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N° 3542

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 novembre 2020.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

instituant une Commission parlementaire de contrôle
des exportations d’armements,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sébastien NADOT, JeanFélix ACQUAVIVA, Delphine BAGARRY, Annie CHAPELIER, Guillaume CHICHE, Albane GAILLOT, Christophe NAEGELEN, Valérie PETIT,

députés.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les exportations d’armements participent pleinement à l’assise de la souveraineté française et de sa politique étrangère. Le seul budget des armées, pourtant en croissance selon une trajectoire qui doit le conduire à 2 % du produit intérieur brut de la nation en 2025, ne suffit pas à couvrir l’ensemble des coûts de développement et de production des armements nécessaires au maintien de l’autonomie stratégique militaire de la France, qui doit ainsi compter sur les ressources financières tirées des exportations d’armements.

Au delà de la dimension de souveraineté, les exportations d’armements constituent une dimension essentielle du dynamisme de la base industrielle et technologique de défense de la France, dont nous connaissons le rôle crucial en matière de développement territorial et de stimulation de l’économie civile.

Pour autant, ces objectifs de souveraineté et de développement industriel, aussi importants soient‑ils, ne sont pas sans limite et doivent se concilier avec d’autres, absolument essentiels, comme le respect du droit international et l’image de la France dans le monde, sans oublier la recherche des conditions matérielles de la paix entre parties belligérantes dans les conflits armés qui font rage en de très nombreux endroits de notre planète.

Le droit international interdit clairement les ventes d’armes aux pays susceptibles de les utiliser sans discernement contre des civils. L’article 6, alinéa 3, du Traité sur le Commerce des Armes de 2013, ratifié par la France en 2014, stipule ainsi que : « Aucun État Partie ne doit autoriser le transfert d’armes classiques (…) s’il a connaissance, au moment où̀ l’autorisation est demandée, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité́, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie. » Ces obligations internationales sont réaffirmées par l’Union européenne au travers de la Position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008, modifiée et renforcée en 2019.

L’image de la France peut être durablement affectée et ternie par ses ventes d’armes quand celles‑ci s’abattent sur les populations civiles. La mémoire des peuples ne s’efface pas aussi facilement qu’on signe une autorisation d’exporter des armes. Enfin, la paix ne saurait prospérer sur un terrain abreuvé d’armements.

En France, la politique d’autorisation d’exportation des armements relève du Premier ministre, auprès de qui est rattachée la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) via le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

Tout en reconnaissant l’intérêt et la valeur de la CIEEMG, son régime de contrôle et de décision est actuellement du domaine réservé du Gouvernement, en circuit fermé. Or, selon la Constitution française, si la phase de décision revient bien au Gouvernement, la fonction de contrôle revient au Parlement. En France, les exportations d’armements n’ont jamais fait l’objet d’un contrôle parlementaire digne de ce nom. Le rapport annuel au Parlement sur les exportations d’armement de la France est un document d’information important mais en aucun cas suffisant pour pouvoir parler de contrôle parlementaire authentique et effectif. En effet, le contrôle parlementaire, garanti par l’article 24 de la Constitution, alinéa 1, repose sur la mobilisation si nécessaire de l’ensemble des procédures et moyens dont disposent les parlementaires pour analyser, surveiller, discuter et vérifier l’activité du Gouvernement. Le contrôle du Gouvernement passe bien par le droit à l’information, mais le travail d’investigation et la possibilité de mettre en jeu la responsabilité du Gouvernement sont également deux aspects essentiels. Aucun travail d’investigation n’est actuellement possible en matière de contrôle des autorisations d’exportations d’armement délivrées par le Gouvernement. La possibilité de mettre en jeu la responsabilité du Gouvernement tout comme celle d’apporter une information précise aux citoyens sont donc à ce jour entravées.

Le conflit du Haut‑Karabakh met en lumière les possibles écueils de la politique française en matière d’exportations d’armement. En 2019, la France a vendu pour 190 millions d’euros d’armes à l’Azerbaïdjan. Au même moment, le Canada interdisait de telles exportations aux vues de la situation régionale et pour se mettre en conformité avec le Traité sur le Commerce des Armes auquel la France est également partie. Aujourd’hui, la France se retrouve en position inconfortable pour soutenir l’Arménie qui subit les assauts d’armes et moyens opérationnels que la France a vendus à l’Azerbaïdjan.

La situation du Yémen questionne cette fois‑ci durement la légalité des ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et en direction des autres pays membres de la coalition. La fuite d’une note confidentielle de la Direction du renseignement militaire en 2019 a mis en évidence a minima que la France ne pouvait plus garantir que des armes de fabrication française n’étaient pas utilisées contre des populations civiles au Yémen. Aux vues des traités auxquels la France est partie, cette situation aurait dû immédiatement conduire à suspendre les exportations d’armes en direction des pays concernés : Arabie saoudite et Émirats arabes unis. Une telle décision n’a pas été prise par le pouvoir exécutif français. Mais, fait d’une particulière gravité pour un sujet aussi sérieux, le Parlement n’a obtenu aucune réponse à ses questions, aucune investigation n’a pu être diligentée et aucun débat n’a été organisé, ni en commission des affaires étrangères, ni en commission de la défense nationale et des forces armée, ni en séance publique.

La politique d’exportation d’armement porte beaucoup à conséquence et engage trop de dimensions de l’intérêt national pour que son contrôle échappe à ce point à la représentation nationale.

La présente proposition de loi constitutionnelle vise ainsi à réinvestir le Parlement d’un rôle premier dans la détermination de notre politique d’exportation d’armements, celui de son contrôle.

L’article premier insère un nouvel article au Titre V de la Constitution visant à créer une Commission parlementaire de contrôle des exportations d’armements. 

Tels sont Mesdames, Messieurs, les objectifs de la présente proposition de loi constitutionnelle.

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Le titre V de la Constitution est complété par un article 51‑3 ainsi rédigé :

« Art. 513. – La Commission de contrôle parlementaire des exportations d’armements contrôle la politique d’exportation d’armements menée par le Gouvernement au regard du droit national, du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France. La Commission de contrôle parlementaire des exportations d’armements comprend dix membres, composés pour moitié de membres de l’Assemblée nationale et de membres du Sénat, élus au sein de chacune des assemblées et renouvelés tous les trois ans. Le président est élu pour trois an par les membres de la Commission de contrôle parlementaire des exportations d’armements en son sein, en alternance entre un membre issu de l’Assemblée nationale et un membre issu du Sénat.

« Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique. »