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N° 2046

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 juin 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger les personnes âgées en situation de faiblesse
face au démarchage de certains agents immobiliers,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Fabrice BRUN, Nathalie BASSIRE, Valérie BAZINMALGRAS, JeanClaude BOUCHET, Marine BRENIER, Bernard BROCHAND, Pierre CORDIER, Marianne DUBOIS, PierreHenri DUMONT, Nicolas FORISSIER, Michel HERBILLON, Valérie LACROUTE, Véronique LOUWAGIE, Gilles LURTON, Jérôme NURY, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Alain RAMADIER, Nadia RAMASSAMY, Robin REDA, Frédéric REISS, JeanLuc REITZER, Martial SADDIER, Pierre VATIN,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un phénomène tend aujourd’hui à se développer du fait du vieillissement de la population et de la hausse continue du marché immobilier de la part de certains professionnels de l’immobilier indélicats.

Sans vouloir généraliser, certains de ces professionnels peu regardants multiplient les démarches d’agents immobiliers vis‑à‑vis de personnes âgées, malades, souvent hospitalisées, afin d’obtenir des viagers ou des ventes immobilières. Certains obtiennent ainsi la dévolution de plusieurs immeubles, auprès de personnes vulnérables grâce à la signature de nombreux actes aujourd’hui parfaitement légaux.

L’article 6 de la loi n° 70‑9 du 2 janvier 1970 précise que le mandat de l’agent immobilier doit être écrit, signé et en cours de validité et contenir un certain nombre de clauses impératives (durée, rémunération et mention de la personne chargée du paiement...etc.) et qu’il s’agit d’une exigence solennelle entraînant la nullité absolue en cas d’irrespect.

Il apparait toutefois que dans la pratique, cette exigence n’est pas suffisante pour protéger les personnes âgées vulnérables.

L’article 223‑15‑2 du code pénal définissant l’abus de de faiblesse définit la personne vulnérable par un faisceau d’indices à savoir : la maladie, une infirmité ; une déficience physique ou psychique, ou un état de grossesse, la notion de vulnérabilité est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond.

Plusieurs actions sont d’ores et déjà possibles pour sanctionner la conclusion de mandats de vente ou de contrats de vente par des personnes vulnérables : des actions civiles en nullité des contrats eu égard à la notion de capacité juridique, des actions en responsabilité délictuelle, ainsi que des actions pénales pour abus de faiblesse.

En premier lieu, conformément au droit commun des contrats, « il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat ». Le consentement ne peut être troublé par une altération de la lucidité au moment de la conclusion de l’acte.

Lors d’une action en nullité pour insanité d’esprit, il incombe à « ceux qui agissent pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ».

Au regard d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le trouble mental doit :

– être prouvé par tous moyens ;

– présenter un degré suffisant ;

– exister au moment précis où l’acte attaqué a été fait.

L’importance du trouble et l’époque à laquelle il est survenu relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Cependant, le contexte peut justifier la mise en œuvre d’une présomption.

Ainsi, si l’état d’insanité d’esprit existait dans la période immédiatement antérieure et dans la période immédiatement postérieure à l’acte litigieux, il revient alors au défendeur d’établir l’existence d’un intervalle lucide au moment où l’acte a été passé. Dans ce cas, la charge de la preuve se renverse.

Les troubles peuvent résulter de la maladie, de la sénescence, d’un état alcoolique ou d’une autre addiction et l’état d’insanité d’esprit a pour conséquence la nullité du contrat, que le cocontractant ait eu ou non connaissance de l’état de la personne.

En second lieu toute vente doit être exempte de vice du consentement (erreur, dol, violence) à peine de nullité.

La violence est présente « lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. L’ordonnance n° 2016‑131 du 10 février 2016 a précisé que celle‑ci peut consister en un abus « de l’état de dépendance dans lequel se trouve le cocontractant ».

L’abus de l’état de dépendance est caractérisé quand une partie obtient de la part d’une personne « un engagement qu’elle n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

L’intérêt de ce moyen reste toutefois dans la pratique limité puisque la personne invoquant l’abus de l’état de dépendance doit en effet prouver l’existence d’un état de dépendance, un avantage « manifestement » excessif, ainsi un abus de cet état pouvant ne pas être lié uniquement à l’avantage obtenu.

Ce vice de violence est apprécié in concreto par le juge, en considération notamment de la victime. Ainsi, la Cour de cassation a reconnu la vulnérabilité de la victime du fait de son âge et de sa maladie.

En ce qui concerne la responsabilité délictuelle et la demande de dommages‑intérêts, la victime d’abus de faiblesse peut aussi demander la réparation de son dommage au titre de l’article 1240 et suivants du code civil en prouvant cet abus. Ce dernier est alors susceptible d’être considéré comme une faute et donc d’engager la responsabilité délictuelle.

En outre en ce qui concerne le code pénal, l’article 223‑15‑2 du code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende « l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse » d’une personne vulnérable « pour conduire (...) cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».

L’article 223‑15‑3 du code pénal prévoit également des peines complémentaires (interdiction d’exercice, confiscation, affichage) dans une limite de cinq années.

L’infraction d’abus de faiblesse sur personne vulnérable est caractérisée si les éléments matériel et intentionnel sont remplis :

– elle implique que la victime ait réalisé un acte préjudiciable qu’elle n’aurait pas effectué sans les manœuvres d’une personne ; dans le cas des démarchages, la venue répétée d’un agent immobilier au domicile ou au lieu de résidence d’une personne peut qualifier la matérialité de I’abus ;

– la personne vulnérable doit prouver la volonté d’abuser de la part de l’agent immobilier.

