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N° 3218

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juillet 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à soutenir les ménages en difficulté, en raison de la crise sanitaire, à se maintenir dans leur logement,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Stéphane PEU, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, MarieGeorge BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, JeanPaul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, JeanPaul LECOQ, JeanPhilippe NILOR, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise du logement dans notre pays est très préoccupante. Année après année, le constat s’aggrave : se loger convenablement, durablement et à un prix soutenable est hors de portée d’un nombre croissant de nos concitoyens. Dans ces conditions, les drames du mal‑logement se banalisent : ici un immeuble s’effondre emportant ses occupants, là un incendie se déclare dans une cage d’escalier vétuste livrant ses habitants aux flammes … et quand ce ne sont pas des morts que l’on compte, c’est le nombre toujours plus préoccupant de mal logés et de sans‑logis qui explose : 12,1 millions de personnes sont désormais en situation de fragilité par rapport au logement.

Cette situation est insupportable et indigne de la sixième puissance économique du monde.

Figurant, pourtant, au premier rang des préoccupations de nos concitoyens, le logement est devenu au fil des ans le parent pauvre des politiques publiques. Alors qu’il s’agit d’un droit à valeur constitutionnelle, il apparaît désormais comme un « bien marchand », « un bien d’usage », pire « un bien de consommation » dans les dernières lois qui lui ont été consacré. Cette dérive sémantique sur le papier se traduit concrètement sur le terrain par des décisions absurdes et dangereuses, comme celle du démantèlement du modèle HLM, de la baisse des APL, de la disparition des aides à la pierre. Cette dérive marchande doit cesser, l’actualité récente nous est une incitation supplémentaire à changer de cap.

En effet, l’irruption soudaine et brutale de l’épidémie du covid‑19 a précipité du jour au lendemain notre pays dans une grave crise sanitaire, économique et sociale, plongeant des millions de personnes dans une précarité extrême. En quelques semaines à peine, les associations caritatives ont été submergées par les demandes d’assistance. Les actions de solidarité dans les quartiers populaires se sont multipliées pour permettre à des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants de subvenir à des besoins aussi primordiaux que pouvoir se nourrir.

Si des aides ont été apportées aux entreprises (report des charges, suspension du paiement des loyers et des fluides…) pour qu’elles puissent passer la crise et maintenir leurs activités et les emplois, les particuliers lourdement impactés, doivent être davantage accompagnés qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent. Il y a une véritable urgence sociale. Beaucoup de ménages sont déjà en grande difficulté, aussi bien pour s’acquitter de leurs loyers  que pour faire face à leurs échéances de prêt immobilier.

L’Union Sociale pour l’Habitat estime à 10 % l’augmentation des impayés de loyer dans le parc social depuis le début de la crise sanitaire, une situation que connaissent de manière encore plus aiguë les locataires du parc privé et les accédants à la propriété. Une autre étude révèle que près de 17 % de propriétaires ne sont plus en mesure de payer leur mensualité de remboursement de crédit et 24,6 % ont des doutes sur leurs capacités à pouvoir les honorer dans les prochains mois.

Et d’après un sondage de l’IFOP pour la Fondation Jean Jaurès réalisé en début du confinement, 35 % des actifs déclaraient déjà subir une perte de revenus partielle et parmi les populations les plus pauvres, les pertes de revenus partiels atteignent 52 %.

Mais toutes ces données n’ont évidemment rien de surprenant quand on sait que plus de 12 millions de salariés en France ont été placés au chômage partiel par leur entreprise et que les missions d’intérim ont connues un net ralentissement. Le confinement a provoqué la disparition de quelque 475 000 emplois équivalent temps plein dans l’intérim, soit plus de la moitié de ses effectifs. Enfin, de nombreux CDD n’ont pas été renouvelés et le nombre de déclaration d’embauche de plus d’un mois a chuté de 64,9 % pour le seul mois d’avril 2020.

Une situation qui pourrait s’inscrire dans la durée si l’on en croit notamment les récentes projections de la Banque de France qui prévoit la suppression d’un million d’emplois dans le pays et un taux de chômage de 11,8 % mi‑2021. L’ampleur de la crise nécessite à l’évidence des ajustements conséquents et rapides des dispositifs existants pour venir en aide aux ménages en difficultés.

