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N° 1742

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mars 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer le droit du consommateur en cas de vente forcée
en cycle court,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Virginie DUBYMULLER,

députée.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La vente dite « one‑shot » (ou vente en cycle court) est une méthode commerciale ayant pour but pour un prestataire de services, d’obtenir la signature du client lors de sa seule et unique rencontre, physique ou virtuelle sur des sites internet. La vente est actée rapidement, sans que le client n’ait souvent le temps de lire en détail le contrat, et sans délai de réflexion (la durée de contrat peut être écrite en petits caractères en bas de page, ou comportant une clause de tacite reconduction, etc..).

De plus en plus de ventes ont aujourd’hui un caractère « instantané », grâce notamment au développement du numérique. Il ne s’agit nullement ici de les condamner, mais de dénoncer une catégorie bien spécifique d’entre‑elles, pernicieuse, qui joue sur l’absence de connaissances du client/victime sur le secteur concerné et le droit de la consommation.

Aujourd’hui, la force de ces ventes réside avant tout dans des montages contractuels mis en œuvre par les prestataires informatiques et les sociétés de financement qui leur sont associées.

Par exemple, le prestataire « vend » à un client artisan ou à une TPE/PME qui souhaite se développer sur la Toile, un site internet, sans lui laisser le temps de réflexion, avec une argumentation agressive, et en ne donnant aucun élément décrivant ses prestations. Il fait alors signer à ce client, souvent peu familier avec l’informatique, un contrat de très longue durée (24, 48 ou même 60 mois) en faisant état d’une « offre commerciale exceptionnelle ». La plupart du temps, le prestataire ne prend même pas la peine de s’exécuter, dès lors qu’il est assuré d’être payé, grâce au mécanisme de location financière. En effet, aussitôt le contrat signé, les créances nées de ce dernier sont cédées par le prestataire informatique à un bailleur. Ainsi, le prestataire s’assure, moyennant le partage des mensualités, qu’il sera payé chaque mois, sans avoir à se soucier de la mise en œuvre ou du suivi de ses prestations. Dans certains cas, l’agence web va même jusqu’à faire signer au client le procès‑verbal de recette du site avant sa présentation afin de pallier tout risque de contestation ultérieure et de refermer le piège. Le client est dès lors a priori prisonnier de son engagement contractuel pour de longs mois et pour des montants cumulés particulièrement excessifs. Mécontent des prestations, réalisant trop tard la duperie dont il a été victime, le client cherchera à rompre cet engagement : la seule porte de sortie proposée par la société est alors le paiement de toutes les mensualités prévues au contrat, soit des dizaines de milliers d’euros.

Cette technique de vente aujourd’hui détournée, massivement développée via le numérique, impacte de façon extrêmement négative de nombreuses entreprises françaises. Cette méthode a beaucoup fait parler d’elle, notamment concernant les prestataires de création, hébergement et maintenance de sites internet, lesquels proposent des sites web « clé en main ». Elle concerne aussi d’autres multiples domaines : téléphonie, site e‑commerce, produits bancaires, ventes en ligne, automobile, ventes en porte‑à‑porte, démarchage téléphonique, immobilier…

Selon le cabinet Haas Avocats ([1]), « ses multiples dérives ont pris en quelques années une telle ampleur que l’on peut parler aujourd’hui d’un vrai fléau contaminant la Toile et son économie. Artisans, professions libérales, PME sont concernés et se retrouvent trop souvent isolés devant les tribunaux pour tenter de faire valoir leurs droits à l’occasion de nombreuses procédures judiciaires. Leur question principale est la suivante : Comment sortir d’un contrat avec engagement de 48 mois qui s’avère totalement inadapté à mes besoins, un contrat sans rapport avec le discours du commercial venu me démarcher, un contrat prohibitif renvoyant à des prestations bien souvent inexistantes ? ».

Aujourd’hui, on note un début de prise de conscience de ces arnaques commerciales, tant de la part de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), que des juridictions civiles. Cependant, la liste des professionnels victimes de ventes « one‑shot » ne cesse de s’allonger. Ce sont principalement des chefs de TPE/PME, des artisans.

