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N° 2952

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 mai 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à encadrer strictement la rétention administrative
des familles avec mineurs,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Florent BOUDIÉ, Gilles LE GENDRE, Guillaume VUILLETET, Yaël BRAUNPIVET, Coralie DUBOST, Stéphane MAZARS, Caroline ABADIE, JeanFrançois ELIAOU, Bérangère ABBA, PieyreAlexandre ANGLADE, Laetitia AVIA, Émilie CHALAS, Nicole DUBRÉCHIRAT, Christophe EUZET, JeanMichel FAUVERGUE, Raphaël GAUVAIN, Guillaume GOUFFIERCHA, Émilie GUEREL, Marie GUÉVENOUX, Dimitri HOUBRON, Sacha HOULIÉ, Catherine KAMOWSKI, Alexandra LOUIS, Fabien MATRAS, Ludovic MENDES, JeanMichel MIS, Naïma MOUTCHOU, Valérie OPPELT, Didier PARIS, Pierre PERSON, JeanPierre PONT, Bruno QUESTEL, Rémy REBEYROTTE, Thomas RUDIGOZ, Pacôme RUPIN, Jean TERLIER, Alice THOUROT, Alain TOURRET, Hélène ZANNIER, Annie CHAPELIER, Florence GRANJUS, Sonia KRIMI, AnneChristine LANG et les membres du groupe La République en Marche et apparentés.

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis son apparition dans le droit français des étrangers, au début des années quatre‑vingts, la rétention administrative des familles accompagnées d’enfants mineurs n’a cessé d’être l’objet d’intenses débats.

La privation des libertés qui la caractérise, l’acuité due à la vulnérabilité toute particulière des enfants, l’atteinte portée au cercle familial expliquent, bien sûr, que la rétention administrative des mineurs soit devenue le théâtre privilégié des controverses juridiques et politiques qui animent depuis plus de quarante ans la définition des politiques migratoires.

À cela s’ajoute le constat que l’enfant se place, dans le vaste ensemble du droit des étrangers, à la croisée d’injonctions contradictoires.

Contradiction entre l’application d’une mesure privative de liberté et la notion même d’« intérêt supérieur de l’enfant » telle que reconnue par la convention des Nations Unies relative au droit des enfants.

Contradiction, tout autant, entre l’universalité des protections dues à chaque enfant et la capacité des États ‑ souveraine, par essence ‑ à fixer les règles de l’entrée et du séjour des étrangers sur son sol et à en tirer la conséquence ultime lorsqu’ils contreviennent à ces mêmes règles : l’éloignement, y compris pour les familles composées d’enfants mineurs.

Placé au cœur de contradictions aussi puissantes, le législateur se doit de viser l’exigence de proportionnalité entre des principes susceptibles d’entrer en conflit.

C’est à cette conciliation que la présente proposition de loi entend apporter plusieurs transformations, considérant que le régime juridique de la rétention administrative applicable depuis la loi du 7 mars 2016 souffre de protections insuffisantes au regard des vulnérabilités propres aux familles et à leurs enfants.

À cette fin, l’article 1er premier rend obligatoire la transmission par le Gouvernement, chaque année au Parlement, de l’ensemble des données relatives à la mise en oeuvre de la rétention administrative des familles accompagnées de mineurs au cours de l’année civile précédente.

L’article 2 réduit le périmètre de la rétention administrative des familles et l’interdit pour les femmes enceintes, tout en prévoyant l’intervention du juge des libertés et de la détention dès la décision de placement prise par l’autorité administrative, sur la base d’une durée maximale de rétention limitée à cinq jours, assortie d’un examen médical obligatoire permettant d’établir l’état de santé du mineur et de la personne qui l’accompagne.

Dans un souci de transparence, l’article 3 fixe l’obligation, pour tous les lieux de rétention habilités à recevoir des familles, de tenir un registre précisant le nombre, l’âge, les données relatives à l’état de santé physique et psychologique ainsi qu’à la durée de rétention des mineurs.

