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N° 3207

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juillet 2020.

PROPOSITION DE LOI

relative à la préservation de la ressource en eau
au moyen des solutions fondées sur la nature,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Frédérique TUFFNELL, Matthieu ORPHELIN, Paula FORTEZA, Cédric VILLANI, Delphine BAGARRY, Émilie CARIOU, Aurélien TACHÉ, Yolaine de COURSON, Annie CHAPELIER, Guillaume CHICHE, Jennifer De TEMMERMAN, Albane GAILLOT, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Sébastien NADOT, Sabine THILLAYE, Martine WONNER, Danièle HÉRIN, Laurence VANCEUNEBROCK, Maud PETIT, Maina SAGE, Mjid EL GUERRAB, Yannick HAURY, Nathalie SARLES, Sandrine JOSSO, Emmanuelle MÉNARD, Cécile RILHAC, Frédérique DUMAS, David LORION, Erwan BALANANT, Valérie PETIT, Loïc PRUDHOMME, Bastien LACHAUD, Jimmy PAHUN, Barbara POMPILI, Sandrine LE FEUR, Loïc DOMBREVAL, Huguette TIEGNA, Anissa KHEDHER, Sophie PANONACLE, Patrick LOISEAU,

Députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les terres d’eau ont depuis près de deux millénaires une détestable réputation d’insalubrité et de maléfices.  Cela s’inscrit dans une volonté plus générale de domestiquer le « sauvage ». Malgré leurs atouts et pour différentes raisons, notamment économiques ou hygiénistes, l’homme s’est consacré pendant des siècles à l’assèchement des zones humides et à en faire disparaître toute forme de vie sauvage[1] (drainage agricole subventionné, artificialisation pour grand projet ou lotissement…).

D’après une étude reprise par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), les zones humides naturelles ont perdu dans le monde 35 % de leur surface entre 1970 et 2015 (un rythme trois fois supérieur à celui de la déforestation). Ce même rapport estime par ailleurs que 87 % des ressources issues des zones humides ont été perdues depuis le début du 18e siècle à l’échelle mondiale ([2]).

Ce véritable effondrement de la biodiversité ([3]) (qui ne se résume malheureusement pas qu’aux zones humides) met en péril les milieux aquatiques et la biodiversité associée mais également les services écosystémiques qui en dépendent, notamment la préservation de la ressource en eau ([4]) et la protection contre les risques naturels liés à l’eau (sécheresse, inondation, submersion), ou encore la capacité des sols à fixer le carbone.

Face à ce constat, la communauté scientifique appelle à des changements en profondeur sur les plans économique, social, politique et technologique ([5]). Soutenue par l’ensemble des associations environnementales, elle estime qu’il est urgent d’inverser la tendance, et enjoint les décideurs à adopter des politiques de gestion, de protection, de restauration et de valorisation ambitieuses et globales en faveur des zones humides et de leurs territoires ([6]) ‑ on parle alors, notamment, de solutions fondées sur la nature. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l’Office Français de la Biodiversité, les zones humides sont légalement définies selon des critères alternatifs pédologique ou botanique. Sans revenir sur cette définition il demeure toutefois primordial de renforcer la portée de cette définition légale en la plaçant en tête du chapitre relatif à l’eau dans le Code de l’environnement. Il s’agit d’un acte symbolique fort qui positionne la préservation, la gestion et la restauration des zones humides comme l’un des fondements de la politique de l’eau dans son ensemble (article 1).

Par ailleurs (article 2), en plus de fixer un objectif de non‑détérioration fonctionnelle des zones humides, il convient de renforcer leur lien avec l’objectif d’aménagement durable du territoire dans son ensemble en affirmant notamment l’intérêt général de leur gestion durable, de leur création, de leur restauration et de leur valorisation, et en reconnaissant l’importance des terres d’eau dans la lutte contre le changement climatique et l’atténuation de ses effets.

Améliorer la gestion durable et la préservation des zones humides passe également par leur valorisation en tant que solutions fondées sur la nature dans le cadre de projets de territoires dits « projets de valorisation de terres d’eau » ou PVTE dont les objectifs s’appliquent à tout projet relatif à la gestion quantitative de l’eau (article 3).

Eu égard à leur importance en termes de biodiversité et à la quantité de carbone stocké dans les tourbières, il est crucial d’éviter la dégradation de celles encore intactes et de restaurer celles qui peuvent l’être. Cet impératif est incompatible avec l’exploitation des tourbes. Il convient donc d’interdire l’exploitation des tourbières et l’importation de tourbe pour permettre un retour à leur rôle de puit de carbone (article 4).

