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N° 2526

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 décembre 2019.

PROPOSITION DE LOI

visant à améliorer la mise en œuvre effective de la coopération avec les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. PierreAlain RAPHAN,

député.

 

 

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Préambule

Cette proposition a été élaborée en collaboration avec M. Adjovi, Sètondji Roland. La proposition est le résultat d’échanges basé sur les avis des services de l’Assemblée Nationale, du Sénat (avec la bienveillance du Sénateur Frassa), et en conjonction avec : « la proposition d’acte déclaratif sur l’applicabilité en droit interne français des décisions du Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire » du 15 avril 2019.

Exposé des motifs

« Les droits de l’homme font partie des principes fondateurs de la République française et de sa politique étrangère »([1]). La France est sans contestation possible un grand promoteur des droits de l’homme et du multilatéralisme. Son histoire propre avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 la dispose à un tel positionnement international. Son engagement dès l’origine dans les Nations Unies pour assurer une paix universelle, et son engagement continu depuis lors au sein de cette institution universelle, au sein de l’Europe et d’autres structures multilatérales dont la Francophonie atteste de cette volonté ferme à la fois au service des droits de l’homme et du dialogue interétatique pour un monde meilleur. Cet engagement a été réitéré publiquement à maintes reprises notamment avec chaque candidature de la France pour être élue au Conseil des droits de l’homme, le cœur de l’action des Nations Unies pour les droits de l’Homme([2]).

Le Conseil qui était autrefois la Commission des droits de l’homme a hérité d’une pratique noble d’élection d’experts indépendants à qui le Conseil confie la responsabilité de son mandat, soit sur une base thématique soit sur une base étatique([3]). Ces procédures spéciales sont au centre de l’effectivité des droits de l’homme dans le monde, et de l’action du Conseil pour améliorer le respect de ces droits partout et à tout moment. Parmi ces procédures, le Groupe de travail sur la détention arbitraire([4]) occupe une place de choix pour la France.

En effet, la France a été avec le Pérou et les États‑Unis, l’initiateur de cette procédure spéciale et un Français, le magistrat Louis JOINET, a porté la proposition pour ensuite être l’un des tout premiers membres du Groupe([5]). En sus, la France a depuis lors été le sponsor des différentes résolutions du Conseil renouvelant le mandat du Groupe de travail([6]). À cette occasion tous les trois ans, elle mène les négociations sur le mandat et sur les moyens accordés au Groupe de travail. Enfin, le Groupe de travail dispose d’un mandat d’exception puisque, comme les organes des traités, il peut recevoir des plaintes individuelles contre tout État membre des Nations Unies et rendre une décision au terme d’une procédure contradictoire([7]). Cette spécificité conduit à la présente proposition qui va dans le sens de la volonté exprimée par la France de lutter contre les détentions arbitraires entre autres violations des droits de l’homme([8]).

L’objet de cette proposition est de formaliser la coopération de la France avec les procédures spéciales en général en s’engageant dans la voie d’une plus grande effectivité dans l’intérêt des Français. Une telle initiative présente un autre avantage qui est de montrer la voie à d’autres États, qu’il s’agisse des États européens, des institutions européennes ou d’autres États dans d’autres régions du monde. Une telle mesure va dans le sens de l’intérêt de la France et de son engagement continu pour les droits de l’homme et le multilatéralisme.

En effet, les organes des traités offrent une protection conventionnelle avancée avec un mécanisme de règlement des différends si l’État accède à la procédure de plainte. Un tel mécanisme permet à l’individu qui estime que ses droits consacrés dans la convention ont été violés de saisir l’organe international pour en décider dans une procédure contradictoire. Mais ces organes n’ont pas une compétence universelle en raison du volontarisme qui les sous‑tend et nombre d’États n’ont pas accédé à certains de ces instruments, notamment ceux encadrant ces procédures (quasi‑)judiciaires. Or les procédures spéciales sont universelles. Celles thématiques dont le Groupe de travail ont une compétence étendue à tous les États tandis que celles étatiques peuvent être établies pour tout État membre des Nations Unies. Dans le monde actuel où il y a entre deux et trois millions de Français qui vivent hors du territoire français, ces procédures prennent une importance particulière pour assurer le respect de leurs droits, et la France a un grand intérêt dans l’effectivité de ces procédures en général. Nombre de ces Français sont des investisseurs qui pourraient se retrouver en disgrâce avec un pouvoir autoritaire et/ou peu scrupuleux de leurs droits, et les procédures spéciales seront là pour accompagner la France dans la protection qu’elle doit leur apporter, surtout si l’État en cause n’est pas partie aux conventions pertinentes. Et, pour améliorer l’effectivité de ces procédures, il faut d’une part assurer leur promotion en France même, tout en décentralisant d’autre part l’accès. Ainsi cette proposition de loi va à la fois étendre la compétence d’action à toute structure intéressée, imposer une coopération continue et effective et développer un cadre de mise en œuvre des mesures quasi‑judiciaires de ces procédures spéciales.

