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N° 3677

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 décembre 2020.

PROPOSITION DE LOI

tendant à mettre fin à la liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport ParisCharlesdeGaulle,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Frédérique DUMAS, Clémentine AUTAIN, Delphine BAGARRY, Delphine BATHO, Annie CHAPELIER, PaulAndré COLOMBANI, Olivier FALORNI, FrançoisMichel LAMBERT, Paul MOLAC, Bertrand PANCHER, Stéphane PEU,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le mardi 5 février 2019, Madame Élisabeth Borne alors ministre des transports confirmait la réalisation du Charles‑de‑Gaulle Express (CDGE), « en assurant » que « cela ne se ferait pas au détriment des transports franciliens », sans toutefois y apporter de garanties concrètes.

Cette décision était prise au mépris du travail rigoureux des associations des usagers, de nombreux élus et des différentes études techniques et environnementales qui avaient permis de démontrer que le chantier ainsi que l’existence du CDGE lui‑même, tel qu’il avait été conçu, impacterait de manière très négative et durablement l’exploitation des lignes du RER B, mais aussi celles du RER E et celles des lignes P et K, ainsi que l’environnement.

Du fait du retard pris par le projet, le délai de réalisation en vue des Jeux olympique devenait impossible à tenir. Le gouvernement demandait alors enfin au préfet de région qui était alors Michel Cadot d’analyser la situation.

Ses conclusions mettaient en exergue que « la somme des travaux attendus d’ici 2024 sur l’axe ferroviaire de Paris‑Nord aurait nécessairement un impact sur la qualité des services de transport du quotidien avec ou sans CDGE ». Cela signifiait que les usagers seraient confrontés à des difficultés sans précédent si le chantier du CDGE était maintenu de manière concomitante.

Le report du calendrier du chantier était alors décidé mais aucune réévaluation du projet n’était proposée.

Nous étions nombreuses et nombreux à dénoncer très fortement l’incohérence des déclarations faites :

Incohérence face aux engagements du Premier ministre qui en février 2018 au sujet du Grand Paris Express, déclarait vouloir « tenir un langage de vérité » et faisait alors des mobilités du quotidien et donc de « la mise en service des lignes qui bénéficient au plus grand nombre de franciliens, une priorité ».

Incohérence face à la nécessité que rappelait le Président de la République dans sa lettre aux Français en janvier 2019 d’« ériger la démocratie représentative comme socle de notre République ».

En effet, la consultation demandée dans l’urgence au préfet de région ne portait « que sur le calendrier des travaux » et non sur le report global du projet ou sur le fait de pouvoir le réinterroger. Il avait par ailleurs été omis d’y convier les députés d’Île‑de‑France hors Paris, dont la plupart s’interrogeaient sur les impacts et l’opportunité du CDGE. Ce qui contribuait à renforcer la vision « parisienne » et « hors sol » de ce projet contre le quotidien de millions d’usagers qui n’ont pas la chance de bénéficier de la desserte parisienne.

Incohérence face aux engagements pris à l’époque par le Président de la République car cette détermination à ne pas réévaluer, vidait de toute substance le concept même de « démocratie délibérative permanente » qu’il invoquait lui‑même à la sortie du grand débat national en mars 2019.

Incohérence encore face à la nécessité que rappelait le Président de la République toujours dans sa lettre aux Français de janvier 2019, d’optimiser les dépenses publiques au bénéfice des citoyens. En effet les conséquences sur les finances publiques n’ont jamais été évaluées en transparence.

Si concession a été faite à une société privée, c’est bien l’État qui a finalement consenti à être le créancier de ce projet pour une somme avoisinant les 1,7 milliard d’euros comme le prévoit la loi de finances 2018 qui précise que « les dépenses et la dette seront consolidées au sein des finances publiques ». Et ce sera donc bien l’État qui est garant en cas de déficit d’exploitation, donc le contribuable.

En 2019 comme en 2020, les crédits ont été adoptés sans débat de fond. Il semble effectivement qu’il en sera de même pour 2021.

Or, un déficit d’exploitation était d’ores et déjà attendu, bien avant la crise sanitaire, pour plusieurs raisons : du fait qu’en moyenne, les dépassements de coûts initiaux sont généralement de l’ordre de 30 à 50 %, du fait que les estimations de recettes étaient très « optimistes » et du fait de la conception même du projet.

