Compte rendu

Commission d’enquête
sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public

– Audition conjointe, ouverte à la presse, de Mme Christine Albanel, présidente du comité d’éthique de France Télévisions, Mme Brigitte Benkemoun, membre du comité d’éthique de France Télévisions, et M. Jérôme Cathala, médiateur de France Télévisions, et M. Gérald Prufer, médiateur des programmes des chaînes de France Télévisions              2

– Présences en réunion................................21

 


Jeudi
4 décembre 2025

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 3

session ordinaire de 2025-2026

Présidence de
M. Jérémie Patrier-Leitus
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à onze heures

La commission auditionne conjointement Mme Christine Albanel, présidente du comité d’éthique de France Télévisions, Mme Brigitte Benkemoun, membre du comité d’éthique de France Télévisions, M. Jérôme Cathala, médiateur de France Télévisions, et M. Gérald Prufer, médiateur des programmes des chaînes de France Télévisions.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Mes chers collègues, je vous souhaite la bienvenue pour cette nouvelle audition mais, avant que nous entendions nos invités, je souhaite revenir sur un grave incident survenu il y a quelques jours.

Comme vous le savez sans doute, les administrateurs de notre commission d’enquête ont été violemment pris à partie et ont subi des attaques verbales d’une violence inouïe et d’une agressivité intolérable de la part d’éditorialistes d’une chaîne télévisuelle. En démocratie, chacun est évidemment libre de ses opinions sur nos institutions et de critiquer leur fonctionnement, mais le respect des femmes et des hommes qui les animent, comme celui des fonctionnaires qui les font vivre, est et doit être à chaque instant absolu. Je condamne avec la plus grande fermeté et la plus grande gravité ces propos et je redis, sans douter vous associerez-vous à moi, notre plein soutien aux administrateurs de notre assemblée dont je rappelle qu’ils participent pleinement à notre travail parlementaire, eux qui ont fait le choix de dédier leur vie à l’intérêt général et au service des Français.

Ces propos traduisent en outre une méconnaissance assez profonde du fonctionnement de nos institutions. Je rappelle donc que, selon le règlement de l’Assemblée nationale, les convocations des personnes auditionnées sont des décisions politiques qui, après consultation du rapporteur et du bureau, relèvent de la compétence exclusive du président de la commission d’enquête, et aucunement des administrateurs de l’Assemblée nationale. Par conséquent, dans le respect du règlement et des dispositions relatives aux pouvoirs du président, je continuerai de prendre toutes les décisions utiles et nécessaires pour que cette commission d’enquête ne soit pas dévoyée. Si certains contestent les décisions prises par la commission, qu’ils s’en prennent à moi, et certainement pas aux administrateurs de l’Assemblée nationale.

Cela me permet de rappeler que j’ai réuni le bureau de la commission le mercredi 26 novembre 2025, en présence du rapporteur, pour valider le programme des auditions du mois de décembre, lequel vous a été transmis. Je convoquerai une nouvelle réunion du bureau dans les prochains jours afin d’établir le calendrier des auditions pour les mois de janvier et de février 2026. Au-delà des suggestions du rapporteur, je suis à votre disposition et à votre écoute si vous avez des propositions de personnalités qui mériteraient d’être auditionnées.

Je souhaite maintenant la bienvenue aux représentants du comité d’éthique et aux médiateurs de France Télévisions. Bien que l’on parle de « comité d’éthique », il convient de préciser que l’article 11 de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias a créé un « comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes » (CHIPIP). Désormais transcrit à l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, ce comité est composé de cinq personnalités indépendantes nommées pour une durée de trois ans. Vous devez contribuer au respect des principes énoncés à l’article premier de cette même loi, à savoir les grands principes de neutralité, d’équité dans le traitement de l’information et d’objectivité. Vous pouvez être saisis ou consultés à tout moment par les organes dirigeants de la personne morale à laquelle vous êtes rattachés – en l’occurrence France Télévisions –, par le médiateur ou par toute autre personne. Vous informez par ailleurs l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de tout fait susceptible de contrevenir à ces principes.

Pour représenter ce comité, nous accueillons tout d’abord sa présidente, Mme Christine Albanel ; soyez la bienvenue Mme la ministre. Je rappelle que vous avez été la collaboratrice de Jacques Chirac pendant de nombreuses années, tant à la mairie de Paris qu’à l’Élysée, où vous avez été sa plume, puis sa conseillère pour l’éducation et la culture. Vous avez été directrice de l’établissement public du château de Versailles à partir de 2003, puis ministre de la culture et de la communication de 2007 à 2009. Vous avez ensuite été directrice exécutive d’Orange.

Madame Brigitte Benkemoun, vous avez derrière vous une longue carrière de journaliste qui a commencé à Europe 1 de 1986 à 1997. Vous avez ensuite travaillé à France Inter et pour France 2. Vous êtes également auteure de plusieurs ouvrages.

Je commencerai cette audition en indiquant que, lorsqu’on consulte la page consacrée au comité d’éthique sur le site de France Télévisions, on ne peut qu’être surpris par le faible nombre de saisines, ainsi que par la brièveté de votre rapport annuel. Pourriez-vous nous en préciser les raisons ? Le comité est-il trop peu connu et quelles actions pourriez-vous mener pour gagner en visibilité ?

Il y a quelques semaines, la CGT a dénoncé le soi-disant communautarisme de France Télévisions après un reportage de France 3 qui revenait sur les attaques terroristes du Hamas. Les propos de la CGT sont particulièrement graves et laissent entendre que les réalisateurs de ce reportage n’adoptent qu’un seul point de vue, « celui d’une communauté juive qui se sent légitimement meurtrie par ce massacre, mais sans jamais le restituer dans un conflit plus large ». Elle va même jusqu’à s’indigner que le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), M. Jonathan Arfi, soit mentionné, ajoutant que « l’instrumentalisation du 7 octobre pour stigmatiser LFI et le taxer d’antisémitisme est devenue un sport national ». Madame la présidente, le comité d’éthique s’est-il saisi de ce reportage ou en avez-vous été saisis par un autre biais ? Et, comme le prétend la CGT, estimez-vous que les règles déontologiques n’ont pas été respectées en l’espèce ?

Monsieur Jérôme Cathala, vous êtes diplômé notamment du Centre de formation des journalistes (CFJ) et vous avez commencé votre carrière à France 2, puis à France 3 comme rédacteur en chef du service politique pendant six ans. Vous avez été directeur des journaux télévisés et vous êtes, depuis 2020, médiateur de l’information de France Télévisions. Monsieur Gérald Prufer, vous avez commencé comme pigiste, puis avez intégré la rédaction de France 3, puis de Réseau France outre-mer (RFO), où vous avez notamment été rédacteur en chef et responsable d’édition. Vous avez occupé divers postes dans les outre-mer et vous êtes médiateur des programmes des chaînes de France Télévisions depuis le mois de décembre 2019.

Avant de vous donner la parole, puis de passer aux questions du rapporteur et de nos collègues, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

 

(Mme Christine Albanel, Mme Brigitte Benkemoun, M. Jérôme Cathala et M. Gérald Prufer prêtent successivement serment.)

 

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Je précise à mon tour que je suis moi-même membre du conseil d’administration de France Médias Monde depuis le mois d’octobre 2022 et que j’ai été corapporteur de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Je vous laisse la parole.

Mme Christine Albanel, présidente du comité d’éthique de France Télévisions. Merci M. le président pour votre accueil. Je rappelle que les comités d’éthique ont été créés par la « loi Bloche » fin 2016 et ont commencé à fonctionner en 2017. Personnellement, j’ai été nommée en octobre 2020. Vous avez mentionné cinq membres. C’est vrai en théorie, mais nous sommes quatre, un départ n’étant pas toujours remplacé. À mon arrivée, le comité comptait notamment Mme Geneviève Avenard, devenue Défenseure des enfants, et M. Stéphane Voisin. M. Francis Balle, professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas et à Sciences Po, qui dirige également la Revue européenne des médias, a assuré une forme de continuité depuis les débuts jusqu’à une date récente. Il a démissionné pour donner des cours à Stanford mais aussi pour des raisons personnelles et familiales. Mme Laurence Franceschini nous a ensuite rejoints ; elle est médiatrice du cinéma, conseillère d’État, présidente de la commission paritaire des publications et des agences de presse, et a beaucoup travaillé sur les États généraux de l’information. Récemment, M. Thomas Janicot, qui est maître des requêtes au Conseil d’État, nous a également rejoints. Il est par ailleurs président de la commission art et essai du Centre national du cinéma et de l’image animée. Enfin, il y a Mme Brigitte Benkemoun, journaliste et écrivain, et moi-même. En pratique, nous sommes seulement quatre membres.

