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N° 2606

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant l’interdiction des techniques d’immobilisation létales : le décubitus ventral et le pliage ventral,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

François RUFFIN, Danièle OBONO, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Mathilde PANOT, Loïc PRUDHOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, Bénédicte TAURINE,

député.es.

 

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Abdelhakim Ajimi

Abou Bakari Tandia

Ricardo Barrientos

Mohamed Boukrourou

Abdelilah El Jabri

Lamine Dieng

Wissam El Yamni

Mariame Getu Hagos

Abdelhak Goradia

Amadou Koumé

Allan Lambin

Mamadou Marega

Serge Partouche

Mohamed Saoud

Adama Traoré

Ali Ziri

Cédric Chouviat vient, tout récemment, de s’ajouter à cette macabre liste, celle des personnes décédées suite à des interpellations policières. Est en cause, dans chaque cas, l’usage de deux techniques d’immobilisation potentiellement létales : le pliage ventral et le décubitus ventral.

« La Cour déplore qu’aucune directive précise n’ait été prise par les autorités françaises à l’égard de ce type de technique d’immobilisation ». Il s’agit là d’un arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme datant du 9 octobre 2007.

Il y a donc plus de douze ans maintenant. Durant cette décennie, et malgré les cas qui se sont accumulés, aucune directive n’a été prise. Notre proposition de loi vise à combler cette lacune : nous souhaitons voir proscrites ces deux techniques, non nécessaires et disproportionnées compte tenu de leur dangerosité.

1. La France est régulièrement condamnée

Le 16 novembre 2017, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour la mort de Mohamed Boukrourou, pour « traitement inhumain et dégradant », suite à son interpellation et son immobilisation dans un fourgon de police. La Cour note que : « L’intéressé a été maintenu sur le ventre, menotté à un point fixe et avec trois policiers debout et pesant de tout leur poids sur différentes parties de son corps, le premier le chevauchant accroupi au niveau des épaules, le deuxième debout sur ses fesses et le troisième debout sur ses mollets [...]. La Cour relève ainsi que M. B., bien que placé dans une situation de vulnérabilité tant en raison de sa maladie psychique que de sa qualité de personne privée de sa liberté, a littéralement été foulé aux pieds par la police à l’intérieur du fourgon [...]. La Cour considère que ces gestes, violents, répétés et inefficaces, pratiqués sur une personne vulnérable, sont constitutifs d’une atteinte à la dignité humaine et atteignent le seuil de gravité les rendant incompatibles avec l’article 3 ».

Dix ans plus tôt, la France a été condamnée par la même Cour, le 9 octobre 2007, pour le décès de Mohamed Saoud. Elle relève que « Mohamed Saoud a été maintenu au sol pendant trente‑cinq minutes dans une position susceptible d’entraîner la mort par asphyxie dite “posturale” ou “positionnelle” ». Or la Cour observe que cette forme d’immobilisation a été identifiée comme hautement dangereuse pour la vie, l’agitation dont a fait preuve la victime étant la conséquence de la suffocation par l’effet de la pression exercée sur son corps. Enfin, la Cour déplore qu’aucune directive précise n’ait été prise par les autorités françaises à l’égard de ce type de technique d’immobilisation. »

La France a, dans cette affaire, été condamnée pour avoir manqué à l’obligation de protéger la vie de Mohamed Saoud, telle que prévue par l’article 2 relatif au droit à la vie de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Le 19 juin 2018, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a, à nouveau, reconnu la responsabilité de la France pour négligence dans le décès d’Ali Ziri, dont la mort découlerait d’un pliage ventral.

Depuis 2007, rien n’a été fait. Et pourtant, les techniques meurtrières sont bien identifiées. Et dans ces trois cas, après des interpellations compliquées, les policiers n’étaient plus en situation de légitime défense : les personnes, immobilisées, ne représentaient plus de danger.

D’autres procédures sont en cours devant la Cour européenne, notamment pour faire la lumière sur le décès de Lamine Dieng. En l’absence d’une législation interdisant le recours à ces techniques de contrainte meurtrières, la France risque de subir à nouveau une condamnation.

2. Le pliage ventral

La technique du « pliage ventral », tout d’abord, consiste à replier la personne sur elle‑ même, le torse posé sur les genoux, et à la maintenir dans cette position.

