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N° 1865

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 avril 2019.

PROPOSITION DE LOI

relative à la reconnaissance du génocide assyrochaldéen de 1915,

(Renvoyée à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Valérie BOYER, Brigitte KUSTER, Gilles LURTON, Michel VIALAY, Damien ABAD, Nadia RAMASSAMY, Éric CIOTTI, Philippe GOSSELIN, Nathalie BASSIRE, Meyer HABIB, Guy TEISSIER, Emmanuelle ANTHOINE, Valérie BEAUVAIS, JeanCharles TAUGOURDEAU, Bérengère POLETTI, Éric PAUGET, Sophie AUCONIE, Marc LE FUR,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que le 24 avril, nous commémorons le génocide des arméniens, il y a un génocide dont personne ne parle, celui du peuple assyro‑chaldéen, également victime du gouvernement Jeune‑Turc.

Malheureusement, ce massacre ne figure pas dans nos livres d’Histoire, pourtant il a bien eu lieu. En effet, au début du XXe siècle, le peuple assyro‑chaldéen vivait en Turquie Orientale, au Nord de l’Irak ou encore au Nord‑Ouest de l’Iran. Ce peuple était méprisé comme l’ensemble des Chrétiens de l’Empire Ottoman. Leur martyr a des antécédents. Il s’aggrava à partir des massacres de 1895‑1896 et s’est accéléré durant la première guerre mondiale.

Alors que Joseph Yacoub ([1]) estime le nombre de morts à plus de 250 000, d’autres parlent de 750 000morts (soit 70 % de la population assyro‑chaldéenne) du fait de recherches rendues difficiles par le manque de coopération de la Turquie sur ce sujet.

Bien que cette tragédie fut très présente dans la presse et la littérature française à l’époque du drame, la France ne dispose que de peu d’ouvrages comme c’est souvent le cas après un génocide, car commettre ce crime, c’est chercher à détruire un peuple et à l’effacer de la mémoire du Monde.

Pourtant, les travaux de Joseph Yacoub ont révélé au grand jour le génocide assyro‑chaldéen, occulté de nos mémoires, oublié et trop longtemps ignoré. Une grande partie des Européens ne connait même pas la signification du terme « Assyro‑Chaldéen » ou encore leur Histoire et l’existence de leur génocide, bien trop souvent confondu avec le génocide arménien, du fait de la concomitance de ces différents massacres ([2]).

Les témoignages sont tous accablants pour la Turquie. L’enlèvement des femmes, dont certaines étaient enceintes, les foules jetées en prison, les rapts d’enfants et de jeunes filles qui seront islamisés, les abus sexuels et les conversions à l’islam sont autant de traumatismes qui ont causé des obstacles aux naissances au sein de la communauté aux fins de la détruire.

Cette méconnaissance, associée au négationnisme des sociétés contemporaines sur l’horreur des génocides et des crimes contre l’humanité du XXe siècle, ont contribué à une forme de « mémoricide » ([3]).

Elie Wiesel ([4]) disait : « En niant l’existence d’un génocide, en l’oubliant, on assassine les victimes une seconde fois ». Le négationnisme est un véritable délit contre l’Humanité et doit être sanctionné pénalement. C’est pourquoi plusieurs propositions de loi sur la pénalisation des négationnismes des génocides et crimes contre l’Humanité ont été déposées ces dernières années ([5]).

Alors qu’elle n’a retenu qu’un seul génocide, un siècle plus tard, l’Histoire bégaie avec le massacre des Chrétiens d’Orient perpétré par l’État Islamique.

« Nous avons tous été des juifs allemands, nous avons tous été des Charlie, et bien je crois que nous devons tous être des Chrétiens d’Orient. ». Cette phrase prononcée par Jean d’Ormesson, nous rappelle que les persécutions des Chrétiens d’Orient se poursuivent en Syrie comme en Irak et s’amplifient de façon alarmante.

Depuis quelques années, les crimes de l’État Islamique contre les Chrétiens d’Orient raniment nos consciences sur ce peuple trop longtemps oublié. L’ONU ou encore le tribunal pénal international se mobilisent désormais sur cette question.

L’ONU, au travers de sa commission d’enquête sur la Syrie, a clairement qualifié de génocide les actions menées par Daech contre la communauté yésidie. Son secrétaire général, M. Ban Ki Moon, a souligné que les crimes commis « peuvent constituer des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et même de génocide ».

Alors que ces chrétiens vivent depuis plusieurs siècles en Irak et en Syrie, ils ont été une nouvelle fois exterminés dans la même indifférence que leurs ancêtres, mais cette fois par l’État islamique.

