N° 3670
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 décembre 2020.
PROPOSITION DE LOI
relative à la lutte contre certaines dérives liées au volontourisme,
(Renvoyée à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Anne GENETET, Valérie THOMAS, Denis MASSÉGLIA, Frédéric BARBIER, Nicole TRISSE, Amal‑Amélia LAKRAFI, Pierre CABARÉ, Isabelle RAUCH, Mireille CLAPOT, Fabien GOUTTEFARDE, Sonia KRIMI,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le volontariat est un engagement libre et responsable qui permet à tout un chacun de consacrer du temps durant une période de sa vie à une action d’intérêt général, en France ou à l’étranger, au sein d’une association ou d’un organisme à but non lucratif, en tant que volontaire ou bénévole. Dans sa dimension internationale, le volontariat permet la découverte et les échanges interculturels favorisant l’émergence de sociétés plus inclusives, solidaires et ouvertes sur le monde.
Ainsi, le volontariat à l’international répond à un double enjeu : agir par solidarité avec les plus vulnérables et pour l’intérêt général, et sensibiliser les personnes qui s’engagent pour en faire des acteurs de changement, en ligne avec les démarches d’Éducation à la Citoyenneté et à la Solidarité Internationale (ECSI).
Chaque année, des milliers de Français et Françaises s’engagent dans des missions de volontariat afin d’apporter leur contribution à des actions de solidarité à l’international et de vivre une expérience transformatrice dans leur parcours aussi bien personnel que professionnel. Il existe plusieurs dispositifs soutenus par l’État français (volontariat de solidarité internationale, service civique à l’international, programme Jeunesse, Solidarité Internationale – JSI, programme Ville, Vie, Vacances / Solidarité Internationale – VVV/SI) ou initiés par des organismes internationaux (volontariat des Nations Unies, volontariat international de la Francophonie, programme EU Aid Volunteers, Corps Européen de Solidarité) et qui permettent d’offrir des opportunités de volontariat de qualité, respectant un cahier des charges strict. Il est également possible de s’engager en dehors de ces dispositifs, dans des missions de volontariat appelées « hors cadre », directement auprès d’associations locales.
Depuis les années 2000, un fort engouement pour ces missions à l’international a été observé, dépassant le nombre d’opportunités disponibles via les dispositifs encadrés. Un développement rapide de nouvelles formes de volontariats ou apparentées s’en est suivi, dérogeant parfois aux principes de qualité du volontariat (partenariats équitables et pérennes, formation au départ, suivi et accompagnement pendant et après l’expérience, garanties de sécurité etc.) et pouvant entraîner des dérives comme le « volontourisme ».
Forme de tourisme conjuguant voyage et engagement volontaire, le volontourisme promet à des individus désireux de s’engager pour une cause, la découverte de nouvelles cultures tout en venant en aide à des communautés locales. Si les intentions de départ paraissent louables, dans les faits, des organisations proposent des séjours payants dont le modèle économique repose sur les profits tirés de cet engagement volontaire, bien souvent au détriment de l’intérêt général. Cette « marchandisation » du secteur du volontariat peut entraîner des effets désastreux pour les communautés d’accueil : troubles psychologiques auprès d’enfants, concurrence avec la main d’œuvre locale, destruction de l’économie locale, folklorisation de la vie et de la culture locale ou encore exploitation d’une main d’œuvre bon marché (notamment des jeunes en recherche d’emploi). Dans leurs dérives les plus graves, ces pratiques peuvent mener à des trafics d’êtres humains, comme la création de « faux orphelinats », notamment au Cambodge et au Népal, ou encore à la malnutrition et aux mauvais traitements de personnes vulnérables dans le cas de pratique d’actes médicaux par des personnes non‑qualifiées.
Par ailleurs, ces mauvaises expériences peuvent amener les personnes participant à ces séjours, et qui prennent conscience des dérives, à rejeter toute autre forme d’engagement citoyen ultérieur. Elles entachent également l’image du secteur de la solidarité internationale et de la France à l’étranger.
Le 8 février 2018, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) a réaffirmé le rôle du volontariat « comme levier transversal d’action de la politique de développement et de solidarité » de la France.
Actuellement en préparation, la future loi relative à la politique française de développement et de solidarité internationale (LOP‑DSI) pourrait garantir une augmentation de l’effort de la France dans le développement quantitatif et qualitatif du volontariat. Cette mesure permettrait d’accroître le nombre d’offres disponibles, au travers des dispositifs de volontariats internationaux soutenus par l’Etat, face à une demande toujours en expansion. Cela favoriserait également le renforcement d’un environnement favorable à la concrétisation de projets responsables et de qualité.
D’autre part, le secteur du tourisme souffre également du flou sémantique et juridique entretenu par les séjours de volontourisme. L’utilisation abusive des notions de « volontariat » ou « humanitaire » permet à certaines organisations vendant des séjours touristiques de s’affranchir du respect de code du tourisme ou de tromper leurs clients sur l’objectif réel de leur séjour. Certaines vont jusqu’à se rendre coupable de fraude, en proposant une défiscalisation de l’achat de séjours touristiques en considérant à tort leur paiement comme un don à une association.
La présente proposition de loi vise à alerter sur les dérives et à mieux encadrer les pratiques de ces organisations.
Ainsi, ce texte poursuit les quatre objectifs suivants : protéger les personnes en désir d’engagement contre les dérives liées au volontourisme et sensibiliser à des actions de volontariat à l’international responsables ; reconnaître le rôle de France Volontaires et de ses membres dans le développement et la promotion d’un volontariat international de qualité ; prévenir des pratiques dangereuses liées au volontourisme, notamment dans le cadre de la protection des personnes vulnérables dont les mineurs ; veiller au respect des obligations de la France en faveur des droits humains, notamment celles inscrites dans la Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire.
Entrent dans le champ d’application de la présente proposition de loi des entreprises, associations et autres organisations, proposant des séjours touristiques ou des missions impliquant des actions de volontariat, dont le siège social est basé en France ou y exerçant des activités.
L’article 1er vise à interdire l’utilisation des termes de « volontariat » ou « bénévolat » pour des activités payantes et à but lucratif, sans que cette contribution financière ne participe à financer le projet initial et/ou des projets annexes d’intérêt général. Cette utilisation terminologique trompeuse est assimilée à un dol, au sens de l’article 1137 du code civil, considérant la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants (le prestataire ou l’organisme d’envoi) d’une information (le caractère commercial de la mission) dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.
Cette disposition permet aux victimes de demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice constaté.
Cette interdiction concerne notamment les personnes physiques ou morales listées à l’article L. 211‑1 du code du tourisme pour faire la promotion d’un forfait touristique à l’étranger tel que défini au II. ‑ A.‑ de l’article L. 211‑2 du code du tourisme.
L’article n’entend pas empêcher le don de personnes physiques à destination des organisations dans lesquelles elles exercent une activité volontaire ou bénévole, ni la possibilité laissée de demander une contribution financière couvrant l’organisation de ces activités, et tant que le principe de transparence sur l’utilisation de cette somme prévaut.
Il répond à la nécessité pour les personnes en désir d’engagement de bien faire la différence entre la participation à titre volontaire ou bénévole à une mission ou un projet, et la participation à un séjour touristique organisé pour leur propre compte, même si celui‑ci se définit lui‑même comme « éthique » ou « solidaire ».
L’article 2 vise à compléter dans le code pénal la définition de la « traite des êtres humains », afin d’y inclure l’utilisation et la mise en scène de personnes vulnérables, dans le but d’organiser des séjours touristiques.
Sont notamment visées les organisations accueillant des mineurs dans des orphelinats ou structures assimilées, dans le but d’y organiser des excursions touristiques ou des missions de volontariat payantes, dans une logique avant tout de profit et non d’intérêt général.
Cet article vise également à renforcer l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant, et qui l’engage à veiller comme posé dans son article 9 « à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant ».
De plus, il est précisé dans l’article 32 de la même Convention que « Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social ».
La traite des êtres humains est punie de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende (article 225‑4‑1du code pénal). La peine peut être aggravée à dix ans d’emprisonnement et 1 500 000 euros d’amende lorsque l’infraction est notamment commise à l’égard d’un mineur, ou à l’égard d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur (article 225‑4‑2 du code pénal).
L’article 3 prévoit de soumettre les organisations proposant des actions de volontariat au sein de structures œuvrant auprès de mineurs, aux mêmes règles de vigilance que les organisations travaillant en France, en empêchant l’accès à ces séjours touristiques ou missions aux personnes ayant été condamnées pour crime ou pour certains délits.
L’obtention de l’extrait de casier judiciaire « Bulletin 3 », contenant uniquement les condamnations les plus graves, se fait gratuitement sur simple demande en ligne ou par courrier par l’intéressé lui‑même.
L’article 4 vise à clarifier la définition du séjour touristique et à lutter contre la concurrence déloyale d’organismes tentant de faire passer des séjours touristiques pour des missions de volontariat. Cette concurrence déloyale passe par le non‑respect des règles imposées aux agences de voyage, notamment l’enregistrement auprès d’Atout France, la garantie financière, la souscription à une assurance de responsabilité civile, mais aussi par l’offre d’avantages comparatifs indus tels que la défiscalisation d’une partie des séjours touristiques au titre du don à une association.
Conformément à l’article L. 211‑1 du code de tourisme, ne sont pas concernées les personnes ou organisations qui ne proposent ces prestations qu’à titre occasionnel et dans un but non lucratif.
L’article 5 consacre le travail engagé par la plateforme France Volontaires, opérateur du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, et ses membres, qui jouent un rôle primordial dans l’information et l’orientation des personnes souhaitant s’engager dans des actions de volontariat à l’international. La plateforme France Volontaires accompagne également les acteurs du secteur du volontariat, notamment les structures d’accueil et d’envoi, en France et à l’international, afin de développer des opportunités de volontariat international utile et responsable.
Cette reconnaissance par le législateur a pour faculté de donner à l’association toute sa légitimité auprès des acteurs français et partenaires internationaux de la France dans l’élaboration, la diffusion et la promotion de standards internationaux en matière de volontariat.
proposition de loi
Article 1er
L’utilisation des termes « volontariat », « bénévolat » ou de leurs dérivés pour caractériser des activités payantes et à but lucratif, et dont la contribution financière ne participe pas à financer le projet initial ou des projets annexes d’intérêt général, relève de la pratique du dol au sens de l’article 1137 du code civil.
Article 2
Au sixième alinéa de l’article 225‑4‑1 du code pénal, après le mot : « mendicité, » sont insérés les mots : « d’exploitation à des fins touristiques ou assimilé ».
Article 3
Les entreprises, organisations ou établissements d’enseignement supérieur, français ou étrangers, préparant depuis la France l’envoi à l’étranger de volontaires, bénévoles ou stagiaires dans le but d’effectuer des stages, missions, séjours touristiques ou excursions au sein d’organisations bénéficient à des mineurs sont tenus de vérifier l’absence de condamnation à une « peine d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, pendant la durée de la mesure », tel que prévu au 4° de l’article 777 du code de procédure pénale.
Article 4
I. Après le 2° du I de l’article L. 211‑1 du code du tourisme, il est inséré un 3° ainsi rédigé : « 3° L’organisation de missions ou stages payants auprès d’entreprises ou associations. »
II. L’achat d’un forfait touristique tel que défini au A du II de l’article L. 211‑2 du code du tourisme ne peut donner lieu à une défiscalisation au nom du don à un organisme visé par l’article 200 du code général des impôts.
Article 5
En tant que plateforme des acteurs des volontariats internationaux d’échange et de solidarité, et opérateur du ministère en charge des Affaires étrangères, France Volontaires et ses membres contribuent au développement et à la promotion d’un volontariat international de qualité en lien avec leurs partenaires en France et à l’étranger.