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N° 3559

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 novembre 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à étendre les règles de la laïcité
à tous les usagers des services publics,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Guillaume PELTIER, Valérie BEAUVAIS, Josiane CORNELOUP, Émilie BONNIVARD, JeanPierre DOOR, Bernard DEFLESSELLES, JeanClaude BOUCHET, Éric PAUGET, Sébastien HUYGHE, Martial SADDIER, Bernard REYNÈS, Frédérique MEUNIER, JeanLuc REITZER, Arnaud VIALA, Isabelle VALENTIN, Vincent ROLLAND, Nathalie PORTE, Brigitte KUSTER, Stéphane VIRY,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi de 1905 de séparation des églises et de l’État fait incontestablement partie des grandes lois fondatrices de la République française. Son article premier dispose que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ciaprès dans l’intérêt de l’ordre public ».

Or l’ordre public semble aujourd’hui compromis par la montée concomitante du communautarisme et de l’intégrisme, qui n’épargne pas les services publics de notre pays.

Certes, la loi du 15 mars 2004 portée par le Président Jacques Chirac et par François Baroin fut une avancée décisive et courageuse, en interdisant aux usagers des écoles publiques, des collèges publics et des lycées publics (c’est‑à‑dire les élèves), le port de « signes religieux ostensibles ».

Toutefois, les atteintes à la laïcité perdurent dans ces établissements scolaires, avec environ 900 cas signalés entre les mois d’avril et de juin 2019. De nombreux élèves tentent en effet de se prévaloir de leur foi pour se soustraire aux règles communes.

Le Ministre Jean‑Michel Blanquer a précisé que les atteintes à la laïcité concernent majoritairement les « habits vestimentaires, certificats médicaux de complaisance, refus de se rendre à la piscine de la part de certaines jeunes filles, refus de certains hommes de serrer la main des femmes ». Les professeurs sont ainsi de plus en plus nombreux à prendre la parole pour se plaindre de cette situation inacceptable.

Á ce titre, les sorties scolaires ne sont toujours pas intégrées dans la loi de laïcité précitée, alors même qu’elles relèvent du service public de l’éducation nationale.

Rappelons que, dans un premier temps, la circulaire n° 2012‑056 du 27 mars 2012 de M. Luc Châtel, ministre de l’éducation nationale de l’époque, recommandait aux chefs d’établissements « d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires ».

Cependant, le Conseil d’État, saisi par le Défenseur des droits, a fait savoir, dans un avis du 23 décembre 2013, que les accompagnants scolaires n’étaient pas soumis, par principe à la neutralité religieuse.

Toutefois, le Conseil d’État a également estimé que les textes actuels « peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».

En conséquence, l’application des principes laïques durant les sorties scolaires relève donc du cas par cas, soit de la décision de chaque chef d’établissement. Un principe républicain aussi important devrait pourtant être appliqué uniformément sur l’ensemble du territoire national.

Par ailleurs, la loi du 15 mars 2004 ne s’applique pas non plus aux étudiants des établissements d’enseignements publics d’enseignement supérieur.

En effet, selon l’article L. 811‑1 du code de l’éducation, les usagers « disposent de la liberté d’information et d’expression à l’égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels ».

Toutefois, cet article pose également des limites à ce principe, puisque « Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d’enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l’ordre public ». L’article L. 141‑6 du code de l’éducation dispose également que « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise économique, religieuse ou idéologique ».

Face à cette situation, les universités françaises font face à une montée des revendications à caractère religieux ou communautariste. Á ce titre, le Haut conseil à l’intégration (HCI) a tiré la sonnette d’alarme dans un rapport de 2013, en écrivant notamment que « le malaise qu’un nombre croissant d’enseignants éprouve devant des étudiants arborant ostensiblement des signes d’appartenance religieuse qui apparaissent comme autant de symptômes de la montée de revendications identitaires et communautaristes, de fermeture, voire d’ostracisme, de refus de certains savoirs ». Dans ce cadre, il a donc recommandé l’interdiction des signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse.

Les exemples d’atteintes à la laïcité dans d’autres services publics, comme au sein de l’hôpital, sont tout autant éloquents et gravissimes. En l’état actuel du droit, une patiente a tout à fait la possibilité de refuser d’être soignée par un médecin homme, sous prétexte qu’il est de sexe opposé (sauf en cas de situation d’urgence). Dans son livre « Menaces religieuses sur l’hôpital », la conférencière et formatrice en milieu hospitalier Isabelle Lévy dénonce le cas de nombreux patients, de toutes confessions, qui refusent de se plier à la loi commune au nom de leurs convictions religieuses.

Pourtant, le principe fondamental de laïcité ne saurait être subordonné à la foi de chacun, car il permet justement de faire vivre ensemble « Ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas ».

Actuellement, en vertu de l’article 25 de la loi n° 83‑634 du 13 juillet 1983, seuls les agents des services publics sont soumis au respect du principe de laïcité, et à son corollaire, le principe de neutralité.

Ainsi, le respect du principe de laïcité ne s’impose pas aux usagers des services publics. La Charte de la laïcité des services publics rappelle également que « les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses », bien que cette liberté puisse être limitée par la loi (notamment la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public) ou restreinte au nom du bon fonctionnement du service.

Cette asymétrie dans l’obligation de respecter le principe de laïcité, entre agents du service public et usagers (qu’ils participent ou non à une mission de service public) entraîne de nombreux abus en pratique.

Cette proposition de loi vise donc à étendre l’application de la laïcité à tous les usagers des services publics, y compris les accompagnants scolaires et les étudiants de l’enseignement supérieur.

Face aux menaces qui pèsent sur ce grand principe républicain, le temps est venu de réaffirmer sa prééminence.

 

 


proposition de loi

Article 1er

Au sein des services publics et des administrations, le port de signes ou tenues par lesquels les usagers manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.

Article 2

L’article L. 141‑5‑1 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires, le port de signes ou tenues par lesquels les parents d’élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

Article 3

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 141‑6, il est inséré un article L. 141‑7 ainsi rédigé :

« Art. L. 1417. ‑ Le port de signes ou tenues par lesquels les étudiants manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’étudiant. ».

2° À la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 811‑1, après le mot : « collectif », sont insérés les mots : « , dans les limites de l’article 141‑7, ».