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N° 1590

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à encadrer la vente de protoxyde d’azote
et à renforcer les actions de prévention,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Ugo BERNALICIS, Alexis CORBIÈRE, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Éric COQUEREL, Caroline FIAT, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

député.e.s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La consommation récréative de protoxyde d’azote, détourné de ses usages originels, est devenue un phénomène malheureusement répandu en France. Utilisé dans le domaine médical pour des anesthésies et dans la vie courante notamment dans les cartouches de gaz pour siphon à chantilly, ce gaz, par les sensations euphorisantes qu’il procure, a séduit et séduit de plus en plus d’adeptes, principalement des jeunes. Connu sous le nom de gaz hilarant, ce produit est facilement disponible sur internet mais aussi dans des commerces de proximité, les supermarchés et à de très faibles coûts. Légal, il ne fait actuellement l’objet d’aucune restriction à la vente.

Or, comme le souligne plusieurs études scientifiques, sa consommation récréative peut entraîner des symptômes allant des maux de tête aux vomissements. L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) souligne que son utilisation prolongée et à des doses élevées peut avoir de graves conséquences pour la moelle osseuse et le système nerveux, entraînant des risques de troubles neurologiques, respiratoires, cardiovasculaires graves et définitifs. La réalité est que ce produit jouit aujourd’hui d’une réputation de gaz non addictif et de drogue « bon marché » ayant une nocivité « négligeable » ; pourtant ses dangers sont bien réels.

Aujourd’hui, la donne a changé car la sociologie des consommateurs, les lieux, horaires et contextes des prises ont évolué. Dans la banlieue de Bruxelles et à Lille le phénomène a pris des proportions inquiétantes et la massification de son usage est incontestable tant le sol s’est progressivement jonché de cartouches de gaz usagées, situation qui témoigne d’une véritable banalisation du produit. La volonté d’augmenter les effets peut conduire les adeptes à se procurer du gaz en plus grande quantité, notamment en bonbonnes, détournées du circuit médical et à utiliser des masques à gaz, ce qui multiplie les risques sanitaires. Sa consommation est globalement en augmentation dans les grandes villes d’Europe du Nord.

Pour Sébastien Lose chercheur auprès de l’observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) à Lille, « C’est un gaz hilarant qui existait déjà dans les raves parties des années 1990. La grande différence, c’est qu’il est aujourd’hui consommé par des adolescents de 12‑16 ans, qui font leurs premières expériences de psychotropes, et le font dans un espace public ».

Le phénomène touche particulièrement la métropole européenne de Lille et commence à émerger en région parisienne et dans l’est du pays. Drogue d’étudiants et de jeunes adultes, elle devient celle des collégiens et des lycéens. Il convient d’en empêcher la diffusion auprès du jeune public et de responsabiliser les vendeurs.

Les risques pour la santé ont été parfaitement décrits par le docteur Philippa Lavallée, neurologue à l’Hôpital Bichat dans un récent article des Échos paru le 16 septembre 2018 :

Un patient consommateur régulier de protoxyde d’azote a été accueilli aux urgences atteint de tétraplégie, d’ataxie (trouble de la coordination des mouvements) et d’incontinence. Par ailleurs, les médecins ont constaté des lésions assez étendues de la moelle, qu’on constate habituellement lors d’un déficit de vitamine B12.

De même, interrogé par France 3, le docteur Patrick Goldstein, chef des urgences du CHRU de Lille et du Samu 59, affirme qu’« inhaler ce produit pur ou avec d’autres produits n’est pas sans danger, notamment pour le cœur. [...] Du protoxyde d’azote avec des stimulants, quel qu’il soit, voire même avec des boissons énergisantes à partir de thorine, peut entraîner des troubles de rythme qui peuvent être délétères. [...] Une utilisation chronique de protoxyde d’azote entraîne une toxicité directe sur les cellules nerveuses et peut entraîner des dégâts neurologiques définitifs ».

En Angleterre, ont été référencés plus de 15 décès de personnes depuis 2006 suite aux détournements de bonbonnes destinées au milieu médical.

Récemment plusieurs magazines et sites internet ont relaté le décès en France d’un homme de 26 ans dans la nuit du 1er au 2 janvier à la suite d’une inhalation de ce gaz alors contenu à ‑50 °C. Les résultats de l’autopsie ont mis en évidence que la victime était décédée par asphyxie après un œdème pulmonaire.