La jurisprudence a notamment su s’adapter aux évolutions de ces méthodes de vente. Récemment, par un arrêt du 12 septembre 2018, la Première chambre civile de la Cour de cassation a redéfini le cadre du droit de rétractation, lorsque le contrat est conclu entre professionnels, avec une décision considéré comme « novatrice » ([2]). Cette décision précisait ainsi l’interprétation de l’article L. 121‑16‑1 du code de la consommation, III : « Les sous‑sections 2, 3, 6, 7 et 8, applicables aux relations entre consommateurs et professionnels, sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l’objet de ces contrats n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui‑ci est inférieur ou égal à cinq. »

En l’espèce, Mme X., architecte d’intérieur, a souscrit le 17 juillet 2014 auprès d’une société un contrat de création et de licence d’exploitation d’un site internet dédié à son activité professionnelle, ainsi que d’autres prestations externes. Le 2 septembre suivant, elle demande sa rétractation du contrat, ce que conteste la société, qui l’assigne en paiement. Le requérant (la société) soutenait que le contrat entrait dans le cadre de l’activité principale du professionnel, en ce qu’il participe à la satisfaction des besoins de celle‑ci, pour écarter l’application du droit de rétractation.

Mais la Cour de cassation a considéré que, s’il est certain qu’un système de communication visant à porter à la connaissance du public une activité a un rapport direct avec cette activité, il n’entre pas nécessairement dans le champ de cette activité qui ne se définit pas nécessairement par l’utilité d’un tel système pour la société ([3]). En d’autres termes, si la communication commerciale et la publicité via un site internet peuvent apparaître comme des outils importants de développement d’une société, ils ne sont pas pour autant partie intégrante du champ de compétence de tout professionnel.

Avec cette décision plus protectrice des victimes, la Cour de cassation ouvre la voie à une amélioration de la sécurité des clients/victimes.

Cette proposition de loi ancre donc cette décision jurisprudentielle dans le code de la consommation, en clarifiant l’article dont il est question, pour apporter à l’avenir davantage de stabilité d’interprétation de la notion de « champ de lactivité principale du professionnel ».

Cette proposition de loi double aussi le délai de rétractation applicable aux contrats conclus à distance et hors établissement, en le faisant passer de 14 jours à 28 jours, afin de garantir un délai juste pour les consommateurs.

proposition de loi

Article 1er

Le III de l’article L. 121‑16‑1 du code de la consommation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le simple fait que l’objet de ces contrats serve l’activité professionnelle du professionnel sollicité ne lui confère aucune qualité de nature à rééquilibrer les rapports contractuels, alors que tel est le cas si l’objet de ces contrats présente des caractéristiques propres conformes à celles de l’activité du professionnel, ou à tout le moins suffisamment proches. »

Article 2

Au premier alinéa de l’article L. 221‑18 du code de la consommation, le mot : « quatorze » est remplacé par le mot : « vingt‑huit ».


([1]) « Victimes de vente one shot : que faire ? » Haas Avocat :

https://www.haas-avocats.com/ecommerce/victimes-de-vente-one-shot-que-faire-comprendre-les-mecanismes-dun-fleau-du-net-pour-mieux-le-combattre/

([2]) « Vente « One Shot » : nouvelle modalité du droit de rétractation pour le professionnel » ; Haas Avocat :

http://info.haas-avocats.com/droit-digital/vente-one-shot-nouvelle-modalit%C3%A9-du-droit-de-r%C3%A9tractation-pour-le-professionnel

([3]) Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 septembre 2018, 17-17.319 : « Le simple fait que le service commandé serve l’activité professionnelle de la personne ne confère à celle-ci aucune qualité de nature à rééquilibrer les rapports contractuels alors que tel est le cas si ce service présente des caractéristiques propres conformes à celles de l’activité de cette personne, ou à tout le moins suffisamment proches ».