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N° 2855

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 avril 2020.

PROPOSITION DE LOI

de nationalisation des sociétés particulièrement nécessaires à l’indépendance sanitaire de la Nation,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Christine PIRES BEAUNE, Valérie RABAULT, Olivier FAURE, Hélène VAINQUEURCHRISTOPHE, Michèle VICTORY, Christophe BOUILLON, Gisèle BIÉMOURET, Hervé SAULIGNAC, David HABIB, George PAULANGEVIN, MarieNoëlle BATTISTEL, Luc CARVOUNAS, Joël AVIRAGNET, Boris VALLAUD, Claudia ROUAUX, Ericka BAREIGTS, Jérôme LAMBERT, Régis JUANICO, Dominique POTIER, JeanLouis BRICOUT, Sylvie TOLMONT, Serge LETCHIMY, Laurence DUMONT, Guillaume GAROT, Alain DAVID, Christian HUTIN, Joaquim PUEYO, Cécile UNTERMAIER, Josette MANIN, Marietta KARAMANLI,

députés.

 

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La propagation de l’épidémie de covid‑19 a contraint le Gouvernement à prendre, depuis le 17 mars 2020, des mesures de confinement et de restriction des activités économiques sans précédent dans notre histoire moderne.

Malgré ces mesures, la maladie progresse et avec elle, la tension sur notre système de santé se fait chaque jour plus forte. Face à la submersion qui touche les régions Grand Est et d’Île‑de‑France, des opérations de transport inédites en temps de paix ont été rendues nécessaires pour déplacer les malades les plus stables vers des régions moins touchées.

Si au front, le moral des soignantes et des soignants qui composent la dernière digue pour protéger les Français ne vacille pas, l’arrière a grandement faillit dans la préparation de notre pays à faire face à une telle crise sanitaire.

Qu’il s’agisse des respirateurs si nécessaires à la réanimation, des équipements de protection (dont certains sont pourtant basiques à l’image des masques, du gel hydro‑alcoolique, des gants en latex, des sur‑blouses ou des lunettes de protection) ou de certains médicaments, nos stocks étaient insuffisants et notre pays n’est pas en capacité de répondre, seul, aux besoins propres à assurer la santé de ses habitants face à une crise d’une telle ampleur. 

Cette situation est le résultat de décennies d’absence de vision stratégique sur l’indépendance sanitaire de la France, entraînant délocalisations et sous‑traitances dans des pays tiers. À cet égard, la décision de réduire progressivement les stocks d’État de masques en comptant sur la capacité de production des pays asiatiques et en particulier de la Chine est symptomatique.

Le Président de la République, Emmanuel Macron, en a lui‑même fait le constat lors de son allocution du 12 mars dernier : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond à d’autres, est une folie ».

Si ce constat est terrible pour la sixième puissance mondiale et nécessitera la définition d’une nouvelle doctrine et une dynamique de relocalisations à moyen terme, la France dispose également, à court terme, d’outils permettant d’inverser rapidement la tendance.

Ces outils, ce sont des fleurons industriels qui produisent, ou produisaient jusqu’à récemment, du matériel médical de pointe essentiel pour faire face aux besoins induits par une telle crise.

C’est d’abord la société Luxfer, située à Gerzat dans le Puy‑de‑Dôme, qui était jusqu’en 2019 la seule entreprise de l’Union européenne à fabriquer des bouteilles d’oxygène à usage médical.

Alors que l’épidémie de covid‑19 fait d’abord appel aux capacités de réanimation et d’assistance respiratoire de notre système de santé, il s’agit là d’un actif stratégique majeur. Il est d’autant plus utile en temps de crise alors que les patients doivent être transférés en grand nombre par la route, le rail ou les airs, nécessitant une assistance respiratoire permanente avec un équipement aussi léger et maniable que possible.

Ainsi la production de la société était dévolue à 62 % pour le marché du médical, à 27 % pour les services d’incendie, à 6 % pour le secteur industriel général et à 5 % pour des activités spécifiques (Armement, aéronautique, autres secteur gaz, etc...).

La situation tendue des marchés de la Santé et de la Protection, avec une stagnation de la demande et une concurrence féroce des pays à faible coût de main d’œuvre, s’est traduit par une baisse des volumes de production. Cette situation a amené la maison‑mère de Luxfer à réorganiser ses sites de production et à mettre fin à la production sur le site de Gerzat.

