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N° 3418

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à autoriser le filmage des procès dassises en matière de terrorisme, à supprimer lobligation dite du droit fil et à autoriser la transmission en direct du procès assortie dun différé de trente minutes,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Meyer HABIB, Grégory BESSONMOREAU, Bruno BILDE, JeanClaude BOUCHET, Guy BRICOUT, Bernard BROCHAND, Sébastien CHENU, Fabien GOUTTEFARDE, Monique LIMON, Pierre MORELÀL’HUISSIER, Valérie PETIT, François PUPPONI, Robert THERRY, Laurence TRASTOURISNART, Arnaud VIALA, Philippe VIGIER,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le procès des attentats de janvier 2015 s’est ouvert le 2 septembre 2020 devant la cour d’assises spéciale de Paris. Plus de 200 parties civiles sont présentes face à 14 accusés, dont 11 présents. Exceptionnellement, eu égard à sa portée historique, le procès sera intégralement filmé.

C’est une pratique hélas très rare dans les faits. Seuls une dizaine de procès ont été filmés ou sonorisés depuis la promulgation de la loi n° 85‑699 du 11 juillet 1985 tendant à la constitution d’archives audiovisuelles de la justice dite loi Badinter.

En effet, le principe reste l’interdiction de filmer une audience afin de sauvegarder l’objectivité et la sérénité des débats. Ce principe est consacré sans équivoque par la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui dispose que « dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit ».

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Le concept de filmer des grands procès pour l’Histoire, pour la mémoire et la transmission aux générations futures est apparu avec le Procès de Nuremberg, chargé de juger les crimes commis par l’Allemagne nazie pendant la Seconde guerre mondiale. C’est Robert Jackson, juge à la Cour suprême des États‑Unis et procureur général, qui a souhaité un procès pour l’Histoire et pour cela, la présence de caméras dans le prétoire.

En France, la loi Badinter fut élaborée dans le contexte du procès de Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo de Lyon, jugé pour la déportation de centaines de Juifs de France, dont les enfants d’Izieu, et l’arrestation, torture et assassinat de nombreux résistants, dont Jean Moulin.

Le 4 juillet 1987, au terme de neuf semaines de procès, la cour d’assises du Rhône reconnaît « le Boucher de Lyon » coupable de dix‑sept crimes contre l’humanité et le condamne à la prison à perpétuité. Les caméras sont présentes et immortalisent les débats.

Lorsque l’ancien Garde des Sceaux Robert Badinter présente son projet de loi dans l’émission « l’Heure de vérité », grand rendez‑vous politique du petit écran dans les années 1980, il s’explique : « Laudience est ouverte. Les journalistes entrent librement, cest une garantie des libertés. Il faut que la presse soit présente dans les grands procès. Pourquoi les caméras ny seraientelles pas ? ».

À l’ère de la communication numérique, ce constat garde plus que jamais toute son actualité.

Le deuxième et le troisième procès filmés concernent également des crimes commis sous l’Occupation par Paul Touvier, ancien chef du service de renseignement de la milice de Lyon, et Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde, en charge des affaires juives et responsable de la politique d’arrestation et de déportation.

Le quatrième, également en lien avec la Seconde guerre mondiale, est le procès en diffamation intenté par le négationniste Robert Faurisson, qualifié publiquement par Robert Badinter de « faussaire de l’Histoire ».

Suivront les procès de la catastrophe industrielle AZF en 2009 puis, en 2010, celui de 14 hommes, essentiellement d’anciens tortionnaires sous la dictature d’Augusto Pinochet au Chili.

Enfin, quatre procès relatifs au génocide rwandais ont eu lieu sous l’œil des caméras, entre 2014 et 2018.

Le procès des attentats de janvier 2015 est donc le premier procès terroriste filmé en France.

