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N° 2920

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 mai 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à créer un mécanisme dassurance des pertes dexploitation
liées à des menaces ou crises sanitaires graves,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Nicolas DUPONTAIGNAN,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La plupart des personnes exerçant une activité professionnelle non salariée, qu’il s’agisse d’une entreprise de biens et services ou d’une profession libérale, souscrivent une assurance multirisque professionnelle.

Cette assurance est supposée couvrir :

– Les dégâts matériels pouvant survenir dans les locaux de l’exploitation du fait de l’incendie, du dégât des eaux, de l’événement climatique, du vol, du vandalisme, du bris de glace, du bris de machine et des dommages électriques ;

– La responsabilité professionnelle de l’exploitant, c’est‑à‑dire la couverture des dommages que l’activité pourrait causer à son personnel, à un client ou à un tiers ;

– La perte d’exploitation si un sinistre ou une situation oblige à réduire ou interrompre temporairement l’activité et donc générer une baisse de chiffre d’affaires ;

S’ajoute à cela, une garantie prévoyance que la plupart des professionnels contractent et qui consiste à leur garantir la compensation du revenu qu’ils perdent s’ils sont en maladie ou en invalidité.

Pour faire jouer les garanties concernant la compensation des pertes de chiffres d’affaires ou de revenus, l’assuré doit apporter la preuve qu’il est dans l’incapacité d’exercer pour des raisons de maladie ou d’invalidité.

Mais, lorsqu’il s’agit d’une épidémie qui touche tout ou partie de la population et, en particulier, qui impose la fermeture administrative (selon le secteur considéré, soit par l’État soit par l’entrepreneur au regard du principe de précaution) d’un établissement ou d’un cabinet, les assurances ne considèrent pas qu’on entre dans le critère de risque santé et n’acceptent donc pas de verser les indemnités de compensation de perte de chiffre d’affaires ou de revenus.

En effet, les crises sanitaires ne font pas aujourd’hui l’objet d’un dispositif assurantiel. Les conséquences de la pandémie sur les pertes d’exploitation interrogent donc la contribution des compagnies d’assurance à la crise en cours.

Celles‑ci doivent également nous amener à imaginer de nouveaux mécanismes d’assurance des pertes d’exploitation liées à des menaces ou des crises sanitaires graves.

Car en effet, si le Gouvernement, considérant que nous sommes en état de guerre, a pris des dispositions salutaires pour limiter les conséquences économiques et sociales de cette crise (droit au chômage partiel pour les salariés, report ou annulation de charges et de cotisations sociales pour les entreprises, possibilité de souscrire des prêts en procédure accélérée…), il n’en demeure pas moins qu’il y a un certain nombre de secteurs d’activités qui sont les laissés pour compte de ces mesures.

À titre d’exemple, un restaurateur qui avait engagé ses fonds personnels dans son exploitation pour éviter d’avoir recours à l’emprunt, se retrouve aujourd’hui confronté à la double peine : sans revenu et dans l’obligation de souscrire un prêt qui donnera lieu à des intérêts qu’il n’avait pu anticiper.

De même, un kinésithérapeute qui a dû fermer son cabinet pour ne pas mettre en danger la santé de ses patients est désormais privé de tout revenu.

C’est la raison pour laquelle, alors que toute la Nation a été mise à contribution pour participer à l’effort de solidarité, il apparaît indispensable que les compagnies d’assurance soient elles‑mêmes associées aux mécanismes de compensation des dommages causés par la pandémie du covid‑19.

Certes, la Fédération française de l’assurance (FFA) a annoncé que la profession participerait à hauteur de 400 millions d’euros au fonds de solidarité pour les entreprises en difficulté.

Par ailleurs, les assureurs se sont engagés à :

– Ne pas suspendre ni résilier les garanties des contrats des entreprises en difficulté en cas de retard de paiement suite à la pandémie, et ce pour toute la durée de la période de confinement et envisager l’accompagnement pour la reprise d’activité ;

– Différer les paiements des loyers pour les PME et les TPE appartenant aux secteurs dont l’activité est interrompue. Pour rappel, les assureurs ont un parc immobilier important qui peut être loué à des professionnels ;

– Prendre en charge au titre des contrats, les indemnités journalières des personnes fragiles (c’est‑à‑dire les personnes en affection de longue durée et les femmes enceintes), placées en arrêt de travail selon la procédure prévue par la Sécurité Sociale (dans la limite de 21 jours d’arrêt de travail et dans les mêmes conditions qu’un arrêt de travail pour maladie prescrit par un médecin) ;

Cependant, le confinement faisant tomber la notion d’aléa, indissociable de l’assurance, (en plus de la mutualisation des risques) la situation actuelle s’apparente pour les assureurs à une interdiction administrative d’exploiter et non à une perte d’exploitation résultant d’un aléa.

