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N° 3630

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2020.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

relative au Défenseur des droits,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Pierre MORELÀL’HUISSIER, Mme Coralie DUBOST,

et Mesdames et Messieurs

Béatrice DESCAMPS, Sophie AUCONIE, Guy BRICOUT, Valérie SIX, Grégory LABILLE, Nicole SANQUER, Philippe DUNOYER, Yannick FAVENNECBÉCOT, André CHASSAIGNE, Élisabeth TOUTUTPICARD, Hugues RENSON, Cécile RILHAC, Sira SYLLA, Didier BAICHÈRE, Michèle PEYRON, Mireille CLAPOT, Frédérique DUMAS, Maina SAGE, Paul MOLAC, Loïc DOMBREVAL, Olivier FALORNI, Richard RAMOS, Cécile DELPIROU, Sandrine LE FEUR, Annie VIDAL, Matthieu ORPHELIN, Alain TOURRET, FrançoisMichel LAMBERT, Valérie PETIT, JeanPhilippe ARDOUIN, Agnès FIRMIN LE BODO, Sandrine JOSSO, Pascale BOYER, Fabrice BRUN, Laurence TRASTOURISNART, Sophie PANONACLE, Erwan BALANANT, Pierre PERSON, Sylvain TEMPLIER, Carole BUREAUBONNARD, PierreAlain RAPHAN, Benoit SIMIAN, Jacques KRABAL, Souad ZITOUNI, Claire BOUCHET, Emmanuelle ANTHOINE, Nathalie BASSIRE, Guillaume CHICHE, Fabienne COLBOC, Jacques MAIRE, Bénédicte PÉTELLE, Stella DUPONT, Annie CHAPELIER, JeanPaul DUFRÈGNE, Corinne VIGNON, Claire GUION‑FIRMIN, Frédérique TUFFNELL, Marie SILIN,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que la crise des Gilets Jaunes a révélé une vive fracture entre les institutions publiques et les citoyens, que l’état d’urgence sanitaire lié à l’épidémie de covid‑19 a restreint de manière inédite les libertés individuelles, et que les accusations de violences policières crispent les relations entre la population et les forces de l’ordre, le Défenseur des droits est une institution plus que jamais nécessaire à la réussite du projet républicain.

Fruit d’une réflexion sur la modernisation de nos institutions démocratiques, le Défenseur des droits, inscrit dans la Constitution française en 2008 et mis en place en 2011, est doté de prérogatives plus importantes que celles des autorités administratives indépendantes qu’il remplace – le Médiateur de la République, la Haute autorité́ de lutte contre les discriminations, le Défenseur des enfants et la Commission nationale de déontologie de la sécurité́. L’ambition du constituant et du législateur organique de 2011 se traduit ainsi par un statut renforcé, une saisine facilitée et des pouvoirs accrus.

À l’occasion des dix ans de l’institution, la commission des lois de l’Assemblée nationale a souhaité dresser le bilan de son action à travers une mission d’information ayant comme rapporteurs Mme Coralie Dubost et M. Pierre Morel‑À‑L’Huissier.

Comme à l’accoutumée, les travaux de la mission ont permis de déboucher sur un rapport nourri des très nombreux échanges avec l’institution du Défenseur des droits en la personne de M. Jacques Toubon et de ses adjoints, mais aussi de ses directeurs, des chefs de pôles régionaux et des délégués territoriaux. Au‑delà de l’institution, les consultations ont permis d’échanger avec des universitaires, des praticiens du droit – magistrats comme avocats – des préfets, des acteurs du monde associatif, des présidents d’autorités administratives indépendantes, des élus, ainsi que de nombreux organismes sociaux. Par ailleurs, la situation sanitaire exceptionnelle a permis à la mission de bénéficier de plus de contributions écrites qu’à l’accoutumée, une centaine.

À l’occasion de ces travaux, la mission d’information a constaté que le Défenseur des droits fait aujourd’hui face à trois principaux défis.

D’abord, il est le résultat fragile de la fusion de quatre autorités administratives indépendantes au périmètre et aux pratiques très différents. L’étendue de son champ de compétence a fait l’objet d’intenses oppositions politiques, de la part d’observateurs craignant de voir naître une institution, qui, à trop embrasser, mal étreigne.

Ensuite, afin de renforcer la visibilité de l’institution, qui est une condition nécessaire à la bonne réalisation de sa mission de protection des droits et libertés, des moyens importants doivent être consacrés aux actions de visibilité. Le Défenseur des droits est précisément l’entité qui doit être connue des usagers les plus vulnérables et les plus éloignés des services publics.

Enfin, une meilleure prise en compte des avis du Défenseur des droits par les pouvoirs publics doit être au cœur de nos préoccupations. En outre, l’augmentation continue des saisines qu’il reçoit pourrait tout autant être analysée comme une preuve de sa montée en charge que comme celle de son impuissance à peser en faveur d’un règlement structurel des problèmes qui lui sont soumis.

