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N° 2971

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 mai 2020.

PROPOSITION DE LOI

pour une protection des employeurs
contre les conséquences légales du covid19,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Daniel FASQUELLE, JeanPierre DOOR, JeanLouis THIÉRIOT, Mansour KAMARDINE, Bernard PERRUT, Frédérique MEUNIER, Bérengère POLETTI, JeanYves BONY, JeanClaude BOUCHET, JeanJacques GAULTIER, PierreHenri DUMONT, Gérard CHERPION, Véronique LOUWAGIE, Arnaud VIALA, MarieChristine DALLOZ, Patrick HETZEL, Michel VIALAY, JeanLouis MASSON, Éric PAUGET, Damien ABAD, Olivier DASSAULT, Rémi DELATTE, Nicolas FORISSIER, Olivier MARLEIX, Julien AUBERT, JeanPierre VIGIER, Laurent FURST, Annie GENEVARD, Stéphane VIRY,

députés.


 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’épidémie de covid‑19 a des conséquences économiques dont on ne mesure pas encore toute l’ampleur. Alors que le déconfinement se prépare, restent encore de nombreux sujets qui n’ont pas été traités.

Parmi ces questions qui demeurent en suspens, il y a celle de la responsabilité des employeurs à l’égard de leurs salariés. Les articles L. 4121‑1 et L. 4121‑2 du code du Travail créent en effet pour les employeurs un certain nombre d’obligations susceptibles d’engager leur responsabilité, et cela notamment dans les domaines de la santé et de la sécurité des travailleurs. La jurisprudence a eu l’occasion de préciser qu’il s’agit d’une obligation de moyen renforcée : lemployeur engage ainsi sa responsabilité, sauf sil démontre avoir pris les mesures générales de prévention nécessaires et suffisantes pour éviter le risque. (Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14‑24.444 « Air France »). Ainsi, en cas de litige, le respect de cette obligation doit faire lobjet d’une démonstration, indépendamment de l’urgence sanitaire.

Les stratégies de protection à mettre en place par les employeurs pour justifier leur obligation de prévention des risques et des impératifs de leur activité ont été démultipliées en cette période de pandémie et ne cessent d’évoluer, voire de se contredire. Le gouvernement a diffusé, à cet effet notamment, une série de questions/réponses sur les moyens de respecter cette obligation de moyen renforcée de sécurité (qui a glissé vers une obligation de prévention des risques professionnels) alors même que ce guide demeure incomplet et ne cesse d’évoluer.

Or, en raison de l’urgence sanitaire, le chef d’entreprise ne devrait en aucun cas se voir reprocher l’insuffisance des mesures effectivement mises en œuvre en l’absence de violation manifeste des mesures sanitaires préconisées par les pouvoirs publics.

En effet, comment l’employeur peut‑il prévenir tout risque de covid‑19 alors que (i) la pandémie est répandue sur l’entier territoire national depuis février 2020 avec  délai d’incubation de 14 jours rendant impossible l’établissement  de tout lien de causalité directe entre la contamination et le travail, (ii) qu’en raison du confinement brutal de la population, il lui a sans doute été difficile d’organiser sereinement  les procédures de prévention avec les instances représentatives du personnel (IRP) et  de former constamment les salariés aux mesures de prévention qui ne cessent d’évoluer, (iii) que l’ensemble des équipements de protection individuelle ne sont toujours pas disponibles sur le territoire national (masques), que (iv) les mesures à prendre ne sont pas identifiées par les pouvoirs publics dans tous les secteurs et qu’enfin (v), les mesures d’hygiène et de distanciation sociale, dites « barrières » définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance ? À noter par ailleurs que ces mesures barrières et de distanciation sociale ne sont toujours pas précisément définies à ce jour par le gouvernement.

Il est à noter également que c’est le salarié lui‑même le principal acteur du respect des mesures de préventions essentielles (port du masque, lavage régulier des mains, distanciation sociale) telles qu’énoncées par le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire faire à l’épidémie de covid‑19 et que conformément aux dispositions de l’article L. 4122‑1 du code du travail, il doit veiller à sa propre sécurité ainsi qu’à celle de ses collègues.