Ensuite (article 5), la destruction ou détérioration des zones humides, dont le caractère exceptionnel n’est pas reconnu, est largement due à l’ignorance‑même de leur caractère de terres d’eau et des services qu’elles rendent à ce titre. Il importe donc d’identifier les zones humides à l’échelle la plus fine possible, d’où l’introduction des zones humides dans le zonage des PLU(i).

Enfin, les politiques publiques dédiées à la protection des espaces naturels manquent souvent cruellement de soutien financier. Les ZH constituent un formidable socle pour la transition écologique de notre société et il convient d’y accompagner les pratiques vertueuses. Aussi, il est proposé de créer un fonds régional d’accompagnement des investissements en zones humides (FRIZH), lequel pourrait accompagner la transition agro‑écologique en participant au financement de paiements pour services environnementaux (cahiers des charges ambitieux), mais également tous les projets socialement et environnementalement vertueux à condition de préserver les fonctionnalités essentielles des milieux humides (article 6).

 


proposition de loi

Article 1er

Le code de l’environnement est ainsi modifié :

1° Après le troisième alinéa de l’article L. 210‑1, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Le respect des équilibres naturels implique la préservation et la restauration des fonctionnalités naturelles des écosystèmes aquatiques. Les écosystèmes aquatiques comprennent le réseau hydrographique, cours d’eau et lacs naturels, les eaux souterraines, en particulier les nappes d’accompagnement, et les zones humides. Les interactions entre eux font partie des équilibres naturels à respecter, avec un enjeu majeur en tête de bassin versant. Dans un état suffisamment préservé ou restauré, les écosystèmes aquatiques remplissent notamment des fonctions hydrologiques, biogéochimiques ou de support de biodiversité, particulières. Ces fonctions sont essentielles à la reconquête de la biodiversité, à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique et participent à la lutte contre les pollutions. À ce titre, ils constituent des éléments essentiels du patrimoine naturel et paysager de la nation.

« Les zones humides sont les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année. Les zones humides forment des milieux diversifiés tels que notamment, les marais, les mares, les mangroves, les tourbières, les forêts alluviales, les ripisylves, les prairies humides, les grands territoires d’étangs.

« Un décret précise les modalités de leur caractérisation pour l’application de la police de l’environnement. » ;

2° Après le mot : « humides », la fin du 1° du I de l’article L. 211‑1 est supprimée.

Article 2

L’article L. 211‑1‑1 du même code est ainsi rédigé :

« Art. L. 21111. – I. – La préservation et la gestion durable des zones humides décrites à l’article L. 210‑1 ainsi que leur restauration, leur création et leur valorisation sont d’intérêt général. Les politiques nationales, régionales et locales d’aménagement des territoires ruraux, urbains et périurbains et l’attribution des aides publiques tiennent compte des particularités de conservation, d’exploitation et de gestion durable des zones humides et de leur contribution aux politiques de préservation de la diversité biologique, du paysage, de gestion des ressources en eau, de prévention des inondations, à la captation de carbone, à l’adaptation au changement climatique et à l’atténuation de ses effets sur le cycle de l’eau, notamment par un aménagement du territoire, un urbanisme, une agriculture, un pastoralisme, une sylviculture, une chasse, une pêche et un tourisme adaptés. À cet effet, l’État et ses établissements publics, les régions, les départements, les communes et leurs groupements veillent, chacun dans son domaine de compétence, à la cohérence des diverses politiques publiques sur ces territoires. Pour l’application du X de l’article L. 212‑1, l’État veille à la prise en compte de cette cohérence dans les schémas d’aménagement et de gestion des eaux.

« II. – Les politiques publiques et les activités humaines visent un objectif de non‑détérioration des fonctionnalités naturelles des zones humides. Des dérogations motivées au respect de cet objectif peuvent être accordées pour des projets d’intérêt général majeur, dans les conditions définies par décret en Conseil d’État. »

Article 3

I. – Le code de l’environnement est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 211‑1‑1, il est inséré un article L. 211‑1‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 21112.  Les collectivités territoriales ou leurs groupements valorisent leurs zones humides dans le cadre de la gestion et du développement durable de leur territoire en fixant des objectifs de préservation et de restauration adaptés à la diversité de ces milieux, et à leur intérêt environnemental particulier ou à leur caractère stratégique pour la gestion de l’eau ou pour l’adaptation au changement climatique, en tant que solutions fondées sur la nature. Cet intérêt ou ce caractère stratégique peut être existant ou potentiel.

