soyez-en certains. C’est le type d’informations que nous ferions remonter, cela va de soi, mais nous ne constatons pas cela. Cela étant, depuis quelques années les prêches dans les mosquées sont très aseptisés. Non seulement les imams et les recteurs savent que ce qui se dit dans les mosquées est rapporté par les services de renseignement mais les entraves administratives – dissolutions et fermetures – ont aussi conduit à cette aseptisation. Donc, non, ce type de discours n’est pas tenu lors des prêches, en tout cas nous ne l’avons pas constaté. C’est plutôt dans les écosystèmes que j’ai mentionnés que des référents islamiques peuvent, par le biais de leurs « fidèles » inciter à aller voter.

M. Jérôme Buisson (RN). Des groupuscules d’extrême gauche ou d’autres, que vous surveillez, ont-ils des liens avec les islamistes ?

M. Hugues Bricq. Non, très peu, même si cela doit parfois leur traverser l’esprit. L’ultragauche essaye de manière récurrente d’embarquer les jeunes des quartiers mais cela n’a jamais vraiment fonctionné. L’ultragauche était totalement absente lors des émeutes et des violences urbaines, et on ne la voit pas non plus quand il est question d’islamisme radical.

En revanche, une certaine frange, marginale, groupusculaire sinon individuelle, de l’ultradroite négationniste se rapproche, par antisémitisme pur, de certains islamistes ou référents religieux islamistes qui tiennent des propos antisémites, souvent hors nos frontières. Ce sont des rapprochements « intellectuels », si vous si vous me pardonnez cette malheureuse expression, non des rapprochements visant des actions de terrain ou l’organisation de projets.

M. le président Xavier Breton. Je vous remercie. Vous pouvez compléter ces échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons adressé.

La séance s’achève à dix-huit heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Matthieu Bloch, M. Xavier Breton, M. Jérôme Buisson, Mme Constance Le Grip et Mme Caroline Yadan.