Á noter enfin que dans le cadre de la grippe H1N1 en 2009 dont les conséquences sanitaires ne sont pourtant absolument pas comparables à celles engendrées par le Covid‑19, l’Administration avait précisé que lorsque le risque est exclusivement ou principalement d’ordre environnemental, comme une pandémie grippale, les employeurs étaient tenus à une simple obligation de moyens (circulaire de la Direction générale du travail (DGT) 2009/16 du 3 juillet 2009) alors qu’à l’époque, la jurisprudence avait consacré l’obligation de résultat.

L’urgence sanitaire impose donc, comme en 2009, de mettre en place un cadre juridique d’exception, sécurisé et clair, visant non pas à atténuer les obligations du chef d’entreprise en termes de protection de la sécurité et de la santé de ses salariés au travail, mais à exonérer l’engagement de sa responsabilité, dès lors qu’il a suivi les recommandations sanitaires gouvernementales ou professionnelles édictées dans la cadre de la pandémie covid‑19. Cette exonération de responsabilité était d’ailleurs envisagée dès l’origine, dans la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, directive qui précise en son article 5.4 que les États ont la possibilité «  de prévoir lexclusion ou la diminution  de la responsabilité des employeurs pour des faits dus à des circonstances qui sont étrangères à ces derniers, anormales et imprévisibles, ou à des évènements exceptionnels dont les conséquences nauraient pu être évitées malgré toute la diligence déployée », sans qu’elle n’ait jamais été transposée en droit français. Il ne fait aucun doute que l’épidémie de covid‑19, qui justifie le confinement de la moitié de la population mondiale, constitue une telle situation exceptionnelle et qu’il est plus que temps que le France transpose cette directive.

 


proposition de loi

Article 1er

Le chapitre Ier du titre II du livre 1er de la quatrième partie du code du travail est complété par un article L. 4121‑6 ainsi rédigé : 

« Art. L. 41216. – La responsabilité de l’employeur ne peut être engagée sur le fondement des dispositions du présent chapitre dès lors que les faits en cause sont dus à des circonstances qui sont étrangères à l’employeur, anormales et imprévisibles, ou à des évènements exceptionnels dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toute la diligence déployée, notamment dans le cas de faits ayant entraîné la déclaration par les pouvoirs publics d’un état d’urgence sanitaire. 

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables en cas de violation manifeste par l’employeur des recommandations sanitaires gouvernementales ou professionnelles. »

Article 2

I. ‑ Peuvent obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices les personnes qui ont été atteintes du covid‑19 lors de l’exercice de leur activité professionnelle.

II. ‑ Il est créé, sous le nom de « Fonds d’indemnisation des victimes du coronavirus en milieu professionnel », un établissement public national à caractère administratif, doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, placé sous la tutelle des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget.

Cet établissement a pour mission de réparer les préjudices définis au I du présent article.

III. ‑ Le demandeur justifie de l’exposition au covid‑19 lors de l’exercice de son activité professionnelle et de l’atteinte à l’état de santé de la victime. 

Le demandeur informe le fonds des autres procédures relatives à l’indemnisation des préjudices définis au I éventuellement en cours. Sous réserve de l’application de l’article L. 4121‑6 du code du travail, si une action en justice est intentée, il informe le juge de la saisine du fonds.

IV. ‑ Les droits à l’indemnisation des préjudices mentionnés au I se prescrivent par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé. 

V. ‑ Le fonds est alimenté par un prélèvement sur les contrats d’assurance de biens dans les conditions suivantes.

Ce prélèvement est assis sur les primes ou cotisations des contrats d’assurance de biens qui garantissent les biens situés sur le territoire national et relevant des branches 3 à 9 de l’article R. 321‑1 du code des assurances, dans sa rédaction en vigueur à la date de publication de la loi n° 2013‑1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, et souscrits auprès d’une entreprise mentionnée à l’article L. 310‑2 du même code.

Le montant de la contribution, compris entre 0 € et 6,50 €, est fixé par arrêté du ministre chargé des assurances.

Cette contribution est perçue par les entreprises d’assurance suivant les mêmes règles et sous les mêmes garanties et sanctions que la taxe sur les conventions d’assurance prévue à l’article 991du code général des impôts. Elle est recouvrée mensuellement par le fonds d’indemnisation. 

VI. ‑ Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.

Article 3

La charge résultant pour l’État de l’article 2 est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.