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N° 2354

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 octobre 2019.

PROPOSITION DE LOI

contre la désertification médicale et pour la prévention,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Guillaume GAROT, Valérie RABAULT, Joël AVIRAGNET, Ericka BAREIGTS, Gisèle BIÉMOURET, JeanLouis BRICOUT, Hervé SAULIGNAC, Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Boris VALLAUD, Michèle VICTORY et les membres du groupe socialistes (1) et apparentés (2),

députés.

 

 

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(1) Mesdames et Messieurs : Joël Aviragnet, Ericka Bareigts, Marie‑Noëlle Battistel, Gisèle Biémouret, Christophe Bouillon, Jean‑Louis Bricout, Luc Carvounas, Alain David, Laurence Dumont, Olivier Faure, Guillaume Garot, David Habib, Marietta Karamanli, Jérôme Lambert, George Pau‑Langevin, Christine Pires Beaune, Dominique Potier, Joaquim Pueyo, Valérie Rabault, Hervé Saulignac, Sylvie Tolmont, Cécile Untermaier, Hélène Vainqueur‑Christophe, Boris Vallaud, Michèle Victory.

(2) Christian Hutin, Régis Juanico, Serge Letchimy, Josette Manin.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les mouvements sociaux des gilets jaunes qui ont touché l’ensemble de notre territoire, l’hiver dernier, ont agi comme un révélateur du sentiment d’abandon dont souffrent de nombreux Français. Notre système de santé n’est pas étranger à ce malaise, avec la désertification médicale qui continue de s’accentuer. La colère dans les services des urgences 2019 en est aussi la marque. En effet, le manque de moyens dans les services hospitaliers impacte autant l’offre de soins que celui qui en bénéficie. Ce mal‑être de l’usager, cette impression de délaissement, est visible partout en France, particulièrement dans les territoires ruraux et périurbains.

Nous n’avons jamais eu autant de médecins en France – près de 300 000 – mais leur nombre stagne depuis près de dix ans, alors que leur répartition sur le territoire est de moins en moins équitable.

En 2018, ce sont plus de 8 millions de Français qui, faute d’un praticien suffisamment proche de chez eux, ne peuvent consulter plus de deux fois par an.

Plus inquiétant encore est le caractère structurel du phénomène. La baisse de la proportion de médecins par habitant, le nombre décroissant de généralistes (baisse de 10 000 en moins de 10 ans), et le vieillissement de la population risquent d’aggraver fortement la désertification médicale au cours de la décennie à venir.

Il y a donc urgence à réagir, et il faut se donner les moyens de répondre au problème à la fois à court et à long terme. Pour préserver notre modèle de soins, il est essentiel d’agir maintenant, en proposant des mesures nouvelles et audacieuses.

Les politiques d’incitation à l’installation des médecins dans les zones sous‑denses sont nécessaires, car elles conditionnent l’égalité professionnelle entre les praticiens, quelle que soit leur zone d’exercice. De nombreux dispositifs ont été imaginés, expérimentés, et généralisés depuis 2012 : 1 800 contrats d’engagement de service public passés avec des étudiants, et près de 1 000 maisons de santé ouvertes depuis cinq ans. La loi santé, votée en 2019, a supprimé le numerus clausus, ce qui devrait permettre, à moyen terme, de faire repartir à la hausse le nombre de médecins.

Mais ces mesures ne répondent pas à l’urgence de la situation. Les chiffres de l’Ordre des médecins, de la DREES, de l’IRDES dressent tous le même constat : la désertification médicale continue de progresser, en particulier dans les territoires déjà victimes de sous‑densité, où les outils incitatifs ne suffisent pas à attirer de nouveaux médecins. Dans 45 départements où la population recensée est en hausse, le nombre de médecins est, lui, en baisse.

Il n’est pas question ici de rejeter la faute sur les médecins. C’est le législateur et le gouvernement, non le corps médical, qui ont le devoir d’agir. Des mesures d’urgences sont nécessaires, et, à plus long terme, une réglementation nouvelle et généralisée est indispensable. La présente proposition de loi met donc en place un dispositif appelé « conventionnement territorial », qui sera un premier levier permettant de réguler immédiatement l’installation dans les zones déjà sur‑denses.

Le conventionnement territorial et la mise en place d’une transition vers un nouveau cadre d’exercice de la médecine permettent de préparer efficacement la répartition des futurs médecins diplômés, une fois effective la suppression du numerus clausus. Cette nouvelle égalité des soins s’inscrit, au sein de cette proposition de loi, dans un choix plus large, celui de moderniser notre système de santé en remettant l’usager au centre des politiques publiques.

Larticle 1er de la présente proposition de loi encadre l’installation des médecins dans les zones sur‑denses, et prépare la mise en place d’une nouvelle réglementation d’exercice et d’installation pour l’ensemble des médecins généralistes et spécialistes.