Ricardo Barrientos, le 30 décembre 2002 et Mariame Getu Hagos, en janvier 2003, sont décédés par asphyxie à la suite de la pratique de ce pliage lors de leur éloignement de la France par avion. Une hôtesse témoigne de l’interpellation de Mariame Getu Hagos : « Un des fonctionnaires était assis sur son dos, un autre lui tenait les bras derrière, sa tête penchait dans le vide [...]. Il est resté dans cette position, il criait de temps à autre mais moins fort. Cela a duré́ vingt minutes ». Le chef d’avion témoigne, lui aussi : « un fonctionnaire de police ‑ parfois même les deux policiers ‑ étaient assis sur son dos, l’un des deux portant parfois la main sur la bouche du reconduit. »

À la suite de ces deux événements tragiques, les services de police se sont montrés préoccupés par l’usage de ces «gestes techniques d’intervention et de protection » ayant entraîné la mort par asphyxie. La direction générale de la police nationale (DGPN) a, à cet égard, publié une instruction datée du 17 juin 2003, relative à l’éloignement par voie aérienne des étrangers en situation irrégulière, qui interdit la pratique du pliage : « Afin de prévenir les risques médicaux dus à l’excitation de l’éloigné et à son maintien dans l’avion, la pratique de gestes non réglementaires, notamment la compression du thorax, le pliage du tronc et le garrottage des membres, est strictement prohibée ».

Notre proposition de loi vise simplement à étendre cette prohibition à toutes les interpellations et à l’inscrire dans la loi.

3. Le décubitus ventral

Le décubitus ventral, lui, consiste à plaquer fermement une personne sur le sol et à la maintenir dans cette position, à l’aide d’une pression importante sur le thorax.

Cette technique est en cause dans les cas déjà mentionnés de Mohamed Saoud et de Mohamed Boukrourou. Elle est également pointée, par des témoins et des expertises, lors du décès dAdama Traoré à la suite de son interpellation : « Jai du mal à respirer ! », avaitil prévenu durant son plaquage ventral, daprès leurs propres déclarations des gendarmes aux enquêteurs.

Les premiers éléments communiqués sur le décès de Cédric Chouviat pointent également la responsabilité du plaquage ventral appliqué par trois agents. Le rapport d’autopsie mentionne que la cause présumée du décès est une « manifestation asphyxique avec une fracture du larynx ».

L’avocat de la famille, Me Arié Alimi a ainsi déclaré : « Nous avons demandé solennellement l’interdiction des techniques d’immobilisation qui ont conduit à son décès, à savoir le plaquage ventral et la clé d’étranglement. Car il fait de moins en moins de doute que la fracture du larynx de Cédric Chouviat est liée à une clé d’étranglement et son décès à une asphyxie liée à son plaquage ventral ».

La presse s’en est largement fait écho : « le plaquage ventral une technique controversée » (le Parisien), « le plaquage ventral, une technique contestée mais encore autorisée » (BFM), « le plaquage ventral, une technique policière interdite dans certains pays » (20 minutes), « le plaquage ventral, une technique internationalement décriée » (France 24).

Les instructions des organes directifs de la police semblent reconnaître la dangerosité de cette méthode. Une instruction datant du 4 novembre 2015 interdit le recours à cette technique, mais uniquement dans les voyages en fourgon : « Le transport dans des véhicules de police de type fourgon, en position couchée, obligatoirement effectuée sur le dos, suppose l’immobilisation préalable des membres supérieurs et inférieurs. Dans cette circonstance, il est proscrit d’exercer des pressions tendant à comprimer la cage thoracique de la personne transportée ».

Notre proposition de loi vise simplement à étendre cette prohibition à toutes les interpellations et à l’inscrire dans la loi.

Ces interpellations dangereuses doivent cesser. D’autres moyens de contrainte sont aussi efficaces et ne présentent pas de dangers mortels. La Belgique, la Suisse, New‑York, Los Angeles ont aboli ces techniques. La loi Suisse dispose que « les techniques d’utilisation de la force physique susceptibles de causer une atteinte importante à la santé des personnes concernées sont interdites, en particulier les techniques pouvant entraver les voies respiratoires. »

Nous avons tout à gagner à ce quelles soient interdites en France pour éviter ces morts inutiles et tragiques. Cest lobjectif visé par larticle unique de notre proposition. Avec pour but, évident, dapaiser les rapports entre la police et la population, de rétablir une confiance aujourdhui entamée.

proposition de loi

Article unique

Au début du chapitre Ier du titre IV du livre Ier du code de la sécurité intérieure, il est ajouté un article L. 141 ainsi rédigé :

« Art. L. 141. – Il est interdit à toute personne exerçant des missions ou activités de sécurité de recourir aux techniques d’immobilisation qui auraient pour effet d’entraver les voies respiratoires ou pouvant mener à l’asphyxie, telles que le pliage et le plaquage ventral. »