1 ‑ Il est donc proposé, à l’article 1er, de créer un mécanisme d’assurance facultatif des pertes d’exploitation liées à des menaces ou crises sanitaires graves en insérant un chapitre V bis au titre II du livre Ier du code des assurances.

L’article 1er précise en outre le calcul de l’indemnisation pour tenir compte des aides publiques sollicitées par l’assuré, les conditions de fixation de la prime et le plafonnement des franchises, afin de circonscrire de manière équilibrée le mécanisme créé.

Cela permet notamment de tenir compte de la temporalité de la crise, au bénéfice des assurés (avec le versement d’acomptes durant la crise) ou des assureurs (en intégrant dans la période ciblée la reprise d’activités durant quelques semaines).

Ce mécanisme serait financé par une cotisation additionnelle, sur le modèle de ce qui est prévu pour l’assurance des risques de catastrophes naturelles. Dans les deux cas, afin que la charge financière reste supportable pour l’État en ce qui concerne le régime d’indemnisation covid‑19, et que le risque futur reste assurable pour le régime d’assurance, ces dispositifs seraient construits en retenant le cadre d’activation suivant :

– Un évènement exceptionnel de grande ampleur aux conséquences graves : c’est le cas du Covid‑19 ;

– Une couverture des conséquences de décisions de puissance publique : interdictions de rassemblement, de séminaires, restrictions de circulation, etc. ;

– Des secteurs donnés, jugés particulièrement touchés (hôtellerie – restauration, transport, etc.) ;

– Dans des zones déterminées ou éventuellement sur tout le territoire.

2 ‑ L’article 2 prévoit en complément un dispositif incitatif à la souscription de l’assurance. Un crédit d’impôt sur les sociétés au titre de la souscription d’une couverture des pertes d’exploitation en cas de menace ou crise sanitaire grave est ajouté au code général des impôts.

3 ‑ L’article 3 prévoit la compensation des pertes de recettes résultant pour l’État des dispositions de la présente loi.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi que nous vous proposons d’adopter.

 


proposition de loi

Article 1er

I. – Après le chapitre V du titre II du livre Ier du code des assurances, il est inséré un chapitre V bis ainsi rédigé :

« CHAPITRE V BIS

« L’assurance des pertes d’exploitation liées
à des menaces ou crises sanitaires graves

« Art. L. 1257. –  es contrats d’assurance souscrits par toute personne physique ou morale autre que l’État et garantissant les pertes d’exploitation ouvrent droit à la garantie de l’assuré contre les effets des menaces ou crises sanitaires graves

« Sont considérées comme les effets des menaces sanitaires graves, au sens du présent chapitre, les pertes d’exploitation ayant eu pour cause déterminante les restrictions ou interdictions de déplacements et de réunions ou les fermetures ou restrictions d’ouverture d’établissements édictées afin de prévenir et de limiter les conséquences de ces menaces sanitaires sur la santé de la population.

« L’état de menace sanitaire grave est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où la menace sanitaire grave a conduit à prescrire des mesures mentionnées au deuxième alinéa du présent article ainsi que la nature des dommages résultant de cette menace sanitaire et les secteurs d’activité couverts par la garantie prévue au premier alinéa.

« Art. L. 1258. – Les contrats d’assurance couvrant les pertes d’exploitation en cas de menace ou crise sanitaire grave doivent garantir à l’assuré, dans les limites mentionnées à l’article L. 125‑9, une indemnisation dont le montant correspond à la baisse de son résultat brut d’exploitation due aux mesures prises en application du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique.

 

 « Cette baisse est estimée en comparant, d’une part, le résultat brut d’exploitation de l’assuré au cours de la période durant laquelle ces mesures ont un impact sur celui‑ci et, d’autre part, son résultat brut d’exploitation moyen, au cours de la même période, sur les cinq derniers exercices clos ou, à défaut, sur les derniers exercices clos disponibles.