Il est ici utile de rappeler une affaire dont le Groupe de travail a eu à connaître et dont l’Assemblée a déjà été saisie et qui justifie par l’illustration cette proposition([9]). C’est l’affaire Michel‑Thierry Atangana ABEGA. La victime est française et s’est expatriée au Cameroun pour contribuer à une politique de développement promue par le gouvernement au service d’un pays ami, le Cameroun. Mais cette affaire n’est pas simple. D’abord M. Atangana sera détenu pendant 17 longues années dans des conditions inhumaines. Ensuite, la cause de la détention est difficile à digérer : la spoliation de la victime qui, pourtant, avait accepté d’accompagner le redressement économique de l’État défendeur. Enfin, les sommes en jeu sont tout aussi importantes. À situation exceptionnelle, mesures d’exception. Cette victime française ne pourra pas seule faire entendre raison à un État, malgré l’Avis No 38/2013 du Groupe de travail([10]) et la protection de la France de son national est essentielle dans cette logique. Or, cette affaire montre les failles du fonctionnement actuel de l’État dans la protection de ses citoyens, et cette proposition apporte une réponse juste et mesurée à une telle situation déplorable. Si elle est adoptée, la loi permettra d’éviter ce type de situation à l’avenir. Bien entendu, cette obligation de suite diligente suppose que la personne à l’origine de la saisine présente un minimum d’éléments pour étayer ses allégations, à défaut la saisine pourrait‑être regardée comme non fondée, voire abusive si elle se répétait, et le ministère n’aurait pas à y donner suite.

La présente loi se compose de la manière suivante :

L’article 1er est une disposition qui décentralise l’action au service de la protection des Français tout en favorisant l’engagement de la diplomatie française. La décentralisation implique que toute personne qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale, privée ou publique, peut désormais et formellement saisir la diplomatie qui a l’obligation de donner une suite dans des délais raisonnables, engageant dès lors la responsabilité de l’Etat.

L’article 2 dit que de la décentralisation du recours aux procédures spéciales est poussée en permettant que la personne physique ou morale, privée ou publique, puisse saisir directement la procédure spéciale pertinente du Conseil des droits de l’homme.

À l’article 3 Il s’agit dans cette disposition de reconnaître que le Groupe de travail a un mandat pour recevoir des plaintes individuelles et pour rendre une décision sur une base contradictoire et fonctionne sur le modèle des organes des traités, en tant qu’un organe quasi‑juridictionnel. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire PERALDI, a suivi l’argument présenté par la partie défenderesse, la France, et de de dire que le Groupe de travail sur la détention arbitraire constitue un organe similaire et que toute affaire tranchée par le Groupe serait dès lors irrecevable devant elle([11]). Cette disposition permet de donner l’effet qui se doit aux décisions du Groupe de travail pour une meilleure protection des Français et une plus grande effectivité du système international de protection des droits de l’homme à travers le Conseil des droits de l’homme. Par ailleurs, pour les rares fois où le Groupe de travail rendra un avis contre la France, cette disposition consolidera l’intérêt de la victime. L’hypothèse n’est pas d’école puisque, à ce jour, le Groupe de travail a déjà rendu deux avis contre la France([12].)

À l’article 4 : Il s’agit ici de tirer les conséquences de la disposition précédente en donnant accès au système de protection des victimes en France. Ainsi la victime qui aurait été reconnue par le Groupe de travail pourra prétendre à une réparation dans le système national. La victime serait mieux protégée dans cette dynamique et le Français dont les droits ont été violés à l’étranger ne se retrouverait pas dans une nouvelle bataille pour faire reconnaître son statut de victime en France, car ce serait une nouvelle victimisation dont le préjudice pourrait être fatal. Aujourd’hui, l’observation permet déjà de constater que certaines de ces violations subies à l’étranger entraînent un isolement, un enfermement de la victime, et cette seconde victimisation ne ferait qu’aggraver une telle situation de crise profonde.

L’article 5 est une disposition qui consacre le rôle de la diplomatie française aux côtés de la victime pour la protéger dans sa relation future avec l’État dans lequel ses droits ont été violés. Elle renforce la disposition précédente.

L’article 6 est une disposition qui renforce la coopération entre la France et les procédures spéciales pour s’assurer d’une meilleure mise en œuvre des droits de l’homme sur le territoire français.


proposition de loi

Article 1er

Le ministère des affaires étrangères peut‑être saisi par toute personne, française ou étrangère, ayant connaissance d’une atteinte des droits fondamentaux, en dehors d’un État membre de l’Union européenne, d’un ressortissant français ou d’un citoyen de l’Union européenne bénéficiant sur le territoire d’un pays tiers de la protection consulaire de France. La saisine pourra se faire par voie électronique. Il y donne une suite diligente dont il informe la personne.

