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N° 3574

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 novembre 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à réguler le paiement mobile sans contact,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. PierreAlain RAPHAN,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’objet de la présente loi est de restaurer la liberté de choix du consommateur en matière de paiements mobile sans contact.

L’année 2020, profondément marquée par la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid‑19, s’est traduite en France par une accélération de l’usage des moyens de paiement dématérialisés. Dans ce contexte d’urgence sanitaire et économique, le paiement mobile sans contact a été favorisé au détriment des moyens « physiques » plus traditionnels tels que l’utilisation de carte en mode contact, chèques, billets ou pièces.

La France a mis en place des recommandations faites par de nombreux Etats membres de l’Union européenne afin d’éviter aux consommateurs de taper leur code confidentiel sur les terminaux de paiement. Elle a, dans le but de favoriser la mise en œuvre effective de ces recommandations, relevé les plafonds de paiement à 50 euros le 11 mai 2020 et encouragé les règlements par téléphone mobile.

Les conséquences ont été immédiates comme l’a fait remarquer le Gouverneur de la Banque de France, lors de la présentation du rapport de l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement, en indiquant que « l’augmentation du mode (de paiement par carte) sans contact, avec le relèvement de 30 euros à 50 euros, est spectaculaire ».

Cette adoption massive s’explique en partie par un taux d’équipement de 77 % (ARCEP – 2019) des smartphones en France. Du point de vue européen, la France occupe la première place, soit 32 % du total des transactions utilisant ce mode de paiement selon la Banque Centrale Européenne. D’ailleurs ce type de solution ne peut que se développer dans les années à venir. Aussi la France se doit de veiller à ce que son développement soit orienté dans le respect de la liberté de choix des consommateurs avant que des positions dominantes irréversibles ne soient établies.

Or des géants technologiques utilisent une position quasi‑monopolistique pour imposer des conditions qui restreignent la liberté fondamentale des consommateurs de choisir librement leurs moyens et solutions ou applications de paiement mobile. Sans régulation législative, ces géants technologiques étendent aux services de paiement mobile leurs positions déjà dominantes en matière de systèmes d’exploitation ou de terminaux mobiles, ce qui les placerait dans une position de force probablement irrémédiable, avec un risque de disparition définitive des professionnels qui ne sont pas en capacité de proposer leurs services aux consommateurs, puisque l’accès aux écosystèmes ou outils technologiques dominants leur est refusé.

Un autre point de vigilance est lié à la création de gigantesques bases de données. Cette démarche associée aux activités de paiement leur permettrait de devenir des portes d’entrée payantes (« gatekeepers ») pour un grand nombre de marchés utilisateurs de moyens de paiement. Par une connaissance fine des comportements des consommateurs, ils peuvent fausser le choix des consommateurs et ainsi générer des transferts de valeur du secteur marchand physique à leur profit.

Au regard de la situation, de par l’importance et l’excellence reconnue de la filière des paiements française, nous nous devons d’impulser ce mouvement législatif. Adopter en France une législation claire et spécifique au paiement mobile sans contact permettra de poser un jalon important pour convaincre nos partenaires européens d’améliorer et d’élargir ensemble la protection du consommateur à l’échelle de l’Union européenne dans les services digitaux.

Aussi la proposition de loi présenté ici de protéger les choix des consommateurs et au travers de celle‑ci notre souveraineté numérique. Elle se compose pour cela de la manière suivante :

– L’article 1er définit la notion de fournisseur de système d’exploitation.

– L’article 2 précise le périmètre du présent texte.

– L’article 3 vise la protection de la liberté de choix des consommateurs et des conditions de concurrence équitables.

– L’article 4 assure à tout prestataire un droit d’accès aux éléments qui lui sont nécessaires pour assurer le déploiement de sa solution sans discrimination.

– L’article 5 précise les modalités de cette mise à disposition qui peut intervenir à titre gracieux ou non.

– L’article 6 précise les conditions pour des dérogations possibles aux dispositions de l’article 4.

– L’article 7 rappelle les conséquences du non‑respect de ces dispositions.

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

Est qualifiée de fournisseur de système d’exploitation toute personne qui, à titre professionnel, édite ou adapte le système d’exploitation d’un terminal mobile, ou qui est responsable de la première mise à disposition sur le marché de l’Espace Economique Européen d’un terminal mobile, dès lors que ce terminal permet aux consommateurs situés sur le territoire français d’effectuer un paiement mobile sans contact.

Article 2

Est considéré comme un service utile au paiement mobile sans contact tout service, système d’exploitation, logiciel, émulation, matériel, composant, antenne, élément sécurisé, ou autre élément contrôlant ou facilitant l’accès à une fonctionnalité, outil ou raccourci ergonomique d’un terminal mobile, dès lors qu’il permet, améliore ou facilite le paiement sans contact.