« Le calcul de la prime couvrant cette garantie prend en compte l’existence des dispositifs législatifs et règlementaires permettant à l’assuré de limiter la baisse de son résultat d’exploitation, notamment le placement des salariés en position d’activité partielle en application du chapitre II du titre II du livre Ier de la cinquième partie du code du travail. En cas de modification de ces dispositifs de nature à justifier une modification du montant de la prime, l’assureur soumet à l’assuré un projet d’avenant fixant un nouveau montant dans les trente jours suivant l’entrée en vigueur de cette modification.

« Art. L. 1259. – Les indemnisations résultant de la garantie prévue à l’article L. 125‑8 ne peuvent faire l’objet d’aucune franchise non prévue explicitement par le contrat d’assurance. Leur total ne peut excéder 0,2 % du chiffre d’affaires de l’assuré constaté lors du dernier exercice clos. Ne sont pas prises en compte dans ce total les franchises éventuellement prévues, dans des conditions conformes à celles fixées par le décret mentionné à l’article L. 125‑13, dans l’hypothèse où l’assuré n’a pas sollicité l’application des dispositions du chapitre II du titre II du livre Ier de la cinquième partie du code du travail alors que celles‑ci étaient applicables.

« Les franchises éventuelles doivent également être mentionnées dans chaque document fourni par l’assureur et décrivant les conditions d’indemnisation. Ces conditions doivent être rappelées chaque année à l’assuré.

« Art. L. 125 10. ‑ La garantie est couverte par une prime ou cotisation additionnelle, individualisée dans l’avis d’échéance du contrat mentionné à l’article L. 125‑7 et calculée à partir d’un taux unique défini par arrêté pour chaque catégorie de contrat. Ce taux est appliqué au montant de la prime ou cotisation principale ou au montant des capitaux assurés, selon la catégorie du contrat.

« Art. L. 12511. ‑ Les indemnisations résultant de cette garantie doivent être attribuées aux assurés dans un délai de trois mois à compter de la date de remise de l’état estimatif des pertes subies, sans préjudice de dispositions contractuelles plus favorables.

« En tout état de cause, sans préjudice de stipulations plus favorables, une provision sur l’indemnisation due au titre du présent chapitre est versée à l’assuré au moins une fois par mois à compter de la première mesure prise en application du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique ayant un impact sur son résultat brut d’exploitation. Les modalités de ce versement, notamment le mode de calcul de cette provision, sont fixées par le décret prévu à l’article L. 125‑13 du présent code.

« Lorsque l’assureur ne respecte pas l’un des délais prévus aux deux premiers alinéas du présent article, la somme à verser à l’assuré est majorée de plein droit d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal.

« Art. L. 12512. – Toute clause contraire aux dispositions du présent chapitre dans les contrats d’assurance est nulle d’ordre public. Toutefois, les parties peuvent décider que les périodes mentionnées au premier alinéa de l’article L. 125‑8 sont prolongées, dans une limite de trois mois, lorsque l’activité exercée par l’assuré est, par sa nature, susceptible de conduire à une forte augmentation de son résultat d’exploitation avant impôt à l’issue de la fin de la menace ou de la crise sanitaire.

« Art. L. 12513. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent chapitre. »

Article 2

Le titre Ier de la première partie du livre Ier du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Après l’article 220 quater B, il est inséré un article 220 quater C ainsi rédigé :

« Art. 220 quater C Le crédit d’impôt défini à l’article 244 quater Y est imputé sur l’impôt sur les sociétés dû par l’entreprise au titre de l’exercice au cours duquel la dépense mentionnée au même article 244 quater Y a été exposée. Si le montant du crédit d’impôt excède l’impôt dû au titre dudit exercice, l’excédent est restitué. » ;

2° La section II du chapitre IV est complétée par un L ainsi rédigé :

« L) Crédit d’impôt au titre de la souscription d’une couverture des pertes d’exploitation en cas de menace ou crise sanitaire grave

« Art. 244 quater Y. – Les entreprises ayant souscrit un contrat d’assurance régi par le chapitre V bis du titre II du livre Ier du code des assurances bénéficient d’un crédit d’impôt correspondant à 80 % de la prime qu’elles acquittent à ce titre. »

Article 3

Les charges et les pertes de recettes résultant pour l’État des dispositions de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.