Article 2

Toute personne, française ou étrangère, peut saisir les procédures spéciales mises en place par le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies d’une communication afin de signaler la situation d’un ressortissant français, qu’il réside ou non sur le territoire national.

Article 3

Les juridictions françaises reconnaissent les avis du Groupe de Travail sur la détention arbitraire relatifs à la France

Article 4

Les Français reconnus victimes de détention arbitraire dans un État tiers de l’Union européenne par un avis du groupe de travail sur la détention arbitraire du conseil des droits de l’homme de l’organisation des Nations unies sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422‑1 à L. 422‑3 du code des assurances.

Article 5

Dans la mesure où les conditions sont requises, la protection diplomatique est accordée pour tout ressortissant français faisant l’objet d’une détention arbitraire à l’étranger constatée par le groupe de travail sur la détention arbitraire du conseil des droits de l’homme de l’organisation des Nations unies.

La vigilance sur les conditions requises porte notamment sur une menace constatée contre la sécurité nationale. La détention arbitraire est avérée à partir du constat fait officiellement par le groupe de travail dédié à l’O.N.U.

Article 6

La France coopère pleinement avec les procédures spéciales en répondant diligemment à leurs communications et en accueillant favorablement leurs demandes de visites.


([1]) Candidature pour le mandat 2018-2020, p. 2. En 2013, la France avait écrit la même chose : « Les droits de l’homme font partie des valeurs fondatrices de la République française et constituent une priorité de sa politique étrangère. » Documents des Nations Unies A/68/570, Candidature pour le mandate 2014-2016, p. 1.

([2]) Candidature pour le mandat 2009-2011 (Documents des Nations Unies A/62/775) ; Candidature pour le mandat 2014-2016 (Documents des Nations Unies A/68/570) ; et Candidature pour le mandat 2018-2020.

([3]) Voir la page dédiée à ces procédures spéciales sur le site Internet du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/SP/Pages/Welcomepage.aspx).

([4]) Sur le Groupe de travail, voir la fiche d’information mise à jour mais seulement disponible en anglais (https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Detention/FactSheet26.pdf).

([5]) Candidature pour le mandat 2014-2016, A/68/570, para. 5. La France rappelle qu’elle a été à l’origine du Groupe de travail sur les disparitions forcées, du Groupe de travail sur la détention arbitraire et du Rapporteur spécial sur la question de l’extrême pauvreté et les droits de l’homme.

([6]) La dernière de ces résolutions date de septembre 2016. C’est la résolution 33/30 du Conseil des droits de l’homme (https://undocs.org/fr/A/HRC/RES/33/30).

([7]) Voir les méthodes de travail du Groupe de travail sur la détention arbitraire, Document des Nations Unies A/HRC/36/38 (https://undocs.org/fr/A/HRC/36/38). Voir notamment les paragraphes 15 et 16.

([8]) Candidature pour le mandat 2014-2016, A/68/570, para. 26 : « La France s’engage à … Encourager les Etats à lutter contre les détentions arbitraires, la torture et les disparitions forcées… Maintenir une participation active et constructive dans tous les organes et mécanismes de promotion et de protection des droits de l’homme, dont les procédures spéciales, les organes des traités et les dispositifs de surveillance ou d’enquête relatifs à la situation des droits de l’homme dans le monde ». Candidature pour le mandat 2018-2020, p. 6 : « La France s’engage à… soutenir et participer activement aux mécanismes et organes de promotion et de protection des droits de l’homme, dont les procédures spéciales, les organes des traités et les dispositifs de surveillance ou d’enquête relatifs à la situation des droits de l’homme dans le monde. »

([9]) Voir le plaidoyer présenté au Président de l’Assemblée nationale en janvier 2018 à ce propos et qui est joint à cette proposition.

([10])  Document des Nations Unies A/HRC/WGAD/2013/38 (https://undocs.org/fr/A/HRC/WGAD/2013/38).

([11]) Cour européenne des droits de l’homme, Cinquième Section, Décision sur la recevabilité de la requête n°2096/05 présentée par Joseph Antoine Peraldi contre la France, 7 avril 2009 (http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-92489). Dans cette décision, on peut lire : « Partant, la Cour estime que le Groupe de travail sur la détention arbitraire est une ‘instance internationale d’enquête ou de règlement’ au sens de l’article 35 § 2 b) de la Convention. Dès lors que le grief soulevé devant la Cour est essentiellement le même que celui qui a été à l’origine de l’avis susmentionné du Groupe de travail, il y a lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité formulée par le Gouvernement au titre de l’article 35 § 2 b) de la Convention. »

([12]) Avis No 23/2013 concernant Georges Ibrahim Abdallah, et Avis No. 49/2016 concernant Mukhtar Ablyazov.