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N° 2514

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 décembre 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à accorder la nationalité française aux étrangers ayant participé
à la Libération de la France,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanChristophe LAGARDE, Nicole SANQUER, Christophe NAEGELEN, Michel ZUMKELLER, Francis VERCAMER, Guy BRICOUT, Thierry BENOIT, Meyer HABIB, Vincent LEDOUX, Patricia LEMOINE, Paul CHRISTOPHE, Philippe GOMÈS, Sophie AUCONIE, Béatrice DESCAMPS, Philippe DUNOYER,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 15 août 2019, à l’occasion du 75e anniversaire du débarquement en Provence, Emmanuel Macron s’est exprimé sur la situation des combattants originaires des pays issus de la décolonisation ayant contribué à la libération de la France :

« Honoré à juste titre par leurs camarades de l’époque, ces combattants africains, pendant nombre de décennies, n’ont pas eu la gloire et l’estime que leur bravoure justifiait. La France a une part d’Afrique en elle et sur ce sol de Provence, cette part fut celle du sang versé. Nous devons en être fiers et ne jamais l’oublier : les noms, les visages, les vies de ces héros d’Afrique doivent faire partie de nos vies de citoyens libres parce que sans eux nous ne le serions pas. C’est pourquoi je lance aujourd’hui un appel aux maires de France pour qu’ils fassent vivre par le nom de nos rues et de nos places, par nos monuments et nos cérémonies la mémoire de ces hommes qui rendent fiers toute l’Afrique et disent de la France ce qu’elle est profondément : un engagement, un attachement à la liberté et à la grandeur, un esprit de résistance qui unit dans le courage. »

Concrétisant cet appel, Geneviève Darrieussecq, Secrétaire d’État auprès de la ministre des armées, a signé le 20 novembre 2019 une convention avec François Baroin, Président de l’AMF, afin d’honorer ces soldats. De cette façon, une liste composée du nom d’une centaine de héros ayant contribué à la libération de la France pendant la deuxième guerre mondiale a été établie. Les maires qui le désirent pourront faire vivre la mémoire de ces soldats africains en donnant leur nom à des rues, places et établissements.

La déclaration du Président de la République et la signature de cette convention rappellent à chacun que la France a une dette éternelle à l’égard de ces hommes, dont beaucoup perdirent la vie pour que nous puissions vivre en paix.

Sans la bravoure et le sacrifice des tirailleurs maghrébins, sénégalais, malgaches et indochinois, sans celles des zouaves, des goumiers et des spahis, le sort de la France, écrasée sous le joug nazi, aurait certainement été tout autre. Quelques exemples suffisent pour le démontrer :

– en 1940, en métropole, environ 95 000 soldats nord‑africains et 50 000 coloniaux prirent part aux combats. Une grande partie sera enfermée dans des Frontstalag, camps dédiés aux « Indigènes ». Certains d’entre eux seront victimes d’exactions et de massacres ;

– lors de la bataille de Bir Hakeim en 1942, environ 1 300 soldats originaires d’Afrique sur un total de 3 200 soldats tiendront l’ancien poste méhariste italien, repousseront les troupes italiennes en une heure et attaqueront à revers les troupes allemandes du général Rommel. Celui‑ci sera contraint d’abandonner son offensive contre les Britanniques pour se concentrer avant tout sur la poche de résistance française. Durant une quinzaine de jours, ces héros, écrasés sous les bombes et les tirs d’artillerie, feront face aux nazis afin de permettre le repli des Britanniques et l’enrayement de la progression de l’Afrikakorps ;

– au cours de la campagne d’Italie, permettant à la France de faire son retour sur le champ de bataille européen, le général Juin alignera 91 000 hommes, dont 49 000 originaires du Maghreb et 10 000 de l’empire. Les soldats s’illustreront à la fin de l’année 1943 par la conquête des massifs du Pantano et de la Mainarde, ainsi que lors de la bataille du Belvédère en janvier 1944. La bataille du Garigliano en mai 1944 permettra la rupture du front allemand et la reprise de la progression bloquée depuis 6 mois des Alliés vers Rome. Saluant la bravoure des soldats marocains au Monte Cassino, le maréchal allemand Kesselring, notera dès le 19 mai : « Les Français et surtout les Marocains ont combattu avec furie et exploité chaque succès en concentrant immédiatement toutes les forces disponibles sur les points qui faiblissaient » ;