L’article 4 établit des mesures dérogatoires pour le département de Mayotte compte tenu du contexte de fortes tensions sociales, économiques et sanitaires résultant des conditions migratoires propre à l’archipel des Comores.

L’article 5 prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard un an après l’entrée en vigueur de la présente proposition de loi, un rapport d’évaluation relatif à mise en œuvre du nouveau régime juridique de la rétention administrative des familles avec mineurs.

 


proposition de loi

Article 1er

Après le l de l’article L. 111‑10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un m ainsi rédigé :

« m) Le nombre, l’âge, les données relatives à l’état de santé physique et psychologique ainsi que la durée individuelle et moyenne de placement des mineurs et de leurs familles retenus dans les conditions de l’article L. 551‑1. »

Article 2

L’article L. 551‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié

1° Le III bis est ainsi modifié :

a) À la seconde phrase du premier alinéa, après le mot « que », sont insérés les mots : « de manière exceptionnelle et » ;

b) Le 3° est abrogé ;

c) Les sixième et septième alinéas sont remplacés par onze alinéas ainsi rédigés :

« La durée du placement en rétention de l’étranger accompagné d’un mineur est la plus brève possible, eu égard au temps strictement nécessaire à l’organisation de son départ.

« Dès le placement en rétention, l’autorité administrative saisit le juge des libertés et de la détention qui statue sur la légalité de la mesure de placement en rétention dans les vingt‑quatre heures suivant sa saisine, dans les conditions prévues au chapitre II.

« Lorsque l’autorité administrative envisage de prolonger la rétention au‑delà de quarante‑huit heures, elle saisit à nouveau le juge des libertés et de la détention, qui autorise cette prolongation :

« 1° en cas d’urgence absolue ou de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ;

« 2° ou lorsque l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte de l’obstruction volontaire faite à son éloignement ;

« 3° ou lorsque l’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la mesure d’éloignement, une demande de protection contre l’éloignement au titre du 10° de l’article L. 511 4 ou du 5° de l’article L. 521‑3 ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 551‑3 et L. 556‑1.

« Le juge statue dans les vingt‑quatre heures suivant sa saisine, dans les conditions prévues au chapitre II. S’il ordonne cette prolongation, celle‑ci court, à compter de l’expiration du premier délai de quarante‑huit heures, pour une nouvelle période d’une durée maximale de trois jours.

« Les lieux de rétention où sont placés des étrangers accompagnés dun mineur bénéficient de locaux isolés et spécifiquement destinés à l’accueil des familles, équipés en matériels de puériculture, d’un espace de détente et de promenade à l’air libre, comportant des chambres séparées et adaptées.

« Le personnel de santé est avisé de la présence d’un mineur dès son entrée dans un lieu de rétention aux fins d’organiser, dans les meilleurs délais, tout examen médical permettant d’établir l’état de santé physique et psychologique du mineur et de l’étranger qui l’accompagne.

« Les données médicales ainsi recueillies sont transmises sans délai au juge des libertés et de la détention aux fins d’apprécier la vulnérabilité des personnes retenues et d’en tenir compte dans ses décisions de maintien et de prolongation de la rétention.

« L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale pour l’application du présent article. »

2° Le IV est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les femmes enceintes ne peuvent faire l’objet d’une décision de placement en rétention. »

Article 3

Le premier alinéa de l’article L. 553‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il consigne le nombre, l’âge, la durée individuelle de rétention ainsi que les données relatives à l’état de santé physique et psychologique des mineurs et de leurs familles. »

Article 4

Après le 18° de l’article L. 832‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, sont insérés un 18° bis A et un 18° bis B ainsi rédigés :

« 18° bis A Les sixième à douzième et le quatorzième alinéas du III bis de l’article L. 551‑1 ne sont pas applicables à Mayotte ;

« 18 bis B Un décret en Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles le treizième alinéa du III bis de l’article L. 551‑1 s’applique sur le territoire de Mayotte. »

Article 5

Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard un an après l’entrée en vigueur de la présente loi, un rapport d’évaluation relatif à mise en œuvre des nouvelles conditions de la rétention administrative des familles avec mineurs.

Article 6

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.