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N° 2860

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 avril 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à la gratuité des frais d’obsèques pour les personnes décédées du covid19,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, JeanLuc MÉLENCHON, Danièle OBONO, Loïc PRUDHOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

Député.e.s.

 

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Dans la misère, la mort est encore pire que la mort ordinaire. Quand on est très pauvre, quand on n’a pas les moyens, l’enterrement ce n’est pas simple. Cet homme [dans le bidonville de Noisy], même mort, n’avait pas de place sur cette terre. »

« Et aprèss, tu as l’enterrement. 3 000 euros. Tu fais quoi ? Tu vas où ? On a beau taper à toutes les portes qu’on pouvait taper – la mutuelle qui nous a répondu “Non merci – qu’estce qu’on a été ?

« Tu sais, il y en a combien qui se retrouvent avec l’huissier à cause de ça ? »

Extrait de la Revue Quart Monde : « Mourir lorsqu’on est pauvre : où s’arrête la dignité ? »([1])

La crise sanitaire que nous connaissons avec l’épidémie liée au coronavirus est d’une ampleur sans précédent. Les victimes sont nombreuses et des témoignages bouleversants font état de décès prématurés dus au coronavirus.

Des conditions de décès et d’obsèques inédites

Les interdictions de visites dans les EHPAD ou dans les services hospitaliers pour ne pas propager le virus ont une conséquence terrible : les personnes meurent seules. Sans personne pour leur tenir la main. Sans leurs proches à leurs côtés.

Mais à la douleur de perdre quelqu’un, sans pouvoir l’accompagner, s’ajoute des conditions d’obsèques exceptionnelles.

L’impossibilité d’abord de voir le corps du défunt ainsi que l’interdiction des soins de conservation, de la thanatopraxie ou des toilettes rituelles. Suite à l’avis du Haut Conseil de la Santé Publique du 28 février 2020, le défunt doit être placé dans une housse mortuaire qui ne pourra plus être ouverte. La fermeture du cercueil doit être effectuée au plus vite. En raison de l’utilisation d’une hausse mortuaire et de la nécessaire rapidité de la mise en bière, les proches ne peuvent voir la dépouille du défunt avant la fermeture du cercueil. 

Le Premier ministre Edouard Philippe a également décrété que les obsèques devaient se dérouler « dans la limitation d’une vingtaine de personnes au maximum ». Les lieux de recueillement sont fermés au public. Les crémations se déroulent à huis clos, seuls cinq membres de la famille sont autorisés à entrer. Les inhumations dans les cimetières se font en nombre restreint, avec pas plus de dix personnes autorisées à entrer. Les proches, souvent géographiquement éloignés, ne peuvent donc pas dire au revoir au défunt, traversent cette épreuve de manière isolée, alors qu’une cérémonie funéraire a, elle, une fonction de catharsis collective.

L’actualité récente a franchi un seuil dans l’insupportable : à Rungis, un hall du marché a été réquisitionné pour un opérateur privé afin d’entreposer les corps des personnes décédées du covid‑19. Les familles pouvaient alors se recueillir auprès de leur proche défunt, moyennant une somme de 55 euros l’heure.

Ces conditions d’obsèques exceptionnelles, parfois sordides, sont une douleur supplémentaire pour les proches des défunts et représentent un obstacle au deuil.

Les populations précaires plus vulnérables au virus

Le 13 mars dernier, le Haut Comité de Santé publique a dressé une liste des populations les plus vulnérables face au virus. Les personnes âgées, les personnes atteintes de pathologies chroniques, les personnes diabétiques, celles souffrant d’un déficit immunitaire – personnes porteuses du VIH par exemple – les personnes atteintes d’un cancer, les personnes obèses ou celles présentant des pathologies respiratoires chroniques comme de l’asthme sévère sont plus susceptibles de développer une forme grave d’infection liée au coronavirus.

À cet égard, les personnes à risque recoupent les populations les plus précaires.

Le diabète est 3 à 4 fois plus fréquent chez les personnes en situation de précarité, les personnes obèses sont 4 fois plus nombreuses chez les enfants d’ouvriers que de cadres, l’asthme et les maladies pulmonaires atteignent davantage les personnes mal‑logées, celles qui occupent des logements insalubres, situés dans des zones géographiques à forte pollution.

La sociologue de la santé Annie Thébaud‑Mony alerte également sur les inégalités face au cancer : dans les années 80, un ouvrier avait quatre fois plus de risque de mourir du cancer qu’un cadre supérieur. De nos jours, c’est dix fois plus de risque.

Ces inégalités commencent à poindre dans l’actualité. Le nombre de décès en Seine‑Saint‑Denis a bondi de 63 % entre le 21 et 27 mars, qualifié « d’exceptionnel » par le Directeur général de la santé. Ce taux de mortalité anormalement élevé s’explique par une plus grande exposition au virus, notamment puisque les habitants continuent à se rendre sur leur lieu de travail, par des logements surpeuplés et une offre de soins insuffisante.

Ces données démontrent que nous ne sommes pas égaux face à la mort. Pour ces populations, les frais funéraires représentent des difficultés supplémentaires à celles auxquelles elles font face dans leur quotidien.

Assurer la dignité des obsèques

Nous pensons qu’à la douleur des familles en ces circonstances exceptionnelles ne doit pas s’ajouter des frais funéraires qui pourraient les mettre en difficulté.

L’article L. 2223‑27 du code général des collectivités territoriales prévoit une prise en charge par les communes des frais funéraires des familles dépourvues de moyens financiers suffisants. Notre proposition prévoit, à titre exceptionnel, la prise en charge totale par l’État de ces frais, à la place des communes, en l’étendant à l’ensemble des personnes décédées du covid‑19.

Nous considérons que cette prise en charge doit s’effectuer sans conditions de ressources : elle permet à la fois de soulager les familles dont les frais funéraires auraient engendré un endettement et prend en compte la douleur causée par la disparition d’un proche, en des circonstances exceptionnelles, qui ne peut être indexée sur le niveau de revenus. En somme, elle garantit l’égalité de toutes et tous devant cette épreuve tragique.

Cette prise en charge par l’État doit assurer aux familles des obsèques dignes, la possibilité de se recueillir et de faire son deuil dans les meilleures conditions possibles.

Cette proposition s’inscrit dans un document du groupe parlementaire la France insoumise, regroupant onze mesures d’urgence pour faire face à la crise sanitaire actuelle, ainsi que dans une proposition générale pour un service public des pompes funèbres. Ce qui s’est déroulé à Rungis, où le marché a pris le pas sur notre humanité, ne doit jamais se reproduire. Suite à ce scandale, le ministre de l’intérieur a déclaré que l’État prendra en charge les frais supplémentaires occasionnés par les délais d’inhumation.

Nous lui répondons que l’État doit prendre en charge totalement les frais d’obsèques de l’ensemble des personnes décédées du covid‑19. Il en va de notre humanité. Et de notre dignité commune.

 

 


proposition de loi

Article 1er

I. – Durant la période d’état d’urgence sanitaire prévu par la loi n° 2020‑290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid‑19, la prise en charge par l’État des frais d’obsèques de personnes décédées du fait du covid‑19 est totale.

II. – Un décret précise les modalités d’application du I du présent article.

Article 2

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1]) « Mourir lorsqu’on est pauvre : où s’arrête la dignité ? », d’Huguette BOISSONNAT, Etienne PELSY, Jean-Marc STEBE, Paulin BASCOU, Jeanne-Marie BILLOTTE, Chantal SIBUE DE CAIGNY, Revue Quart Monde, 2018.