Depuis la création du comité, il y en a eu une quarantaine de saisines, dont une vingtaine depuis mon arrivée à la présidence. Au total, neuf avis ont été rendus, dont six sous ma présidence. Ils sont le fruit d’un travail très important et soulèvent souvent des questions complexes. Ils sont ensuite publiés sur le site et transmis à la présidence de France Télévisions. Nous pouvons également saisir l’Arcom, il est vrai. Il arrive souvent que celle-ci soit également saisie sur un même sujet, mais nous ne rejetons pas une saisine pour ce motif, sauf s’il s’agit d’un simple copier-coller. Dès lors que nous sommes saisis en tant que tels sur des sujets relevant de notre compétence, nous restons maîtres de leur traitement. Nous ne traitons pas non plus les saisines qui relèvent strictement du domaine judiciaire, comme une affaire liée à la loi sur la presse, ni les demandes de déprogrammation d’une émission, qui sont parfois formulées sans argumentaire précis.

Le nombre de saisines n’est effectivement pas considérable : alors pourquoi ? Tout d’abord, je pense que les comités d’éthique sont encore trop peu connus ; moins de dix ans après leur création, c’est assez court pour qu’ils s’installent véritablement dans le paysage. Ensuite, l’Arcom, anciennement le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), a des décennies d’existence, est très connue et occupe une place considérable dans le paysage institutionnel en tant que régulateur. C’est la raison pour laquelle beaucoup de personnes qui pourraient saisir notre comité se tournent directement vers elle.

Enfin, cette rareté tient aussi à la nature même de nos sociétés respectives. Radio France, avec ses différentes antennes, propose énormément d’émissions de plateau et de reportages avec des invités, ce qui constitue l’essence même de la radio. L’offre de France Télévisions est, quant à elle, majoritairement composée de films, d’émissions de variétés, de séries historiques et de téléfilms, souvent de qualité. Bien sûr, des magazines d’information et d’investigation sont également diffusés, mais les occasions de saisine sont objectivement plus nombreuses pour Radio France que pour France Télévisions.

Cet ensemble de facteurs explique à mon sens le nombre assez limité de saisines. Il nous est difficile de lancer une campagne de communication pour inviter à davantage nous saisir ; ce n’est pas notre but. D’ailleurs, le fait que ces dernières soient peu nombreuses n’est pas forcément un mauvais signe en soi. Cela peut également signifier que le nombre de sujets suffisamment aigus pour justifier une saisine n’est pas très élevé, ce qui correspond aux enquêtes qui montrent que les Français accordent une confiance relativement forte dans l’audiovisuel public. Nous sommes néanmoins conscients de la nécessité d’être davantage connus et nous travaillons actuellement avec France Télévisions pour progresser dans ce sens.

Concernant la question très précise que vous avez posée sur la CGT, nous n’avons pas été saisis, mais nous nous sommes posé la question de l’autosaisine. Nous sommes très peu nombreux et nous n’avons pas les moyens d’exercer une veille globale. Nous avons donc estimé que nous devions nous autosaisir uniquement si un sujet s’imposait très massivement dans l’actualité, comme ce fut le cas pour l’affaire Cohen-Legrand. Dans ce cas précis, nous avons décidé de nous autosaisir, mais cela reste assez rare. En réalité, nous sommes davantage dans l’attente d’être saisis que dans une démarche d’autosaisine.

M. Jérôme Cathala, médiateur de France Télévisions. Nous allons essayer de présenter à deux voix et en quelques mots ce qu’est l’institution de la médiation à France Télévisions, qui est assez originale et n’existe pas dans toutes les entreprises de presse. Elle a été créée il y a un peu plus d’un siècle aux États-Unis par Joseph Pulitzer, propriétaire de journaux qui estimait que, pour garantir la confiance entre les lecteurs et les journalistes, il était important de disposer d’une institution indépendante. Dès le début, il a instauré à cet effet des critères qui s’appliquent encore aujourd’hui : des professionnels, en l’occurrence des journalistes, se voient confier une mission en toute indépendance, à l’intérieur de l’entreprise mais en dehors de toute hiérarchie.

En France, la médiation est apparue dans les années 1990, d’abord dans la presse écrite au sein des journaux Le Monde et La Croix, puis en 1998 dans l’audiovisuel avec la création du médiateur de France 2, suivi par celui de Radio France en 2002 et de TF1. Il n’existe pas de médiateur partout ; c’est une vraie volonté de l’entreprise d’instaurer un service qui assure la relation entre ceux qui consomment nos contenus et ceux qui les produisent. Nous respectons toujours ces critères : le médiateur doit être un journaliste reconnu pour son respect des valeurs de la profession et bénéficier de la reconnaissance de l’éditeur, de la rédaction et du public. Il est indépendant de toute hiérarchie durant la durée de son mandat, ce qui est notre cas. Il est irrévocable durant son mandat et sa liberté de parole est totalement garantie. Nous n’exerçons pas d’autre fonction éditoriale exécutive au sein de l’entreprise et nous pouvons témoigner que notre indépendance est réelle : depuis décembre 2019 et janvier 2020, nous n’avons subi aucune pression interne et personne ne nous a demandé d’intervenir ou de ne pas intervenir.

M. Gérald Prufer, médiateur des programmes des chaînes de France Télévisions. Je souhaite vous indiquer que j’ai exercé des mandats électoraux : j’ai été conseiller général de la Martinique et conseiller municipal de la ville de Saint-Pierre, dont je suis originaire, entre 1994 et 2000. Par la suite, j’ai exercé diverses responsabilités, notamment en tant que directeur régional à Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie, à La Réunion, à Mayotte, en Guadeloupe, en Guyane et en Polynésie française. Lorsque j’étais directeur à Mayotte, j’ai travaillé avec la députée Estelle Youssouffa, avec qui j’ai gardé une relation extrêmement amicale.

Pour en revenir au fonctionnement de la médiation, tout ce que nous allons vous dire est inscrit dans la charte des antennes de France Télévisions, qui précise les missions des médiateurs et leur indépendance. Nos missions consistent tout d’abord à assurer l’interface entre le public et les chaînes de France Télévisions. Nous pouvons être saisis directement par les téléspectateurs par courrier ou sur les plateformes, ou par l’intermédiaire du service des relations avec les téléspectateurs. Il faut comprendre que nous travaillons au sein d’un écosystème qui comprend ce service, la médiation et un service de veille des réseaux sociaux.

Nous examinons les remarques, critiques, suggestions ou protestations concernant le traitement de l’information dans les journaux, les magazines ou les éditions numériques. Nous communiquons nos avis aux parties concernées, qu’il s’agisse de plaignants ou de personnes exprimant leurs félicitations. Nous expliquons notamment aux téléspectateurs les rouages de France Télévisions, les choix des rédactions et notre façon de travailler.

Ces interventions ont toujours lieu a posteriori ; les médiateurs n’interviennent jamais dans le choix, la préparation ou l’élaboration des programmes. Nous pouvons néanmoins jouer un rôle de vigie : étant en prise directe avec le public, nous pouvons ressentir les vibrations de la société et alerter les directions de France Télévisions.

Il faut aussi préciser que nous n’avons aucun pouvoir de sanction. La médiation doit donc être visible, c’est pourquoi nous disposons d’un espace éditorial régulier, l’émission « Votre télé et vous », diffusée sur France 2, France 3 et la plateforme france.tv, qui permet de nous faire connaître du plus grand nombre.