Aujourd’hui cette PME et ses 136 salariés sont à l’arrêt. Cependant, les machines et le savoir‑faire humain demeurent présents, de même que la volonté, pour une partie des salariés, de reprendre leur activité. Ceux‑ci ont d’ailleurs travaillé à un plan permettant de relancer la production en seulement neuf semaines. Le modèle économique est vertueux, y compris à l’échelle de l’Union européenne, dès lors que cette production serait reconnue comme stratégique et ainsi, pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron, placée en dehors des lois du marché, sans mise en concurrence avec des pays tiers à faible coût de main d’œuvre.

Alors que l’épidémie est amenée à se poursuivre durant de longs mois, voire à connaitre de nouveaux pics et que la dégradation de la situation dans d’autres pays peut suspendre l’importation de tels matériels, il est essentiel que la France puisse assurer son indépendance stratégique en conservant une capacité de production sur son sol. A défaut d’être un choix dicté par la crise actuelle, cette nationalisation est indispensable dans une perspective de moyen et long terme. Pouvons‑nous prendre le risque de n’avoir aucun producteur de bouteilles d’oxygène sur le territoire de la nouvelle Europe ?

Cet enjeu existe également pour la société Famar, entreprise spécialisée dans la production pharmaceutique et notamment de la Nivaquine, un antipaludique à base de Chloroquine, une des molécules dont l’utilisation est envisagée sérieusement pour le traitement du covid‑19, notamment en phase initiale de la maladie.

La société, basée près de Lyon, est actuellement en redressement judiciaire et si un repreneur potentiel s’est fait connaître le 3 avril dernier, son identité demeure inconnue. Il est essentiel de veiller à ce qu’eu égard aux enjeux, celle‑ci ne soit pas liquidée ou reprise par un fonds vautour qui spéculerait sur le prix de vente de cette molécule ou par un repreneur qui chercherait à en délocaliser la production.

Au‑delà du seul cas de la Chloroquine, le maintien sur le territoire national d’usines capables de fabriquer des molécules essentielles ou des vaccins redevient aussi stratégique que la capacité à assurer notre autosuffisance en matière alimentaire ou de production d’électricité.

Outre la sécurisation à court terme de ces actifs pour éviter une fermeture ou une reprise par des acteurs étrangers, la maitrise de ces entreprises permettrait à l’État de pouvoir faire face aux possibles résurgences du covid‑19, qui pourrait devenir saisonnier, ainsi qu’aux crises futures alors que le risque pandémique est devenu d’autant plus grand que la mondialisation est devenue intégrée.

Ainsi la présente proposition de loi propose la nationalisation des deux entreprises précitées. Seule manière pour l’État de disposer d’un contrôle effectif de ces actifs stratégiques et de leurs productions afin d’assurer son indépendance sanitaire.

Le dispositif proposé est fortement inspiré du dispositif propre aux entreprises industrielles de la loi de nationalisation de 1982.

L’intérêt de celui‑ci étant d’avoir fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel (n° 81‑132 DC) sécurisante juridiquement pour le mécanisme retenu alors qu’il convient d’agir dans un temps très court.

Ainsi l’article 1er fixe la liste des deux entreprises qui sont nationalisées, soit les sociétés Luxfer Gas Cylinders S.A.S et Famar France.

L’article 2 prévoit que la nationalisation se fait par le transfert des actions à l’État en échange d’obligations souveraines.

L’article 3 précise que les détenteurs d’actions reçoivent ces obligations dans un délai d’un mois après la publication de la loi, qu’elles génèrent un intérêt à taux fixe et que celui‑ci est indexé sur le taux moyen de l’échéance constante à dix ans (TEC 10) des obligations assimilables du Trésor émises par l’État en 2019, sans pouvoir être inférieur à zéro.

L’article 4 définit le mode de calcul de la valeur d’échange des actions qui est assis sur les résultats de l’entreprise au second semestre 2019 afin de neutraliser les effets éventuels de la crise économique induite par l’épidémie.

L’article 5 prévoit que les entreprises nationalisées seront administrées, pendant une période pouvant aller jusqu’à six mois, par un administrateur général plénipotentiaire. Il s’agit ainsi de doter chaque entreprise d’une gouvernance simple disposant d’une grande flexibilité permettant de prendre rapidement toutes les mesures d’organisation industrielle propres à transformer ou à amplifier l’activité de chaque entreprise pour faire face à la crise. C’est en particulier le cas pour Luxfer dont l’activité devra être redémarrée sur une période de deux mois.