Article 3

I. – Tout fournisseur de système d’exploitation s’assure que les produits et services qu’il offre permettent à tout consommateur situé sur le territoire français d’exercer librement et sans entrave sa liberté de choix entre tout prestataire de services permettant ou facilitant le paiement mobile sans contact.

II.– Tout fournisseur de système d’exploitation garantit des conditions de concurrence équitables entre sa propre activité de services de paiement et les activités concurrentes exercées directement ou indirectement par les établissements de crédit, établissements de monnaie électronique, prestataires de services de paiement, établissements de paiement et agents au sens de la Directive (UE) 2015/2366. Le respect de cette obligation est apprécié au niveau de l’ensemble du groupe du fournisseur de système d’exploitation, en tenant compte de toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlantes ou contrôlées au sens de l’article L. 430‑1‑III du code de commerce.

III. – Le respect des obligations prévues à l’article 3, I et II, du présent texte implique notamment que le fournisseur de système d’exploitation assure un égal accès ergonomique au consommateur, afin qu’il puisse exercer sa liberté de choix des applications liées au paiement, et s’assure que :

– Tout outil ou raccourci ergonomique que le fournisseur de système d’exploitation propose ou met en place sur le terminal mobile pour faciliter l’utilisation d’une application concernant le paiement sans contact soit librement et gratuitement ouvert au consommateur, quelle que soit l’application de paiement qu’il aura choisie ;

– Le terminal mobile ne contient, lors de sa première vente au consommateur, aucune application de paiement préinstallée liée au groupe du fournisseur de système d’exploitation ;

– Tout consommateur soit libre de sélectionner en connaissance de cause et de façon non biaisée, et d’installer sur son terminal mobile toute application tierce de son choix liée à un service de paiement ou à une opération de paiement et de définir cette application comme l’application par défaut ou favorite.

Article 4

Le fournisseur de système d’exploitation est tenu de mettre à disposition de tout prestataire de services de paiement, établissement de crédit, établissement de monnaie électronique, établissement de paiement ou agent au sens de la Directive (UE) 2015/2366 qui lui en fait la demande, tous les services utiles au paiement mobile sans contact dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires.

Article 5

L’accès visé à l’article 4 de la présente loi est accordé, au choix du fournisseur de système d’exploitation, soit gratuitement, soit moyennant une redevance, dans le respect des conditions cumulatives suivantes :

– La redevance n’excède pas les coûts marginaux, c’est‑à‑dire les coûts effectivement encourus liés au travail supplémentaire spécifiquement demandé par le tiers demandeur d’accès ;

– Il n’existe pas d’autre solution pratique et économiquement viable qui permettrait de traiter la demande d’accès de manière équivalente ou plus efficace à un coût égal ou inférieur ;

– Les coûts sont déterminés et ventilés avec précision, afin de permettre une vérification aisée.

Article 6

I. – Par dérogation à l’obligation d’accès énoncée à l’article 4 de la présente loi :

– Un fournisseur de système d’exploitation n’est pas soumis à l’obligation d’accès s’il établit que ce système compte moins de deux millions d’utilisateurs enregistrés dans le marché intérieur de l’Espace Economique Européen au cours du dernier exercice financier. Ce seuil doit être évalué à la date de la demande d’accès.

– Le fournisseur de système d’exploitation peut refuser d’accorder l’accès prévu à l’article 4 s’il démontre sans délai que cet accès menace de façon concrète, documentée et substantielle la sécurité des paiements au préjudice des consommateurs. Au regard de la vitesse de développement des outils numériques, cette raison ne saurait être utilisée afin de ralentir la mise sur le marché de la solution proposée.

II. – Le fournisseur de système d’exploitation ne peut se prévaloir d’une menace sécuritaire et bénéficier de la dérogation prévue à l’article 6 du présent texte que s’il démontre avoir fait ses meilleurs efforts pour l’éviter et pour offrir immédiatement aux tiers demandeurs d’accès des options alternatives sécurisées, pratiques et économiquement viables, afin de préserver une concurrence libre et loyale entre les prestataires de services de paiement et la liberté de choix des consommateurs.

III. – Le fournisseur de système d’exploitation ne peut en tout état de cause refuser une demande d’accès conforme à l’article 4 si le requérant ou l’établissement de paiement, de crédit ou de monnaie électronique dont il est l’agent consent à le garantir par écrit par avance contre toute éventuelle réclamation d’un consommateur, en ce qu’elle serait due à cet accès. Une telle garantie ne pourra pas porter préjudice au consommateur et n’exonèrera pas le fournisseur du système d’exploitation de son obligation de respecter les dispositions des articles 3 et 6, II° du présent texte.

Article 7

Tout manquement aux obligations prévues par la présente loi peut donner lieu à une action devant la juridiction compétente, y compris devant le juge des référés, et aux sanctions dans les conditions définies à l’article L. 442‑4  du code de commerce, à l’initiative du ministère public, du ministre en charge de la consommation, du président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes, du président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ou du président de l’Autorité de la concurrence ou de toute autre personne justifiant d’un intérêt à agir.