M. Jérôme Cathala. J’ai omis de signaler que je connais Mme Brigitte Benkemoun, avec qui nous avons travaillé ensemble à France Télévisions il y a un peu plus de dix ans.

Nous recevons en moyenne 6 000 à 7 000 courriels par an, ainsi que quelques courriers postaux, et nous nous efforçons de répondre à tous. Gérald Prufer s’occupe des programmes, tandis que je me charge de l’information. Nous répondons au public par la même voie, après avoir mené une enquête, interrogé les producteurs de contenu et vérifié s’il y avait eu des erreurs ou des manquements aux règles déontologiques. Nous donnons régulièrement raison aux téléspectateurs et demandons à la rédaction, si elle ne l’a pas déjà fait, de présenter des excuses et d’expliquer l’erreur.

Nous intervenons aussi publiquement via l’émission mensuelle déjà mentionnée, ainsi que sur l’antenne de France Info lorsque l’actualité le justifie. Nous participons également à la page « Une information transparente » sur le site franceinfo.fr, page assez originale où les journalistes et nous-mêmes pouvons donner des informations directement au public. Sur les réseaux sociaux, nous ne répondons pas directement ; il s’agit le plus souvent d’avis ou d’opinions. Nous y indiquons notre adresse courriel pour toute saisine formelle.

Enfin, dans notre émission télévisée, nous faisons intervenir des responsables de France Télévisions pour répondre à des questions précises, mais aussi des historiens des médias ou des confrères, y compris étrangers, pour élargir le débat. Les thèmes de ces émissions sont toujours bâtis à partir des courriels des téléspectateurs, dont les questions sont lues à l’antenne.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Des salariés à plein temps vous accompagnent-ils au sein du comité d’éthique ou êtes-vous tous bénévoles sans personnel dédié ?

Mme Christine Albanel. Nous sommes bien sûr tous bénévoles. Une personne de la direction de la déontologie, qui dépend du secrétariat général, nous accompagne pour les aspects pratiques : organiser les auditions, fournir les liens pour les visioconférences, assurer les transmissions, etc… mais c’est tout.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. J’entends donc qu’il s’agit d’un soutien administratif mais qu’il n’y a aucun personnel dédié pour travailler sur le fond à vos côtés.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Je voudrais revenir sur votre activité, pour que les Français comprennent bien votre rôle. Au cours des cinq dernières années, depuis 2020, le comité d’éthique de France Télévisions n’a rendu que six avis. En comparaison, celui de Radio France fait état d’une trentaine. Comment justifiez-vous ce rapport d’un à cinq entre votre volume de travail et celui de Radio France ?

Mme Christine Albanel. Comme je l’ai dit, un problème de notoriété se pose pour tous les comités d’éthique, celui de Radio France étant peut-être un peu plus connu. La raison principale est, à mon sens, liée à la nature même des activités de chaque entreprise. Les saisines que nous recevons concernent presque exclusivement l’honnêteté de l’information, c’est-à-dire des journaux télévisés ou des magazines d’investigation dans lesquels des personnes ou des entreprises estiment que des informations biaisées et préjudiciables ont été diffusées à leur sujet. Nous avons eu très peu de saisines sur le terrain du pluralisme ; en fait, et aucune depuis que j’assure la présidence.

Je ne connais pas le détail des saisines de Radio France, mais je suppose que le grand nombre d’émissions de plateau et de débats avec de nombreux invités, ce qui est bien moins le cas sur France Télévisions, multiplie les occasions de saisine. Certes, il existe des émissions comme « C dans l’air », « C politique » ou « C à vous », et nous avons été saisis à propos de « 13h15 le dimanche », mais cela ne représente pas la majorité des programmes de France Télévisions. C’est une partie importante, mais non majoritaire. Je pense que c’est la raison principale de cette différence.

Pourrions-nous faire plus ? Certainement. Par exemple, nous pourrions être présents sur la page dédiée du site de France Télévisions évoquée par Jérôme Cathala. Nous y réfléchissons. En tout cas, le thème du pluralisme est peu abordé dans nos saisines. D’ailleurs, nous n’avons eu aucune saisine concernant la chaîne France Info.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Je rappelle qu’il existe deux modes de saisine : celle des téléspectateurs sur des sujets de neutralité, d’honnêteté et d’indépendance, mais aussi votre propre capacité d’autosaisine, notamment pour alerter l’Arcom. Sur les cinq dernières années, vous ne vous êtes autosaisis qu’une seule fois, au sujet de l’affaire Cohen-Legrand. Considérez-vous que, depuis cinq ans et particulièrement ces derniers mois, France Télévisions a été parfaitement irréprochable du point de vue de l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme, qui sont des objectifs dont la valeur juridique est clairement consacrée par la loi Léotard ?

Mme Christine Albanel. Personne n’est irréprochable et des améliorations sont toujours possibles. Les dirigeants de France Télévisions en sont les premiers conscients, puisqu’un travail est actuellement mené pour progresser sur la voie du pluralisme.

La question est de savoir ce que nous pouvons faire avec nos moyens ; je le répète, nous sommes quatre, sans moyens d’investigation ni système de veille permanent. Nous ne sommes pas l’Arcom ! La question de l’autosaisine s’est donc posée, mais nous avons estimé qu’il fallait la réserver à des cas très particuliers, partant du principe que les personnes concernées avaient toute latitude pour nous saisir. Même sur des sujets qui défraient l’actualité, comme le dernier « Complément d’enquête », nous n’avons pas été saisis. Faut-il s’autosaisir d’un sujet qui occupe déjà l’espace médiatique et sur lequel l’Arcom est intervenue, alors que nous n’avons pas les moyens de mener de grandes investigations ? Nous pouvons nous renseigner, mener des auditions et porter un jugement en toute indépendance mais c’est un choix qui a été fait. Doit-il être remis en cause ? Peut-être…

Près de dix ans après la création de ces comités, c’est le bon moment pour se poser ces questions. Les États généraux de l’information (EGI) ont soulevé de nombreuses questions comme le manque de moyens ou les modalités de nomination des membres des comités d’éthique. Il appartiendra au législateur d’en décider le cas échéant. Toujours est-il que, dans le cadre actuel de nos missions et avec les moyens dont nous disposons, nous ne pouvons pas nous autosaisir à chaque problème ; nous nous efforçons de traiter au mieux les saisines que nous recevons.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Vous semblez déplorer un manque de moyens et l’absence de capacité de veille, ce qui est pour le moins étonnant pour une entreprise comme France Télévisions, dotée d’un budget de plusieurs milliards d’euros financés par le contribuable. De qui dépend votre capacité à obtenir des moyens de veille et d’autosaisine ? Serait-ce à la direction de France Télévisions de vous accorder plus de moyens pour que vous puissiez vous saisir des sujets remarqués par les téléspectateurs concernant les principes d’honnêteté, de pluralisme et de neutralité ?

Mme Christine Albanel. Encore une fois, le but n’est pas que le comité d’éthique devienne un nouveau petit Arcom. La tendance française à faire grossir les structures n’est pas souhaitable. Je conçois plutôt notre rôle comme celui d’une cellule assez souple qui, saisie d’un sujet relevant de sa compétence, le traite au mieux et le plus rapidement possible, souvent plus vite que l’Arcom. Nous publions ensuite nos conclusions et formulons des recommandations, qui sont d’ailleurs très attendues par les journalistes concernés.