En 1998, le secrétaire d’État à la Santé, M. Bernard Kouchner envisageait de restreindre la vente du protoxyde d’azote aux seuls utilisateurs industriels selon Nicole Péry, secrétaire d’État à la formation professionnelle qui répondait à l’interrogation de la sénatrice socialiste du Nord Mme Dinah Derycke sur le sujet. Nicole Pery affirmait par ailleurs qu’« En revanche, la vente d’obus de protoxyde d’azote pour la fabrication familiale de cette préparation pourrait être interdite ». La législation n’a pas évolué depuis lors. Une telle interdiction aurait privé nombre de cuisiniers et pâtissiers amateurs et professionnels d’un outil précieux et aurait pu sembler exagérée au regard de l’incidence sanitaire d’une consommation restreinte aux soirées musicales, rave parties, teknivals, festivals. D’ailleurs les organisateurs de ces soirées ont très vite té tentés, par des recommandations écrites figurant dans leurs publications, de décourager revendeurs et usagers.

Face à cette situation il est du devoir des responsables politiques de faire des propositions. Il ne s’agit pas de mettre en œuvre une politique de répression ou d’interdiction d’un produit domestique et médical dont l’usage reste indispensable. Mais il convient de protéger la jeunesse face à une consommation irraisonnée alors que les dangers de ce produit sont mal connus.

La situation actuelle est celle d’un vide législatif relatif. Vendu librement, ce produit n’est pas classé comme stupéfiant et n’est pas non plus classé comme substance vénéneuse. Par voie de conséquence, la justice se trouve dans l’obligation de condamner les revendeurs de ce produit par des biais détournés. Par exemple, un gérant de discothèque avait été condamné pour avoir revendu des ballons gonflés à des mineurs à la fin des années 90, avec les chefs d’inculpation suivants : mise en danger d’autrui, administration de substances nuisibles à des mineurs comme le rapportait en 1998, la sénatrice Dynah Derycke.

La revente de ce type peut être potentiellement sanctionnée par la justice par l’entremise d’une condamnation potentielle pour travail dissimulé quand cette activité rapporte des profits aux vendeurs à la sauvette. Mais ces condamnations n’ont touché que les personnes revendant des ballons gonflés, c’est‑à‑dire prêt à l’usage détourné et immédiat. Rien n’est fait concernant la vente aux mineurs de cartouches qui pourrait être percées ensuite par des utilisateurs en détournant l’usage originel sauf si la vente est dissimulée. Dans le cas de ce produit, la revente est surtout le fait de supermarchés, d’épiceries et de sites internet qui proposent le produit sous forme de cartouches de gaz non préparées et ne sont donc pas concernés par la jurisprudence touchant la revente de ballons gonflés au protoxyde d’azote. La situation actuelle laisse la vente de ce produit libre à qui veut le détourner sans aucune restriction. Par ailleurs, les revendeurs ne donnent aucune recommandation quant aux précautions à prendre en cas d’usage détourné.

L’antenne belge de RTL nous apprend que « la députée fédérale et bourgmestre de Molenbeek Françoise Schepmans veut interdire sa vente aux mineurs. Dans les jours passés, elle a déposé une résolution proposant cette mesure au Parlement fédéral ».

Il apparaît désormais nécessaire de légiférer, afin de renforcer la prévention à l’égard de la consommation de ce produit, mais aussi afin de responsabiliser les revendeurs de ces produits. La France insoumise propose ainsi une réglementation forte sur l’accès à ce produit, passant par une interdiction de la vente aux mineurs. C’est une mesure de santé et de salubrité publique. Dans les quartiers les plus touchés, les actions de prévention organisées dans les collèges et les lycées doivent inclure ce produit et ses dangers dans leurs contenus. Les sites e‑commerce vendant ce produit devront signaler clairement sur leur site cette interdiction et rappeler les risques sanitaires du détournement de ce produit.

L’Article 1er a pour objet la modification de la rédaction du Livre V de la 3e partie du code de la santé publique afin de pouvoir y insérer les dispositions relatives au protoxyde d’azote.

L’Article 2 a pour objet d’inscrire dans le code de la Santé publique les dispositions relatives à la vente de ce produit et à la prévention concernant ses méfaits en milieu scolaire.

Le Chapitre 1 vise à restreindre l’accès de ce produit aux seuls majeurs dans un souci d’éviter le détournement d’usage du produit par les mineurs et ainsi les préserver des risques sanitaires induits par un usage détourné. Il vise à obliger les sites de e‑commerce d’indiquer l’interdiction de la vente de ce produit aux mineurs afin d’en limiter la diffusion auprès des jeunes populations et d’indiquer à tous les acheteurs potentiels le caractère dangereux de ce gaz.

Le Chapitre 2 a pour objet la mise en place d’une action de prévention spécifique sur ce produit à destination des jeunes dans les territoires touchés par la diffusion de ce produit dans le cadre général de la politique de prévention sur les conduites addictives, notamment en lien avec les actions menées dans les établissements scolaires conformément à l’article L 312‑18 du code de l’éducation. Par ailleurs, l’indication par le biais d’un pictogramme de l’interdiction de la vente aux mineurs figurera sur chaque contenant en vue de lutter contre la banalisation du produit.