Depuis la loi 1102009‑526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures modifiant l’article 223‑15‑2 du code pénal, le législateur précise que l’abus de faiblesse doit être apparent ou connu de l’auteur, ces deux conditions étant alternatives et non plus cumulatives.

Dans le cas d’agents immobiliers venant démarcher des personnes résidant des Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), on peut présumer que les agents ont conscience d’agir auprès de personnes susceptibles d’être vulnérables.

L’abus de faiblesse ou de vulnérabilité peut se rapprocher de l’extorsion (article 312‑1 et suivants du code pénal) et de l’escroquerie (article 313‑1 et suivants du code pénal). Ces deux infractions prévoient la même circonstance aggravante que les articles 223‑15‑2 et 22315‑4 du code pénal concernant les personnes vulnérables et punissent plus sévèrement que l’abus de vulnérabilité.

Enfin le code de la consommation vise également l’abus de faiblesse dans les articles L. 121‑8 à L. 121‑10 du code de la consommation.

L’article L. 121‑9 interdit d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne « les circonstances montrent que cette personne n’était pas en mesure d’apprécier la portée des engagements qu’elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire ou font apparaître qu’elle a été soumise à une contrainte ».

Dans ce cadre l’abus de faiblesse fait l’objet de sanctions civiles (nullité de plein droit du contrat) et pénales.

La loi n° 2014‑344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a aligné les peines prévues par le code de consommation avec celles punissant l’abus de vulnérabilité prévues par le code pénal, soit trois ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende.

Cependant, le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits

L’abus de faiblesse nécessite plusieurs conditions :

– un état de faiblesse ou d’ignorance de la victime, sans que les critères en soient définis, contrairement au code pénal ;

– une connaissance de l’état de faiblesse ou d’ignorance par le cocontractant ;

– la victime doit avoir pris des engagements au comptant ou à crédit, ou remis de l’argent sans contrepartie réelle ;

– ces engagements doivent avoir été pris « hors établissement », ce qui inclut les transactions réalisées hors des lieux de vente.

Toutefois, dans le cadre d’un contrat de vente immobilière, le vendeur ne pourrait pas être reconnu comme la victime, l’infraction étant limitée aux engagements au comptant ou à crédit.

Les deux infractions d’abus de faiblesse apparaissent très proches. Le délit du code pénal a un champ d’application plus large que l’infraction prévue dans le code de la consommation mais, dans le cas de faits pouvant relever des deux incriminations (comme cela serait le cas s’agissant d’un mandat de vente conclu avec une personne résidant en EHPAD), en raison du principe selon lequel la loi spéciale déroge à la loi générale, seul le code de la consommation devrait s’appliquer.

La principale différence réside dans la condition relative au préjudice, le code pénal exigeant un préjudice grave, tandis que le code de la consommation ne prévoit aucune disposition similaire.

De plus, les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) disposent de pouvoirs d’enquête pour rechercher et constater les abus de faiblesses du code de la consommation (articles L. 450‑1 à L. 450‑4). Ces agents peuvent être alertés en cas de suspicion d’abus de faiblesse.

Cependant, dans les faits, l’incrimination de l’abus de faiblesse du code de la consommation est peu utilisée par rapport à celle du code pénal.

C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à compléter la loi n° 70‑9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce et le code de la consommation afin de mieux protéger les personnes hospitalisées ou accueillies au sein d’un EHPAD.

Larticle 1er introduit ainsi à l’article 6 de la loi n° 70‑9 du 2 janvier 1970 une obligation de notification du mandat de vente d’un bien immobilier aux descendants et au directeur de l’établissement médical à la charge de l’agent immobilier et dont la sanction serait la nullité du mandat.

Larticle 2 vise pour sa part à aligner l’incrimination de l’abus de faiblesse énoncée dans le code de la consommation sur les dispositions du code pénal

Larticle 3 vise pour sa part à élargir la sanction de l’abus de faiblesse à l’ensemble des contrats de consommation – y compris le mandat de vente d’un bien immobilier conclu à domicile) et non plus aux seuls engagement au comptant ou à crédit comme c’est le cas actuellement et à ajouter dans le code que tout engagement conclu dans les locaux d’un établissement public de santé ou d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes est assimilé à un abus de faiblesse.

Tels sont, Mesdames, Messieurs les objectifs de la présente proposition de loi. 


proposition de loi

Article 1er

L’article 6 de la loi n° 70‑9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles  et les fonds de commerce est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toute convention conclue avec une personne faisant l’objet d’un accueil au sein d’un établissement public pour soin ou d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et ayant pour objet des opérations portant sur l’achat, la vente ou la gestion de son patrimoine immobilier, doit obligatoirement être notifiée à des descendants ainsi qu’au directeur de l’établissement d’accueil dans un délai de 10 jours par la personne physique ou morale titulaire d’une carte professionnelle. À défaut, la convention est réputée nulle et de nul effet. »

Article 2

À l’article L. 121‑8, au premier alinéa de l’article L. 121‑9 et à l’article L. 121‑10 du code la consommation, les mots : « le fait d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne » sont remplacés les mots : « l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation d’une personne due à son âge, sa maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique ou un état de grossesse. »

Article 3

1° À l’article L. 121‑8 du code de la consommation, les mots : « au comptant ou à crédit » sont supprimés.

2° Au même article, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Est assimilé à un abus de faiblesse tout engagement conclu dans les locaux d’un établissement public de santé ou d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ».