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N° 3376

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à sécuriser le droit au télétravail,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Pierre MOREL‑À‑L’HUISSIER, Frédérique MEUNIER, Agnès FIRMIN LE BODO, Fabrice BRUN, Laurence VICHNIEVSKY, Christophe NAEGELEN, Frédéric REISS, Aurélien TACHÉ, Meyer HABIB, PierreYves BOURNAZEL, Bernard BROCHAND, Nathalie PORTE, Ludovic PAJOT, Lise MAGNIER, Coralie DUBOST, Sandrine JOSSO, Philippe VIGIER, Yannick FAVENNEC BECOT, Richard RAMOS, FrançoisMichel LAMBERT, Béatrice DESCAMPS, JeanChristophe LAGARDE, Emmanuelle ANTHOINE, Yves DANIEL, Nicolas DUPONTAIGNAN,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La grève des transports et plus encore la crise sanitaire ont bouleversé nos manières de travailler. L’instauration des mesures de confinement, le 17 mars 2020, limitant les déplacements du domicile au lieu de travail aux situations où le télétravail est impossible, ont fait de celui‑ci la règle, s’imposant à l’employeur comme à l’employé.

D’après le ministère de travail, environ 25 % des salariés ont exercé leur activité en télétravail durant le confinement. Cette tendance s’est prolongée au‑delà du 11 mai, date du début du déconfinement, le Gouvernement ayant annoncé que le télétravail devait « rester la norme ». Il en est allé de même dans la fonction publique : 30 % des fonctionnaires d’État étaient encore en télétravail le 2 juin 2020, lorsqu’a été lancée la deuxième phase du déconfinement.

Une partie importante de Français aspire à poursuivre le télétravail au‑delà de la crise sanitaire. Selon une enquête réalisée par l’IFOP en juin 2020, 30 % des salariés souhaitent « davantage faire de télétravail ».

Hors circonstances exceptionnelles ou cas de force majeure, le code du travail définit le télétravail à l’article L. 1222‑9 comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

Depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017, un « droit au télétravail » a été reconnu ; en conséquence, tout refus de la part de l’employeur doit être dûment motivé, dans le privé comme dans l’administration, où le décret du 5 mai 2020 impose d’apporter une réponse à toute demande de télétravail dans un délai d’un mois, tout refus devant être motivé et précédé d’un entretien. Néanmoins, il n’existe pas un droit intangible au télétravail, et il revient toujours à l’employeur d’apprécier ce qui reste une possibilité. Ainsi, dans le secteur privé, le télétravail repose sur le double volontariat, celui du salarié et de l’employeur.

En revanche, dans le secteur public, la mention du caractère volontaire de la part de l’employé a été supprimée par le décret du 5 mai 2020. Si cette évolution était nécessaire le temps de la crise sanitaire, aucune mesure concernant les circonstances exceptionnelles n’étant prévue pour le secteur public, contrairement au secteur privé, rien ne justifie qu’elle se maintienne en temps normal. Au contraire, elle pourrait susciter une résistance de principe des employés, y compris du privé, craignant une généralisation du télétravail contraint.

En ce qui concerne l’organisation matérielle et les frais afférents au télétravail, dans la fonction publique, l’article 6 du décret du 11 février 2016 dispose que « l’employeur prend en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice des fonctions en télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux‑ci ».

En revanche, en ce qui concerne le secteur privé, dans sa rédaction antérieure à lordonnance du 22 septembre 2017, le code du travail mentionnait expressément lobligation pour lemployeur de prendre en charge les coûts découlant directement de lexercice du télétravail. Cette mention a été supprimée par lordonnance de 2017, au motif quelle pouvait dissuader certains employeurs de recourir au télétravail. Pourtant, ce sont les employés que la suppression de cette sécurité risque de dissuader, lemployeur restant uniquement soumis à une obligation générale de prise en charge des frais professionnels, ce qui lui donne la possibilité de choisir les modalités de remboursement des frais afférents au télétravail qui leur convienne.

