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N° 2200

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 août 2019.

PROPOSITION DE LOI

relative aux violences au sein des couples
et aux incidences de ces dernières sur les enfants,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Valérie BOYER, Aurélien PRADIÉ, Christian JACOB, Damien ABAD, Emmanuelle ANTHOINE, Julien AUBERT, Nathalie BASSIRE, Thibault BAZIN, Valérie BAZIN‑MALGRAS, Valérie BEAUVAIS, Émilie BONNIVARD, Jean‑Yves BONY, Ian BOUCARD, Jean‑Claude BOUCHET, Marine BRENIER, Xavier BRETON, Bernard BROCHAND, Fabrice BRUN, Gilles CARREZ, Jacques CATTIN, Gérard CHERPION, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Pierre CORDIER, Josiane CORNELOUP, François CORNUT‑GENTILLE, Marie‑Christine DALLOZ, Olivier DASSAULT, Bernard DEFLESSELLES, Rémi DELATTE, Vincent DESCOEUR, Éric DIARD, Fabien DI FILIPPO, Julien DIVE, Jean‑Pierre DOOR, Marianne DUBOIS, Virginie DUBY‑MULLER, Pierre‑Henri DUMONT, Daniel FASQUELLE, Jean‑Jacques FERRARA, Nicolas FORISSIER, Laurent FURST, Claude de GANAY, Jean‑Jacques GAULTIER, Annie GENEVARD, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Jean‑Carles GRELIER, Claire GUION‑FIRMIN, Meyer HABIB, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Sébastien HUYGHE, Mansour KAMARDINE, Brigitte KUSTER, Valérie LACROUTE, Guillaume LARRIVÉ, Sébastien LECLERC, Marc LE FUR, Constance LE GRIP, Geneviève LEVY, David LORION, Véronique LOUWAGIE, Gilles LURTON, Emmanuel MAQUET, Olivier MARLEIX, Franck MARLIN, Jean‑Louis MASSON, Gérard MENUEL, Frédérique MEUNIER, Maxime MINOT, Jérôme NURY, Jean‑François PARIGI, Éric PAUGET, Guillaume PELTIER, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Didier QUENTIN, Alain RAMADIER, Nadia RAMASSAMY, Robin REDA, Frédéric REISS, Jean‑Luc REITZER, Bernard REYNÈS, Vincent ROLLAND, Martial SADDIER, Antoine SAVIGNAT, Raphaël SCHELLENBERGER, Jean‑Marie SERMIER, Éric STRAUMANN, Michèle TABAROT, Jean‑Charles TAUGOURDEAU, Guy TEISSIER, Jean‑Louis THIÉRIOT, Laurence TRASTOUR‑ISNART, Isabelle VALENTIN, Pierre VATIN, Patrice VERCHÈRE, Charles de la VERPILLÈRE, Arnaud VIALA, Michel VIALAY, Jean‑Pierre VIGIER, Stéphane VIRY, Éric WOERTH,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Ce qui doit nous rassembler c’est notre volonté de mettre un terme aux violences physiques, notamment les violences au sein des couples.

Un certain nombre de parlementaires mènent ce combat depuis plusieurs années.

C’est un combat qui n’avance jamais assez vite. C’est pourquoi plus que jamais nous avons besoin de l’implication de tous.

La lutte contre ces violences, notamment faites aux femmes, est un combat qui concerne toute la société, c’est un combat universel.

En 2009, le Premier ministre François Fillon déclare les violences faites aux femmes grande cause nationale considérant que : « cette réalité dévastatrice s’exerce au quotidien, dans toutes les classes sociales et sur l’ensemble de notre territoire. Elle se noue dans le secret des foyers et sur les lieux de travail. Partout, elle nous met en face d’un des paradoxes les plus incompréhensibles et les plus avilissants de la nature humaine. Quelle que soit sa manifestation, cette brutalité n’est ni tolérable ni légitime. »

Le Gouvernement avait alors créé un véritable parcours d’orientation pour les femmes victimes de violences. À côté du rôle prépondérant joué par les associations, nous avions voulu constituer un réseau de référents locaux.

Parallèlement, nous avions renforcé les moyens de la plate‑forme d’écoute téléphonique du 3919 ; ils permettent désormais de répondre à près de 80 000 appels par an.

Enfin, nous avions continué nos efforts pour améliorer l’accueil et l’hébergement des femmes en détresse, en particulier en Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).

Sur la base de l’exemple espagnol, nous avions également lancé l’expérimentation d’un dispositif de surveillance électronique pour contrôler l’effectivité de la mesure d’éloignement du conjoint violent.

Enfin comment ne pas évoquer la loi de Guy Geoffroy du 9 juillet 2010 qui vise notamment à faciliter le dépôt de plaintes par les femmes qui sont souvent freinées par la peur de perdre la garde de leurs enfants, par le risque de se retrouver sans logement ou par la crainte de l’expulsion lorsqu’elles sont en situation irrégulière.