J’ai été témoin de l’importance que les équipes des grands magazines d’investigation accordent à nos travaux lorsqu’elles font l’objet d’une plainte. Je me souviens par exemple d’une affaire concernant Unicef France : la question de l’utilisation d’acteurs pour dire des propos et incarner des personnes ne souhaitant pas apparaître à l’écran, en raison des risques de reconnaissance malgré le floutage, se posait. Nous avions estimé que le téléspectateur devait être constamment informé qu’il s’agissait d’un comédien. Ce sont des recommandations de ce type, parfois reprises d’ailleurs par l’Arcom, qui peuvent avoir une réelle influence. Pour ma part, encore une fois, je ne souhaite pas que le comité se dote d’une veille permanente ; ce n’est pas ainsi que je conçois sa mission.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Pourrions-nous dire qu’il règne aujourd’hui un flou entre les missions respectives du médiateur, de l’Arcom et du comité d’éthique ? Ça expliquerait que vous soyez peu saisis, les téléspectateurs se tournant plutôt vers le médiateur ou l’Arcom dont la visibilité est effectivement plus grande. Ne faudrait-il pas à ce titre revoir les périmètres et les fonctions de chacune de ces instances ?

Mme Christine Albanel. Oui, je pense que c’est un vrai sujet. Le médiateur et l’Arcom sont bien plus connus que les comités d’éthique, et un flou entoure les périmètres. Cependant, je ne crois pas qu’il y ait redondance entre le médiateur et le comité d’éthique. Le médiateur intervient sur des observations, relève des erreurs et fait le lien entre les téléspectateurs et les antennes. Les saisines que nous recevons concernent des sujets souvent plus lourds et complexes, parfois même avec une dimension historique. Je pense à une affaire récente concernant « 13 heures 15, le dimanche », qui concernait une saisine de la part du descendant du colonel de La Rocque au sujet d’un reportage sur les Croix-de-Feu. Ce sont des affaires délicates, confidentielles et complexes.

Mme Brigitte Benkemoun, membre du comité d’éthique de France Télévisions. Je voudrais préciser que nous ne rendons pas nos avis du haut de notre seule autorité. Nous auditionnons de nombreuses personnes. Dans le cas du petit-fils du colonel de La Rocque, nous avons par exemple pris la peine d’auditionner cinq ou six historiens. Nous menons, je crois, un travail extrêmement sérieux et respectueux de celui des journalistes. On ne peut pas rendre un avis à la légère, et il nous arrive de changer d’avis, comme ce fut le cas sur la question des comédiens remplaçant les témoins dans le documentaire auquel la présidente a précédemment fait allusion.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Le 25 janvier dernier, la chaîne France Info a diffusé un bandeau indiquant, je cite : « 200 otages palestiniens retrouvent la liberté. » Il s’agissait en réalité de détenus palestiniens, dont nombre d’entre eux avaient été condamnés pour des crimes terroristes. Ce bandeau a choqué de nombreux téléspectateurs et suscité une émotion légitime. Vous n’avez pas été saisis, et l’Arcom n’a pas davantage saisi France Info pour obtenir des explications. Auriez-vous dû vous autosaisir sur un sujet aussi précis ?

Mme Christine Albanel. Nous aurions pu. Cependant, nous sommes dans une actualité nationale et internationale extrêmement dense, violente et polarisée : les occasions de nous saisir seraient nombreuses. La question est de savoir comment agir de manière générale face à la multitude d’exemples de ce type. Nous aurions pu nous autosaisir en effet mais nous ne sommes pas en capacité de le faire systématiquement, compte tenu, encore une fois, de la fréquence de tels incidents.

Mme Brigitte Benkemoun. Nous ne sommes pas l’équivalent de la « police des polices » de l’information à France Télévisions. Notre fonction n’est pas de surveiller tous les journaux télévisés pour sanctionner. Nous ne sommes ni un tribunal, ni une police de l’information.

Mme Christine Albanel. En revanche, nous souhaiterions travailler davantage sur un temps long. Nous travaillons actuellement à mieux suivre certains magazines en nous répartissant les tâches, afin d’avoir une vision globale sur plusieurs mois et pour ainsi vérifier si le pluralisme est respecté. Nous devons en effet nous assurer qu’à une opinion exprimée puisse répondre une opinion contraire, pour que le téléspectateur se forme son propre avis. Nous travaillons dans ce sens, mais nous ne sommes pas une police de l’instantané qui réagirait à chaque déclaration.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Madame la présidente, je ne voudrais pas que vos propos soient déformés ; la question du rapporteur est importante. Assimiler des prisonniers à des otages est grave ! Or votre comité est relatif à l’honnêteté de l’information. On aurait légitimement pu considérer que le comité d’éthique s’en serais saisi, car qualifier des prisonniers d’otages dans ce contexte relève d’un manque d’honnêteté.

Mme Christine Albanel. Vous m’avez entendue dire que nous aurions pu le faire. Mais notre approche est nécessairement moins ponctuelle, déclaration par déclaration. Elle doit s’inscrire davantage dans la durée.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Sur France 5, il y a quelques semaines, une comparaison a été faite entre Jordan Bardella et Adolf Hitler en parlant d’« effet von Papen ». Le 11 septembre dernier, sur le plateau de l’émission politique de France 2, à une heure de grande écoute, Caroline Roux a reçu Mathieu Pigasse en le présentant comme un simple chef d’entreprise. Or il est à la tête de Mediawan, l’entreprise qui bénéficie le plus de fonds publics de la part de France Télévisions pour ses productions. De plus, il a fait la « Une » de Libération le 13 janvier 2024 en déclarant, je le cite : « Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale. » Pourtant, durant cette émission, face à celle qui est de fait son employée dans l’émission « C à vous », il a pu, pendant une vingtaine de minutes et sans contradicteur, affirmer que le Rassemblement national était un parti qui pourchassait les homosexuels et les étrangers. À aucun moment, Caroline Roux n’a mentionné cette « Une » de Libération, ni le rôle de M. Pigasse dans la production d’émissions de l’audiovisuel public, dont celle qu’elle présentait Sur ces deux faits, qui ont suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, on a le sentiment que la journaliste a fait preuve de partialité ou, a minima, d’omission. Pourquoi ne vous êtes-vous pas dit qu’il fallait vous autosaisir et rappeler ses obligations de service public à Caroline Roux ainsi qu’aux responsables de la ligne éditoriale ?

Mme Christine Albanel. Nous sommes dans la même logique que ce que nous vous avons exposé précédemment. Vous citez plusieurs exemples, et il y en a sûrement d’autres. C’est ce que nous allons essayer d’améliorer en observant telle ou telle émission sur la durée, mais réagir immédiatement en disant « il s’est dit telle chose » ou « il ne s’est pas dit telle chose », ce n’est pas ainsi qu’a été conçu le comité d’éthique. C’est là que se situe le problème. Il faut nous saisir et tout le monde le peut, les particuliers, les associations : c’est très libre. Encore faut-il que nous soyons au courant, ce qui n’est pas toujours le cas. Nos journées sont remplies et nous ne sommes pas forcément informés de tout ce qui se dit chaque jour sur toutes les antennes. La saisine par des tiers, plus que l’autosaisine, reste la solution, ou alors des observations ciblées sur le temps long, ce que nous allons essayer de mettre en place.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Je m’adresse maintenant aux médiateurs sur le cas précis de France TV Slash, programme destiné aux jeunes et notamment aux mineurs, diffusé sur les réseaux sociaux. Une association de la société civile a analysé les 3 000 publications de FranceTv Slash et a signalé que 500 d’entre elles posaient problème. Je cite quelques exemples de leurs signalements : la promotion du livre de Rokhaya Diallo, des appels aux dons pour le comité « Justice pour Adama » relayés par le service public, des injonctions à ne pas dire « bonjour monsieur » ou « bonjour madame » pour ne pas « mégenrer » les personnes, de multiples sujets sur la transition de genre, ou plus récemment, un « top 3 des érections qui existent » ou encore la promotion des « vertus thérapeutiques des champignons hallucinogènes ». Messieurs les médiateurs, avez-vous reçu des signalements sur ces sujets et, selon vous, cette ligne éditoriale est-elle conforme à la mission d’un service public s’adressant notamment à des publics mineurs ?