Sommés de se convertir ou de partir en abandonnant tout, sous peine de mort, les chrétiens de Mossoul et des villages de la région, syriaques orthodoxes et catholiques, assyriens ou chaldéens font face à un des épisodes les plus noirs de leur histoire.

Leur « liberté » se résume à : la valise, la conversion ou le glaive ! Quant aux minorités qui résistent, elles sont les victimes silencieuses de Daesh et doivent faire face à des actes atroces qui nous rappellent les sombres heures de l’Histoire de notre Humanité : autodafés, saccage des églises et des musées, exécutions sommaires, esclavage des femmes ou encore crucifixions.

Hommes, femmes, enfants, sans distinctions ont subis des massacres de grande ampleur et d’une rare barbarie.

Ils sont pris dans la tourmente des luttes de factions et de communautés qui se sont exacerbées dans le pays depuis l’invasion américaine de 2003.

La tolérance qui avait permis aux membres de nombreuses confessions : musulmane, chrétienne, yézidie, juive (les juifs étaient nombreux dans la région jusqu’en 1950) de vivre ensemble, en Syrie comme en Irak, semble bien mise à mal dans un contexte régional de violence accrue.

Sur les 600 000 Yézidis recensés en Irak, des milliers auraient été assassinés et enterrés dans des fosses communes, et près de la moitié auraient fui au Kurdistan irakien et à l’étranger, selon le Conseil norvégien pour les réfugiés.

Ce bilan des plus alarmants est aggravé par une réalité des plus dramatiques, qui n’est pourtant pas médiatisée.

En effet c’est aujourd’hui près de 3 000 femmes yézidies qui sont encore aux mains de Daesh en Irak mais aussi en partie en Turquie, subissant les pires exactions dans l’indifférence la plus totale.

Afin de récupérer leurs filles, leurs sœurs, leurs mères, ou leurs épouses, les familles des otages les rachètent au prix fort de plusieurs milliers de dollars.

Hier, les Arméniens et les Assyro‑Chaldéens ; aujourd’hui, à nouveau, les Chrétiens d’Orient, les Yézidis, les Coptes. Demain qui parlera l’Araméen ? Qui parlera la langue du Christ ? Combien de temps resterons‑nous les témoins silencieux de ces massacres annoncés ?

L’État et les organismes publics doivent se mobiliser au nom de l’Histoire de notre civilisation.

La France est en guerre contre le terrorisme, contre l’État islamique qui a perpétré des attentats sur notre sol et à l’encontre de nos ressortissants partout où ils peuvent sévir. Au moins 27 personnes ont été tuées dimanche 27 janvier 2019 dans un double attentat contre une église de l’Île de Jolo, dans le sud des Philippines par l’État islamique.

En 2019 plus de 245 millions de chrétiens sont fortement persécutés dans le monde, cela représente un chrétien sur neuf ([6]).

Nous ne pouvons plus nous permettre de rester silencieux.

Alors que nous savons que des femmes et des hommes se font exterminer, notre incapacité à agir devient complicité.

La France, n’est pas un pays comme un autre. Depuis 1535 ([7]), elle est protectrice des Chrétiens d’Orient. Depuis des siècles, notre pays protège les plus faibles et de nombreux États démocratiques se sont inspirés de ce qui est, aujourd’hui, le texte fondateur de nos droits et libertés : la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

Contrairement au génocide arménien, reconnu par de nombreux pays, organisations internationales et considéré comme l’un des quatre génocides officiellement acceptés par l’ONU, le massacre des assyro‑chaldéens souffre du manque de reconnaissance en tant que génocide.

À l’heure actuelle, des États ont reconnu ce génocide, pour certains en même temps que le génocide arménien et grec pontique, tels que la Suède, l’Arménie, la Hollande, le Bundestag allemand…

Ces crimes, écrit Joseph Naayem ([8]) « déshonorent l’histoire de l’humanité. ». Ils ont été commis par les « ennemis de l’humanité » accuse, pour sa part, Isaac Armalé ([9]), un autre témoin des massacres. Ainsi, par la profondeur de leurs réflexions, ces deux témoins se rapprochent de la notion de « crime contre l’humanité », élaborée ultérieurement par le droit international.

Le dimanche 12 avril 2015, le Pape François a reconnu, lors de la proclamation de Grégoire de Narek, comme docteur de l’Église universelle, le génocide arménien et aussi syriaque, assyrien et chaldéen.