– le débarquement en Provence le 15 août 1944, au cours duquel l’armée B conduite par le général de Lattre de Tassigny comptera, comme le précise Philippe Masson, « moitié d’européens et moitié de musulmans et de coloniaux ». Grâce au courage des Maghrébins et des Africains, Toulon et Marseille seront repris aux Allemands les 27 et 28 août 1944. Après la Provence, les combats les porteront dans le Rhône, ainsi qu’en Bourgogne où l’armée B fera la jonction avec la 2e division blindée du général Leclerc. Ces soldats poursuivront les combats dans les Vosges, en Lorraine, ainsi qu’en Alsace.

Au total, près 400 000 soldats africains participeront à la deuxième guerre mondiale et 40 000 d’entre eux trouveront la mort.

Pendant encore vingt années, en Indochine, à Madagascar et en Algérie, les tirailleurs continueront de porter avec fierté l’uniforme français.

Si la bravoure et le sacrifice de ces hommes ne sont plus à démontrer, la France n’a, en retour, pas été à la hauteur, tant sur le plan moral que sur le plan matériel.

Ce n’est qu’en 2006 à la suite du film « Indigènes » qu’une partie des pensions et des retraites des anciens tirailleurs, gelées depuis 1959 au taux en vigueur au jour de l’indépendance des pays, va être « decristallisée ». En 2011, leurs pensions vont être réévaluées au niveau de celles des ressortissants français, mais ce, sans rétroactivité.

Sur le plan moral, ces combattants ont été, pour la plupart, contraints de prendre la citoyenneté de leur pays d’origine au moment des indépendances. Or, ceux qui souhaitaient réintégrer la nationalité française se sont confrontés à un véritable « parcours du combattant » ; l’administration française leur demandant de transmettre diverses pièces d’état civil, à l’instar d’acte de naissance de leurs parents et grands‑parents impossibles à obtenir dans leur pays d’origine, et, bien que maitrisant parfaitement notre langue, de se soumettre à des tests de français sur du matériel informatique complètement inadapté à l’âge avancé de ces combattants.

Face à cette injustice, une pétition a été adressée en novembre 2016 à François Hollande, lui demandant d’attribuer la nationalité française aux tirailleurs sénégalais.

Comme le précise Aïssa Seck, à l’initiative de cette pétition : « Lorsque ces tirailleurs sénégalais ont été appelés au combat, personne ne leur a demandé de se soumettre à ces nombreuses tracasseries administratives. Pourquoi leur imposer tout cela aujourd’hui ?»

Devant cette situation absurde et indigne de la France, François Hollande a décidé de réintégrer dans la nationalité française vingt‑huit tirailleurs sénégalais (vingt‑trois Sénégalais, deux Congolais, deux Centrafricains et un Ivoirien).

Si cette décision humaine et symbolique arrive tard, elle doit, toutefois, être saluée.

La réparation de cette injustice doit être poursuivie et amplifiée. La nationalité française doit ainsi être accordée à tous les anciens combattants résidant en France ou sur un territoire antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France et ayant effectivement contribué à la défense et à la libération de la France lors de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’ils en font la demande.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.


proposition de loi

Article 1er

Après l’article 21‑14‑1 du code civil, il est inséré un article 21‑14‑2 ainsi rédigé :

« Art. 21142.  La nationalité française est conférée par décret, sur proposition du ministre de la défense, à tout étranger résidant en France ou dans un des pays ou territoires ayant appartenu à l’Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France ayant effectivement accompli des services militaires dans une unité de l’armée française ou ayant contracté un engagement volontaire dans les armées françaises ou alliées pendant la Seconde Guerre mondiale et qui en fait la demande. »

Article 2

À l’article 21‑15 du code civil, la référence : « à l’article 21‑14‑1 » est remplacée par les références : « aux articles 21‑14‑1 et 21‑14‑2 ».