En effet, s’il nous est expliqué depuis des années que le CDGE sera le « garant du rayonnement économique de la France et constituera un véritable levier pour le tourisme », il n’est pas prévu que ce dernier soit relié au futur terminal 4 s’il voyait le jour. Par ailleurs, il ne desservira que la gare de l’Est. Bien loin donc de la conception de la future « Elisabeth line » souvent invoquée dont la partie « express » ne côtoie aucune ligne du quotidien et qui relie l’ensemble des terminaux d’Heathrow à plusieurs stations de métro de Londres intra‑muros.

À cela s’ajoute un prix prohibitif compris entre 20 et 25 euros par personne. Les faiblesses intrinsèques du projet ne lui permettront pas de remplir les objectifs qui lui ont été assignés. Enfin, augmenter la taxe sur les passagers aériens en cas de déficit, comme l’a suggéré la ministre des transports de l’époque lors d’une séance de questions orales sans débat le 12 février 2019, n’est pas une solution acceptable pour le contribuable.

Pire pour 2021 aucune réévaluation n’a été faite du projet malgré la crise et ses conséquences sur le transport aérien et le tourisme qui ne seront pas seulement conjoncturelles mais bien structurelles.

Enfin, un tel projet rend encore plus aléatoire la tenue des engagements sur certaines autres lignes du Grand Paris Express, comme la ligne 17 devant relier Roissy à La Défense qui constitue pourtant une sérieuse alternative, aux côtés d’un RER B double rame enfin modernisé.

Si l’on ajoute le manque de moyens (tunneliers, manque de moyens humains, et retard pris en raison du confinement de mars 2020) pour réaliser dans des délais raisonnables le chantier qui devrait être prioritaire du Grand Paris Express, ou encore les conséquences de la pandémie mondiale à laquelle nous sommes confrontés, se réinterroger sur la pertinence du CDGE procéderait pourtant du bon sens absolu.

En effet, en mars 2020 le temps s’est arrêté. L’épidémie covid‑19 est devenue mondiale et a conduit au confinement de l’ensemble de la population dans notre pays afin d’éviter l’engorgement de nos hôpitaux et la mort de trop nombreuses et trop nombreux de nos concitoyennes et concitoyens. Le Président de la République a été amené à annoncer que la privatisation d’ADP était abandonnée.

Or c’est bien dans ce contexte de confinement que la ministre de la transition écologique et solidaire, ex‑ministre des transports, a décidé de donner agrément au guide de l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) en vue de faire redémarrer les chantiers du CDGE au plus vite.

En dehors du fait que nous n’avions aucune certitude sur la protection des salariées et salariés, il était effectivement tout simplement sidérant qu’il ne soit même pas question de réinterroger à ce stade un tel projet dont la pertinence avant la crise était déjà fortement ébranlée.

À titre d’exemple les aéroports d’Orly et de Paris Charles‑de‑Gaulle ont vu leurs vols diminuer de ‑72% et ‑51% par rapport à l’année dernière. De plus, depuis le début de l’année 2020, la région Ile‑de‑France a perdu 16 millions de visiteurs provoquant un manque à gagner de 7 milliards d’euros, selon le comité régional du tourisme.

Tous les arguments invoqués pour demander l’annulation du CDGE prennent encore plus de poids à l’aune de la crise sanitaire, économique et sociale.

Au lieu de donner la priorité à la modernisation des transports au quotidien, ce qui aurait dû être le seul objectif poursuivi dès avant la crise et qui devient de fait aujourd’hui absolument vitale, le Gouvernement continue de mettre la priorité sur la construction d’une ligne à grande vitesse en plein centre urbain, qui passera devant les usagers, notamment de Seine‑Saint‑Denis, sans s’arrêter. Cela alors même que règne la plus grande incertitude sur l’avenir du tourisme et le volume des vols internationaux.

Face à un monde que nous allons devoir réinventer, il est décidé de maintenir un projet disproportionné qui émerge du passé.

Ne rien changer pour que tout change.