« Ces projets stratégiques dits « projets de valorisation de terres d’eau » sont validés par le préfet coordonnateur de bassin dans des conditions fixées par décret. »

« Tout projet ou programme relatif à la gestion structurelle de l’eau dans un bassin versant poursuit les objectifs du présent article ».

2° Le 4° du II de l’article L. 211‑3 est abrogé.

3° L’article L. 211‑12 est ainsi modifié :

a) Après le mot : « humides », la fin du 3° du II est ainsi rédigée : « faisant l’objet d’une valorisation en application du L. 211‑1‑2 ».

b) À la fin de la dernière phrase du III, la référence : « à l’article L. 212‑5‑1 » est remplacée par les mots : « au projet de valorisation prévus au L. 211‑1‑2 ».

« Au V bis, les mots « dites “ zones stratégiques pour la gestion de l’eau” » sont supprimés ;

4° Le L. 211‑13 est ainsi modifié :

Au I bis de l’article L. 211‑13 les mots : « stratégiques pour la gestion de l’eau mentionnées à » sont remplacés par les mots « humides mentionnées au 3° du II de ».

5° Le 3° du I de l’article L. 212‑5‑1 est ainsi rédigé :

« 3° Établir le projet de valorisation de terres d’eau mentionné au L. 211‑1‑2. »

Article 4

Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, l’atténuation de ses effets et afin d’enrayer le phénomène d’érosion de la biodiversité :

1° L’exploitation des tourbières est interdite à partir du 1er janvier 2022.

2° L’importation de produits comportant de la tourbe est interdite dans les six mois à compter de la promulgation de la présente loi.

Article 5

Après l’article L. 113‑30 du code de l’urbanisme, il est inséré un article L. 113‑31 ainsi rédigé :

« Art. L. 11331.  Le plan local d’urbanisme intercommunal comporte une délimitation des zones humides de leur territoire, et, le cas échéant, des bassins fonctionnels d’alimentation en eau de celles‑ci.

« Cette délimitation est précédée d’une concertation auprès des propriétaires, ayants‑droit, exploitants ou usagers réguliers, titulaires de droits réels ou personnels sur les parcelles concernées, et, le cas échéant, des associations agréées pour la défense de l’environnement, des départements, et des opérateurs fonciers concernés.

« Cette concertation donne lieu à un rapport transmis aux autorités locales compétentes pour la gestion de l’eau, ainsi qu’au préfet coordonnateur de bassin. »

Article 6

Après la section 6 du chapitre III, du titre Ier du Livre II du code de l’environnement est insérée une section 7 ainsi rédigée :

« Section 7

« Fonds dédié à la gestion durable, la protection et la restauration des zones humides

« Art. L. 21323.  Il est créé un fonds régional d’investissement zones humides qui coordonne les interventions financières des collectivités territoriales et des entreprises, en vue d’assurer la gestion durable, la protection et la restauration des zones humides mentionnées à l’article L. 211‑1 du code de l’environnement.

« Le fonds régional participe également au financement des études préalables à la réalisation de ces opérations, à l’exclusion des opérations motivées par les obligations découlant de l’article L. 122‑1‑1.

« Pour la mise en œuvre de ce dispositif, une convention confiant la charge de regrouper les fonds et de verser les aides peut être passée avec une institution financière choisie par les contributeurs mentionnés au premier alinéa.

« La présidence de ces fonds régional d’investissement zones humides est assurée par le président du conseil régional.

« Les autres modalités d’organisation et de fonctionnement des fonds régionaux sont définies par décret. »

Article 7

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par l’augmentation du taux des redevances prévues à l’article L. 213‑10 du code de l’environnement.


([1])  Rapport parlementaire « Terres d’eau, terres d’avenir » de Mme la Députée Frédérique Tuffnell et de M. le Sénateur Jérôme Bignon.

([2])  Rapport « Perspectives mondiales des zones humides : état des zones humides à l’échelle mondiale et des services qu’elles fournissent à l’humanité », Messrs. Royal C. Gardner et C. Max Finlayson.

([3])  Note n° 10 de l’OPECST, janvier 2019, « Biodiversité : extinction ou effondrement ? ».

([4])  Rapport d’information N° 1101 de la commission du développement durable, de MM. Adrien Morénas et Loïc Prudhomme, sur la ressource en eau.

([5])  Résumé à l’intention des décideurs du rapport sur l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques de l’IPBES. p. 7.

([6])  IPBES (2018) : Summary for policymakers of the assessment report on land degradation and restoration.