Enfin, plusieurs risques spécifiques au télétravail existent. Un des risques bien identifiés est l’empiètement de la vie professionnelle sur la vie privée, et inversement. Il importe donc de bien préciser les horaires auxquels le salarié doit être disponible. L’article L. 1222‑9 du code du travail renvoie à un accord collectif ou à une charte d’entreprise pour définir les modalités de contrôle du temps de travail et la détermination des horaires du travailleur, lesquels doivent être précisés dans le cadre d’un dialogue avec son employeur. Or, une étude de l’INSEE publiée en 2017 révèle que seuls un quart des télétravailleurs dans les établissements privés de plus de dix salariés sont encadrés par un accord collectif. En effet, en l’absence d’accord collectif ou de charte d’entreprise, le recours au télétravail peut être décidé par « un accord formalisé par tout moyen ».

L’article L. 1222‑9 précise par ailleurs que le télétravailleur conserve les mêmes droits que le salarié qui travaille sur site ; il a ainsi le droit à des temps de pause dans la journée, le droit aux repos quotidien et hebdomadaires, l’accès à la formation et le droit à la déconnexion, tels qu’affirmés par l’article L. 2242‑17 du code du travail. Ce droit implique une régulation dans l’usage professionnel des outils numériques, afin de garantir au salarié le respect de ces temps de repos et de sa vie privée.

Les garde‑fous juridiques existent donc déjà, mais ils ne prémunissent pas complètement contre le risque de glissement du travail professionnel sur la vie privée, qui semble être l’un des écueils majeurs du télétravail. L’étude précitée de l’INSEE sur le télétravail montre que les cadres en télétravail travaillent en moyenne plus d’heures par semaine, avec des horaires plus atypiques (travail après 20 heures ou le samedi) et moins prévisibles, mais que cet effet est atténué lorsqu’ils sont encadrés par un accord collectif. Ainsi, la présente proposition de loi vise à généraliser la mise en place d’accords collectifs ou de chartes d’entreprises afin de surmonter les réticences des salariés et d’assurer le respect de leurs droits.

La question de l’aménagement des installations de travail se pose également dans la prise en compte de la santé et de la sécurité du télétravailleur. Le télétravail pose en effet des questions complexes s’agissant de l’obligation de sécurité de l’employeur vis‑à‑vis de son salarié. Les modalités de déclaration des accidents de travail survenus sur le lieu de télétravail sont identiques à celles applicables aux autres salariés non‑télétravailleurs. Il n’en demeure pas moins que l’obligation de sécurité de l’employeur est pour le moins complexe à mettre en œuvre lorsque le salarié travaille chez lui.

En application du code du travail, lemployeur a les mêmes obligations en matière de prévention des risques professionnels à légard de tous les salariés, quils soient en télétravail ou non : il est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale. Certaines dispositions relatives à la santé et la sécurité du code du travail seront, cependant, limitées dans leur application en raison du caractère privé du domicile du télétravail : interdiction de fumer sur le lieu de travail, organisation des secours en cas de malaise du télétravailleur… L’ordonnance de 2017 a ancré dans la loi la présomption selon laquelle tout accident survenu sur le temps de télétravail est un accident du travail. Si lemployeur entend contester cette qualification, il lui appartiendra de renverser cette présomption sil estime que laccident a été occasionné par une cause étrangère au télétravail. Cette définition associée à limpossibilité de mettre en œuvre certaines mesures décourage les employeurs de recourir au télétravail par crainte de porter la responsabilité daccidents sans lien avec lactivité professionnelle du télétravailleur.

Le télétravail induit en outre certains risques particuliers sur la santé physique et psychique des salariés : manque dergonomie des installations de travail, sédentarisme excessif et risques psychosociaux. Ces derniers peuvent être exacerbés par labsence de soutien social direct face à une situation ressentie comme violente lors dun entretien téléphonique ou à la lecture dun courriel. Un télétravail dans de bonnes conditions suppose donc que soient mises en place de nouvelles habitudes managériales visant à maintenir le collectif et cultiver un lien régulier à distance, afin notamment de détecter les situations de souffrance au travail. Inscrire les modalités de prévention des risques dans les accords collectifs ou les chartes dentreprise permet de rassurer les employés sur leur sécurité et les employeurs sur leurs responsabilités en cas daccident et dassurer légalité entre les salariés.

