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N° 3269

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 juillet 2020.

PROPOSITION DE LOI

relative à la simplification et à la modernisation des modalités de lévaluation des mineurs étrangers privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Delphine BAGARRY, Matthieu ORPHELIN, Paula FORTEZA, Delphine BATHO, Émilie CARIOU, Annie CHAPELIER, Guillaume CHICHE, Yolaine de COURSON, Jennifer De TEMMERMAN, Albane GAILLOT, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Sébastien NADOT, Aurélien TACHÉ, Sabine THILLAYE, Frédérique TUFFNELL, Cédric VILLANI, Martine WONNER,  

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que les enfants non accompagnés ne représentent qu’une faible part de l’ensemble des mineurs et jeunes accueillis à l’Aide sociale à l’enfance, les départements connaissent des difficultés importantes pour assurer leur mission pour ces publics vulnérables.

Il en résulte des disparités fortes dans l’évaluation et la mise à l’abri pour ces jeunes qui ont fait l’expérience de parcours migratoires particulièrement difficiles et qui de surcroît, arrivent en France dans des conditions de très grande précarité.

En outre, ces mineurs, surexposés à des risques sanitaires et aux troubles post‑traumatiques, bénéficient de conditions d’accueil divergentes selon les départements. Certains reconnaissant la minorité de tous les jeunes demandeurs d’aide qu’ils évaluent quand d’autres, en éconduisent un grand nombre.

Les mineurs nonaccompagnés, lorsquils arrivent en France, ne peuvent pas être assurés de bénéficier dune mise à labri et dune prise en charge que leur statut de mineur doit normalement leur assurer.

Pourtant, depuis 2013, des règles nationales ont été déterminées, posées par voie réglementaire et sanctionnées par les tribunaux des deux ordres de juridiction. Elles n’ont pas permis de garantir, localement, la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, constitutionnellement consacré ([1]), sur celui du département.

En effet, leur application se heurte au pouvoir discrétionnaire d’appréciation que les textes accordent implicitement au président du conseil départemental. Il en résulte des pratiques d’évaluation non harmonisées qui entraînent des taux de reconnaissance de minorité très variables d’un département à l’autre.

Les associations de défense des droits des mineurs étrangers confirment cette inégalité de traitement qui nous met, ipso facto, en inconformité avec nos engagements internationaux relatifs aux droits de l’enfant.

De surcroît, dans une décision de 2017 ([2]), le Conseil d’État a admis que le prise en charge par un département pouvait être refusée, faute avérée de ressources, et qu’il revenait à l’État, de façon supplétive, d’assurer la mise à l’abri du mineur.

Désormais ce dernier intervient auprès des départements pour financer un certain nombre de missions relevant de ses compétences et surtout, il y a une implication plus grande du ministère de lintérieur pour une politique qui relève de la protection de lenfance.

Pour renforcer son rôle, le législateur a apporté une modification importante au code séjour des étrangers et du droit d’asile en introduisant, dans la loi n° 2018‑778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, un article L. 611‑6‑1, qui créait le fichier dit appui à l’évaluation de la minorité (AEM).

Désormais, le président du conseil départemental peut solliciter le concours du préfet pour l’assister dans les investigations contribuant à l’évaluation des MNA. Les services préfectoraux, exécutant les obligations de quitter le territoire français (OQTF), peuvent disposer d’informations concernant de présumés mineurs, évalués majeurs par un département, alors qu’ils n’ont pas fait l’objet d’une décision de justice. Seule l’autorité judiciaire – et en l’espèce le Juge des enfants – peut se prononcer définitivement sur la minorité ou la majorité d’une personne.

Statuant définitivement le 5 février 2020, le Conseil d’État a jugé légal le décret instituant le fichier AEM ([3]), mettant fin, en France, à la procédure contentieuse  mais en a encadré la portée afin d’éviter des interprétations abusives :

– Tout étranger se déclarant mineur, sous réserve des cas où la condition de minorité ne serait à l’évidence pas remplie, doit faire l’objet d’un accueil provisoire d’urgence dans l’attente de son évaluation. Il n’y a pas de reconnaissance explicite de la présomption de minorité, mais tout refus de prise en charge immédiate devrait faire l’objet de motivations suffisantes, pouvant attester de la majorité du jeune ;

– L’évaluation de la minorité relève toujours d’une approche pluri‑disciplinaire conduite par le département, le refus de se présenter en Préfecture, l’apparition du jeune dans le fichier visabio ou fichier application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGEDREF2) ne peut pas suffire à un refus de reconnaissance de minorité ;

– Une mesure d’éloignement ne peut pas être prise contre l’étranger à la suite de son passage en préfecture, tant que l’évaluation de sa minorité n’est pas achevée ;

– Le fichier AEM ne comporte aucune finalité pénale, il vise à faciliter l’évaluation des étrangers présumés mineurs et isolés.

Malgré cette décision, le droit français ne donne pas à lenfant isolé, lorsquil arrive en France, lassurance dune prise en charge que son statut du mineur lui garantit ; les dispositifs législatifs et réglementaires privilégient à une politique sociale une politique de contrôle migratoire.