S’adressant aux Arméniens, il déclare : « Notre humanité a vécu, le siècle dernier, trois grandes tragédies inouïes : la première est celle qui est généralement considérée comme « le premier génocide du XXe siècle » (Jean‑Paul II et Karékin II, déclaration commune, Etchmiadzin, 27 septembre 2001) ; elle a frappé votre peuple arménien ‑ première nation chrétienne ‑, avec les Syriens catholiques et orthodoxes, les Assyriens, les Chaldéens et les Grecs. Des évêques, des prêtres, des religieux, des femmes, des hommes, des personnes âgées et même des enfants et des malades sans défense ont été tués. »

Parce que nous sommes à la fois des protecteurs historiques des Chrétiens d’Orient, mais aussi le pays des droits de l’Homme, ces « génocides » du XXe siècle, comme du XXIe siècle, ne doivent pas faire face à la passivité de la communauté internationale. La lutte contre la barbarie doit mobiliser l’ensemble des pays du monde et nous devons reconnaître le génocide des Chrétiens d’Orient.

Les actes commis par les forces ottomanes il y a 100 ans, comme ils sont commis aujourd’hui par l’État islamique de Daesh, doivent être considérés comme un crime de génocide au sens de l’article 6 du Statut de Rome et comme des crimes contre l’humanité au sens de l’article 7 du même texte. Hélas, aujourd’hui, nous ne pouvons que déplorer la passivité de l’ONU pour la protection de ces minorités, victimes de tortures et de purification ethnique (exil de milliers de chrétiens, de Kurdes et de Yazidis). C’est pourquoi, il est impératif, que la plainte déposée à la Cour pénale internationale, par la Coordination des Chrétiens d’Orient en danger, aboutisse.

Rappelons‑nous cette phrase d’André Malraux : «la France n’est grande que lorsqu’elle est pour le monde ! ».

Comme cela a déjà été demandé le 11 mars 2015 ([10]), avec cette proposition de loi et la reconnaissance du génocide assyro‑chaldéen de 1915, le Parlement français, dans son ensemble, s’honorera de s’inscrire, comme d’autres Parlements nationaux, dans cette démarche profondément démocratique et permettra de ne pas oublier les Chrétiens d’Orient qui meurent chaque jour.


proposition de loi

Article 1er

La France reconnait publiquement le génocide assyro-chaldéen perpétré pendant la Première Guerre mondiale.

Article 2

La France commémore chaque année le 24 avril la mémoire des victimes du génocide assyro-chaldéen et du génocide arménien de la première Guerre mondiale.


([1]) Professeur honoraire de l’Université catholique de Lyon, Joseph Yacoub est docteur en histoire (troisième cycle) et docteur d’État en lettres et sciences historiques de l’Université Lyon. Auteur de nombreux ouvrages, Il est spécialiste des droits de l’homme, des minorités ethniques, linguistiques, religieuses et culturelles dans le monde et des chrétiens d’Orient. Il a été engagé dans la commémoration qui marqua le centenaire du génocide assyro‑chaldéen‑syriaque de 1915, en Europe et dans le monde et continue à œuvrer à sa reconnaissance par ses travaux et activités. Il est un des seuls historiens à écrire des ouvrages en français sur le génocide assyro‑chaldéen, notamment « Qui s’en souviendra ? 1915 : le génocide assyro‑chaldéen‑syriaque », Éditions du Cerf,  Paris, octobre  2014, traduit en anglais.

([2])  L’année 1915 compte un triple génocide : les Arméniens, les Assyro‑Chaldéens et les Grecs pontiques.

([3])  Terme utilisé par la philosophe Hélène Piralan‑Simonyan.

([4])  Écrivain juif américain, survivant de la Shoah et prix Nobel de la paix.

([5])  L’Assemblée Nationale et le Sénat, ont adopté, le 23 janvier 2012 la proposition de loi de Valérie Boyer, avant d’être censurée le 28 février 2012 par le Conseil constitutionnel.  En décembre 2015, les Républicains avaient également fait le choix d’inscrire à l’ordre du jour la proposition de loi (n° 2276)  du 14 octobre 2014 de Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues visant à réprimer la négation des génocides et des crimes contre l’humanité du XXe siècle. Le 19 janvier 2016 une nouvelle proposition de loi (n° 3411) est déposée par Valérie Boyer afin de  réprimer la négation des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité.

([6])  Index mondial de persécutions des Chrétiens 2019

([7])  Accords signés en 1535‑1536 entre François Ier et la Sublime Porte ‑ première alliance entre un Roi Très Chrétien et un monarque musulman.

([8])  Joseph Naayem (1888 – 1964), ancien aumônier des prisonniers de guerre alliés en Turquie, officier de l’instruction publique

 

([9])  Isaac Armalé (1879 – 1954), prêtre et savant syriaque catholique de Mardin.

([10])  Proposition de loi de Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues, n° 2642 du 11 mars 2015 relative à la reconnaissance du génocide assyrien de 1915.