Le 16 mars 2020, le Président de la République déclarait pourtant : « le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant. Nous serons plus forts moralement. Nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes les conséquences. »

Le 13 avril 2020, lors de son adresse aux Français, il déclarait : « il nous faudra bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seules peuvent permettre de faire face aux crises à venir. »

« Ces quelques évidences s’imposent aujourd’hui à nous mais ne suffiront pas. Je reviendrai donc vers vous pour parler de cet après. Le moment que nous vivons est un ébranlement intime et collectif. Sachons le vivre comme tel. Il nous rappelle que nous sommes vulnérables, nous l’avions sans doute oublié. Ne cherchons pas tout de suite à y trouver la confirmation de ce en quoi nous avions toujours cru. Non. Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier. »

Non seulement il faut « parler de cet après », mais il faut aussi le construire pour en faire une réalité. Se réinventer c’est transformer ses propres déclarations en actes dès maintenant.

C’est d’ailleurs dans ce contexte de crise sanitaire que le tribunal administratif de Montreuil a annulé, le 9 novembre 2020, l’autorisation environnementale accordée le 11 février 2019, en tant qu’elle permet de déroger à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées.

Il a en effet noté que : « les circonstances de fait avaient changé, depuis la déclaration d’utilité publique de 2017, en raison, dans le contexte de la crise sanitaire, de la forte baisse du trafic aérien, dont le caractère purement transitoire ne peut être prédit, et de la renonciation à la mise en service de cette ligne directe pour les Jeux Olympiques 2024. Le tribunal a par ailleurs considéré que les études jointes au dossier ne permettaient pas de tenir pour suffisamment probables plusieurs des avantages attendus du CDG Express, à savoir l’amélioration du confort des voyageurs du quotidien du RER B, la diminution sensible du trafic routier, le renforcement de l’attractivité de la capitale et de sa région ainsi que la création d’une liaison fiable et ponctuelle entre le centre de Paris et l’aéroport. »

Si tous les ingrédients d’une future catastrophe semblaient d’ores et déjà réunis avant la crise, s’il est urgent de « se réinventer », alors, la remise en cause de la réalisation du Charles‑de‑Gaulle Express – un projet disproportionné, hors sol, en décalage total non seulement avec ce que nous sommes en train d’éprouver mais avec le monde qu’il nous faudra reconstruire demain – s’impose aujourd’hui comme une évidence.

Enfin le 17 novembre dernier, en réponse au courrier adressé au Président de la République sur les problèmes posés par la future construction du terminal 4 de l’aéroport Roissy Charles‑de‑Gaulle ‑ au vu de l’avis rendu par l’Autorité environnemental – les ministres de la transition écologique et des transports à ce courrier ont été amenés à faire une réponse claire. Ils estiment que le rapport rendu par l’Autorité environnementale « pointe en effet plusieurs points d’attention, qui nécessitent d’être étudiés » ». Ils soulignent à leur tour le fait que « la crise de la covid‑19 a fortement impacté l’économie du transport aérien » en précisant que « l’Association internationale du transport aérien (IATA) estime – à date – que le trafic ne ré‑atteindra pas son niveau antérieur à la crise avant 2024 ». Ils reconnaissent ainsi que « plusieurs incertitudes planent également quant aux prochaines pratiques professionnelles et touristiques de nos concitoyens ». Ils concluent sur le fait que « des réévaluations seront nécessaires », que « le Groupe Aéroports de Paris reverra ainsi sur l’année 2021 son projet en profondeur pour tenir compte de ces nouveaux enjeux » et que « le projet ne se justifie plus tel qu’il était envisagé et devra faire l’objet d’une révision en profondeur ».

Une telle remise en question officielle du terminal 4 de l’aéroport Roissy Charles‑de‑Gaulle de la part des deux ministres est sans appel et légitime en soi le fait de ré‑interroger le projet du Charles‑de‑Gaulle‑Express.

C’est pourquoi nous proposons à travers cette proposition de loi, la suppression du projet de liaison express entre Paris et l’aéroport Paris‑Charles‑de‑Gaulle afin d’obliger à un débat et à une remise en question de ce projet qui émerge du passé, sans modèle économique, social et environnemental vertueux, à la fois bancal et disproportionné.


proposition de loi

Article 1er

L’ordonnance n° 2016‑157 du 18 février 2016 relative à la réalisation d’une infrastructure ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris‑Charles‑de‑Gaulle et la loi n° 2016‑1887 du 28 décembre 2016 relative à une liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris‑Charles de Gaulle sont abrogées.

Article 2

La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.