Dans une décision du Défenseur des droits n° 2019‑104, celui‑ci considère même que « les mesures prévues par l’article L. 611‑6‑1 semblent contraires au principe d’égalité dans l’accès au dispositif de protection de l’enfance, dont peut se prévaloir tout enfant quelle que soit sa nationalité et/ou sa situation de famille. En outre, elles ne permettent pas d’atteindre l’objectif poursuivi par le législateur de mieux garantir la protection de l’enfance et ne paraissent ni nécessaires, ni adéquates, ni proportionnées aux objectifs poursuivis ([4]) ».

Pour y répondre, cette proposition de loi propose d’abroger toutes les dispositions ne relevant  pas de mesures de protection et d’assistance éducatives et de consolider celles qui en relèvent en leur donnant une valeur normative supérieure. Par conséquent, il convient d’inscrire dans la loi les modalités d’évaluation des personnes dites mineures non accompagnés afin de doter les départements de règles communes, applicables par tous, dans le respect du principe de l’égalité devant la loi (article 1er de la  Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789).

À cette seule et unique condition, le législateur permettra de faire primer l’intérêt supérieur de l’enfant, principe à valeur constitutionnelle, sur celui du département.

À ces dispositifs d’harmonisation des pratiques, cette proposition de loi adjoint également une disposition sur les très contestés examens radiologiques osseux.

La loi de réforme de la protection de l’enfant du 14 mars 2016 en a déjà délimité le champ d’application, donnant la possibilité de recourir aux tests osseux uniquement lorsqu’il n’y a pas de documents d’identité valables et que l’âge allégué n’est pas vraisemblable, après décision de l’autorité judiciaire et l’accord de l’intéressé.

Ce champ d’application plus restreint n’en reste pas moins très contestable si l’on se réfère à des critères scientifiques objectifs.

L’examen radiographique osseux du poignet est basé sur l’Atlas de Greulich et Pyle, fondé sur des tests réalisés entre 1935 et 1941 sur des enfants nord‑américains bien portants, issus de classes moyennes avec une marge d’erreur trop importante.

D’un point de vue médical, l’Académie nationale de médecine, par un avis du 16 janvier 2007, affirme que la lecture de l’âge osseux par cette méthode ne permet pas de distinction nette entre 16 et 18 ans ; le Comité d’éthique du centre hospitalier régional et universitaire de Brest, alerté par les conditions d’utilisation des tests osseux et le non‑respect de leur caractère subsidiaire ([5]), a rendu un avis sévère sur leur utilisation, considérant qu’il « pose un problème d’éthique médical sérieux » du fait de la très grande imprécision scientifique des examens pratiqués ([6]).

D’un point de vue juridique, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a reconnu, dans une décision du 23 janvier 2008, qu’un examen radiologique ne pouvait être retenu en raison de son indécision.

Au‑delà de ces aspects scientifiques et juridiques, le recours aux tests osseux doit nous interroger d’un point de vue éthique, ce que fit notamment le Comité consultatif nationale d’éthique dans un avis présenté en juin 2005 et qui insistait sur le statut profondément ambigu de cette forme d’expertise.

Soulevant que l’utilisation sans discernement de paramètres scientifiques à des fins juridiques est en soi contestable, il apparaît également que l’absence d’enjeu thérapeutique des examens pose problème : les examens osseux doivent avoir une finalité médicale, ils sont utilisés notamment pour prendre en considération le risque qu’une intervention médicamenteuse pourrait faire peser sur la croissance.

Or, à partir du moment où il n’y a pas d’enjeu thérapeutique, ces examens ne sont pas faits dans l’intérêt de l’enfant. Selon le Comité d’éthique du CHU de Rennes, « Une décision éthique doit toujours privilégier l’intérêt de la personne la plus fragile, en l’occurrence le jeune » ([7]).

Enfin, les associations, par leurs remontées de terrain, font apparaître des contournements réguliers des dispositions de l’article 388 du code civil.

Les recours aux tests radiologiques osseux sont devenus quasiment systématiques dans certaines juridictions malgré leur caractère subsidiaire et il arrive que les conclusions des tests priment sur les autres éléments contenus dans le faisceau d’indices et dans de nombreuses décisions.

Le contournement de l’article 388 du code civil ne permet pas d’assurer, en France, le principe constitutionnellement établi d’intérêt supérieur de l’enfant.

Ainsi, larticle 1er propose d’inscrire dans la loi les conditions de mise en œuvre du cadre règlementaire présidant à la répartition sur le territoire national des enfants non accompagnés. Il est notamment précisé que la répartition se fait en amont de l’évaluation afin de soulager les départements surexposés et protéger les mineurs d’une nouvelle rupture avec un milieu d’accueil.

Larticle 2 vise à créer un article L. 221‑2‑3 au code de l’action sociale est des familles dont l’objet est de munir les départements de règles uniques quant aux modalités d’évaluation des mineurs étrangers privés de la protection de leur famille.