Ce texte a également mis en place une « mesure phare » : « l’ordonnance de protection ».

La libération de la parole et la dénonciation croissante d’agissements inacceptables sur notre territoire ne sauraient suffire à endiguer ce triste phénomène longtemps occulté.

Les atteintes aussi bien physiques que sexuelles sont un fléau dont nous ne pouvons plus ignorer l’extrême gravité.

Oui les violences, qui sont faites majoritairement aux femmes, sont protéiformes et plus que jamais nous devons les dénoncer quelles qu’elles soient, sans aucune distinction.

Ces violences aussi diverses soient‑elles sont l’occasion de la part de l’ensemble de la classe politique d’œuvrer dans un esprit de concorde contre ces phénomènes révoltants.

Pour lutter efficacement contre ces différentes violences, nous ne pouvons plus nier leurs imbrications mutuelles et nous devons établir une vision globale pour les appréhender avec pragmatisme.

Plus que jamais il est urgent de renforcer notre arsenal législatif par une pluralité de mesures aussi bien préventives que répressives, en replaçant la victime au cœur de notre processus judiciaire.

Ce texte s’appuie sur la proposition de loi n° 407 du 22 novembre 2017 relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants([1]).

Selon un rapport du bureau des Nations unies sur la drogue et la criminalité paru à l’occasion de la journée internationale des violences faites aux femmes, le lieu le plus dangereux pour ces dernières est bien le domicile conjugal.

En effet sur un total de 87 000 homicides de femmes dans le monde en 2017, environ 50 000 soit 58 % ont été commis par leur compagnon ou des membres de leur famille, environ 30 000 soit 34 % ont été commis par le partenaire de la victime, cela représente donc environ 6 femmes tuées toutes les heures par quelqu’un de leur entourage proche.

En moyenne en France au cours d’une année c’est 225 000 femmes majeures qui sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur partenaire actuel ou intime. 88 % des victimes de violences commises par le partenaire enregistrées par les services de police ou de gendarmerie sont des femmes.

Les actes commis par le conjoint ou l’ex‑conjoint représentent deux tiers des violences volontaires et un tiers des viols concernant une victime femme majeure.

Trois victimes sur quatre déclarent avoir subi des faits répétés. Huit victimes sur dix affirment avoir été soumises à des atteintes psychologiques ou des agressions verbales. Les plaintes pour viols conjugaux ont quant à elles augmenté de 15 %. Pourtant moins d’une victime sur 5 dépose plainte pour violences conjugales.

Près de 70 000 auteurs présumés ont été impliqués dans des affaires de violences entre partenaires traitées par les parquets en 2017. 16 300 ont bénéficié d’un classement sans suite dans le cadre d’une procédure alternative aux poursuites et 23 900 ont fait l’objet de poursuites. 17 600 auteurs ont été condamnés pour des violences sur leur partenaire ou ex‑partenaire dont 96 % sont des hommes.

125 personnes sont mortes en 2017, victimes de la violence de leur partenaire ou de leur ex‑partenaire de vie (contre 138 en 2016 et 136 en 2015), dont 109 femmes et 16 hommes. Ainsi, une femme meurt tous les 2 jours du fait de la violence de son conjoint ou ex‑conjoint([2]).

Ces chiffres dramatiques doivent déboucher sur une remise en cause de notre législation.

Préciser la notion de « violences » (article 1 et article 2)

Selon le ministère de la justice([3]), les violences conjugales sont celles qui s’exercent à l’encontre d’un conjoint ou concubin, que le couple soit marié, lié par un PACS, en simple concubinage ou même séparé.

Il peut s’agir de violences psychologiques (mots blessants, insultes, menaces, cris), physiques (coups, blessures) ou sexuelles (agression sexuelle, viol). La violence peut également être économique (le conjoint vérifie les comptes, refuse de donner de l’argent ou d’accorder à sa compagne une autonomie financière en la privant de moyens ou de biens essentiels, même si la conjointe a une activité rémunérée).

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la violence conjugale comme « tout acte de violence au sein d’une relation intime qui cause un préjudice ou des souffrances physiques, psychologiques ou sexuelles aux personnes qui en font partie ».

L’Institut national de santé publique du Québec en donne la définition suivante : « la violence conjugale comprend les agressions psychologiques, verbales, physiques et sexuelles ainsi que les actes de domination sur le plan économique. Elle ne résulte pas d’une perte de contrôle, mais constitue, au contraire, un moyen choisi pour dominer l’autre personne et affirmer son pouvoir sur elle. Elle peut être vécue dans une relation maritale, extramaritale ou amoureuse, à tous les âges de la vie ».

Pourtant notre code pénal français envisage seulement que « les violences prévues […] sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques. ».

Afin de compléter cette définition, il s’agirait de s’appuyer sur l’article 3 de de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique([4]).

Cet article définit ces violences comme des « actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ».