M. Jérôme Cathala. Sur FranceTv Slash, la réponse est simple : nous n’avons jamais reçu la moindre question sur aucun contenu diffusé par cette plateforme. Peut-être que notre public est constitué de téléspectateurs un peu plus âgés, ceux qui regardent les journaux télévisés ou les émissions de grande écoute sur les antennes généralistes, ou qui lisent le site franceinfo.fr. C’est sans doute la raison pour laquelle nous n’avons jamais été saisis de contenus de FranceTv Slash. Personne ne nous en a jamais parlé, en tout cas depuis 2020.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. L’Arcom est saisie, mais pas vous. Un mécanisme ne devrait-il pas permettre que vous soyez saisis directement, avant même que l’Arcom ne s’exprime ? Sinon, on peut là aussi s’interroger sur votre rôle. Le rapporteur cite des cas importants qui ont suscité un émoi tout à fait entendable. Le fait de ne pas en être saisis ou de ne pas vous autosaisir pose une réelle question, alors même que les réseaux sociaux et d’autres médias s’en emparent. Comment pourriez-vous être saisis ou vous saisir de ces sujets importants ?

M. Jérôme Cathala. Lorsque l’Arcom ou le comité d’éthique sont saisis d’une question, nous n’y touchons plus ; c’est peut-être aussi pour cela que nous ne sommes pas particulièrement saisis de ce genre de questions. Lorsque les personnes ont saisi une autorité institutionnelle comme l’Arcom, qui est censée avoir un point de vue engageant, ou le comité d’éthique, nous nous retirons. C’est l’une de nos règles de procédure.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Je m’adresse aux membres du comité d’éthique et aux médiateurs. Sur la ligne éditoriale de FranceTv Slash qui, par exemple, relaie un appel aux dons pour le comité Adama Traoré et diffuse des injonctions politiques, que vous ayez été saisis ou non, qu’en pensez-vous ? Cela vous semble-t-il conforme aux impératifs d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’audiovisuel public ?

Mme Christine Albanel. Je n’ai jamais suivi ni regardé FranceTv Slash. Un problème se pose visiblement et je pense qu’il doit entrer dans la réflexion globale dont je parlais. Je vais bien sûr l’évoquer avec les dirigeants de France Télévisions, avec tous les exemples qui ont été cités. Cela mérite d’être regardé de plus près, mais je ne peux guère en dire plus, ne connaissant pas les détails de ce que vous me dites.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Vous n’avez jamais refusé d’examiner des situations litigieuses ou vous n’avez simplement pas été saisis de ces différents sujets ?

Mme Christine Albanel. Les personnes qui regardent FranceTv Slash n’ont pas le réflexe de saisir les instances qui pourraient traiter le sujet.

M. Charles Alloncle, rapporteur. L’affaire Cohen-Legrand est l’un des seuls sujets dont vous vous êtes autosaisis. Pour rappel, ces deux journalistes ont été filmés dans un café avec des cadres du Parti socialiste. M. Legrand est un journaliste disposant d’un temps d’antenne important, notamment sur France Inter, et il en va de même pour M. Cohen sur les antennes de France Télévisions notamment. Dans votre avis du 12 septembre 2025, vous écrivez : « On ne peut pas affirmer au vu de cette séquence tronquée que Patrick Cohen avait d’autres objectifs que l’exercice de son métier. » Je me permets de vous rappeler les propos de Thomas Legrand : « Nous, avec Patrick Cohen, on fait ce qu’il faut pour Dati. » À aucun moment dans cette séquence, Patrick Cohen n’a contredit son confrère, ni apporté la moindre nuance. Estimez-vous que participer à une telle conversation, où il est question de mettre le rôle de journaliste de service public au service d’un parti politique, ne poursuit pas d’autres objectifs que celui de l’exercice du métier de journaliste ?

Mme Christine Albanel. Le fait que des journalistes rencontrent des politiques est une pratique constante et normale, qui fait partie de la vie démocratique. En revanche, que des conversations captées à l’insu des intéressés soient publiées est très discutable.

Nous avons regardé la séquence et constaté que Thomas Legrand s’exprimait, tandis que Patrick Cohen ne disait rien. On peut certes estimer qu’il aurait dû s’insurger, mais le fait est qu’il est resté silencieux. Il est donc compliqué d’affirmer qu’il a contrevenu à des règles déontologiques alors qu’il n’a absolument rien dit. Thomas Legrand a d’ailleurs lui-même reconnu que ses propos étaient une erreur et en a donné une autre interprétation. Nous nous sommes contentés de constater que Patrick Cohen, qui n’est pas un journaliste salarié de France Télévisions mais qui occupe une place importante à l’antenne, ne disait rien.

L’avis se termine, et ce n’est pas anodin, en rappelant qu’en cette période complexe, fracturée et polarisée, il est crucial que le service public soit très attentif au pluralisme des opinions, au respect des règles déontologiques et à la nécessaire impartialité des professionnels qui interviennent sur ses antennes. Nous avons expressément rappelé ces principes, qui ne sont ni insignifiants ni neutres. Tel est le sens de notre avis.

Mme Brigitte Benkemoun. Je me permets d’ajouter que c’est une séquence qui, comme vous le savez tous, a été montée. Il y a huit ou dix points de montage dans ce qui a été diffusé. On dit que Patrick Cohen ne dit rien mais, en réalité, nous n’en savons rien. C’est pourquoi notre avis demande avant tout que nous disposions de l’intégralité de ce document, pour savoir ce que Patrick Cohen a pu dire. En l’état actuel des choses, il ne dit rien, car ce qu’il a pu ajouter a été coupé au montage.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Je réagis à ce que vous dites, madame Benkemoun. Vous parlez de « séquences tronquées et montées ». Or, à la demande de M. Cohen lui-même, un constat d’huissier a été effectué et a permis de certifier que la vidéo n’a été ni tronquée, ni montée. À aucun moment, d’ailleurs, le comité d’éthique n’a demandé le rush complet, qui a été certifié par huissier. Votre avis se fonde donc sur un postulat faux. Quelle est donc la légitimité du comité d’éthique pour s’exprimer sur ce sujet à partir de postulats qui ont été démontrés comme étant faux ?

Mme Brigitte Benkemoun. À ma connaissance, l’enregistrement intégral n’a jamais été communiqué.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Vous ne l’avez pas demandé. Il a été communiqué à un huissier par les journalistes de L’Incorrect et cet huissier a démontré que la séquence n’avait été ni montée, ni tronquée. Je vous interroge là sur votre rôle, car vous affirmez des choses sans même demander à les vérifier. Vous affirmez que le montage a été tronqué, alors que cela a été infirmé par un huissier. Je pose donc la question de la légitimité de votre décision.

Mme Christine Albanel. L’avis indique qu’il serait souhaitable d’avoir connaissance de toute la séquence. Il apparaissait que Patrick Cohen ne disait rien ; c’est sur ce fait que l’avis a été rendu. Nous ne sommes concernés que par Patrick Cohen, pas du tout par Thomas Legrand.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Si Patrick Cohen avait été salarié de France Télévisions, et non simple chroniqueur, votre regard ou votre analyse auraient-ils été différents ?

Mme Christine Albanel. Non, car il est suffisamment présent à l’antenne.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. C’est bien pourquoi je pose la question. Son statut n’a donc pas d’impact sur la manière dont vous examinez les situations problématiques ?

Mme Christine Albanel. Non, nous ne faisons aucune différence. Ce qui compte, c’est la présence à l’antenne et ce qui a été dit ou non. Nous n’avons pas à juger des opinions des personnes.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Le 27 novembre, en l’espace de 24 heures, le magazine « Complément d’enquête », animé par M. Tristan Waleckx, a fait l’objet de deux rappels à l’ordre de la part de l’Arcom : un communiqué de presse et une mise en garde. L’un pour avoir repris, dans un reportage consacré à CNews, de fausses informations publiées par l’association Reporters sans frontières, qui ont dû être coupées au montage en dernière minute, et l’autre pour avoir manqué de rigueur et d’honnêteté sur un reportage précédent portant sur le Sénat. Trouvez-vous ces manquements préoccupants de la part de ceux qui ont la responsabilité de l’investigation au nom du service public ? Avez-vous été saisis par l’Arcom sur ce sujet et quelle réponse comptez-vous apporter ?