Il prévoit ainsi des dispositions communes à l’évaluation sociale, s’assurant notamment qu’elle puisse être parfaitement comprise par les personnes évaluées. Ce même article s’assurera que les formateurs disposent d’un socle commun de compétences que l’évaluation sociale soit complétée par une évaluation de la santé physique et mentale des personnes demandant la protection au titre de l’ASE. Ensuite, elle s’assure, tel que le prévoit déjà le règlement, que le contrôle des papiers d’identité puisse se faire dans le cadre de l’article 47 du Code civil afin d’éviter toute complexification des dossiers pouvant être traités rapidement et qu’enfin, que ce soit au regard de ces éléments que les avis motivés soient rendus.

Enfin, une dernière disposition renvoie à un décret d’application la création d’un référentiel national d’évaluation qui, comprenant l’ensemble de ces dispositions, permettra aux départements de proposer une évaluation unique.

En conséquence, larticle 3 abroge l’article L. 611‑6‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Larticle 4 quant à lui s’assure que les examens radiologiques osseux ne pourront plus être utilisés pour concourir ou justifier une décision concernant la fixation de l’âge d’un individu par une simplification de l’article 388 du code civil et vise à donner plein effet au principe de présomption de minorité.

Larticle 5 facilite les conditions d’accès au service civique aux mineurs étrangers relevant de l’aide sociale à l’enfance. 

Larticle 6 apporte un gage financier à l’ensemble de ces dispositions.


proposition de loi

Article 1er

Après l’article L. 221‑2‑1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L 221‑2‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 221211. – Le ministre de la Justice, par un décret pris en Conseil d’État, définit les modalités de répartition des mineurs non accompagnés entre les départements. Celle‑ci repose sur des critères objectifs, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant et a lieu en amont de la procédure d’évaluation. »

Article 2

Après l’article L. 221‑2‑2 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 221‑2‑3 ainsi rédigé :

« Art. L. 22123. – Pour tout étranger se déclarant mineur et privé de la protection de sa famille, une évaluation sociale est organisée par le conseil départemental dans les conditions suivantes :

« 1° L’évaluation sociale se déroule dans une langue comprise par l’intéressé, le cas échéant avec le recours d’un interprète faisant preuve de neutralité vis‑à‑vis de la situation.

« 2° Les étrangers se déclarant mineurs et privés de la protection de leurs familles sont orientés vers les structures de droit commun les plus adaptées à leur âge déclaré et à l’urgence de leur situation afin qu’un premier bilan, comprenant un examen médical complet adapté à leur âge, une mise à jour vaccinale, un dépistage de la tuberculose et un entretien avec un professionnel de la santé mentale, soit réalisé.

« 3° L’examen de la situation personnelle des étrangers se déclarant mineurs et privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille se fonde sur les documents d’état civil qu’ils présentent, dans les conditions prévues à l’article 47 du code civil. 

« 4° L’avis motivé de la reconnaissance de minorité ou de majorité de l’étranger se déclarant mineur se fonde sur les éléments dont les évaluateurs disposent, qui constituent un faisceau d’indices et qui, en respectant le principe de présomption de minorité, conclut au fait que le jeune peut avoir ou non l’âge qu’il allègue.

« Un décret présenté en Conseil d’État, pris après consultation de l’Assemblée des départements de France, précise les modalités d’application des alinéas 1 à 6 du présent article et propose notamment un référentiel national d’évaluation dont l’objet est de permettre une évaluation obéissant aux mêmes règles sur l’ensemble du territoire national. »

Article 3

L’article L. 611‑6‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est abrogé.

Article 4

Les deuxième à dernier alinéas de l’article 388 du code civil, sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge ne peuvent ni justifier ni concourir à une décision relative à l’évaluation de la minorité ou de la majorité d’un individu.

« Lorsqu’il existe suffisamment de motifs pour supposer qu’une personne dont l’âge est inconnu est un mineure, ou si une personne déclare être un mineure, elle est présumée mineure jusqu’à ce qu’un examen approfondi de sa situation soit mené. »

Article 5

Au II de l’article L. 120‑1 du code du service national, après la première occurrence du mot : « ans » sont insérés les mots : « , mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ».

Article 6

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1])  La Décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019 du Conseil constitutionnel a consacré le principe à valeur constitutionnelle garantissant la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant.

([2])  Décision du Conseil d’État du 14 juin 2017 n° 402890 https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2017-06-14/402890.

([3])  Décision du Conseil d’État du 5 février 2020, nos 428478, 428826 https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-5-fevrier-2020-decret-mineurs-etrangers-non-accompagnes.

([4])  Décision du Défenseur des droits du 15 avril 2019 n°2019-104, p. 6.

([5])  Extrait du procès-verbal du Comité d’éthique, Centre hospitalier régional et universitaire de Brest, le 29 mars 2018, p. 2.

([6])  Extrait du procès-verbal du Comité d’éthique, opsit, p. 5.

([7]) CHU de RENNES, Comité d’éthique, Séance du mardi 23 novembre 2010, Avis rendu n° 10-25 concernant l’utilisation des tests radiologiques osseux pour l’évaluation de l’âge.