N° 453
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 décembre 2017.
PROPOSITION DE LOI
relative à la protection des mineurs non accompagnés,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Stéphane PEU, Elsa FAUCILLON, Bruno Nestor AZEROT, Huguette BELLO, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, Moetai BROTHERSON, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Sébastien JUMEL, Jean‑Paul LECOQ, Jean‑Philippe NILOR, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC,
Député‑e‑s.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans le monde, le nombre d’enfants demandeurs d’asile et migrants voyageant seuls a été multiplié par cinq depuis 2010. Selon l’UNICEF, au moins 300 000 enfants non accompagnés ont été enregistrés dans environ 80 pays en 2015 et 2016, contre 66 000 en 2010 et 2011 ([1]).
En Europe, selon Eurostat, 63 000 demandes d’asile émanant d’enfants isolés ont été déposées en 2016 dans les États membres de l’Union européenne (UE) ([2]).
En France, le nombre de ces mineurs pris en charge par les conseils départementaux atteignait 13 000 en décembre 2016 et pourrait dépasser 25 000 à la fin de l’année 2017 ([3]).
Ces mineurs sont particulièrement vulnérables. La plupart d’entre eux fuient des situations de conflits et de persécutions dans leur pays d’origine (63 % venaient d’Afghanistan, de Syrie ou d’Irak en 2016 selon Eurostat ([4]) et continue, au cours de leur voyage, à être confrontés à des niveaux effrayants de violations des droits de l’Homme. En effet, 77 % de ceux qui empruntent la route de la Méditerranée centrale rapportent avoir été victimes de mauvais traitements, d’exploitation ainsi que de pratiques pouvant s’apparenter à la traite des êtres humains. C’est ce que révèle un rapport récent de l’UNICEF et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ([5]). Il souligne en particulier que si tous les migrants et réfugiés sont exposés à des risques élevés, les enfants et les jeunes en déplacement sont bien plus vulnérables que les adultes âgés de 25 ans et plus. Ils courent en effet un risque d’exploitation et de traite deux fois plus élevé que ces derniers le long de la route de la Méditerranée orientale, et supérieur de 13 % sur celle de la Méditerranée centrale.
Pour ceux qui parviennent à accéder au territoire européen, les difficultés ne sont pas terminées. Les jeunes migrants sont exposés à des conditions d’accueil particulièrement difficiles, à des normes et pratiques différentes selon les États membres qui ne suffisent pas à garantir leurs droits, voire contreviennent aux impératifs de protection qui leur est due.
Les procédures de détermination d’âge, les conditions d’accueil, les formalités auxquelles ils sont confrontés et le traitement de leur dossier varient d’un État membre à un autre et souvent, y compris en France, ne respectent pas le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, pourtant garanti par la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 (CIDE) ([6]) qui constitue le cadre général de protection des enfants en Europe.
Le principe de la prise en compte de l’intérêt de l’enfant doit systématiquement primer sur son origine étrangère. Le droit international rappelle, en effet, que le mineur non accompagné est en premier lieu un enfant qui, à cet égard, bénéficie de droits spécifiques ayant pour finalité d’assurer le respect de sa dignité et, pour ce faire, sa protection. La jouissance des droits énoncés dans la Convention internationale des droits de l’enfant n’est pas limitée aux enfants de l’État partie et doit dès lors impérativement, être accessible à tous les enfants y compris les enfants demandeurs d’asile, réfugiés ou migrants, sans considération de leur nationalité, de leur statut au regard de l’immigration ou de leur apatridie ([7]). Les obligations juridiques qui en découlent, comprennent tant des obligations de faire, que des obligations de ne pas faire. L’État a, en effet, la responsabilité de prendre des mesures visant à garantir l’exercice de ces droits sans discrimination mais également de s’abstenir de prendre certaines mesures attentatoires aux droits de ces enfants.
Or, le droit français, en procédant à des tests osseux pour la détermination de l’âge et en plaçant des enfants en centre de rétention et en zone d’attente, ne respecte ses engagements internationaux.
Au regard du besoin de protection spéciale des enfants en raison de leur manque de maturité physique et intellectuelle, face aux risques de violences et d’exploitations de plus en plus accrus du fait des séjours plus longs et des passages plus difficiles, il est essentiel de garantir aux enfants arrivants en Europe et en France un cadre sécurisé et durable pour leur éviter de se trouver dans des situations qui accentuent leur vulnérabilité et détériorent leur état de santé.