Mme Christine Albanel. Sur le « Complément d’enquête » consacré au Sénat, nous n’avons pas été saisis. Le président du Sénat, Gérard Larcher, a choisi de saisir l’Arcom directement, peut-être en raison de l’importance des moyens d’investigation de cette autorité. L’Arcom a rendu rapidement une décision détaillée et précise ; le sujet ayant été traité par l’Arcom, nous ne sommes pas intervenus.

S’agissant du « Complément d’enquête » sur CNews, l’Arcom est intervenue quelques heures avant la diffusion pour remettre en cause certains éléments chiffrés. La direction de France Télévisions a aussitôt pris la décision de retirer ces éléments. Nous n’avons pas été saisis là non plus. On peut considérer que l’Arcom étant intervenue et France Télévisions ayant agi, il n’y avait pas lieu pour nous de nous autosaisir à ce moment-là, d’autant plus qu’il s’agit de sujets très complexes sur lesquels nous n’avons pas les moyens de vérifier des chiffres contradictoires. Cette affaire est aujourd’hui dans tous les esprits, a fait l’objet d’une décision et d’une action de la part de France Télévisions, laquelle est d’ailleurs contestée en interne. Pour moi, une décision de l’Arcom, en tant que régulateur, fait autorité.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Cela pose la question de l’articulation et de la complémentarité entre les comités d’éthique et l’Arcom. On pourrait en effet considérer qu’il est important que le comité d’éthique puisse s’exprimer sur ces sujets au-delà du périmètre de l’Arcom, car il est composé de membres indépendants et sa raison d’être comme sa composition diffèrent de celles de l’Arcom.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Messieurs les médiateurs, vous recevez des milliers de courriels de téléspectateurs. Dans votre rapport pour 2023-2024, à la page 48, vous écrivez : « Les choix éditoriaux sont souvent questionnés et contestés sur l’air du soupçon ou du complotisme. Cette question de confiance et de défiance, notamment en matière d’information politique, est toujours très présente dans les courriels. » À vous lire, j’ai l’impression que le soupçon d’entorse aux principes de neutralité, d’indépendance et d’honnêteté de la part de la direction, des éditeurs et des journalistes de France Télévisions n’a jamais été véritablement évacué au cours des dernières années. Au vu de l’ensemble des saisines que vous recevez, ce point demeure-t-il aussi sensible ?

M. Jérôme Cathala. C’est effectivement l’une des questions les plus importantes. Pour l’anecdote, je tiens néanmoins à rappeler à la Représentation nationale que la grande majorité des courriels que nous recevons ne porte pas sur ce sujet, mais sur un point qui peut paraître mineur à certains, mais pas aux Français qui nous écrivent : les anglicismes et la protection de la langue française ! Je ne mésestime nullement ce sujet, qui relève de notre cahier des charges. L’article 39 stipule en effet que France Télévisions doit défendre la langue française et utiliser les termes français lorsqu’ils existent. C’est, de très loin, la question qui nous est la plus fréquemment posée. Nous avons d’ailleurs consacré une émission spéciale sur France Info pendant une année entière à ce sujet, avec une journaliste qui expliquait l’origine des termes anglo-saxons et leurs alternatives françaises. Nous formulons cette remarque très régulièrement en interne.

Pour autant, plusieurs types de questions sont récurrentes, notamment, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, celles qui concernent l’information politique et le soupçon de partialité que certains téléspectateurs nous indiquent ressentir. Cela vaut d’ailleurs pour la politique intérieure comme pour la politique étrangère. Le conflit Israël - Hamas a, par exemple, engendré de très nombreuses interrogations sur notre honnêteté et notre équilibre dans le traitement de l’information.

Ces questions sont d’ailleurs souvent formulées en des termes diamétralement opposés à propos d’un même reportage ! Un reportage peut ainsi déclencher des courriels nous accusant d’être scandaleusement pro-gouvernementaux, tandis que d’autres, sur exactement le même sujet et en nombre à peu près équivalent, nous reprocheront d’être scandaleusement anti-gouvernementaux. C’est ce que l’on nomme les biais cognitifs. J’ai d’ailleurs consacré une émission avec un psychiatre à ce sujet pour tenter de répondre à ces questionnements. Chacun perçoit l’information à travers le prisme de sa culture, de son histoire et de ses attaches. Face à cela, notre rôle est de vérifier s’il y a eu une erreur factuelle ou une présentation erronée.

La question des invités est également extrêmement prégnante : pourquoi tel invité n’a-t-il pas été présenté correctement ou pourquoi les invités de tel camp sont-ils plus nombreux que ceux de tel autre ? Notre objectif, en tant que médiateurs, n’est pas de défendre France Télévisions, mais d’établir la réalité des faits, d’expliquer une éventuelle erreur ou de justifier les choix éditoriaux.

Je dois cependant apporter un bémol : il apparaît que les biais cognitifs que j’évoquais amènent souvent nos publics à ne pas écouter un reportage jusqu’à son terme. Sur un sujet d’une minute trente, nous constatons que des téléspectateurs réagissent après les trente premières secondes, leur cerveau se focalisant sur un point précis. Ils se précipitent alors pour nous envoyer un message, sans avoir entendu la fin du reportage qui, bien souvent, répondait spécifiquement à leur interrogation. Cela illustre la forte polarisation des opinions, comme le soulignait Mme Albanel, et montre que certains sujets sont si irritants pour nos téléspectateurs qu’ils réagissent de manière immédiate, sans même avoir visionné l’intégralité de reportages qui sont pourtant très courts.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Je regrette que les rapports d’activité annuels ne figurent pas sur la page du médiateur du site internet de France Télévisions. Il faut se rendre sur un site dédié pour y accéder. Vous menez pourtant un travail essentiel, suivi par les téléspectateurs. Il est donc important que ces rapports d’activité denses et précis soient plus facilement accessibles à nos compatriotes.

Mme Caroline Parmentier (RN). Je trouve, Mme Albanel, que votre avis sur l’affaire Cohen-Legrand est un modèle du genre. Vous affirmez rendre vos avis avec sérieux, mais vous ne trouvez rien à redire ni sur l’affaire elle-même, ni sur l’attitude des deux journalistes. Vous mettez en cause les méthodes d’enregistrement de L’incorrect et vous terminez par une généralité bateau sur le fait que France Télévisions doit être attentive au pluralisme. Vous écrivez même, comme cela a été rappelé : « Rien ne permet donc d’affirmer, au vu de cette séquence, que Patrick Cohen ait d’autres objectifs que l’exercice de son métier de journaliste. » Or il était bien présent et partie prenante de cette séquence ! Quand Thomas Legrand tient ses propos de stratégie avec les deux responsables socialistes, le silence de Patrick Cohen vaut consentement. Je souhaite vous entendre à nouveau sur ce sujet.

Plus généralement, pouvez-vous me citer des situations concrètes où vous avez réellement exercé un contre-pouvoir à France Télévisions ? Pouvez-vous nous donner un exemple récent où votre comité a formulé un désaccord formel, une recommandation contraignante ou un avis critique à l’égard de la direction ? Quelle est votre marge d’indépendance face à la présidence de France Télévisions ? Je retire de vos déclarations qu’en tant que comité chargé de l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme, vous ne servez à rien. Je vous le demande donc très précisément : à quoi servez-vous ?

Mme Céline Calvez (EPR). Cette audition est la bienvenue car elle met en valeur des dispositifs qui sont à la main des téléspectateurs mais qui demeurent trop peu connus. Mme Albanel, vous avez suggéré qu’une campagne de communication pourrait être nécessaire pour davantage faire connaître votre institution. Selon vous, pourquoi les antennes et les sites internet de France Télévisions ne mettent-ils pas davantage en avant le rôle des médiateurs et du comité d’éthique ?

Ayant moi-même siégé au conseil d’administration de Radio France ainsi qu’à celui de France Télévisions, je m’interroge sur les liens existants entre les médiateurs, le comité d’éthique et le conseil d’administration. Avez-vous l’occasion de présenter vos travaux aux administrateurs ? Vous ont-ils déjà saisis ? Avez-vous saisi des journalistes ou des responsables de programmes en interne ?