Le Chapitre 3 inscrit dans la loi les dispositions relatives aux contrôles et aux sanctions encourues par les contrevenants aux articles de loi des deux précédents chapitres.

proposition de loi

Article 1er

L’intitulé du livre V de la troisième partie du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Lutte contre le tabagisme, lutte contre le dopage et lutte contre la consommation de protoxyde d’azote chez les mineurs. »

Article 2

Est ajouté au livre V un titre intitulé : « Dispositions encadrant la vente de protoxyde d’azote et la prévention auprès des mineurs », et ainsi rédigé :

« Titre III 

« Dispositions encadrants la vente de protoxyde d’azote et la prévention auprès des mineurs

« Chapitre Ier

« De la Vente de Protoxyde d’azote

« Art. L. 35311.  Il est interdit de vendre ou d’offrir gratuitement, dans tous commerces ou lieux publics, à des mineurs de moins de dix‑huit ans du gaz protoxyde d’azote (N2O) quel qu’en soit le conditionnement. La personne ou l’entreprise qui délivre l’un de ces produits exige du client qu’il établisse la preuve de sa majorité.

« Art. L. 35312.  La vente de protoxyde d’azote aux mineurs par des sites de e‑commerce est interdite. Les sites de e‑commerce doivent spécifier l’interdiction de vente aux mineurs de ce produit sur les pages web permettant de procéder à un achat en ligne de ce gaz quel que soit son contenant.

« Chapitre II

« De la prévention de l’usage détourné du Protoxyde d’azote

« Art. L. 35321.  La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives suit l’évolution de la consommation de ce produit sur le territoire national et propose des actions de prévention adaptées aux populations jeunes des territoires touchés par la diffusion massive du produit.

« Art. L. 35322.  Un autocollant illustré d’un pictogramme indiquant l’interdiction de vente aux mineurs de moins de 18 ans est apposé sur chaque contenant incluant ce produit, qui ne peut être vendu sans celui‑ci.

« Chapitre III

« Dispositions pénales

« Section 1

« Contrôles

« Art. L. 35331.  Les agents mentionnés à l’article L. 1312‑1 du présent code et à l’article L. 8112‑1 du code du travail veillent au respect des articles L. 3531‑1 et L. 3531‑2 du présent code et des règlements pris pour son application et procèdent à la recherche et à la constatation des infractions à ces dispositions.

« Ils disposent à cet effet, chacun pour ce qui le concerne, des prérogatives qui leur sont reconnues par les articles L. 1312‑1 du présent code, L. 8113‑1 à L. 8113‑5 et L. 8113‑7 du code du travail et par les textes pris pour leur application.

« Ces agents peuvent, pour constater une infraction aux articles L. 3531‑1 et L. 3531‑2, exiger que le client établisse la preuve de sa majorité, par la production de tout document officiel muni d’une photographie.

« Art. L. 35332.  Les agents de police municipale, les gardes champêtres, les agents de surveillance de Paris ainsi que les agents de la ville de Paris chargés d’un service de police mentionnés, respectivement, aux articles L. 511‑1, L. 521‑1, L. 523‑1 et L. 531‑1 du code de la sécurité intérieure peuvent constater par procès‑verbaux les infractions aux articles L. 3531‑1, L. 3531‑2 du présent code et aux règlements pris pour leur application, lorsqu’elles sont commises sur le territoire communal, sur le territoire de la ville de Paris ou sur le territoire pour lequel ils sont assermentés et lorsqu’elles ne nécessitent pas de leur part d’actes d’enquête.

« Ces agents peuvent, pour constater une infraction aux articles L. 3531‑1 et L. 3531‑2, exiger que le client établisse la preuve de sa majorité, par la production de tout document officiel muni d’une photographie.

« Section 2

« Sanctions

« Art. L. 35333.  Le fait de vendre ou d’offrir gratuitement, dans tous commerces ou lieux publics, des produits contenant du protoxyde d’azote à un mineur est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, sauf si le contrevenant prouve avoir été induit en erreur sur l’âge du mineur.

« La personne chargée de vendre des produits du tabac peut exiger que les intéressés établissent la preuve de leur majorité, par la production d’une pièce d’identité ou de tout autre document officiel muni d’une photographie.

Article 3

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport d’évaluation de la présente loi. Il s’attache à développer une approche pluridisciplinaire sur la consommation du protoxyde d’azote par la population et ses conséquences sur les politiques publiques de santé et éducative.