Rendre automatique le retrait de lautorité parentale pour le parent condamné pour des crimes ou délits commis contre son enfant, et à lencontre du parent qui sest rendu coupable dun crime sur la personne de lautre parent, sauf si cela est contraire à lintérêt de lenfant (article 3).

En 2018, 11 enfants sont décédés concomitamment à l’homicide de leur père ou de leur mère et 14 enfants ont été tués dans le cadre de violences conjugales sans qu’un parent ne soit tué.

En 2017, dans un rapport, le centre Hubertine‑Auclert (Observatoire régional des violences faites aux femmes) propose de mieux reconnaître et prendre en charge les enfants premières victimes collatérales de violences conjugales([5]).

La préconisation n° 7 était de faire primer l’intérêt de l’enfant dans les décisions de justice en matière d’autorité parentale.

Actuellement l’article 378 du code civil prévoit que « peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale par une décision expresse du jugement pénal les père et mère qui sont condamnés, soit comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis sur la personne de leur enfant, soit comme coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis par leur enfant, soit comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime sur la personne de l’autre parent. ».

Les enfants témoins de violences sont des victimes. Assister aux violences commises par son père sur sa mère ou inversement a des conséquences sur les enfants : en tant que témoins, ils deviennent des victimes. Nous devons légitimement considérer qu’un parent violent n’est pas un bon parent.

C’est pourquoi il est proposé de faire du retrait de l’autorité parentale le principe et son maintien l’exception, si l’intérêt de l’enfant l’exige. La juridiction devra dans ce cas, spécialement motiver sa décision.

Rendre obligatoire linscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs dinfractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) des personnes condamnées pour des violences conjugales (article 4).

Le FIJAISV ou le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes existe depuis la loi n° 2004‑204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite Perben II.

Il vise à prévenir le renouvellement des infractions à caractère sexuel ou violentes et à faciliter l’identification de leurs auteurs.

L’inscription au FIJAISV est obligatoire et automatique en cas de condamnation pour l’un des crimes sexuels listés à l’article 706‑47 du code de procédure pénale :

– meurtre ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ;

– agressions, atteintes sexuelles ou proxénétisme à l’égard d’un mineur,

– recours à la prostitution d’un mineur ;

– meurtre ou assassinat commis avec tortures ou actes de barbarie ;

– crimes de tortures ou d’actes de barbarie ;

– meurtres ou assassinats commis en état de récidive légale.

En matière de délits, l’inscription est également automatique si la peine maximale encourue est supérieure à cinq ans d’emprisonnement.

Lorsque la peine maximale encourue est inférieure ou égale à cinq années d’emprisonnement, l’inscription de la personne au FIJAISV n’est possible qu’en cas de décision expresse de la juridiction de jugement ou du procureur de la République.

Nous devons aujourd’hui rendre obligatoire l’inscription au FIJAISV de toutes les personnes condamnées pour des violences conjugales.

Tels sont les objectifs de cette proposition de loi.

 


proposition de loi

Article 1er

Après le mot « nature », la fin de l’article 222‑14‑3 du code pénal est ainsi rédigée :

« : physique, psychologique, sexuelle, économique ».

Article 2

L’article 515‑9 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sont des violences au sens du premier alinéa du présent article, les violences physiques, psychologiques, sexuelles et économiques mentionnées à l’article 222‑14‑3 du code pénal ».

Article 3

L’article 378 du code civil est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Au début, les mots : « Peuvent se voir », sont remplacés par les mots : « Se voient » ;

b) Les mots : « soit comme coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis par leur enfant, » sont supprimés ;

2° Après le même alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, si l’intérêt de l’enfant le justifie expressément.

« Peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale par une décision expresse du jugement pénal le ou les parents qui sont condamnés comme coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis par leur enfant. »

Article 4

L’article 706‑53‑2 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après la référence : « 706‑47 », sont insérés les mots : « du présent code ou au 6° des articles 222‑8, 222‑10, 222‑12 et 222‑13 du code pénal » ;

2° Au neuvième alinéa, après la référence : « 706‑47 », sont insérés les mots : « du présent code et au 6° de l’article 222‑12 du code pénal » ;

3° À l’avant‑dernier alinéa, après la référence : « 706‑47 », est insérée la référence : « et au 6° de l’article 222‑13 du même code ».

Article 5

La charge qui pourrait résulter de la présente proposition de loi pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1])  Propositions de loi déposées par Mme Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues.

([2])  https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/etude-nationale-relative-aux-morts-violentes-au-sein-du-couple-pour-lannee-2017/.

([3])  http://www.justice.gouv.fr/publication/fp_violences_conjuguales.pdf.

([4])  La Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique a été adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 7 avril 2011. Elle a été ouverte à la signature le 11 mai 2011 à l’occasion de la 121e session du Comité des ministres à Istanbul. Suite à sa 10ème ratification par l’Andorre le 22 avril 2014, la Convention est entrée en vigueur le 1er août 2014.

([5]) Rapport « Mieux protéger et accompagner les enfants co-victimes des violences conjugales » du centre Hubertine-Auclert