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N° 2233

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 septembre 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer une circonstance de légitime défense
pour violences conjugales,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marine BRENIER, Thibault BAZIN, Gilles LURTON, Nathalie BASSIRE, Alain RAMADIER, Robin REDA, Julien DIVE, Fabien DI FILIPPO, Isabelle VALENTIN, Véronique LOUWAGIE, Patrick HETZEL, Émilie BONNIVARD, Bernard PERRUT, Laurence TRASTOURISNART, Pierre VATIN, JeanLuc REITZER, Valérie LACROUTE, JeanLouis MASSON, Michel HERBILLON, Claude de GANAY, Bernard DEFLESSELLES, Arnaud VIALA, Nicolas FORISSIER, Claude GOASGUEN, Valérie BEAUVAIS, Michel VIALAY, Bernard REYNÈS, Sébastien LECLERC,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Une femme sur dix est victime de violences conjugales en France. Une femme en meurt tous les trois jours et un homme tous les treize jours. 130 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex‑conjoint en 2017, 121 en 2018 et déjà plus de 50 cette année.

En moyenne, ce sont plus de 219 000 victimes de violences conjugales qui sont répertoriées en France et ce, chaque année. C’est d’ailleurs la première cause de mortalité des femmes de 16 à 44 ans eu Europe.

Sur 4 victimes, 3 déclarent avoir subi des violences répétées au cours de leur vie par leur conjoint ou ex‑conjoint. 19 % seulement des femmes et 5 % des hommes déclarent avoir déposé plainte en gendarmerie ou au commissariat suite à ces violences, en vain.

Pour évoquer un tel sujet, rien ne vaut les chiffres. Si ce dernier est aujourd’hui devenu l’une des grandes causes nationales du quinquennat du Président de la République, le système se révèle encore extrêmement défaillant. Trop de victimes sont encore délaissées, peu accompagnées ou en situation de danger après avoir porté plainte. Une situation à laquelle nous devons remédier et ce, bien au‑delà d’un simple plan de communication.

Pour saisir l’enjeu réel de cette problématique, il nous faut en comprendre le sens. De nombreuses définitions des violences conjugales existent. Un désaccord réel existe quant aux actes qui doivent être inclus comme des signes de violence conjugale ou non, ce qui fonde une diversité d’approches et de définitions.

Dans un rapport datant déjà de 2001, le Professeur Henrion, membre de l’Académie de médecine, définissait les violences conjugales comme « un processus évolution au cours duquel un partenaire exerce, dans le cadre d’une relation privilégiée, une domination qui s’exprime par des agressions physiques, psychiques ou sexuelles. Elles se distinguent des conflits de couples en difficulté. La violence se manifeste au cours de scènes répétées, de plus en plus sévères, qui entraînent des blessures ainsi que des séquelles affectives ou psychologiques extrêmement graves. Elles obéissent à des cycles où, après les moments de crise, s’installent des périodes de rémission au cours desquelles la femme reprend l’espoir de la disparition des violences. Cependant la fréquence et l’intensité des scènes de violence augmentent avec le temps. »

C’est de cette définition que nous souhaitons partir pour établir notre propos et ce, pour plusieurs raisons. Elle défend tout d’abord l’idée que les violences conjugales peuvent à la fois être physiques, sexuelles ou psychologiques, si ce n’est, plusieurs à la fois. Elle mentionne également la notion de violence répétée, qui s’accentue en fréquence et en intensité, qui s’avère être primordial pour définir l’état psychologique de la victime.

En effet, comme plusieurs de nos collègues ou professionnels avant nous, nous estimons que cette notion de répétition et climat de peur s’installant au fur et à mesure est à prendre en considération lors d’un jugement.

Cette proposition de loi vise en particulier le cas des femmes et hommes victimes de violences conjugales et qui en viennent à commettre des actes d’une certaine violence, parfois ayant des conséquences définitives, afin d’en finir avec cette souffrance et ce climat de peur.

L’opinion publique a été sensibilisée à cette problématique avec « l’affaire Sauvage » en 2012. Pour Jacqueline Sauvage, qui a assassiné son mari de trois balles dans le dos, ses deux avocates dont Maître Tomasini, avec qui nous travaillons en étroite collaboration sur ce sujet, ont plaidé pour la légitime défense. Cette défense a été refusée et n’a d’ailleurs été reconnue que dans un unique cas, en 2015, pour « l’affaire Alexandra Lange ».

La reconnaissance de la légitime défense pour les victimes de violences conjugales fait donc débat depuis. Certains ont tenté de défendre l’élargissement de cette légitime défense aux victimes de violence conjugales et se sont retrouvés confrontés à de nombreuses critiques et obstacles juridiques. Parmi ces derniers, l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme notamment, ou comme le défendait à l’époque l’avocat général Luc Frémiot, la rupture inconstitutionnelle d’égalité devant la loi, dès lors que le débat de l’époque se focalisait sur les femmes victimes de violences conjugales.

