N° 1314
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2018.
PROPOSITION DE LOI
portant modernisation de la laïcité et des relations
entre l’État et les cultes,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Olivier BECHT,
député.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La résurgence en France depuis l’année 2015 d’un terrorisme fondé sur la radicalisation religieuse interroge à nouveau notre pays sur les liens entre l’État et les cultes.
Depuis 1905, la France a fait le choix d’une laïcité structurée autour d’une liberté totale de religion et une séparation très claire entre l’État et les cultes.
Ce modèle est une réussite et il doit être préservé.
Toutefois, dans sa volonté, au titre de cette séparation, de ne pas se mêler des affaires religieuses, l’État a laissé prospérer sur le territoire national, des courants religieux radicalisés qui, en endoctrinant des individus parfois vulnérables, se retournent contre l’État et la société.
Si l’État doit donc rester séparé de la pratique des cultes et maintenir la liberté religieuse, il doit cependant veiller à ce que cette liberté ne puisse menacer la société et donc encadrer, a minima, la manière dont les religions s’organisent sur le territoire national et veiller à ce que les messages véhiculés ne puissent s’opposer aux valeurs fondamentales de la République.
La présente proposition de loi rappelle le principe de liberté de religion et de libre exercice des cultes en y posant toutefois deux limites que sont le respect de l’ordre public et le respect des valeurs de la République.
Elle réaffirme le principe de neutralité de l’État et du service public vis‑à‑vis des religions pierre angulaire de la laïcité à la française.
Elle assume toutefois, au niveau des jours fériés, l’héritage notamment culturel et coutumier de certaines religions dans l’Histoire de France.
Elle tire du principe de neutralité de l’État l’interdiction du port de tout signe religieux ostentatoire par les agents chargés d’un service public.
Elle impose que les tenues vestimentaires portées au nom de principes religieux dans l’espace public soient compatibles avec les valeurs et les coutumes de la République.
De même elle interdit aux collectivités publiques de satisfaire des demandes dérogatoires, en matière alimentaire ou encore d’atteinte à la mixité des lieux publics fondées sur un principe religieux.
Elle généralise la formation obligatoire des ministres du culte dans un établissement public dépendant de l’État et soumet l’exercice de ce ministère à un agrément susceptible d’être retiré.
Elle organise le financement des ministres du culte et la construction des lieux de culte à travers une contribution des pratiquants du culte réductible, en‑dessous d’un certain plafond, de l’impôt sur le revenu. Elle permet aux collectivités locales de mettre des locaux à disposition du culte. Elle pose en revanche l’interdiction absolue du financement des ministres du culte et des lieux de culte par des fonds venus de l’étranger.
Elle introduit un enseignement obligatoire de l’histoire des religions à l’école afin de favoriser la tolérance et la connaissance du fait religieux.
Elle crée un délit de radicalisation religieuse en lien avec une entreprise terroriste lorsque celle‑ci s’exprime par des propos hostiles à la France ou menace l’ordre et la sécurité publics.
proposition de loi
Des principes
L’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est ainsi rédigé :
« Art. 1er. – La République assure la liberté de conscience et de religion. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci‑après dans l’intérêt de l’ordre public et du respect des valeurs de la République. Ces valeurs, conformes aux droits et devoirs de la personne humaine, sont celles de la liberté, de l’égalité, notamment entre les hommes et les femmes, la fraternité, la laïcité et le refus de toute discrimination. »
L’article 2 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 2. – La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte : elle n’adhère à aucune religion et assure une stricte neutralité de ses collectivités et établissements publics vis‑à‑vis des cultes. Elle reconnaît le rôle des religions en tant que fait social et assure un dialogue avec les responsables des religions les plus répandues sur son territoire en vue de favoriser la concorde de toutes les religions entre elles et de veiller au respect par celles‑ci des valeurs portées par la Nation française.
« Les dépenses relatives à l’exercice des cultes aux budgets de l’État, des collectivités locales et de leurs établissements publics, sont interdites.
« Pourront cependant être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ainsi que dans les services des armées. »
Après l’article 2 de la même loi, il est inséré un article 2‑1 ainsi rédigé :
« Art. 2‑1. – La République reconnaît l’héritage culturel de certaines religions dans l’Histoire de France : les jours fériés et grandes fêtes coutumières résultant de cet héritage culturel sont garantis par le code du travail.