L’actuel Garde des Sceaux Eric Dupond‑Moretti a déclaré au quotidien le Parisien hier : « Je suis pour que la justice soit désormais totalement filmée et diffusée ». Il a annoncé réfléchir « avec ses services » à faire évoluer la loi afin de permettre de filmer tous les procès.

A ce stade, l’objet de cette proposition de loi est plus restrictif. Si la justice n’a pas à se cacher, elle n’a pas non plus pour vocation de devenir une justice‑spectacle.

C’est pourquoi, le texte préserve le principe d’interdiction mais proclame et aménage la liberté de filmer les procès devant la cour d’assises en matière de terrorisme.

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Cette loi est nécessaire car en l’état actuel du droit positif, la jurisprudence applique une interprétation étroite de la loi Badinter. Par exemple, la présidente de la cour d’appel de Paris a refusé en 2017 que le procès Merah soit filmé malgré la demande d’une famille de victime.

Dans ce contexte, la présente proposition de loi vise à assouplir les conditions pour filmer un procès en matière de terrorisme.

L’article 1 crée un principe de liberté de filmer les procès en Cour d’assises en matière de terrorisme à la demande d’une partie, sans avoir à recueillir le consentement du Président.

L’article 2 assortit cette liberté d’un régime souple en matière de transcription des images.

En effet, à ce jour, le code du patrimoine, à l’article L. 221‑4, prévoit que les enregistrements doivent être réalisés à partir de points fixes et dans des conditions "ne portant atteinte ni au bon déroulement des débats ni au libre exercice des droits de la défense". Le président de la Cour demeure maître du jeu. Il peut interrompre ou s’opposer à ces enregistrements si ces conditions ne sont pas respectées.

Parmi elles, figure l’obligation pour la caméra de suivre le droit fil de la parole, autrement dit, filmer uniquement la personne qui s’exprime, magistrats, avocats, accusés ou témoins. Il s’agit ainsi d’éviter toute intervention supposément subjective d’un réalisateur qui s’arrêterait en gros plan sur un autre des acteurs du procès.

De nombreux réalisateurs et historiens critiquent ce cadre rigide, notamment Christian Delage, dans son ouvrage « la vérité par l’image » qui pointe que le régime existant en droit français n’expose que le droit fil de la parole sans plan de coupe, sans contre champs, sans plan en général et n’offre pas les moyens d’une authentique restitution du procès.

Ainsi, le droit français ne permettrait pas la réalisation d’un film tel que celui de Leo Hurwitz sur le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961. Avec d’autres documents tels que Shoah de Claude Lanzmann ou Nuit et brouillard d’Alain Resnais, ce film a pourtant permis de constituer une archive précieuse sur le système d’extermination nazi au service de la mémoire et de la connaissance historique.

Enfin, l’article 3 transpose en droit français les règles internationales en matière de constitution d’archives audiovisuelles de la justice. Il permet la retransmission en direct, avec un différé de 30 minutes, des procès ouverts au public sur une chaîne du service public.

Ce différé est essentiel notamment pour éviter que le procès vire au spectacle macabre. Souvenons‑nous de Slobodan Praljak se suicidant en direct lors du prononcé de sa peine, sous le regard stupéfié des juges et de l’assistance, le 29 novembre 2017, en pleine audience du Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie (TPIY). La chambre d’appel venait de confirmer la peine de 20 ans de réclusion prononcée en première instance pour crime de guerre.

L’objectif est de démocratiser l’accès aux archives judiciaires en matière terroriste, tout en protégeant le public par un différé de trente minutes.


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 221‑1 du code du patrimoine est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les audiences relevant des crimes prévus au titre II du livre IV du code pénal doivent faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel et sonore. »

Article 2

La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 221‑4 du code du patrimoine est supprimée.

Article 3

Après le premier alinéa de l’article L. 222‑1 du code du patrimoine, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’enregistrement audiovisuel et sonore relevant de l’article L. 221‑1 alinéa 2 est diffusé en ligne et sur une chaîne du service public, avec un différé de trente minutes ».

Article 4

Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.