Ainsi, dès la promulgation du texte, l’installation des médecins libéraux sera soumise à conditions dans les zones où l’offre de soins est déjà à un niveau particulièrement élevé : un médecin ne pourra s’installer en étant conventionné que lorsqu’un médecin libéral de la même zone cessera son activité. Les zones de sur‑densité seront définies en lien avec les partenaires conventionnels ou, à défaut, par les agences régionales de santé. Le niveau d’offre de soins devra s’apprécier en fonction d’une moyenne nationale, mais aussi de l’indicateur présenté ci‑après.

La mesure vise à orienter l’installation des professionnels de santé vers les zones où l’offre est la moins dense par un aménagement du principe de liberté d’installation, qui continue de prévaloir. Ce cadre doit évidemment être soutenu par les mesures d’incitation déjà existantes, notamment pour les jeunes médecins, au plan financier comme au plan professionnel. Comme évoqué plus haut, les mesures d’incitation ont donné des résultats décevants : le conventionnement territorial les complète utilement et rapidement, pour les rendre efficaces.

La seconde partie de l’article 1er jette les bases d’une réforme en profondeur du régime d’installation des médecins généralistes et spécialistes, qui coïnciderait avec l’arrivée sur le « marché du travail » des premiers médecins non‑concernés, à leur entrée à l’université, par le numerus clausus.

Il est proposé de créer un indicateur territorial de l’offre de soins (ITOS), élaboré par les services de l’État, qui dresse une cartographie précise de la répartition de l’offre de soins sur le territoire français. Le travail de l’Ordre des médecins dans ses rapports annuels, et surtout l’accessibilité potentielle localisée (APL), calculée par la DREES, sont des outils instructifs et de bonnes bases de travail, mais ils manquent à la fois de visibilité et de reconnaissance. L’une des nouveautés de l’indicateur proposé est justement son objectif : orienter véritablement les politiques de santé. Inscrit dans la loi, il bénéficiera d’un travail concerté, d’une large diffusion et donc d’une dimension supplémentaire de puissance publique.

Outre la répartition des médecins généralistes et spécialistes, l’indicateur territorial de l’offre de soins devra être pondéré par les données démographiques et sociales des territoires. En effet, des facteurs comme l’âge, la prévalence des risques, le non‑recours aux soins peuvent nécessiter une offre renforcée. Les résultats de cet indicateur, mis à jour annuellement, dresseront donc une cartographie très fine des besoins médicaux sur le territoire.

L’objet de l’indicateur territorial de l’offre de soins est avant tout d’être un outil uniforme d’aide à la décision pour les agences régionales de santé, d’abord dans la mise en place du conventionnement sélectif et dans l’élaboration des politiques territoriales de santé, puis dans la création d’un véritable maillage du territoire à long terme. Il sera également d’une grande utilité pour appuyer le travail des communautés professionnelles territoriales de santé.

L’article 2 renforce la place de l’usager dans l’élaboration et le suivi des politiques de soins, en rendant possible la participation des associations d’usagers aux travaux des communautés professionnelles territoriales de santé.

L’article 3 rend obligatoire la mise à jour du dossier médical partagé par les médecins, permettant ainsi au patient de suivre son parcours de soins au quotidien. Rappelons, sur ce point, que l’assurance maladie abonde le financement des assistants médicaux déployés sur le territoire national.

L’article 4 et larticle 5 développent la médecine de prévention. Cette dernière, particulièrement dans les zones sous‑denses et dans les territoires connaissant des difficultés économiques et sociales, est souvent le chaînon manquant de la politique de soins. Il est donc proposé de donner une plus large place aux représentants de la prévention dans l’élaboration de ces politiques, y compris au sein de l’Éducation nationale. Parallèlement, l’article 4 encourage la poursuite du développement de la télémédecine, notamment par la mise en place de la téléprévention. Ces deux mesures participent à la mise en place d’un parcours de santé véritablement continu et suivi régulièrement, pour tous les âges et dans tous les territoires.

L’article 6 limite les dépassements d’honoraires médicaux en précisant la notion de dépassement excessif, qui est fixé à 50 % du tarif opposable. Cette mesure vise principalement à faire reculer les inégalités de soins liées au revenu.


proposition de loi

Article 1er

I. – Le code de la santé publique est ainsi modifié :

1° L’article L. 1411‑11 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Un indicateur territorial de l’offre de soins évalue la densité de l’offre de soins médicaux des territoires, pondérée par leur situation démographique, médicale, économique et sociale. L’indicateur est calculé chaque année, par spécialité médicale, par l’agence régionale de santé dans les lieux qu’elle délimite de manière à couvrir l’intégralité de son ressort territorial. L’indicateur est un outil d’aide à l’élaboration des documents d’orientation de la politique de soins, notamment du projet régional de santé, et à la décision d’ouverture, de transfert ou de regroupement des cabinets de médecins libéraux. » ;

2° L’article L. 1434‑4 est ainsi modifié :

a) Au 1°, après le mot : « insuffisante » sont insérés les mots « au regard de l’indicateur mentionné à l’article L. 1411‑11 » ;

b) Au 2°, après le mot : « élevé » sont insérés les mots : « au regard de l’indicateur mentionné à l’article L. 1411‑11 » ;

II. – Après le 20° de l’article L. 162‑5 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 20 bis ainsi rédigé :

« 20° bis Les conditions à remplir pour être conventionné, notamment celles relatives aux zones d’exercice définies par l’agence régionale de santé en application de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique ; ».