En effet, conscients que nous ne sommes qu’aux prémices d’une crise sociale sans précédent, l’heure n’est pas à la création de nouveaux mécanismes qui pourraient retarder leurs mises en œuvre et donc leur efficience. C’est pourquoi cette proposition de loi suggère plutôt de renforcer ceux qui existent déjà : d’une part, en augmentant leur volume, et d’autre part, en les ouvrant à de nouveaux critères d’attribution.

Parmi ces dispositifs figure le Fond de Solidarité Logement (FSL). Instauré par article 7 de la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, le FSL accorde deux formes d’aides ‑ une subvention ou un prêt ‑ pour faire face aux dépenses à l’entrée dans le logement ou pour s’y maintenir. La gestion de ce fond, que l’État abonde à hauteur de 350 millions d’euros par an, a été transférée depuis le 1er janvier 2005 aux départements. Son fonctionnement dépend depuis de règlements intérieurs votés dans chaque département, ce qui rend son application très hétérogène.

Cet outil pourrait se révéler particulièrement efficace dans le contexte actuel s’il venait à être amélioré. En particulier, nous proposons la mise en place d’une « cellule d’urgence sanitaire » au sein des FSL visant à aider, selon des critères uniques à l’échelle du territoire, les ménages locataires ou accédants à la propriété qui éprouveraient des difficultés de paiements de loyer ou de mensualités de leur prêt immobilier.

Outre le FSL, il convient de revenir sur les attaques répétées ces dernières années contre les APL, en décidant d’en augmenter les montants ainsi que d’en relever les plafonds de ressources.

En effet, depuis le début du quinquennat du Président Macron, les aides au logement ont été durement malmenées. Les sommes qui lui étaient consacrées dans le budget de la nation ont été rabotées dans les lois de finances qui se sont succédé depuis 2017.

Pourtant cette aide à la solvabilisation des ménages est essentielle pour les 6,5 millions de ménages et 13 millions de personnes qui en bénéficient.  Efficaces et ciblées, les APL permettent aux ménages modestes de se loger dignement et d’amortir le coût des loyers. Aujourd’hui, il s’agit en effet du principal facteur de dégradation de leur pouvoir d’achat. Ces attaques répétées et injustifiées, tant économiquement que socialement, sont des coups extrêmement durs portés aux bénéficiaires. Elles conduisent pour chacune d’elles à des pertes sèches de ressources qui restreignent de ce fait, leurs capacités à s’acquitter d’un loyer pourtant toujours plus élevé. Pourtant, depuis maintenant plus de quarante ans, les aides personnelles au logement ont fait la démonstration de leur utilité et de leur capacité à jouer les amortisseurs de crise. Il s’agit en effet de l’un des principaux instruments anti‑pauvreté.

Une récente proposition de loi, portée par le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste au Sénat, visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement a été débattue et adoptée le 4 juin 2020. Elle constitue une belle démonstration que lorsque l’urgence sociale le commande, un consensus politique peut s’établir dans l’intérêt des populations. C’est pourquoi la présente proposition de loi en reprend les dispositions qui permettent de rétablir les APL dans ses fondements.

Nous ne pouvons, en effet, accepter que d’un côté 32,5 millions d’euros soient économisés chaque mois depuis 2017 sur le dos des Français les plus pauvres par la mesure injuste de baisse de 5 euros des APL quand de l’autre, la suppression de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune, décidée au même moment, permet à celles et ceux qui possèdent déjà tout de récupérer annuellement 3,2 milliards d’euros.

Plus que tout autre Gouvernement, celui emmené par le Président Macron, n’a eu de cesse d’attaquer ce dispositif. Ses objectifs politiques ont concrètement conduit à des économies budgétaires importantes (près de 7 milliards sur les aides au logement depuis le début de la mandature), traduction directe du désengagement de l’État.

Les aides personnalisées au logement ont ainsi subi une baisse de 5 euros en 2017, un gel en 2018, puis une sous‑indexation en 2019 par rapport à l’inflation. Parallèlement, les APL Accession ont été supprimées. Dans le cadre de la loi de finances pour 2020, le niveau de revalorisation des APL a également été limité à 0,3 %, en deçà donc de l’inflation et de l’indice de référence des loyers. Ce n’est pas acceptable.