Convaincu de la nécessité d’un Défenseur des droits fort, indépendant du pouvoir exécutif, proche des citoyens et du corps associatif, efficace dans l’ensemble de ses nombreuses missions, il nous appartient à nous législateur de concrétiser les observations et les propositions de la mission dans la loi.

La nature constitutionnelle du Défenseur des droits nous conduit à devoir présenter trois textes de loi, l’un constitutionnel, l’autre organique et le troisième simple, mais poursuivant tous le même objectif de cohérence. Le Défenseur des droits est aujourd’hui une institution incontournable qui a démontré son utilité, mais les difficultés qu’elle rencontre appellent à une réforme.

L’article 1er vise à permettre au Défenseur des droits de saisir le Conseil constitutionnel en amont de la promulgation des lois.

Le « Comité Balladur » recommandait que « le Défenseur des droits fondamentaux [puisse] saisir le Conseil constitutionnel dans les conditions prévues à l’article 61 de la Constitution », c’est‑à‑dire a priori d’une loi avant sa promulgation, a posteriori d’une disposition législative dont il considère qu’elle porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, dans le cadre d’une procédure de contrôle de constitutionnalité sui generis et dans le cadre de la procédure de QPC.

Il a été considéré lors de la première loi en 2011 que l’instauration de l’exception d’inconstitutionnalité constituait une garantie suffisante du renforcement de la protection des droits des citoyens. Pourtant, cette prérogative ouverte aux ombudsmans dans plusieurs pays européens a fait ses preuves. L’une des principales innovations du Défenseur du peuple espagnol est en effet la possibilité qui lui a été accordée d’exercer des recours en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel en application de l’article 162‑1 de la Constitution. De même, en Roumanie, l’Avocat du peuple peut saisir la Cour constitutionnelle de l’inconstitutionnalité des lois, avant leur promulgation, et de l’exception d’inconstitutionnalité des lois et des ordonnances en vigueur.

Le renforcement des pouvoirs du Conseil constitutionnel en la matière par l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, loin de rendre superflue la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par le Défenseur des droits, pose au contraire de manière renouvelée la question de la bonne articulation des deux institutions. C’est tout l’objet de cet article 1er, puis 2 et de l’article 1er de la proposition de loi organique rattachée : renforcer les prérogatives du Défenseur des droits en matière de protection des droits des citoyens et des libertés fondamentales, tout en consolidant ses liens avec le Conseil constitutionnel.

L’article 2 confie au Défenseur des droits la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel, après leur promulgation, de dispositions législatives dont il estime qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

L’article 3 a pour objectif de constitutionnaliser l’existence des adjoints du Défenseur des droits ([1]). Il modifie également les modalités de nomination du Défenseur des droits pour que celui‑ci soit nommé par l’Assemblée nationale ([2]).

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

À la fin du deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, les mots : « ou soixante députés ou soixante sénateurs » sont remplacés par les mots : « soixante députés, soixante sénateurs ou le Défenseur des droits ».

Article 2

Après l’article 61‑1 de la Constitution, il est inséré un article 61‑2 ainsi rédigé :

« Art. 612. – Lorsque le Défenseur des droits estime qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, il saisit le Conseil constitutionnel.

« Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »

Article 3

L’article 71‑1 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il est assisté par des adjoints. » ;

2° La première phrase de l’avant‑dernier alinéa est ainsi rédigée : « Le Défenseur des droits est nommé par l’Assemblée nationale statuant à la majorité des trois cinquièmes, pour un mandat de six ans non renouvelable. »


([1]) L’article 11 de la loi organique de 2011 précise l’étendue des compétences des adjoints du Défenseur des droits, placés auprès de lui et « sous son autorité ». Sans porter préjudice au lien de subordination des adjoints par rapport au Défenseur, il a été constaté que leur manque de visibilité nuit à leur action dans leur champ de compétence respectif. Cela est particulièrement criant pour le Défenseur des enfants qui n’est absolument pas identifié par ces derniers, rendant son action d’autant plus difficile.

C’est pourquoi, l’un des réponses à l’impérieuse nécessité d’améliorer la visibilité des adjoints du Défenseur est de passer par leur constitutionnalisation.

([2]) Le projet de loi organique de 2011 relative au Défenseur des droits n’a pas repris la proposition du « Comité Balladur » qui préconisait que le Défenseur des droits soit désigné « par l’Assemblée nationale à la majorité des trois cinquièmes sur proposition d’une commission ad hoc de cette assemblée qui sélectionnerait les candidatures ». L’article 71‑1 de la Constitution prévoit ainsi que le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République, selon la procédure de l’article 13 de la Constitution. La nomination du Défenseur des droits par le Président de la République est un choix constitutionnel qui diffère de ceux effectués par les autres pays européens. L’indépendance que le législateur a souhaité donner à cette autorité bien spécifique passe en partie par les modalités de sa nomination qui ne relèveraient que du Parlement.