Si de nouvelles solutions devraient être proposées pour améliorer véritablement la prise en charge et la mise à l’abri inconditionnelle dès leur repérage des mineurs non accompagnés, au titre de la protection de l’enfance, d’ores et déjà, l’objectif de cette proposition de loi est d’interdire des dispositifs qui contreviennent aux droits des mineurs étrangers.
L’article 1er supprime la possibilité de maintenir les mineurs non accompagnés en zone d’attente. L’article L. 221‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile reconnaît la possibilité que des mineurs non accompagnés soient maintenus en zone d’attente, « de manière exceptionnelle ».
Relevons que les cas « exceptionnels » permettant leur maintien en zone d’attente sont très larges et sans lien manifeste avec leur situation personnelle : provenance d’un pays d’origine sûr, cas d’irrecevabilité de la demande, faux documents d’identité ou de voyage, menace grave pour l’ordre public.
Conformément aux obligations issues du droit international, la France devrait privilégier les mesures de protection à l’égard des mineurs non accompagnés et les admettre systématiquement sur le territoire, afin que les services sociaux compétents évaluent, dans les meilleures conditions, leurs besoins au regard de leur situation particulière.
L’article 37‑b de la Convention internationale des droits de l’enfant stipule en effet que « les États parties veillent à ce que (…) nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible ». Les mesures de refus d’admission sur le territoire et de placement en zone d’attente des mineurs sont donc contraires à ces prescriptions dans la mesure où le maintien en zone d’attente ne constitue pas, notamment, une mesure de dernier ressort. En outre, la convention prévoit encore que « (…) tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant (…) » (article 37 c) mais la pratique est généralement contraire à ces dispositions.
L’article 1er de cette proposition de loi vise donc ‑ conformément aux obligations conventionnelles de la France relatives à l’intérêt du mineur rappelées à maintes reprises par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, la Cour européenne des droits de l’Homme, le Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le comité consultatif national d’éthique et l’Académie nationale de médecine ‑ à supprimer toute possibilité de maintenir les mineurs non accompagnés en zone d’attente, quelle que soit leur nationalité, afin qu’ils soient admis sur le territoire en vue d’un placement aux fins d’éclaircir leur situation individuelle.
L’article 2 pose le principe de l’interdiction du placement en rétention administrative des mineurs non accompagnés et des familles comprenant un ou plusieurs enfants.
Rappelons que le 19 janvier 2012, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour le placement en rétention d’une famille avec deux enfants en bas âge. La violation de la Convention européenne des droits de l’Homme a été constatée sur plusieurs fondements : violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants), 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 8 (droit au respect de la vie familiale).
Au lendemain de cet arrêt « Popov » de la Cour européenne, toute rétention d’étrangers mineurs aurait dû cesser sur le territoire français, comme dans les territoires d’outre‑mer.
Or, force est de constater que tel n’a pas été le cas.
Certes, le 6 juillet 2012 une circulaire a été adoptée visant à restreindre le recours à la rétention administrative des familles ‑ parents et enfants ‑ trouvées en situation irrégulière en France.
Mais il ne s’est agi que d’une restriction et non d’une interdiction de placer les enfants étrangers en France en rétention. En outre, le champ d’application de ce texte était limité. Il ne s’appliquait pas à Mayotte considérée par le Gouvernement comme une « situation territoriale d’exception » dans laquelle les mineurs non accompagnés peuvent être conduits en centre de rétention.
Aussi, cinq ans après l’arrêt « Popov », la Cour européenne des droits de l’Homme a, le 12 juillet 2016, une nouvelle fois condamné la France pour mauvais traitements dans sept dossiers différents. Cinq d’entre eux concernaient le placement d’enfants dans des centres de rétention administrative pour étrangers en situation irrégulière en instance d’expulsion.
Le nombre de placement en rétention d’enfants mineurs n’a pas diminué depuis la première condamnation de la France. En métropole, ce chiffre a plus que triplé, passant de 41 en 2013 à 182 en 2016 ‑ dont une augmentation de 70 % entre 2015 et 2016. À Mayotte, il est encore plus massif, avec 4 285 enfants, pour près de 20 000 personnes en tout.
