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N° 2863

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 avril 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer les instruments de lutte contre le piratage
des œuvres protégées par le droit dauteur et instituant
un dispositif de transaction nale,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Constance LE GRIP, Annie GENEVARD, Frédéric REISS, Valérie BAZINMALGRAS, Ian BOUCARD, JeanJacques GAULTIER, Brigitte KUSTER, Frédérique MEUNIER, Maxime MINOT, Emmanuelle ANTHOINE,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La transformation numérique de nos sociétés a entraîné de nouveaux comportements dans tous les domaines de la vie. La culture, parce qu’elle est l’expression et la résonance de nos relations, a elle aussi connu de profonds bouleversements et vu émerger de nouvelles pratiques.

Ainsi, 84 % des internautes français déclarent consommer des biens culturels dématérialisés. Selon une étude réalisée par l’Institut français d’opinion publique (IFOP) les 26 et 27 mars 2020, une nette majorité d’entre eux placent ceux‑ci en tête des activités indispensables à l’équilibre personnel en cette période de confinement, qui voit s’intensifier fortement cette consommation de biens culturels dématérialisés.

Pour accompagner nos compatriotes dans cette inédite période de confinement, les initiatives se sont multipliées pour permettre le plus large accès à tous, gratuitement, de contenus culturels dématérialisés. Sans du tout prétendre à l’exhaustivité, l’on peut citer la « Bibliothèque numérique mondiale » mise en ligne par l’UNESCO, les spectacles de prestigieux opéras tels l’Opéra de Paris ou le Metropolitan Opera de New York, ou encore certaines grandes enseignes qui mettent gratuitement à disposition plusieurs centaines de livres numériques, les visites guidées de musées, les podcast et films accessibles gratuitement.

Toutefois, l’accès à ces biens culturels dématérialisés dans les circonstances particulières que nous traversons ne doit pas faire oublier qu’il ne saurait y avoir de culture sans création, ni de création sans créateurs.

Le respect du droit d’auteur et le principe de juste rémunération sont les pierres angulaires de la création culturelle et artistique. Sans cela, ni création, ni diversité culturelle, et le cercle vertueux ne peut subsister.

Alors que les travaux parlementaires autour du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique sont suspendus en raison de la crise sanitaire, la présente proposition de loi veut rappeler l’importance de la protection du droit d’auteur.

Le combat juridique contre le piratage, une pratique qui continue à spolier les créateurs et les artistes, doit voir ses instruments être renforcés. La procédure de réponse graduée mise en œuvre par l’Hadopi est un dispositif à vocation pédagogique et dissuasive consistant à avertir l’internaute, dont l’accès Internet a été le support à des échanges en pair à pair de contenus culturels en méconnaissance du droit d’auteur, que la pratique de tels échanges est constitutive d’une infraction, pénalement sanctionnée, et qu’il lui revient la responsabilité de sécuriser son accès Internet afin qu’il soit mis fin à ces échanges.

Si, malgré plusieurs avertissements, il est constaté que la pratique incriminée perdure, l’Hadopi ne peut que signaler la situation au procureur de la République. S’ouvre alors une phase relevant de la seule institution judiciaire, le Procureur de la République appréciant l’opportunité d’exercer des poursuites à l’égard du contrevenant et de le soumettre à une sanction pénale. 

La phase pédagogique déployée par l’Hadopi a montré son efficacité : elle a contribué à faire diminuer de moitié les pratiques de piratage en pair à pair depuis sa mise en place.

Une autre étude conduite par l’IFOP au début de l’année 2020 pour l’Hadopi montre que 63 % des abonnés qui ont reçu une recommandation ont diminué leurs pratiques illicites. 

En revanche, la phase judiciaire qui intervient quand la pédagogie n’a aucun effet sur ces pratiques illicites, a montré ses limites : dans plus 85 % des cas, le contrevenant n’est condamné à aucune sanction.

Ainsi, malgré les efforts déployés, environ trois millions d’internautes continuent d’utiliser les services pair à pair tous les mois pour pirater des œuvres protégées.

En outre, on observe que lorsque des sites illégaux importants de streaming ou de téléchargement direct sont bloqués à l’issue de procédures judiciaires, une part importante de leurs utilisateurs se reporte vers le pair à pair. Dans la perspective de renforcer significativement les actions de lutte contre le streaming et le téléchargement direct, il est donc indispensable de garantir une solution renforçant l’efficacité de la procédure de réponse graduée.

Une étude juridique, menée par deux membres du Conseil d’État, a montré que des solutions alternatives à la mise en œuvre de la procédure judiciaire actuelle pourraient être utilement mises en place.

En particulier, le recours à la transaction pénale, dont dispose le Défenseur des Droits, présente toutes les garanties juridiques nécessaires pour être mise en place par une autorité publique indépendante. Ainsi, selon le maintien du dispositif actuel via l’Hadopi ou son transfert à terme vers une autre entité reprenant ses missions, l’organisme aurait la possibilité, en cas d’échec de la phase pédagogique de la procédure de réponse graduée, de proposer au contrevenant le paiement d’une amende transactionnelle, plafonnée au tiers du montant de la peine maximale aujourd’hui encourue, pour éteindre l’action publique (soit 500 € maximum contre 1.500 € maximum actuellement). Dans l’hypothèse où l’abonné refuserait la proposition de transaction de l’organisme en charge d’exercer la mission de protection des œuvres et des objets protégés, celui‑ci aurait la possibilité de le citer directement devant le tribunal de police.

