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N° 2599

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à plafonner les frais bancaires,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Alexis CORBIÈRE, Adrien QUATENNENS, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUDHOMME, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

Député.es.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis plusieurs années, les frais bancaires pratiqués par les banques françaises sont en nette augmentation. Plusieurs études, menées notamment par l’Union nationale des associations familiales (Unaf), l’Institut national de la consommation (INC) ou le magazine 60 millions de consommateurs en attestent.

Aujourd’hui, les seuls frais d’incidents bancaires (hors frais de tenue de compte donc) rapportent plus de six milliards d’euros par an aux banques françaises. Ce montant, qui s’apparente à un véritable « impôt privé », pèse sur plus de sept millions de clients. La France est parmi les pays de l’Union européenne dont les frais bancaires sont les plus élevés. Ils touchent principalement les classes populaires et les classes moyennes, limitant sensiblement leur pouvoir d’achat et aggravant les inégalités socioéconomiques.

Bien souvent, ces frais s’appliquent en cascade. Une intervention informatisée est suivie d’une notification par courrier puis d’une commission d’intervention. Un cercle vicieux se met alors en place et les personnes les plus en difficulté à la fin du mois sont aussi celles dont la facture bancaire est la plus élevée.

Selon une des études précitée, le montant mensuel des frais d’incidents et agios supportés par les usagers en situation de vulnérabilité financière s’élève en moyenne à 296 € par an, contre 34 € par an pour la population prise dans son ensemble. Ce montant dépasse parfois les 3 000 € pour les clients qui ont le plus à souffrir de rejets de paiement, de chèques ou autres incidents. Ces pratiques tarifaires extrêmement punitives amènent à ce que le client se retrouve au service de la banque au lieu que la banque soit au service du client.

Face à cela, le Gouvernement n’a pas jugé utile de légiférer pour encadrer ces tarifs et plafonner les frais bancaires. Par un accord non contraignant pris en décembre 2018 avec le Gouvernement, les banques se sont simplement engagées à limiter ces frais « au regard de leur politique commerciale ». Le Gouvernement dit compter sur « leur bonne foi » et se dit convaincu que ces mesures incitatives suffiront à ce que les établissements bancaires renoncent aux bénéfices immenses réalisés sur le dos des Français.

Les clients professionnels, qui ne sont pas concernés par cet accord entre les banques et le Gouvernement, ne sont pourtant pas épargnés par les frais bancaires. Ainsi, le chiffre d’affaire des artisans, des auto‑entrepreneurs et des petites entreprises est bien souvent fortement impacté par les tarifs pratiqués pour la location des terminaux de paiement électronique ainsi que par les commissions prélevées sur les incidents bancaires.

Les tarifs annoncés par les banques pour l’année 2020 montrent que leur « bonne foi » n’est pas aussi fiable que le Gouvernement l’a laissé entendre. La persistance de taux d’intérêts bas pousse les établissements bancaires à améliorer leurs marges sur d’autres postes de recette. C’est notamment ce qui explique l’explosion des frais bancaires, dont il est intéressant de souligner que le bénéfice qu’ils génèrent annuellement correspond peu ou prou aux dividendes versés aux actionnaires de ces établissements.

En outre, le dispositif voulu par le Gouvernement ne s’attache qu’à certaines catégories d’incidents bancaires. Dès lors, il est très simple pour les banques de mettre en place de nouveaux frais sur des opérations qui n’étaient pas facturées jusqu’alors. Cela leur permet de contourner les tarifs visés par leur engagement avec le Gouvernement et de gagner de l’argent par d’autres biais.

Partant du constat de l’inefficacité des engagements de bonne conduite non contraignants, la France insoumise propose d’instaurer un plafonnement ambitieux et global des frais bancaires toute population confondue, sans distinction de clientèle déterminée « fragile » par des critères subjectifs et variables d’une banque à l’autre.

Ce plafonnement est d’autant plus légitime et nécessaire que le coût administratif des frais d’incidents pour les banques s’avère très résiduel voire nul. Un rejet de prélèvement facturé à hauteur de vingt euros au client représente ainsi un coût administratif avoisinant les vingt centimes d’euros, soit un bénéfice net cent fois supérieur. De la même manière, le coût pour l’établissement bancaire de l’envoi d’un mail de notification, facturé 12,5 euros, approche de zéro en raison du phénomène croissant de digitalisation qui rend obsolète l’envoi d’un courrier physique de notification.

Le traitement des incidents bancaires est en effet le plus souvent automatisé et ne requiert aucune action humaine qui justifierait des frais si élevés. Il entraîne en revanche des tensions inutiles entre les clients et les employés de banque, sommés d’exécuter les instructions de leur hiérarchie. La part variable de rémunération des employés de banque incite en outre les conseillers bancaires à ne pas faire bénéficier de remise ou d’annulation des frais d’incidents bancaires pour leurs clients.