Par ailleurs, il convient ici d’évoquer une mesure déjà votée par le parlement mais qui n’a jusqu’à présent pas été mise en œuvre pour des raisons techniques : la contemporanéisation des APL. Prévue par la loi n° 2018‑1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, elle vise à prendre en compte dans le mode de calcul de l’allocation les ressources du ménage sur les douze derniers mois glissants et à réviser leur montant tous les trois mois.

Très critiquée car il s’agissait avant tout d’une mesure budgétaire visant à faire une économie estimée à 1,3 milliard d’euros dans le budget de l’État dans un contexte économique plus favorable que connaissait alors le pays, le gouvernement aurait sans nul doute tout à y gagner à la mettre en œuvre pour vérifier son caractère social et ainsi réussir à convaincre les sceptiques de son utilité.

Aussi, il est demandé au gouvernement de mettre rapidement en œuvre cette mesure pour les ménages concernés par une perte de revenu liée à la crise sanitaire. Une mesure simple à mettre en œuvre si l’on en croit les déclarations faites par le ministre du logement le 8 juin 2020 à l’Assemblée nationale en répondant à une question du député Stéphane Peu sur le sujet.

Enfin, au regard des difficultés économiques rencontrées par bon nombre de ménages en raison de la crise sanitaire, il convient de décider de prolonger jusqu’au 31 octobre 2020 la trêve hivernale des expulsions afin de protéger les ménages et inciter les bailleurs ‑ publics et privés ‑ à rechercher une solution amiable et éviter une éviction brutale et sans solution.

L’article 1er  de cette proposition prévoit un abondement du FSL à hauteur de 300 millions d’euros et créé une « cellule urgence sanitaire » au sein des FSL pour permettre aux ménages en difficultés financières en raison de la crise sanitaire de pouvoir bénéficier d’une aide pour le paiement des loyers pour les locataires du parc privé ou social, ou des mensualités de prêt immobilier pour les propriétaires occupants. Les règles de fonctionnement de cette « cellule urgence sanitaire » et les critères d’attribution seront annexés aux règlements intérieurs locaux des FSL.

L’article 2 prévoit une contribution des banques à l’effort nécessaire de solidarité nationale. Les établissements bancaires ne pourront en aucun cas refuser de reporter les mensualités des prêts immobiliers des particuliers ayant subi une baisse de revenus en raison de la crise sanitaire. Ils ne pourront pas non plus refuser de suspendre le paiement des annuités d’un emprunt immobilier. Le non‑respect de ces mesures par les organismes prêteurs sera sanctionné par une amende administrative pouvant aller jusqu’à 15 000 euros.

L’article 3 supprime le délai de carence d’un mois pour le versement des aides personnelles au logement. L’instauration de ce délai est largement préjudiciable aux ménages.

L’article 4 permet de revenir sur l’application d’un seuil de non‑versement, aujourd’hui fixé à 10 euros. Il semble nécessaire de supprimer une telle mesure qui est source d’incompréhension et de colère pour les ménages modestes tout comme des étudiants qui bénéficient théoriquement d’une aide mais qui ne leur est pas versée car jugée trop faible par rapport au coût de gestion. Or, l’automatisation des traitements ne justifie plus cet argument aujourd’hui. Certes, cette mesure représente un coût supplémentaire mais les effets sont importants pour les familles les plus modestes dont le budget mensuel se calcule bien trop souvent au centime près.

L’article 5 permet de revenir sur la désindexation des APL opérée par l’article 200 du projet de loi de finances pour 2020. En effet, cet article met en œuvre la désindexation des prestations sociales servies par l’État. Comme en 2019, celles‑ci ne seront revalorisées que de 0,3 % en 2020 quand l’inflation est estimée à 1 % voire 1,2 %, une économie estimée à 200 millions d’euros.

L’article 6 prévoit le relèvement exceptionnel de 175 euros en septembre 2020 des aides au logement, soit l’équivalent de ce que chaque allocataire a perdu, afin compenser le scandale de la baisse des APL en début de mandat du président Macron.

L’article 7 propose la prolongation de la trêve hivernale jusqu’au 31 octobre. Alors que tous les intervenants reconnaissent la difficulté de donner des indications fiables sur l’évolution de la pandémie, nous souhaitons garantir aux locataires leur droit constitutionnel au logement durant cette période spécifique. Nous estimons ainsi que la prorogation de la trêve hivernale jusqu’au 31 mai est insuffisante et qu’il convient de l’allonger jusqu’à l’automne prochain pour mettre sous protection ces populations fragiles, charge à l’État d’indemniser les propriétaires au travers du fonds ad hoc.