En dehors de la question des risques du télétravail, se posent celles de l’adaptation des installations nécessaires, ainsi que la formation des salariés à l’utilisation des outils et de leur aptitude à bénéficier d’un service support informatique de qualité, même à distance. Un télétravail réussi suppose qu’un ensemble de conditions matérielles soient réunies. Étendre les accords collectifs ou chartes d’entreprise à la définition de ces conditions permet d’assurer la réussite du recours au télétravail.

L’article 1er de cette proposition réaffirme le droit au télétravail et son caractère volontaire pour l’employé, ainsi que les modalités de définition de sa mise en œuvre, dans la fonction publique.

L’article 2 clarifie la prise en charge des coûts liés au télétravail par l’employeur du privé, comme c’est déjà le cas dans la fonction publique.

L’article 3 rend obligatoire la signature d’un accord collectif ou d’une charte d’entreprise et étend les éléments qui doivent y figurer : formation à l’utilisation des outils et accès à un service support informatique ; spécifications techniques requises par les installations employées pour le télétravail ; prévention des risques spécifiques au télétravail.

L’article 4 renforce l’obligation de sécurité de l’employeur en ce qui concerne l’aménagement de l’espace de travail par l’établissement d’une attestation de conformité.

L’article 5 limite la définition d’accident du travail afin d’éviter que l’employeur ne soit rendu responsables d’accidents sans lien avec l’activité professionnelle du télétravailleur.


proposition de loi

Article 1er

Les fonctionnaires relevant de la loi n° 83‑634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires peuvent exercer leurs fonctions dans le cadre du télétravail tel qu’il est défini au premier alinéa de l’article L. 1222‑9 du code du travail.

L’exercice des fonctions en télétravail est accordé sur demande écrite de l’agent. Celle‑ci précise les modalités d’organisation souhaitées.

Une réponse écrite est donnée à la demande de télétravail dans un délai d’un mois maximum à compter de la date de sa réception ou de la date limite de dépôt lorsqu’une campagne de recensement des demandes est organisée.

Le refus opposé à une demande d’autorisation de télétravail ainsi que l’interruption du télétravail à l’initiative de l’administration doivent être motivés et précédés d’un entretien.

Le télétravail peut être organisé au domicile de l’agent, dans un autre lieu privé ou dans tout lieu à usage professionnel. Lorsque le télétravail est organisé au domicile de l’agent ou dans un autre lieu privé, une attestation de conformité des installations aux spécifications techniques est établie.

Un agent peut bénéficier au titre d’une même autorisation de ces différentes possibilités.

Article 2

L’article L. 1222‑10 du code du travail est complété par un 4° ainsi rédigé :

« 4° De prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux‑ci. »

Article 3

L’article L. 1222‑9 du code du travail est ainsi modifié :

1° La première phrase du quatrième alinéa du I est supprimée ;

2° Le II est complété par des 6° à 9° ainsi rédigés :

« 6° Les modalités d’accès des salariés en télétravail à la formation à l’utilisation des outils et leur aptitude à bénéficier d’un service support informatique ;

« 7° Les spécifications techniques requises par les installations employées pour le télétravail ;

« 8° Les conditions dans lesquelles l’attestation mentionnée à l’article L. 1222‑12 est établie ;

« 9° Les mesures de prévention des risques sur la santé physique et psychique des salariés particuliers au télétravail mis en œuvre par l’employeur. »

Article 4

Après l’article L. 1222‑11 du code du travail, il est inséré un article L. 1222‑12 ainsi rédigé :

« Art. L. 122212. – Lorsque le télétravail est organisé au domicile de l’agent ou dans un autre lieu privé, une attestation de conformité des installations aux spécifications techniques est établie conformément aux dispositions prises en application de l’article L. 1222‑9. »

Article 5

Le quatrième alinéa du III de l’article L. 1222‑9 du code du travail est complété par les mots : « lorsque l’accident est clairement lié à l’activité professionnelle de l’employé, notamment en cas de défaillance des installations employées pour le télétravail ou de défaut d’aménagement, ou d’insuffisance dans la prévention des risques telle que définie dans l’accord collectif ou, à défaut, la charte d’entreprise. »