Selon la Fédération CGT des Syndicats du personnel de la banque et de l’assurance, dont le groupe France insoumise a reçu les membres en audition à l’Assemblée nationale autour de leur secrétaire générale, Mme Valérie Lefèbvre‑Haussman, l’existence de ces frais conduit ainsi à une mise en danger des personnels envers lesquels s’exerce une violence psychologique, et parfois physique, croissante.

C’est pourquoi la présente proposition de loi instaure un plafond couvrant l’ensemble des frais engendrés par une irrégularité ou un incident de fonctionnement du compte bancaire, fixé à 2 euros par incident, dans la limite de 20 euros par mois et de 200 euros par an, pour l’ensemble de la population, professionnelle et non professionnelle. Ce plafond inclura les frais de régularisation mais aussi les autres frais liés à l’incident (lettre d’information pour compte débiteur, rejet de chèque pour défaut de provision, rejet de prélèvement ou de virement). Ce plafond inclura également les intérêts débités à raison d’un solde débiteur du compte pendant un ou plusieurs jours, c’est‑à‑dire les agios, qui grèvent de façon abusive les finances de nombre de nos concitoyens.

Cette proposition de loi vise donc à redonner en urgence du pouvoir d’achat à la population, et en particulier aux classes populaires et moyennes. À terme, cela constituera un premier pas pour réfléchir à la nécessité d’une gestion publique de ce bien commun qu’est la monnaie et mettre en place une véritable politique publique du crédit. 

L’article 1er définit à l’article L. 312‑1‑3 du code monétaire et financier un plafond de frais et commissions perçus à raison d’incidents ou d’irrégularités de fonctionnement d’un compte bancaire par les établissements de crédit sur l’ensemble de la clientèle de personnes physiques. Ce plafond est fixé à 2 euros par incident, dans la limite de 20 euros par mois et de 200 euros par an.

Il impose par ailleurs aux établissements de crédit de fournir à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, chaque année, des informations détaillées sur les frais et commissions prélevés au titre des incidents et irrégularités de fonctionnement d’un compte bancaire sur cette même clientèle. À des fins d’information, l’autorité publie un rapport d’analyse et de synthèse anonymisé.

L’article 2 prévoit d’exonérer les clients du paiement des frais afférents à une saisie administrative à tiers détenteur ou à une saisie‑attribution prélevés par un établissement de crédit.

L’article 3 est un article de coordination destiné à mettre en cohérence les dispositions relatives à l’information tarifaire, le relevé de compte devant être communiqué gratuitement à l’ensemble de la clientèle et plus simplement à la clientèle de détail.


proposition de loi

Article 1er

1° Le dernier alinéa de l’article L. 131‑73 est supprimé ;

2° Le II de l’article L. 133‑26 est abrogé ;

3° Le code monétaire et financier est ainsi modifié :

« L’article L. 312‑1‑3 est ainsi rédigé :

« Art. L. 31213. – L’ensemble des frais et commissions perçus à raison d’incidents ou d’irrégularités de fonctionnement d’un compte bancaire, défini par la loi, le règlement ou créés par l’établissement de crédit, sont plafonnés. Ce plafond ne peut excéder 2 euros par opération, 20 euros par mois et 200 euros par an.

« Ce plafond inclut également les intérêts débités à raison d’un solde débiteur du compte pendant un ou plusieurs jours.

« Les établissements de crédit communiquent à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, chaque année, par typologie de clientèle, le nombre de clients personnes physiques s’étant vu facturer un ou plusieurs frais mentionnés au premier alinéa du présent article ainsi que le montant total, après extourne, des bénéfices résultant de la facturation de ces frais. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution publie un rapport synthétique annuel reprenant ces données de manière agrégée et anonymisée.

« Les établissements de crédit publient, chaque année, par typologie de clientèle, le nombre de clients personnes physiques s’étant vu facturer un ou plusieurs frais mentionnés au premier alinéa du présent article ainsi que le montant total, après extourne, des bénéfices résultant de la facturation de ces frais.

« Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État. ».

Article 2

I. – L’article L. 162‑1 du code des procédures civiles d’exécution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Aucun frais ne peut être facturé au client pour la réalisation par un établissement de crédit des opérations destinées à l’exécution d’une saisie‑attribution. ».

II. – Le 5° de l’article L. 262 du livre des procédures fiscales est ainsi rédigé :

«5° Aucun frais ne peut être facturé au client pour la réalisation par un établissement de crédit des opérations destinées à l’exécution d’une saisie administrative à tiers détenteur. ».

Article 3

L’article L. 312‑1‑5 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels » sont supprimés ;

2° La seconde phrase du second alinéa est supprimée.