J’ai enfin une question plus particulière pour les médiateurs. Vous avez évoqué les sujets fréquemment soulevés, notamment l’honnêteté de l’information. Quelle place la diversité – qu’il s’agisse de la représentation femmes-hommes, des différentes classes sociales ou des personnes en situation de handicap – occupe-t-elle dans les saisines ? Est-ce un motif de réclamation et quelles réponses y apportez-vous, en vous appuyant notamment sur les ressources de l’Arcom ?

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Les Français sont représentés dans ces conseils d’administration par des députés et des sénateurs. Il sera donc intéressant de savoir si les parlementaires qui y siègent vous ont déjà saisis.

M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Ces outils sont en effet très utiles. Le rapport qui a conduit à la mise en place du comité d’éthique témoignait d’une volonté de lui donner les moyens de son contrôle ; or, aujourd’hui, vous ne disposez pas de ces moyens. Ces instances étant utiles à la confiance et à la qualité de l’information, je suis étonné de vous entendre dire que vous n’avez pas forcément besoin de plus de moyens. Certes, il ne faut pas confondre votre rôle avec celui de l’Arcom mais il me semblerait plus pertinent de renforcer ces outils. Pourquoi ne disposent-ils pas de davantage de moyens ?

J’ai également du mal à comprendre le doublon que vous formez avec les médiateurs. Vous me direz que ce n’en est pas un mais pourquoi le travail n’est-il pas davantage fusionné entre les deux instances ? Pourquoi la fonction de médiateur n’a-t-elle pas été généralisée au lieu de créer ce comité ?

Je note par ailleurs que, dans les médias privés, la composition de ces instances n’est même pas publique. Je salue donc le fait que la vôtre le soit. Je pense qu’il faut renforcer ces comités et non les affaiblir, et qu’il faut améliorer l’accès à leurs rapports. Si ce ne sont pas des moyens financiers, que faire ? Renforcer les liens avec le médiateur ? J’ai l’impression que nous n’atteignons pas tout à fait l’objectif qui était fixé au départ.

Mme Anne Sicard (RN). Je souhaite évoquer le climat délétère qui règne à France Télévisions. En octobre dernier, le comité social et économique (CSE) de France Télévisions a rendu une délibération unanime, faisant suite à une expertise pour risque grave au sein de la rédaction nationale menée par un cabinet indépendant. Son rapport de 162 pages décrit une « logique autoritaire », une « brutalité des relations », de la « violence au travail » et un système qui n’épargne personne à l’exception des « quelques stars adoubées ». Surtout, il contient cette phrase qui devrait tous nous alarmer : la rédaction n’est plus « traversée de débats ».

En clair, une nomenclatura parisienne a verrouillé la maison, une petite caste idéologiquement homogène qui impose sa ligne et écrase la contradiction. Les premières victimes sont les journalistes de terrain. Le cabinet d’expertise a même subi des obstructions pour accéder aux données. Dans quel régime fait-on obstruction à des enquêteurs ? Certainement pas en démocratie.

Quand il n’y a plus de débat dans une rédaction, ce n’est plus du journalisme. Je lis sur le site de France Télévisions que le comité d’éthique est chargé de contribuer au respect des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme. Allez-vous donné suite à ce rapport ? Qu’a-t-il été décidé ? En tant que présidents du comité d’éthique et ancienne ministre de la culture et de la communication, comment pouvez-vous garantir le pluralisme à l’antenne quand vos propres instances constatent qu’il n’existe plus en interne ? Je tiens à rappeler que le service public appartient aux Français, et non à une coterie parisienne qui s’en croirait propriétaire.

M. Christian Girard (RN). Je m’adresserai tout d’abord aux membres du comité d’éthique. Après le rapport de la Cour des comptes, comment votre instance justifie-t-elle, sur le plan éthique, le maintien d’une structure coûteuse, incluant privilèges et hauts revenus, alors que le déficit structurel de France Télévisions met en péril la pérennité du groupe ?

Pour ce qui est des médiateurs, j’aurais également une question : pouvez-vous nous communiquer le nombre de requêtes reçues cette année et, si possible, au cours des cinq dernières années ? Quel pourcentage précis de ces requêtes concerne spécifiquement un manque de neutralité ou une déficience dans le pluralisme ?

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Je précise que le comité d’éthique a été prévu par la loi. Le législateur bénéficie donc de toute latitude, et ce sera peut-être un des effets de cette commission d’enquête, pour en modifier le périmètre et les objectifs.

M. Philippe Ballard (RN). Votre rôle est d’informer l’Arcom de tout fait susceptible de contrevenir aux principes d’indépendance, d’honnêteté et de pluralisme. Combien de fois l’avez-vous fait ? Vous avez indiqué recevoir entre 6 et 7 000 courriels par an. Étant quatre bénévoles assistés d’une seule personne, avez-vous le temps de tout lire ? Sur ces milliers de courriels, vous ne rendez que six avis ; comment expliquez-vous ce ratio extrêmement faible ?

Vous avez également expliqué intervenir après l’Arcom. Ma question est simple : à quoi sert votre comité ? N’est-ce pas simplement pour donner bonne conscience à France Télévisions ? À tel point d’ailleurs que vous vous interrogez sur l’opportunité de l’autosaisine.

Ayant été journaliste pendant quarante ans, dont sept dans le service public, je m’interroge par ailleurs sur l’affaire Legrand - Cohen. Vous nous dites que les propos de Thomas Legrand ont été tronqués, montés et enregistrés à leur insu. Admettons. Mais pourquoi ne réagissez-vous pas lorsque les antennes de France Télévisions diffusent des propos de personnes interrogées à leur insu ? Dans ce cas, rien ne se passe.

M. Stéphane Hablot (SOC). Je n’interviens pas seulement au nom de mon groupe, mais aussi en tant que citoyen. Je m’interroge sur la notion de subjectivité dans l’information. Il ne faut pas inverser les rôles, ni mettre en difficulté la ministre de la culture, ou encore l’audiovisuel public, dont la mission est extrêmement difficile. Pour illustrer cette subjectivité, vous évoquiez le conflit israélo-palestinien ; c’est un sujet à l’évidence complexe. Prenons l’exemple de M. Marwan Barghouti : certains journaux le qualifieront de « terroriste », d’autres, comme L’Humanité, de « libérateur ». Il en allait de même pour Nelson Mandela il y a quarante ou cinquante ans. Ce sont des questions subjectives. Nous ne devons pas nous transformer en comité de censure de l’audiovisuel public. Il faut aussi saluer le travail accompli.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. L’information est effectivement un enjeu complexe, mais un prisonnier n’est pas un otage. L’objectivité, l’impartialité et le pluralisme sont précisément les enjeux qui nous réunissent au sein de cette commission d’enquête et du travail que vous menez au sein du comité d’éthique et comme médiateurs de France Télévisions.

Mme Christine Albanel. Je conteste tout à fait l’idée que nous ne servirions à rien ! Je conviens que l’on pourrait à l’avenir clarifier nos rôles et nos missions mais je pense que nos avis sont entendus et que nos recommandations ne sont pas du tout inutiles. Notre rôle est réel, même s’il peut être accru, en particulier sur la thématique du pluralisme.

Sur l’affaire Cohen - Legrand, notre avis précisait bien « au vu de cette séquence ». Ce n’est pas une appréciation générale. Nous ne nous prononçons que sur la séquence diffusée. Thomas Legrand a reconnu le problème qu’il soulevait lui-même. Dans ce contexte, nous ne pouvions pas reprocher à Patrick Cohen, présent sur l’antenne de France Télévisions, d’avoir agi contrairement à nos principes.

Concernant les exemples de nos actions, la saisine en 2017 sur un numéro de l’émission « Cash Investigation » avait conclu que les arguments portés contre un partenariat avec une entreprise n’étaient pas fondamentaux et relevaient d’un parti pris laissant penser que toute action commune entre une entreprise et une association était par essence mauvaise. Je vous renvoie à cet avis très argumenté.