L’article 8 constitue le gage financier.


proposition de loi

Article 1er

Après le titre II de la loi n° 2020‑290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid‑19, il est inséré un titre II bis ainsi rédigé :

« TITRE II BIS

« MESURES D’URGENCE SOCIALE DE LUTTE CONTRE L’ÉPIDÉMIE DE COVID‑19

« Art. 18‑1. – I. – Dans le cadre des mesures d’urgence prises pour faire face à la gestion de l’épidémie covid‑19, une cellule « d’urgence crise sanitaire » est créée au sein des fonds de solidarité pour le logement mentionnés à l’article 6 de la loi n° 90‑449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, pour venir en aide aux locataires du parc locatif social ou privé et aux propriétaires occupants ayant subi une perte de revenus en raison de l’épidémie de covid‑19 et se trouvant, par conséquent, en difficulté pour le paiement de leur loyer, ou de leurs mensualités et/ou des charges de copropriété.

« Les fonds de solidarité pour le logement établissent une annexe à leur règlement intérieur dans le cadre des dispositions de l’article 6‑1 de la loi n° 90‑449 du 31 mai 1990 précitée définissant le fonctionnement de la cellule « d’urgence crise sanitaire » et adaptant ses modalités d’intervention fondées sur le critère des difficultés subies suite à une perte de revenus à cause de l’épidémie de covid‑19.

« II. – Le fonds de solidarité pour le logement est abondé par l’État à hauteur de 300 millions d’euros pour mettre en œuvre les mesures d’urgence prises pour faire face à la gestion de l’épidémie covid‑19. »

Article 2

Le titre II bis de la loi n° 2020‑290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid‑19, tel qu’il résulte des articles 1er et 2 de la présente loi, est complété par un article 18‑2 ainsi rédigé :

« Art. 182. – Dans le cadre des mesures d’urgence prises pour faire face à la gestion de l’épidémie covid‑19, et par dérogation à l’article L. 314‑20 du code de la consommation, l’exécution des obligations du débiteur d’un crédit immobilier peut être suspendue sans frais et sur simple demande de l’emprunteur ayant subi une perte de revenus à cause de l’épidémie de covid‑19 et pendant un délai maximal de douze mois. Durant ce délai de suspension, les sommes dues ne produiront pas intérêt.

« Le prêteur ne peut pas refuser la demande de suspension de l’exécution des obligations d’un crédit immobilier des mensualités de remboursement de prêt immobilier.

« Le fait pour un prêteur de ne pas respecter les dispositions du présent article est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 15 000 euros pour une personne morale. »

Article 3

Au début de l’article L. 823‑5 du code de la construction et de l’habitation, sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées :

«Les aides personnelles au logement sont dues à compter du premier jour du mois civil au cours duquel les conditions d’ouverture du droit sont réunies. Toutefois, lorsque ces conditions sont réunies antérieurement au mois de la demande, l’aide est due à compter du premier jour du mois au cours duquel la demande est déposée. »

Article 4

L’article L. 823‑7 du code de la construction et de l’habitation est abrogé.

Article 5

Le II de l’article 200 de la loi n° 2019‑1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 est abrogé.

Article 6

De manière exceptionnelle, le montant de versement des aides personnalisées au logement mentionnées au livre VIII de code de la construction et de l’habitation est majoré de 175 euros pour l’ensemble des allocataires pour le versement réalisé au mois de septembre 2020.

Article 7

I. – Pour l’année 2020, la période mentionnée au troisième alinéa de l’article L. 115‑3 du code de l’action sociale et des familles et au premier alinéa de l’article L. 412‑6 du code des procédures civiles d’exécution est prolongée jusqu’au 31 octobre inclus.

II. – Pour l’année 2020, les durées mentionnées aux articles L. 611‑1 et L. 641‑8 du code des procédures civiles d’exécution sont augmentées de sept mois. Pour la même année, les durées mentionnées aux articles L. 621‑4 et L. 631‑6 du même code sont augmentées de cinq mois.

Article 8

I. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 205 du code général des impôts.

II. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par l’augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 205 du code général des impôts.