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N° 1903

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 avril 2019.

PROPOSITION DE LOI

relative à la responsabilité pénale pour manquement à une obligation
de vigilance collective en matière de conduite routière,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Bérengère POLETTI, Robin REDA, Valérie BOYER, Gérard MENUEL, Bernard PERRUT, Véronique LOUWAGIE, Didier QUENTIN, Arnaud VIALA, Nicolas FORISSIER, Valérie BEAUVAIS,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Mardi 26 février dernier, en début de soirée, un carambolage à Bourgoin‑Jallieu en Isère impliquant pas moins de six véhicules a provoqué la mort de deux septuagénaires et plusieurs blessés dont une jeune femme gravement. La voiture du couple décédé s’est d’abord fait percuter par l’arrière par un véhicule dont la violence du choc l’a propulsé sur les autres voitures devant eux. Les quatre autres automobiles qui arrivaient n’ont pas réussi à éviter l’accident.

Le conducteur de la voiture qui a percuté en premier celle des deux victimes, a été rapidement placé en garde‑à‑vue. Il a été contrôlé positif au test d’alcoolémie avec 2,54 grammes d’alcool par litre de sang. Cet homme de 35 ans est un gendarme de la brigade Pont‑de‑Chéruy du Nord‑Isère qui n’était pas en service au moment de l’accident. Un ami, son fils de 11 ans et sa propre fille de 8 ans étaient également dans la voiture.

Jugé en comparution immédiate le jeudi 28 février pour homicide involontaire aggravé de deux circonstances dont l’alcool, l’homme a été condamné à trois ans de prison dont dix‑huit mois ferme, accompagné d’une mise à l’épreuve de deux ans et d’une annulation de permis. Il a été directement incarcéré à la maison d’arrêt de Lyon‑Corbas.

Au cours du procès, plusieurs éléments sont venus préciser les circonstances de l’alcoolisation de l’auteur des faits : ce dernier avait consommé près de trois litres de bière dans l’après‑midi précédent l’accident entouré de quatre de ses collègues au restaurant. Parmi ces gendarmes, même en permission, aucun ne l’a alerté et empêché de reprendre son véhicule alors même qu’il était dans un état d’ivresse avancé et manifestement largement supérieur à la limite autorisée.

En 2018, 3 503 personnes seraient décédées sur les routes de France. La vitesse et l’alcool restent les deux premières causes des accidents mortels avec un tiers des cas chacun ([1]).

De par leurs fonctions, il est évident que ces gendarmes connaissent les conséquences d’une telle alcoolisation et en sont bien souvent les premiers témoins lors de leurs interventions lors d’accidents de la route. Pourtant, ils ont choisi de laisser repartir leur collègue au volant de sa voiture.

Face à la critique d’une enquête « bâclée » selon plusieurs parties, la procureure de la République chargée de l’affaire s’est défendue de ne pas poursuivre les autres gendarmes présents : « Il n’y a, à mon sens, pas d’infraction pénale les concernant. Leur responsabilité ne peut être que morale. Le dossier pouvait parfaitement être jugé en l’état. »

Si nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ([2]), l’article 121‑3 du code pénal dispose notamment que « Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

Aussi, il apparaît essentiel de transposer cette responsabilité pénale dans le code de la route afin d’impliquer chacun dans un véritable devoir de prudence et de vigilance collective et partagée dans le cas où le conducteur responsable se trouve alcoolisé (article unique).


proposition de loi

Article unique

Le chapitre 2 du titre 3 du livre 2 du code de la route est complété par un article L. 232‑4 ainsi rédigé :

« Art. L. 2324. – Nonobstant l’avant‑dernier alinéa de l’article 121‑3 du code pénal, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement les atteintes involontaires aux personnes prévues au cinquième alinéa des articles L. 232‑1 et L. 232‑2 du code de la route, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait l’environnement à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer compte tenu de la nature de leurs missions ou de leurs fonctions, de leurs compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont elles disposent. »


([1])  Bilan provisoire 2018 de l’accidentalité routière issu de l’observatoire national interministériel de la sécurité routière.

([2]) Article 121‑1 du code pénal.