« La République reconnaît également le droit à chacun de pouvoir célébrer, à titre privé, ses grandes fêtes religieuses : ce droit est garanti par l’article L. 1121‑1 du code du travail. »
Après l’article 2 de la même loi, il est inséré un article 2‑2 ainsi rédigé :
« Art. 2‑2. – Dans tous les organismes chargés d’une mission de service public, toute discrimination, notamment en raison du sexe, toute différenciation, y compris alimentaire, faite en fonction d’une croyance ou d’un précepte religieux, est interdite. »
Après l’article 2 de la même loi, il est inséré un article 2‑3 ainsi rédigé :
« Art. 2‑3. – La République assure, dans le respect du principe de neutralité, un enseignement obligatoire de l’histoire des religions dans le cadre du cycle secondaire de l’éducation nationale. »
Du contrôle des établissements d’enseignement scolaires privés
I. – Après le 4° de l’article L. 441‑1 du code de l’éducation, il est inséré un 5° ainsi rédigé :
« 5° S’il ressort du projet d’établissement que celui‑ci ne respecte pas les valeurs de la République telles que définies à l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. »
II. – Le a du 1° du I de l’article L. 441‑2 est complété par les mots : « ainsi que toutes dispositions permettant de juger que l’ouverture de l’établissement se fait dans l’intérêt de l’ordre public, de la protection de l’enfance et de la jeunesse et du respect des valeurs de la République telles que définies par l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. »
III. – À la première phrase de l’article L. 442‑2, après les mots « au respect de l’ordre public, », sont insérés les mots : « au respect des valeurs de la République telles que définies par l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. »
Des tenues religieuses
Le port de tout signe distinctif religieux ostentatoire est interdit pour tout agent chargé d’une mission ou d’une fonction de service public. L’infraction à cette disposition fait l’objet d’une sanction disciplinaire pour les agents du service public et la récidive de l’infraction peut entraîner le licenciement pour faute de l’agent concerné.
Cette interdiction ne s’applique pas aux ministres du culte et aux membres des congrégations religieuses.
Le port des tenues religieuses contraires aux valeurs de la République telles que définies à l’article 1er de loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État dans l’espace public est puni de l’amende prévue pour les contraventions de deuxième classe. Un décret pris en Conseil d’État fixe la liste de ces tenues.
L’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.
De la propriété des édifices et biens cultuels
et de leur financement
Après l’article 17 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, il est inséré un article 17‑1 ainsi rédigé :
« Art. 17‑1. – Les édifices cultuels, leurs dépendances immobilières ainsi que les meubles et objets qui les garnissent, sont soit propriété d’une association cultuelle déclarée et enregistrée auprès de l’État, soit, notamment du fait de leur intérêt historique et patrimonial, propriété d’une collectivité publique. Tout autre type de propriété d’un édifice cultuel est interdit.
« Lorsque dans une commune, aucune association cultuelle ne dispose des moyens nécessaires à la construction d’un lieu de culte, un dixième des habitants majeurs peut demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de la collectivité :
« – soit d’une demande de mise à disposition de locaux communaux destinés à la célébration d’un culte ;
« Cette mise à disposition ne peut se réaliser qu’au profit d’une association cultuelle et en contrepartie du paiement d’un loyer et des charges relatives à l’occupation desdits locaux. Les locaux mis à disposition d’une association cultuelle pour la pratique d’un culte devront être configurés de sorte à pouvoir être réaffectés à d’autres activités de service public à l’issue de la période de mise à disposition ;
« – soit d’une demande de mise à disposition d’un terrain communal par bail emphytéotique.
« Celui‑ci ne peut être conclu qu’avec une association cultuelle et en contrepartie du paiement d’un loyer.
« La construction, l’entretien d’édifices cultuels, l’achat de biens meubles ou d’objets affectés au culte, le financement de toute association cultuelle, ainsi que les salaires et traitements des ministres du culte avec des fonds en provenance de territoires situés en dehors de l’Union européenne est interdite et punis d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 20 000 € d’amendes. »
Des associations pour l’exercice des cultes
Pour la construction, l’entretien, la reprise en propriété d’un édifice cultuel, l’organisation et la gestion du culte par un ou des ministres du culte, un statut d’association « cultuelle » est créé par décret pris en Conseil d’État.
L’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est ainsi rédigé :
« Ces associations devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte et être composés au moins :
« – pour les édifices cultuels situés dans les communes de moins de 1 000 habitants, de sept personnes majeures, domiciliées ou résidant dans la circonscription religieuse ;
« – pour les édifices cultuels situés dans les communes de 1 000 à 20 000 habitants, de quinze personnes majeures, domiciliées ou résidant dans la circonscription religieuse ;
« – pour les édifices cultuels situés dans les communes dont le nombre des habitants est supérieur à 20 000, de vingt‑cinq personnes majeures, domiciliées ou résidant dans la circonscription religieuse.
« Chacun de leurs membres pourra s’en retirer en tout temps, après paiement des cotisations échues et de celles de l’année courante, nonobstant toute clause contraire. Lorsque les conditions statutaires posées pour la constitution d’une telle association cultuelle ne sont plus réunies, l’association est dissoute de plein droit par le représentant de l’État dans le département et la propriété des biens meubles et immeubles qui lui sont attachés est transférée de plein droit à l’État qui peut à son tour la transférer à une collectivité locale après accord de cette dernière.