Ce fut le cas de notre collègue Valérie Boyer, qui a donc décidé de défendre une irresponsabilité pénale via l’article 122‑1 du code pénal, plutôt qu’une légitime défense via l’article 122‑5 pour les personnes victimes de violences conjugales, notamment dans le but de protéger les enfants.

Pourtant, ces deux arguments juridiques de l’époque nous paraissent quelque peu discutables. En effet, si l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme défend le droit à la vie et donc l’interdiction de prendre la vie à autrui, celui‑ci reconnaît également que les violences conjugales violent cet article ([1]).

Pour ce qui est de la rupture d’égalité entre les hommes et les femmes devant la loi énoncée par Monsieur Frémiot, elle n’a aucunement lieu d’être défendue dès lors que la proposition de loi ne vise aucun sexe en particulier.

Les avancées juridiques concernant la légitime défense, déjà envisagées en 2012, s’inspirent principalement de ce qui existe déjà au Canada, à savoir une légitime défense reconnue pour les femmes ayant subi des violences conjugales répétées, défendue à partir de ce que l’on nomme « le syndrome de la femme battue » (ou moins communément de l’homme battu). Celui‑ci se traduit par le fait que la victime concentre toute son énergie à prévenir une nouvelle attaque de la part de son conjoint. L’individu ainsi atteint développe avec le temps, une soumission et/ou une apathie qui mine son estime de soi et amoindrit sa capacité de jugement.

Il ne s’agit pas ici d’un moyen de défendre une accusation criminelle dans le droit canadien. Mais il est utilisé comme un élément de preuve, pouvant alors permettre d’invoquer la légitime défense ([2]). Ce syndrome est admis par la jurisprudence canadienne, afin d’établir l’état d’esprit de la femme au moment da perpétration du meurtre de son conjoint. Ce syndrome est alors défini par un expert, qui doit présenter l’état psychologique de la victime de violences, afin que la cour puisse appréhender son état mental au moment du meurtre.

Ce « syndrome de la femme battue » est la clé de voûte de notre argumentaire. En effet, si nous en revenons à la définition exposée par le Professeur Henrion, il s’agit de déterminer un climat de peur, introduit par des violences répétées, fréquentes et de plus en plus intenses. Dans le cadre de la modification législative de l’article 122‑5 du code pénal, relatif à la légitime défense, cette expertise psychologique sera indispensable.

Si ce syndrome est alors prouvé, cela signifie que juridiquement, les conditions de concomitance et de proportionnalité sont effacées. Les conditions d’admissibilité à la légitime défense pour une personne ayant subi des violences répétées différeraient alors de celles habituellement requises pour la légitime défense. La concomitance et la proportionnalité s’effaceraient au profit de la constatation de ces violences répétées, dans un climat de peur extrême, qui entraînerait la victime des violences à agir ainsi.

Si nombreuses juristes, législateurs et associations s’opposent à ce nouveau principe, nous estimons quant à nous qu’il est urgent d’agir. Il est tout à fait nécessaire de produire des plans de prévention et d’accompagnement. Mais nous devons également, en tant que législateur, transformer l’encadrement juridique de ces situations si particulières. Cette légitime défense pour les personnes ayant subi des violences conjugales ne donnera aucunement tous les droits. Le droit à la vie reste ce qui doit nous guider. Cette introduction d’une exception au sein de l’article 122‑5 du code pénal permettra cependant de créer une circonstance atténuante, dans des cas bien précis de violences répétées, toujours au seul libre arbitre du pouvoir judiciaire et des jurés.

Cette proposition de loi a pour dispositif un article unique, qui vise à intégrer un nouvel alinéa à l’article 122‑5 du code pénal, traitant d’une légitime défense spécifique accordée seulement aux personnes ayant subi des violences conjugales répétées et un syndrome post‑traumatique évident, prouvé par un expert.


proposition de loi

Article unique

L’article 122‑5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui, subissant des violences conjugales répétées et vivant dans un climat de peur extrême pour sa vie ou celle d’autrui, accompli un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle‑même ou d’autrui, à la condition qu’il soit démontré que cette personne était atteinte, au moment des faits, d’un syndrome de stress post traumatique établi par voie d’expertise. »


([1]) Plusieurs jurisprudences européennes, dont Velcea et Mazăre c. Roumanie n°64301/01, arrêt du 1er décembre 2009, ont reconnu les violences conjugales comme violant l’article 2 de la CEDH.

([2]) Article 34 du code criminel canadien.