Actuellement, les placements en rétention administrative se poursuivent, sans que les enfants bénéficient de garanties suffisantes.
C’est la raison pour laquelle nous proposons d’inscrire dans la loi, le principe de l’interdiction du placement en rétention administrative des mineurs non accompagnés ainsi que des familles comprenant un ou plusieurs enfants mineurs.
L’article 3 vise à écarter toute utilisation d’examens médicaux aux fins de détermination de l’âge d’un individu.
La méthode de l’expertise osseuse aux fins de détermination de l’âge des mineurs non accompagnés est très contestée. Il est largement admis par la communauté scientifique qu’il n’existe aucun procédé médical permettant d’affirmer avec certitude l’âge d’un individu. Les tests de maturation osseuse, dentaire ou pubertaire ne peuvent qu’établir l’évolution du développement et non un âge physiologique.
De très nombreuses instances médicales, scientifiques ou éthiques, notamment l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique et le Haut Conseil de la santé publique, ont exprimé clairement leurs réserves ou leur opposition à cette pratique, dont il est avéré qu’elle intègre une marge d’erreur de plus ou moins 18 mois et ne permet donc pas de déterminer un âge précis.
En juin 2014, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme recommandait « qu’il soit mis fin à la pratique actuelle consistant à ordonner des expertises médico‑légales de détermination de l’âge reposant sur des examens physiques du jeune isolé étranger. L’évaluation de l’âge à partir d’un examen osseux, des parties génitales, du système pileux et/ou de la dentition doit être interdite. » ([8]) De même, le Défenseur des droits s’est dit résolument opposé à l’utilisation de ces examens médicaux, qui, tels qu’ils sont actuellement pratiqués, sont à la fois « inadaptés, inefficaces et indignes » ([9]).
Or, sur la base des résultats de ces tests peu fiables, de graves décisions sont prises et influent sur l’avenir de ces jeunes migrants.
Reconnus mineurs, ils peuvent et doivent bénéficier de la protection publique, au titre de l’enfance en danger. En revanche, reconnus majeurs, ces jeunes sont immédiatement exclus des dispositifs de prise en charge et se retrouvent à la rue.
proposition de loi
Le quatrième alinéa de l’article L. 221‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :
« Un mineur non accompagné ne peut faire l’objet d’une mesure de maintien en zone d’attente. ».
Les troisième à dernier alinéas de l’article L. 551‑1 du même code sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Les mineurs non accompagnés et les familles comprenant un ou plusieurs enfants mineurs ne peuvent être placés en rétention par l’autorité administrative. »
Les deuxième et quatrième alinéas de l’article 388 du code civil sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« L’évaluation tendant à la détermination de la minorité ne peut être effectuée à partir de données radiologiques de maturité osseuse ou dentaire ou à partir du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires. »
([1]) UNICEF, « A child is a child : Protecting children on the move from violence, abuse and exploitation », 17 mai 2017 : https ://www.unicef.org/publications/index_95956.html
([2]) Eurostat, Communiqué de presse : « 63 300 mineurs non accompagnés parmi les demandeurs d’asile dans l’UE en 2016 ‑ Plus de la moitié sont soit Afghans soit Syriens », 11 mai 2017.
([3]) Prévision avancée par Mme Elisabeth Doineau et M. J.‑P. Godefroy, Rapport d’information au nom de la commission des affaires sociales du Sénat sur la prise en charge des mineurs non accompagnés, 28 juin 2017.
([4]) Eurostat, ibid.
([5]) Un voyage épouvantable : Sur les routes de la Méditerranée, les enfants et les jeunes exposés à la traite et à l’exploitation, Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et Organisation internationale pour les migrations (OIM)‑ Septembre 2017.
([6]) Selon l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (Convention des Nations‑Unies du 20 novembre 1989, ratifiée par la France le 7 Août 1990) toute décision impliquant un mineur devrait toujours être prise suivant son intérêt supérieur.
([7]) Cf. art. 2 et 20 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
([8]) CNCDH, Avis sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national. Etat des lieux un an après la circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers (dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation) Assemblée plénière ‑26 juin 2014.
([9]) Décision du Défenseur des droits MDE‑2016‑052 – 26 février 2016, p. 8. Voir aussi Décision du Défenseur des droits n° MDE/ 2012‑179 du 21 décembre 2012.