Mme Calvez, vous nous avez interrogées sur nos liens avec le conseil d’administration de France Télévisions. Nous n’avons jamais été saisis par lui mais je pense qu’il serait effectivement souhaitable à l’avenir que nous puissions échanger avec lui et l’informer. Nous avons été saisis par des personnes s’estimant maltraitées dans des magazines d’enquête ou par des villages protestant contre la présentation d’un projet, comme ce fut le cas en Alsace pour une mine de lithium. Nous avons alors fait passer des messages pour que la parole contradictoire soit mieux représentée sur France 3 Alsace.

Sur les moyens, je ne pense pas qu’il y ait de doublon avec les médiateurs ; nos fonctions sont différentes. La question des moyens dépend de ce que l’on attend à l’avenir des comités d’éthique. Si une loi doit arriver dans l’agenda parlementaire, vous serez amenés à vous prononcer. Je crois simplement qu’il ne faut pas créer des structures redondantes avec l’Arcom. La question de la nomination des membres par le conseil d’administration peut aussi être débattue mais je pense personnellement que cela ne remet nullement en cause notre indépendance.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. On peut aussi juger regrettable que vous soyez nommés par le conseil d’administration, mais que celui-ci ne se saisisse pas ensuite de votre existence pour travailler avec vous.

Mme Christine Albanel. En effet.

Madame Sicard, vous avez évoqué le climat interne. Notre comité, saisi par des intervenants généralement extérieurs, ne peut pas intervenir dans l’organisation du travail ou dans les relations entre les personnels, qui relèvent davantage des ressources humaines. De même, le rapport de la Cour des comptes et la gestion de l’entreprise, évoqués par M. Girard, ne relèvent pas de notre compétence. La présidente de France Télévisions aura, je pense, l’occasion de répondre sur ces points.

Monsieur Ballard, nous avons en effet la possibilité de saisir l’Arcom. En pratique, nous l’informons de nos travaux lors de nos rencontres régulières, et l’Arcom est souvent déjà saisie des mêmes faits. Je reçois la totalité de ses décisions sur les sujets qui nous concernent. Si un fait particulièrement grave survenait et qu’elle n’était pas saisie, nous le ferions.

Monsieur Hablot, je vous remercie d’avoir insisté sur la complexité de ces affaires et sur le fait que nous ne sommes pas un comité de censure. C’est en effet notre conviction.

M. Gérald Prufer. Les questions de diversité et de handicap font l’objet d’un suivi très précis dans le bilan d’activité annuel de France Télévisions. Sur le handicap, l’entreprise va bien au-delà de ce qu’impose la réglementation. Sur la diversité, nous avons des critères de contrôle et la présidente a ajouté un « pacte de visibilité », qui concerne notamment les populations d’outre-mer et dont les informations sont partagées avec les parlementaires.

La présidente garantit notre indépendance et nous lui garantissons de répondre à tous les messages que nous recevons, soit entre 6 000 et 7 000 par an, sauf ceux qui sont insultants. Il faut noter que nous recevons parfois des vagues de messages identiques, par exemple à l’initiative d’une organisation syndicale ou d’associations pro ou anti-corrida, ce qui entraîne une forte activité sans nécessairement d’enjeu de fond nouveau.

M. Jérôme Cathala. Pour répondre à M. Girard, nous recevons donc entre 6 000 et 7 000 courriels par an (en 2025, nous en sommes à peu près à 6 000). Comme l’a dit Gérald Prufer, nous répondons à toutes les questions pertinentes. À partir de ces questions, nous produisons également des émissions télévisées pour montrer que nous prenons en compte les interpellations des téléspectateurs.

Je souhaite également relativiser l’importance de certaines questions. Celles qui vous occupent, et c’est normal, ne sont pas toujours celles qui intéressent le plus les téléspectateurs qui nous écrivent. Par exemple, l’affaire Cohen - Legrand, qui a suscité de si nombreux articles, ne nous a valu qu’environ 25 courriels. En comparaison, le conflit Israël-Hamas en a déclenché beaucoup plus, et nous en recevons encore. Sur le dernier « Complément d’enquête », nous avons reçu pour l’instant 11 courriels. Il y a donc parfois une différence d’approche entre les publics et les commentateurs de nos programmes.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Je nuancerai votre propos. En tant que représentants des Français, nous constatons que certains sujets qui nous remontent de manière très forte ne vous parviennent que de façon plus mesurée. Il y a peut-être un biais dans les saisines que vous recevez. Ce n’est pas forcément le signe d’un désintérêt des Français, mais  ̶ et c’est peut-être la conclusion de notre audition  ̶  de la nécessité pour vous de vous autosaisir de sujets qui ne sont pas seulement portés par des commentateurs ou des chaînes concurrentes, mais qui intéressent les Français dans leur diversité.

M. Jérôme Cathala. Je ne disais pas cela pour vous contredire, mais pour montrer que nous répondons à ce que les téléspectateurs nous écrivent. Si, en tant que député, vous recevez 50 courriels sur un sujet, cela a du poids.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Si le médiateur de France Télévisions n’en a reçu que 20, cela révèle un enjeu de visibilité de votre action. Vous avez un rôle essentiel, mais il faut que vous puissiez être saisis plus efficacement et peut-être mieux vous articuler entre vous et avec l’Arcom.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Je souhaiterais revenir une dernière fois sur l’affaire Legrand – Cohen. Madame la présidente, vous expliquez que, selon vous, Patrick Cohen n’aurait rien dit dans cet enregistrement. Avez-vous eu accès à l’intégralité de l’enregistrement sur ce sujet ?

Mme Christine Albanel. Non, je n’ai pas eu accès à l’enregistrement mais il y a eu un constat d’huissier sur sa totalité. J’ai considéré que ce constat n’apportait pas d’élément nouveau par rapport au visionnage de la séquence diffusée.

M. Charles Alloncle, rapporteur. Vous nous expliquez donc ne pas avoir eu accès à l’intégralité de la séquence. Pourtant, dans votre avis, vous dédouanez M. Cohen en écrivant qu’on ne peut affirmer, au vu de cette séquence tronquée, qu’il avait d’autres objectifs que l’exercice de son métier. Avez-vous conscience qu’en rendant cet avis sans avoir eu accès à la totalité de l’enregistrement, vous avez permis à la direction de France Télévisions de se disculper et vous avez ainsi protégé M. Cohen ?

Mme Christine Albanel. Je rappelle que le contexte de cette affaire était celui d’une grande émotion et d’un déferlement médiatique. Nous avons souhaité rendre un avis rapide. Nous l’avons d’ailleurs rendu avant même le constat d’huissier, à un moment où nous savions qu’il y avait eu un possible montage. Lorsque le constat a été réalisé, j’ai considéré qu’il n’apportait pas d’élément nouveau par rapport à la séquence diffusée, et nous ne sommes donc pas revenus sur cet avis. Notre célérité s’explique par la montée en puissance considérable de la polémique à ce moment.

M. le président Jérémie Patrier-Leitus. Je vous remercie d’avoir répondu à nos questions avec franchise. Nous mesurons bien qu’il existe aujourd’hui un enjeu d’articulation de vos périmètres d’action respectifs. Les exemples soulignés par le rapporteur montrent la nécessité d’une meilleure coordination entre l’Arcom, les médiateurs et les comités d’éthique. Il appartiendra peut-être au législateur de faire évoluer la loi pour préciser vos modalités d’intervention et de saisine, afin d’apporter aux Français la garantie que les acteurs de l’audiovisuel public respectent à chaque instant les exigences d’impartialité, de neutralité, d’objectivité et d’honnêteté de l’information prévues par la loi de 1986, à laquelle nous sommes tous attachés.

La séance s’achève à douze heures cinquante.

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Membres présents ou excusés

Présents.  M. Charles Alloncle, M. Philippe Ballard, Mme Céline Calvez, Mme Virginie Duby-Muller, M. Christian Girard, M. Stéphane Hablot, M. Jérémie Iordanoff, Mme Joséphine Missoffe, Mme Caroline Parmentier, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Anne Sicard