Ce dispositif permettrait donc :

‑ sur la base d’une forme d’adhésion à la sanction de la part du contrevenant acceptant de rentrer dans la logique transactionnelle, de comporter une réponse sanctionnatrice plus systématique ;

‑ de crédibiliser ainsi la phase pédagogique initiale d’avertissements et de renforcer son effet dissuasif ;

‑ de décharger l’autorité judiciaire d’une part de ce contentieux pénal que les parquets peinent en l’état à traiter, la saisine du tribunal de police par l’organisme chargé de la mission de protection des œuvres et des objets protégés par voie de citation directe en cas de refus de la transaction par le contrevenant ne devant intervenir que marginalement, compte tenu de l’intérêt de ce dernier à privilégier le paiement d’une amende d’un faible montant plutôt que d’encourir devant le juge pénal une sanction pécuniaire plus sévère.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi qui, par son article unique, institue le dispositif de transaction pénale en matière de lutte contre le piratage et contre le pillage des œuvres protégées, et a vocation à enrichir l’arsenal juridique pour ce faire.

 


proposition de loi

Article unique

Le code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa de l’article L. 331‑21‑1 est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le ou les membres de l’organisme chargé, par le présent titre, d’exercer la mission de protection des œuvres et des objets protégés, ainsi que les agents habilités et assermentés devant l’autorité judiciaire mentionnés à l’article L. 331‑14, peuvent constater les faits susceptibles de constituer des infractions prévues au présent titre lorsqu’elles sont punies de la peine complémentaire de suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne mentionnée à l’article L. 335‑7.

« Le ou les membres de l’organisme chargé, par le présent titre, d’exercer la mission de protection des œuvres et des objets protégés, ainsi que les agents habilités et assermentés devant l’autorité judiciaire mentionnés à l’article L. 331‑14, sont également habilités à rechercher et à constater les faits susceptibles de constituer l’infraction mentionnée à l’article L. 335‑7‑1. »

2° Après l’article L. 331‑19, il est inséré un article L. 331‑19‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 331191. – I. – Le ou les membres de l’organisme chargé, par le présent titre, d’exercer la mission de protection des œuvres et des objets protégés, lorsqu’il constate des faits constitutifs d’une négligence caractérisée prévue par l’article L. 335‑7‑1, peut, si ces faits n’ont pas déjà donné lieu à la mise en mouvement de l’action publique, proposer à l’auteur des faits une transaction consistant dans le versement d’une amende transactionnelle dont le montant ne peut excéder 500 € s’il s’agit d’une personne physique et 2 500 € s’il s’agit d’une personne morale. Le montant de l’amende est fixé en fonction de la gravité des faits ainsi que des ressources et des charges de l’auteur des faits. La transaction, proposée par le ou les membres de l’organisme chargé, par le présent titre, d’exercer la mission de protection des œuvres et des objets protégés, et acceptée par l’auteur des faits, doit être homologuée par le procureur de la République. La personne à qui est proposée une transaction est informée qu’elle peut se faire assister par un avocat avant de donner son accord à la proposition.

« II. – Les actes tendant à la mise en œuvre ou à l’exécution de la transaction mentionnée au I sont interruptifs de la prescription de l’action publique. L’exécution de la transaction constitue une cause d’extinction de l’action publique. Elle ne fait cependant pas échec au droit de la partie civile de délivrer citation directe devant le tribunal de police. Le tribunal ne statue alors que sur les seuls intérêts civils.

« III. – En cas de refus de la proposition de transaction ou d’inexécution d’une transaction acceptée et homologuée par le procureur de la République, le ou les membres de l’organisme chargé, par le présent titre, d’exercer la mission de protection des œuvres et des objets protégés, peut, conformément à l’article 1er du code de procédure pénale,  mettre en mouvement l’action publique par voie de citation directe. »

3° L’article L. 335‑7‑1 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

«  Le manquement, pour le titulaire de l’accès à un service de communication au public en ligne sur lequel repose l’obligation définie à l’article L. 336‑3, est constitutif d’une négligence caractérisée, définie par décret en Conseil d’État. 

« Elle est susceptible d’être constatée lorsque son accès à des services de communication au public en ligne a fait l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise, après que le ou les membres de l’organisme chargé, par le présent titre, d’exercer la mission de protection des œuvres et des objets protégés, en application de l’article L. 331‑19, lui a adressé, par voie d’une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date de présentation, une recommandation l’invitant à mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès à internet. » ;

b) Les deux derniers alinéas sont supprimés.

4° À l’article L. 335‑7‑2, les références : « aux articles L. 335‑7 et L. 335‑7‑1 » sont remplacées par la référence : « à l’article L. 335‑7 ».