A l’issue de cette période de six mois, chaque entreprise est administrée par un Conseil d’administration. Les organes représentatifs du personnel demeurent en fonction durant ces deux périodes et jusqu’à leur renouvellement régulier.

L’article 6 précise que les entreprises nationalisées sont soumises, pour leur gouvernance, aux dispositions de la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public.

L’article 7 explicite les modalités de désignation du président du conseil d’administration, qui exercera également les fonctions de directeur général.

L’article 8 soumet les entreprises nationalisées aux dispositions législatives et réglementaires du code de commerce. La proposition de loi n’entend pas faire de ces entreprises des établissements publics industriels et commerciaux considérant que si elles ont vocation à être nationalisées, l’État pourra ou non faire le choix d’acquérir 100% de leurs actions.

Enfin, l’article 9 prévoit un gage de charge considérant que l’acquisition des actions nécessaires à la prise de participation majoritaire de l’État induira une dépense nouvelle pour celui‑ci, bien que celle‑ci prenne la forme d’un instrument de dette.

 


proposition de loi

Article 1er

Sont nationalisées les sociétés suivantes :

– Luxfer Gas Cylinders S.A.S ;

– Famar France.

Article 2

La nationalisation des sociétés mentionnées à l’article 1er est assurée par le transfert à l’État en toute propriété des actions représentant leur capital à la date de jouissance des obligations prévues à l’article 3.

Article 3

Les détenteurs d’actions transférées à l’État reçoivent, dans un délai d’un mois à compter de la publication de la présente loi, en échange de leurs actions, des obligations émises par l’État.

Ces obligations portent jouissance au 1er avril 2020. Elles produisent un intérêt semestriel à taux fixe payable à terme échu et, pour la première fois, le 1er octobre 2020.

Ce taux est égal au taux moyen de l’échéance constante à dix ans des obligations assimilables du Trésor émises par l’État en 2019, sans pouvoir être inférieur à zéro.

Article 4

La valeur d’échange des actions de chacune des sociétés est égale à la somme, majorée de 10 % :

– du produit du nombre d’actions émises au 31 décembre 2019, par la moyenne des premiers cours cotés sur le marché du terme ou à défaut du comptant, la plus élevée de celles de chacun des six mois, de juillet 2019 à décembre 2019. Les cours sont ajustés pour tenir compte des opérations ayant affecté le capital de la société considérée au cours de l’année 2019 ;

– et du montant des sommes distribuées sous forme de dividendes au titre de l’exercice 2018.

La valeur d’échange de chaque action est égale à la somme ainsi déterminée divisée par le nombre d’actions émises au 31 décembre 2019 éventuellement augmenté du nombre de titres attribués gratuitement aux actionnaires entre le 1er janvier 2020 et la date de publication de la présente loi. Les dividendes et les acomptes sur dividendes éventuellement versés au titre de l’exercice 2019 aux actionnaires seront déduits de cette somme.

Article 5

Jusqu’à la réunion des nouveaux conseils d’administration, désignés dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, conformément à l’article 6, un administrateur général est nommé dans chaque société nationalisée par décret en conseil des ministres. Il assure l’administration et la direction générale de la société et dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société.

Les présidents des conseils d’administration, les administrateurs, les directeurs généraux, les membres du directoire ou du conseil de surveillance restent en fonction jusqu’à la nomination, dans les plus brefs délais, de l’administrateur général.

Les organes représentatifs des salariés restent en fonction et exercent la plénitude de leurs droits jusqu’à leur renouvellement.

Les commissaires aux comptes demeurent en fonction jusqu’à la réunion de l’assemblée générale qui suit la publication de la présente loi.

Article 6

La composition du conseil d’administration des sociétés mentionnées à l’article 1er, ainsi que les critères et les modalités de désignation des membres de ces conseils sont régis par les dispositions de la loi n° 83‑675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public.

Article 7

Le président du conseil d’administration de chaque société est nommé parmi les membres du conseil d’administration et après avis de celui‑ci, par décret en conseil des ministres, conformément à l’ordonnance n° 58‑1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’État.

Il exerce les fonctions de directeur général. Il nomme aux emplois de direction.

Lorsque les actions des sociétés nationalisées sont détenues en totalité par l’État, les pouvoirs de l’assemblée générale sont exercés par les administrateurs représentant l’État.

Article 8

Les dispositions du code de commerce sont applicables aux sociétés mentionnées à l’article 1er pour autant qu’elles sont compatibles avec les dispositions de la présente loi.

Article 9

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la majoration du taux du 1° du B du 1 de l’article 200 A du code général des impôts.