« Nonobstant toute clause contraire des statuts, les actes de gestion financière et d’administration légale des biens accomplis par les directeurs ou administrateurs seront, chaque année au moins présentés au contrôle de l’assemblée générale des membres de l’association et soumis à son approbation. Les actes de gestion, comptes et procès‑verbaux des assemblées générales et conseil d’administration seront transmis chaque année pour contrôle au représentant de l’État dans le département où l’association cultuelle a son siège, et ce sans préjudice des contrôles sur pièces et sur place qui pourraient être effectués par l’administration de l’État sous l’autorité du préfet.
« Les associations cultuelles peuvent recevoir, en outre, des cotisations prévues par l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901, le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions : pour les cérémonies et services religieux même par fondation ; pour la location des bancs et sièges ; pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices.
« Les associations cultuelles peuvent recevoir des contributions spéciales de la part de toute personne résidant et fiscalement domiciliée en France dont le montant maximal est fixé chaque année par décret et réductibles, dans la limite d’un plafond fixé chaque année en loi de finances, de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
« Les associations cultuelles peuvent recevoir, dans les conditions prévues par les trois derniers alinéas de l’article 910 du code civil, les libéralités testamentaires et entre vifs destinées à l’accomplissement de leur objet ou grevées de charges pieuses ou cultuelles.
« Elles peuvent verser, sans donner lieu à perception de droits, le surplus de leurs recettes à d’autres associations constituées pour le même objet.
« Elles ne peuvent, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions d’une collectivité publique. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu’ils soient ou non classés monuments historiques.
« Les produits perçus par les associations cultuelles seront exclusivement affectés à la construction et à l’entretien des édifices cultuels et de leurs dépendances, à l’achat et à l’entretien des biens meubles affectés au culte, aux salaires et traitements des ministres du culte, et ce dans la limite du ressort géographique de chacune de ces associations cultuelles. »
De la police des cultes
Après le premier alinéa de l’article 27 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Toute manifestation religieuse dans l’espace public est interdite, en dehors d’autorisations au titre d’évènements exceptionnels délivrées par les représentants de l’État dans le département en appréciation des circonstances dans chaque département sur demande d’un ministre du culte ou d’un représentant d’une association cultuelle.
Sont dispensées de déclaration les sorties à caractère religieux sur la voie publique conformes aux usages locaux. »
Des ministres du culte
L’exercice des fonctions de ministre du culte est réglementé. Il nécessite la délivrance d’un agrément délivré, au nom de l’État par le ministère chargé des cultes, après production d’un diplôme de niveau master sanctionnant une formation en science des religions suivie dans une université française ou européenne, ou validation des acquis d’une expérience pour une pratique réalisée sur le territoire français ou européen, et après entretien de l’intéressé avec un représentant du représentant de l’État dans le département concerné visant à vérifier que la philosophie religieuse du demandeur est conforme avec les valeurs de la République, telles que définies à l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
La rémunération des ministres du culte ne pourra être effectuée que par le biais d’une association « cultuelle » établie dans le ressort de l’édifice de culte dans lequel ledit ministre du culte officie.
Toute infraction aux dispositions des deux alinéas précédents est punie d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 20 000 € d’amendes.
Tout ministre du culte qui se livrerait, dans les lieux où s’exerce le culte ainsi que dans l’espace public, par quelque moyen que ce soit, à des propos contraires aux valeurs de la République, telles que définies à l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, peut, après avoir été mis en mesure de fournir des explications, se voir retirer l’agrément du ministère en charge des cultes, délivré au nom de l’État.
De la radicalisation religieuse
Le fait pour toute personne de proférer, au nom d’une croyance ou d’une religion des propos explicitement hostiles à la France et aux valeurs de la République, telles que définies à l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 20 000 euros d’amende.
Est puni d’une peine d’emprisonnement de 5 ans et de 50 000 € d’amende toute personne qui, constitue, par son comportement, une menace grave à la sécurité et à l’ordre publics et qui, soit entre en relation avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes terroristes, soit soutient, diffuse ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme.
Cette peine est obligatoirement accompagnée d’une formation de « déradicalisation ».
Dispositions spéciales
La présente loi n’abroge pas les dispositions spécifiques applicables dans les départements du Haut‑Rhin, du Bas Rhin et de la Moselle, ainsi qu’en Guyane, à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, en Polynésie française, aux Îles Marquises, à Wallis‑et‑Futuna et en Nouvelle‑Calédonie, où la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État n’est pas applicable.
Sont toutefois applicables dans ces territoires les dispositions suivantes de la présente loi : l’article 6 et les articles 13 à 16.
La présente loi entrera en vigueur immédiatement et sera exécutée comme loi de l’État.