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N° 3756
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 janvier 2021.
PROPOSITION DE LOI
visant à supprimer la possibilité ouverte au dirigeant d’une entreprise de déposer une offre de rachat de l’entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Régis JUANICO, Laurence DUMONT, Alain BRUNEEL, Moetai BROTHERSON, Marie‑George BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, François‑Michel LAMBERT, Michel LARIVE, Karine LEBON, Jean‑Paul LECOQ, Paul MOLAC, Jean‑Philippe NILOR, Stéphane PEU, François RUFFIN, Fabien ROUSSEL, Bénédicte TAURINE, Hubert WULFRANC et les membres du groupe Socialistes (1) et apparentés (2)
députés.
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(1) Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Joël Aviragnet, Marie‑Noëlle Battistel, Gisèle Biémouret, Jean‑Louis Bricout, Alain David, Laurence Dumont, Olivier Faure, Guillaume Garot, David Habib, Chantal Jourdan, Marietta Karamanli, Jérôme Lambert, Gérard Leseul, Philippe Naillet, George Pau‑Langevin, Christine Pires Beaune, Dominique Potier, Valérie Rabault, Claudia Rouaux, Isabelle Santiago, Hervé Saulignac, Sylvie Tolmont, Cécile Untermaier, Hélène Vainqueur‑Christophe, Boris Vallaud, Michèle Victory.
(2) Mesdames et Messieurs : Christian Hutin, Régis Juanico, Serge Letchimy, Josette Manin
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Avant la crise sanitaire, l’article L. 642‑3 du code du commerce était clair : dans le cadre d’une liquidation judiciaire, ni le débiteur, ni les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale en liquidation judiciaire, ni les parents ou alliés jusqu’au deuxième degré de ces dirigeants ou du débiteur personne physique, ni les personnes ayant ou ayant eu la qualité de contrôleur au cours de la procédure, ne sont admis, directement ou par personne interposée, à présenter une offre de reprise partielle ou totale de l’entreprise placée en liquidation judiciaire.
C’était avant que le Gouvernement ne décide de déroger à ce principe (qui connaissait au demeurant déjà un assouplissement permis par la requête du ministère public quand l’intérêt général le commandait), au prétexte du maintien de l’emploi.
L’ordonnance n° 2020‑596 du 20 mai 2020, prise sur le fondement du d du 1° du I de l’article 11 de la loi n° 2020‑290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid‑19, prévoit ainsi qu’une offre de reprise partielle ou totale de l’entreprise en liquidation judiciaire puisse, jusqu’au 31 décembre 2020, être formée par « le débiteur ou l’administrateur judiciaire ».
En quelques semaines, certains dirigeants d’entreprise ont profité de cet effet d’aubaine pour effacer une partie de leurs dettes, faciliter les licenciements des salariés, faire prendre en charge des salaires par l’Unedic puis récupérer leur entreprise ainsi allégée alors qu’elle était déjà en difficulté avant la pandémie.
Sur les cinq entreprises concernées par le dispositif de l’ordonnance du 20 mai 2020, quatre entreprises ont été autorisées à reprendre leur propre filiale :
– Orchestra Premaman : l’offre de son fondateur Pierre Mestre a été retenue par le tribunal de commerce malgré une offre concurrente qui avait pourtant reçu le soutien du CSE. Cette offre alternative permettait de maintenir 1 199 emplois sur le territoire français dont l’entrepôt à Saint‑Aunès, contre 980 emplois et le transfert de l’entrepôt Saint‑Aunès vers Arras (les 130 emplois repris par une société de défaillance) pour la proposition de Pierre Mestre. Cette opération permet au dirigeant de continuer à peu de frais après l’apurement du passif du groupe de 500 millions d’euros. Le CSE précise bien que les millions d’euros de dettes de l’entreprise ont été contractés bien avant la crise sanitaire.
– Phildar : le Tribunal de commerce de Lille a fait le choix de l’offre de reprise de PP Yarns parmi les trois présentes (Kindy et Mondial Tissus). La société a mobilisé au total 14 millions d’euros, mais ne reprend que 15 magasins sur un total de 115 et 86 salariés sur 209. Alors que Kindy reprenait 52 magasins et Mondial Tissus 16 magasins. L’offre n’est pas la mieux‑disante sur le plan social, mais semblait être la plus intéressante sur le plan financier pour le CSE et le tribunal de commerce car elle propose une promesse de reclassement des salariés vers d’autres entreprises du groupe.
– Alinéa : le tribunal de commerce de Marseille a validé la reprise de l’enseigne française de meubles Alinéa par ses anciens dirigeants qui prévoit 992 licenciements sur 1 974 salariés et la fermeture de 17 magasins sur 26. Malgré un doute sur la gestion passée de l’entreprise, l’offre de reprise était la seule en lice donc le tribunal de commerce a considéré qu’elle constituait la seule alternative possible à une liquidation judiciaire directe. Cette reprise permet de fait aux dirigeants de s’affranchir d’un passif de 12 millions d’euros, malgré des opérations troublantes
– Inteva Products : le tribunal de commerce d’Orléans a désigné Inteva Products LLC comme repreneur de sa filiale Inteva Products France malgré une autre proposition française. Inteva a proposé une offre actant 265 suppressions de postes sur 621 salariés répartis dans trois usines en France, fermant notamment l’usine de Saint‑Dié (223 emplois). Cependant, l’instance considère que cette opération n’entre pas juridiquement dans le cadre de l’ordonnance car Inteva Products LLC n’est pas dirigeant d’Inteva Products France.
Une seule entreprise voit sa proposition de reprise rejetée : Il s’agit de Camaïeu : l’offre de la direction est refusée au profit de la Financière immobilière bordelaise (FIB).
Ce projet mieux‑disant socialement, avait la faveur du CSE et de l’inter‑ syndicale qui considérait le covid‑19 comme un prétexte. Sur les 3 200 employés de l’enseigne en France, le projet de la FIB prévoit d’en garder 2 659 (contre une proposition de 2 299 contrats conservés pour le consortium sortant) et refuse le déménagement de l’entrepôt chez Log’s à Wattrelos contrairement à ce qu’envisageait le consortium.
De tels comportements illustrent une réalité : à force d’assouplir les règles de droit commun pour faciliter les reprises et éviter les faillites, on remet en cause des dispositifs pourtant prévus pour protéger les salariés et les créanciers, et on ouvre ainsi la voie aux dérives et aux fraudes.
Le contexte sanitaire et a fortiori social nous impose de trouver un équilibre. Cette proposition de loi entend mettre un terme à cette dérive qui provoque de nombreux scandales sociaux en revenant au droit commun. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.
proposition de loi
Article 1er
L’ordonnance n° 2020‑596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid‑19 est ratifiée.
Article 2
L’article 7 de l’ordonnance n° 2020‑596 du 20 mai 2020 précitée est abrogé.