III. – Si dans les douze mois suivant la promulgation de la présente loi, aucune mesure de limitation d’accès au conventionnement n’a été instituée dans les conditions prévues au 20°bis de l’article L. 162‑5 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la présente loi, l’accès des médecins au conventionnement prévu par l’article L. 162‑5 du même code est régulé dans les conditions suivantes :

1° Le directeur général de l’agence régionale de santé détermine par arrêté, après concertation avec les représentants des médecins, les zones dans lesquelles le niveau de l’offre de soins est particulièrement élevé au regard de l’indicateur mentionné à l’article L. 1411‑11 du code de la santé publique ;

2° Dans les zones mentionnées au 1°, un médecin ne peut accéder au conventionnement que concomitamment à la cessation d’activité d’un confrère exerçant dans la même zone. Est assimilé à une cessation d’activité le transfert de la résidence professionnelle du confrère vers une zone mentionnée au 1° de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique ;

Les dispositions des 1°et 2° cessent d’avoir effet à la date d’entrée en vigueur des mesures de limitation d’accès au conventionnement instituées dans les conditions prévues au 20°bis de l’article L. 162‑5 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la présente loi.

4° Les modalités d’application du présent III sont fixées par décret en Conseil d’État.

Article 2

Le troisième alinéa de l’article L. 1434‑12 du code de la santé publique est complété par une phrase ainsi rédigé : « Le cas échéant, les associations agréées d’usagers du système de santé compétentes dans le territoire d’action de la communauté professionnelle territoriale de santé participent à l’élaboration du projet de santé, dans des conditions définies par décret. »

Article 3

Au sixième alinéa de l’article L. 1111‑14 du code de la santé publique, le mot : « ou » est remplacé par le mot : « et ».

Article 4

I. – Le code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Après la première phrase du septième alinéa du III de l’article L. 1434‑10, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Il décrit les modalités du déploiement de la télémédecine, mentionnée à l’article L. 6316‑1 du présent code, notamment en matière de médecine du travail, et de la téléprévention mentionnée à l’article L. 6316‑3 du même code. » ;

2° La première phrase du dernier alinéa de l’article L. 1434‑12 est complétée par les mots : « et la stratégie de prévention mise en place sur le territoire ».

II. – La deuxième phrase du deuxième alinéa de L’article L. 231‑14 du code de l’éducation est complétée par les mots : « parmi lesquelles au moins un représentant d’une association agréée d’usagers du système de santé particulièrement active en matière de prévention en santé, et au moins un représentant d’une association professionnelle particulièrement active en matière de prévention en santé ».

Article 5

Le chapitre VI du titre Ier du livre III de la sixième partie du code de la santé publique est complété par une section ainsi rédigée :

« Section 3

« Téléprévention

« Art. L. 63163. – La téléprévention est une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. Elle vise à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps. Elle met en rapport un patient avec un ou plusieurs professionnels de santé dans l’exercice de leurs compétences prévues au présent code.

« Les activités de téléprévention sont définies par arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de la Haute Autorité de santé. Cet avis porte notamment sur les conditions de réalisation de la téléprévention permettant de garantir leur qualité et leur sécurité ainsi que sur les catégories de professionnels y participant.

« Les conditions de mise en œuvre des activités de téléprévention sont fixées par décret en Conseil d’État. »

II. – Le chapitre II du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le 1° du I de l’article L. 162‑14‑1 est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Le cas échéant, la ou les conventions définissent les tarifs ou les modes de rémunération ainsi que les modalités de réalisation des activités de téléprévention, définies à l’article L. 6316‑3 du même code. Les activités de téléprévention prises en charge par l’assurance maladie sont effectuées par vidéotransmission. » ;

2° À l’article L. 162‑15‑5, après le mot : « activités » sont insérés les mots : « de téléprévention et » ;

3° Après le 14° de l’article L. 162‑16‑1, il est inséré un 14° bis ainsi rédigé :

« 14° bis Les tarifs ou les modes de rémunération ainsi que les modalités de réalisation des activités de téléprévention, définie à l’article L. 6316‑3 du code de la santé publique. Les activités de téléprévention prises en charge par l’assurance maladie sont effectuées par vidéotransmission. » ;

4° À l’article L. 162‑16‑1‑3, après le mot : « activités » sont insérés les mots : « de téléprévention prévues au 14° bis de l’article L. 162‑16‑1 et ».

Article 6

À la fin du 2° de l’article L. 162‑1‑14‑1 du code de la sécurité sociale, les mots : « le tact et la mesure » sont remplacés par les mots : « 50 % du tarif servant de base au calcul des prestations prévues aux 1°, 2° et 3° de l’article 160‑8 ».

Article 7

I. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.